American Pravda. Faire la guerre biologique


Par Ron Unz – Le 9 Août 2021 – Source Unz Review

J’ai grandi en fin de période guerre froide et, si la possibilité d’une guerre nucléaire était considérée comme effrayante, elle n’était pas impensable, faisait même l’objet d’innombrables films et récits et les arsenaux américains et soviétiques était régulièrement comparés dans les journaux et les magazines.

Par contre, une guerre biologique semblait effectivement impensable. En 1969, le président Richard Nixon avait ordonné la destruction de l’ensemble de notre arsenal de guerre biologique et avait aussitôt signé un traité international avec ses homologues soviétiques pour interdire ces armes horribles. La dissémination d’organismes biologiques mortels et autoreproducteurs qui ne respectaient aucune frontière nationale présentait évidemment des risques particulièrement dangereux, et je comprenais aisément pourquoi de telles armes ne pourraient jamais être utilisées au combat, surtout par notre propre gouvernement.

Les idées préconçues se fissurent parfois et s’effritent un peu avant de s’effondrer finalement. Depuis des années, je commençais à voir circuler sur Internet des affirmations concernant l’utilisation passée d’armes biologiques, mais l’effondrement n’a commencé qu’au début du mois de janvier, lorsque j’ai lu un remarquable article de 12 000 mots publiés dans le magazine New York. L’auteur en est Nicholson Baker, un écrivain éminent et un intellectuel public libéral, qui présente un argumentaire détaillé et plutôt convaincant selon lequel, au lieu d’être naturel, le virus Covid qui dévaste notre pays et le reste du monde est artificiel, c’est-à-dire le produit d’un laboratoire quelconque. Profane intelligent plus qu’esprit scientifique, l’expertise de Baker sur le sujet provient de nombreuses années de recherche qu’il avait entreprises pour écrire Baseless, son livre publié en 2020 documentant le vaste programme de guerre biologique des États-Unis.

La quasi-totalité du très long article de Baker concerne le Covid, quelques faits tirés de ce livre sont mentionnés ici et là, et ceux-ci m’ont beaucoup surpris. Apparemment, au cours des années 1950, notre programme de guerre biologique s’était vu attribuer une priorité et une importance comparables à celles du développement des armes nucléaires, et le projet avait également donné lieu à de nombreux accidents, dont beaucoup furent mortels, ce qui n’était pas quelque chose que j’avais déjà vu mentionné. L’histoire réelle sur ce sujet était donc apparemment beaucoup plus complexe que je ne le pensais.

À l’époque, je me concentrais entièrement sur les questions relatives au Covid et sur mon analyse selon laquelle notre désastreuse épidémie mondiale était probablement le résultat d’une attaque américaine de guerre biologique contre la Chine (et l’Iran). Mais après avoir produit une longue série d’articles sur ce sujet, j’ai décidé d’examiner de plus près l’histoire des programmes américains de guerre biologique, le livre de Baker étant un point de départ naturel.

Baker débute son ouvrage en expliquant qu’en 2009, il a commencé à s’interroger sur certains événements contestés de la guerre de Corée, un conflit qui s’est terminé en 1953, des années avant même sa naissance. À l’époque, le monde communiste avait accusé à grands cris les Américains de se livrer à une « guerre bactériologique » illégale, ce que les Américains avaient vivement démenti. Bien que cette question n’ait jamais été entièrement résolue au cours des décennies suivantes, la plupart des historiens classiques semblent s’être rangés du côté américain, mais Baker s’est demandé qui avait dit la vérité.

Sa recherche initiale dans des livres et des articles l’a conduit aux documents gouvernementaux disponibles, y compris ceux trouvés dans quelques bibliothèques présidentielles et les Archives nationales, et il a également interviewé certaines personnes et chercheurs bien informés. Mais aucun des documents qu’il a trouvé ne lui a semblé concluant alors, en 2012, il commence à utiliser la loi sur la liberté d’information (FOIA) dans l’espoir d’obtenir certains documents à diffusion restreinte qui pourraient enfin résoudre la question.

Il a insisté en déposant de telles demandes FOIA pendant sept années de suite, et la nature de cette loi historique de 1966, apparemment autant honorée dans la violation que dans l’observation, est un thème central de son livre, presque aussi important que la question historique particulière qui l’a poussé à l’origine, ce qui l’a conduit à sous-titrer son volume « Ma recherche de secrets dans les ruines de la loi sur la liberté d’information ». Une telle critique semble justifiée étant donné que la loi originale exige que les agences répondent en dévoilant leurs documents dans un délai de vingt jours ouvrables, et que si une autre agence devait être consultée, elle devait le faire « avec toute la rapidité possible ». Mais en réalité, des années de retard ne sont pas rares, une demande particulière de FOIA étant en suspens depuis plus d’un quart de siècle. De plus, lorsqu’ils sont finalement divulgués, ces documents sont parfois rendus presque inintelligibles par la suppression de mots, de phrases, de paragraphes ou de plusieurs pages.

La justification légale alléguée pour retenir ou mutiler lourdement de tels documents est que leur publication mettrait en danger notre sécurité nationale actuelle, mais nous devons nous demander dans quelle mesure cela est plausible. Les événements qui intéressent Baker se sont déroulés au cours d’une guerre qui s’est achevée il y a près de soixante-dix ans, contre une coalition communiste mondiale qui n’existe plus, et il est peu probable que les plans opérationnels ou les technologies de l’époque aient une quelconque pertinence aujourd’hui. De plus, les petits-enfants des individus mentionnés sont certainement assez âgés, s’ils sont encore en vie.

Après la chute de l’URSS, les anciennes archives soviétiques ont généralement été ouvertes au monde, ce qui a permis aux historiens occidentaux de découvrir de nombreux faits importants et de résoudre diverses anciennes controverses, comme celle du massacre de la forêt de Katyn, mais au cours des deux dernières décennies, elles ont pour la plupart été refermées. Quelqu’un peut-il sérieusement prétendre que le fait de garder secrets les procès-verbaux des anciennes réunions du Politburo de Staline est vital pour la protection de la sécurité nationale russe actuelle plutôt que de simplement éviter l’embarras national russe ? Et il doit certainement en être de même pour la quasi-totalité de nos propres documents secrets du début des années 1950.

Baker raconte qu’à un moment donné de sa quête il était assis dans une salle de lecture du bâtiment des Archives nationales, sachant que juste de l’autre côté du mur se trouvaient les 21 documents non disponibles qui résoudraient de manière concluante sa longue enquête, dans un sens ou dans l’autre. Au lieu de cela, il a été contraint de se contenter de ce qu’il avait pu obtenir, avec censures massives et tout.

En 2019, Baker avait consacré plus de dix ans à son projet, ponctué par l’écriture de plusieurs livres et romans sans rapport entre eux mais à succès et, ayant atteint la soixantaine, il était certain que les patients bureaucrates du gouvernement lui survivraient. Il avait accumulé des milliers de pages de notes et de nombreuses boîtes de rapports et autres documents, ainsi qu’une grande quantité de connaissances personnelles importantes qui ne lui survivraient pas. Il a donc finalement décidé d’écrire un livre pour raconter aux autres ce qu’il avait appris et leur permettre d’utiliser ces informations pour eux-mêmes.

N’ayant pu avoir accès aux documents après tant d’années, il abandonne tout effort de conclusion mais a rédigé un récit chronologique soigné. L’auteur est surtout connu comme romancier. Plutôt que d’écrire dans un style universitaire aride, il a choisi de rédiger pendant plusieurs mois de longs chapitres avec un style journal intime, discutant et analysant principalement le contenu et les implications des divers documents qu’il avait découverts, agrémentant son récit de brèves descriptions de sa vie personnelle et de ses activités. Bien que son style soit modeste et informel, le texte principal lui-même, qui compte moins de 150 000 mots, est étayé par plus de cinquante pages de notes détaillées sur ses sources. La crédibilité de son matériel est indiquée par les commentaires élogieux de la couverture, rédigés par des écrivains de renom qui ont couvert des sujets connexes.

Étant donné que les documents secrets cruciaux restent encore secrets, l’analyse de Baker est nécessairement basée sur des preuves circonstancielles, y compris les parties non expurgées des documents ayant été publiées, et il admet pleinement cette difficulté, exposant tous ses faits et conclusions au grand jour et tirant des probabilités et des déductions plausibles plutôt que d’affirmer des certitudes. Dans l’ensemble, j’ai trouvé qu’il était un analyste très judicieux, et je pense qu’il a démontré de manière solide, voire écrasante, que l’Amérique s’est effectivement engagée dans une guerre biologique au début du conflit coréen, comme l’avaient prétendu nos adversaires communistes à l’époque. Les différents éléments de ce puzzle historique s’assemblent pour former un ensemble raisonnablement convaincant.

Tout d’abord, au fil des décennies, il a été amplement démontré que l’Amérique disposait d’un programme de guerre biologique très important basé à Ft. Detrick, établi à l’origine pendant la Seconde Guerre mondiale et poursuivi pendant l’après-guerre, fortement augmenté par l’absorption des très importantes ressources de guerre biologique japonaises, après la fin des hostilités. Ces derniers avaient mis au point la plume comme moyen idéal de disséminer à grande échelle toutes sortes d’agents biologiques mortels depuis les airs, et nos propres chercheurs militaires ont rapidement construit et testé une variété de « bombes-plumes » à cette fin, en utilisant généralement les mêmes conteneurs physiques que ceux qui avaient été utilisé pour distribuer des tracts de propagande depuis des avions.

À la fin de l’année 1950, les forces américaines subissaient une série de défaites désastreuses en Corée face aux troupes chinoises, et le rapport d’un comité du Pentagone datant du début du mois de décembre soulignait l’importance d’accélérer le développement d’armes biologiques telles que la fièvre Q, la peste et l’anthrax, ainsi que les mécanismes d’acheminement nécessaires pour une utilisation secrète, tout en félicitant particulièrement la CIA pour son efficacité à cet égard. Ce rapport secret a finalement été déclassifié à la suite d’une demande de la FOIA en 1996.

À peu près au moment où ce rapport était rédigé, un sergent britannique qui battait en retraite dans un village nord-coréen désert devant l’avancée des troupes chinoises a observé des militaires américains, masqués et gantés, retirer soigneusement de grandes quantités de plumes de conteneurs spéciaux et les jeter dans les maisons vides avant d’être mis en garde par des députés américains. Il déclara plus tard qu’il avait manifestement été témoin d’une « opération clandestine » quelconque et mentionna que quelques jours plus tard, on lui avait demandé de prendre un vaccin non spécifié. Cette curieuse anecdote apparaît dans Unit 731, un récit historique, écrit en 1989, sur le programme japonais de guerre biologique écrit par deux journalistes de la BBC, mais, curieusement, l’incident a été supprimé de l’édition américaine de ce même livre.

Quelques mois plus tard, le ministre des Affaires étrangères de Corée du Nord déposait une plainte officielle auprès des Nations unies, affirmant que l’Amérique avait eu recours à une guerre biologique illégale, en attaquant ses troupes et celles de la Chine avec la variole. De mystérieuses épidémies étaient apparues quelques mois plus tôt, mais uniquement dans des zones récemment occupées par les forces américaines en retraite. Les accusations sont brièvement apparues dans les médias occidentaux, mais ont été ridiculisées et vivement démenties par les porte-parole du gouvernement américain.

À peu près au moment où les troupes communistes tombaient malades et mouraient, environ deux cents soldats américains se trouvant sur le même lieu étaient également soudainement frappés par une mystérieuse épidémie de fièvre Songo, jamais vue auparavant en Corée mais dont les symptômes ressemblaient beaucoup à ceux de la variole et qui était une spécialité des mentors américains de la guerre biologique japonaise. Une censure stricte a empêché les médias américains de prendre connaissance de ces histoires jusqu’à plusieurs mois plus tard, date à laquelle notre gouvernement a affirmé que les maladies avaient été propagées par les troupes chinoises. Mais la maladie semblait totalement absente des centaines de kilomètres de territoire coréen que les forces chinoises avaient traversés, et n’apparaissait que dans une étroite ceinture le long des lignes de front, nos militaires sinistrés estimant qu’elle semblait être propagée par des mulots ou des campagnols infectés. Les campagnols étaient depuis longtemps considérés par les chercheurs américains comme un excellent vecteur pour leurs armes biologiques et, lorsqu’il a été interrogé des années plus tard pour une histoire de la guerre de Corée, l’un des responsables des efforts de la CIA sur place a expliqué que ses opérations secrètes avaient créé une ceinture défensive le long des lignes de front.

Le format journal intime utilisé par Baker disperse ces faits étroitement liés entre eux sur près de 200 pages. Ainsi, bien que je pense que tout lecteur de l’ensemble du livre de Baker trouvera sa thèse tout à fait convaincante, quelques pages lues isolément ne fournissent qu’une petite partie de l’histoire cruciale, manquant de la juxtaposition nécessaire pour présenter les arguments plus solidement.

Bien que cette série d’événements datant de 1951 et les accusations communistes qui l’accompagnent aient fait l’objet d’une certaine couverture médiatique mondiale, la controverse a été beaucoup plus importante l’année suivante, lorsque les organes de presse communistes ont publié des accusations généralisées selon lesquelles l’Amérique avait entamé une série de guerre biologique à grande échelle, affirmant que les avions américains larguaient toutes sortes d’insectes et de campagnols malades en Corée et même dans certaines parties de la Chine voisine, essayant une fois de plus de déclencher une épidémie. Sentant l’opportunité d’un coup de propagande majeur, les Chinois ont organisé une commission d’enquête internationale indépendante pour examiner ces accusations et interroger des témoins locaux, réussissant à recruter à sa tête le Dr Joseph Needham, l’un des scientifiques et experts sur la Chine les plus célèbres de Grande-Bretagne, et le rapport de 665 pages finalement publié confirme les assertions chinoises. Les confessions publiques de nombreux pilotes américains capturés, qui ont admis avoir pris part à ces attaques illégales de guerre bactériologique, ajoutent un élément particulièrement important.

Cependant, ces nouvelles accusations ont été une fois de plus qualifiées de bobards par les médias occidentaux, beaucoup plus puissants, et après leur rapatriement, les Américains capturés ont affirmé que leurs déclarations avaient été obtenues sous la contrainte. De nombreux historiens sont par la suite parvenus à la même conclusion, notamment après 1998, lorsque des documents précédemment secrets des archives du KGB soviétique ont révélé qu’ils avaient créé de fausses zones d’exposition aux maladies à des fins de propagande. À titre d’exemple de ce consensus historique, la biographie de Needham publiée en 2008 par Simon Winchester, qui a été largement saluée, consacre près de 20 pages à cet épisode, qui a failli briser la carrière de son sujet, et conclut fermement que les accusations des communistes étaient fallacieuses.

Baker, cependant, suggère une reconstruction plus nuancée. L’idée que des avions américains larguaient des insectes et des rongeurs depuis le ciel semble être une affirmation assez extraordinaire, moins susceptible d’être le genre d’histoire plausible fabriquée pour un plan de propagande de guerre, surtout si l’on considère le très grand nombre de témoins oculaires apparemment crédibles interrogés ultérieurement par Needham et d’autres enquêteurs, et l’auteur se demande si des milliers de personnes ont pu être enrôlées dans un bobard aussi ancien. En outre, en 2007, la CIA a finalement déclassifié et mis à disposition sur son site Internet une grande quantité de documents secrets américains, dont de nombreuses communications interceptées par des commandants chinois et nord-coréens faisant état de ces événements et demandant instamment des vaccins ou du DDT pour protéger leurs troupes des épidémies attendues. Ainsi, bien que les preuves de ces épidémies réelles semblent minimes et peut-être fabriquées, les forces communistes ont certainement cru qu’elles faisaient l’objet d’une attaque biologique, ce qui suggère que quelque chose de très étrange se produisait.

Baker note que la guerre psychologique était un élément central des opérations de la CIA, et les mémos de cette période indiquent que toutes sortes de stratégies possibles étaient étudiées pour démoraliser les troupes ennemies, y compris l’idée inhabituelle d’utiliser des avions pour répandre de la « fausse poussière radioactive » et convaincre les forces communistes qu’elles couraient un péril mortel. En l’absence d’une annonce publique et autodestructrice de la part des Américains, il est difficile d’imaginer qu’une telle poussière aurait été remarquée et encore moins considérée comme dangereuse, mais le largage d’un grand nombre d’insectes et de rongeurs mystérieux aurait pu immédiatement persuader l’ennemi qu’il subissait une nouvelle série d’attaques biologiques américaines, les pilotes américains impliqués supposant la même chose, et Baker pense que c’est ce qui correspond le mieux aux preuves limitées disponibles. Dans une large mesure, cela ressemble à une autre action bizarre mais solidement documentée, l’opération Red Frog, au cours de laquelle la CIA a capturé une centaine de grenouilles coréennes, les a peintes en rouge, puis les a lâchées d’avions pour déconcerter les forces militaires adverses.

De plus, les hauts responsables du Pentagone pensaient qu’une guerre totale contre les Soviétiques et les Chinois pouvait éclater à tout moment, et cette opération leur a permis de tester leurs vecteurs biologiques, qui seraient devenus un élément crucial de leur stratégie militaire dans un tel conflit. Baker pense donc qu’une opération secrète de guerre biologique à petite échelle débutant à la fin de l’année 1950 a ensuite été confondue et assimilée à une opération de guerre psychologique à grande échelle en 1952, ce qui a conduit de nombreux historiens ultérieurs à écarter la réalité de la première.

Outre les nombreux documents FOIA qu’il a personnellement obtenus, l’une des sources les plus importantes de Baker est un court ouvrage publié en 1998 par les historiens canadiens Stephen Endicott et Edward Hagerman, intitulé à juste titre The United States and Biological Warfare. Il s’est personnellement lié d’amitié avec les auteurs, qu’il a interviewés au début de son projet, et a reçu par la suite vingt boîtes de leurs documents de recherche accumulés.

Publié par une petite maison d’édition universitaire américaine, l’ouvrage d’Endicott/Hagerman contient une énorme quantité de données factuelles très détaillées et a reçu les éloges du professeur Richard Falk de Princeton, un éminent spécialiste du droit international, ainsi que de l’historien Stephen Ambrose, qui a construit sa carrière sur l’hagiographie d’Eisenhower. Mais le texte est écrit d’une manière très sèche et ennuyeuse, de sorte que j’ai trouvé le livre de Baker, malgré son absence de séquence chronologique, beaucoup plus utile, bien qu’il ait été évidemment construit sur la base de recherche fournie par cet ouvrage.

Les auteurs ne partagent pas l’avis de Baker et croient fermement que les parachutages de 1952 étaient également des attaques biologiques, mais leurs preuves semblent très largement circonstancielles et la plupart d’entre elles pourraient facilement être expliquées dans le cadre de Baker.

Un point crucial qu’ils soulignent à juste titre est l’ampleur terrible de la défaite américaine face aux forces terrestres chinoises intervenantes à la fin de 1950. Ils citent un extrait de Disaster in Korea, le compte rendu militaire définitif de ce conflit par le lieutenant-colonel Roy E. Appleman, qui caractérise la situation en termes extrêmes : « … une série de désastres inégalés dans l’histoire de notre pays… une retraite massive, sans équivalent dans l’histoire militaire américaine ». En conséquence, le président Truman et les chefs d’état-major interarmées conviennent que les bombes atomiques doivent être utilisées si nécessaire pour éviter une défaite totale. Dans de telles circonstances, est-il vraiment plausible que nos forces aient reculé devant l’utilisation de la guerre biologique, surtout dans une capacité très limitée et déployée d’une manière plausiblement niable ?

Jusqu’à ce que les derniers documents secrets datant d’il y a soixante-dix ans soient enfin disponibles, la reconstitution de Baker me semble la plus équilibrée et la plus cohérente par rapport aux preuves quelque peu contradictoires, et Winchester est apparemment d’accord, semblant inverser les conclusions de sa biographie de Needham écrite une douzaine d’années plus tôt en fournissant une longue et élogieuse présentation du livre de Baker.

Se préparer à une utilisation complète de la guerre biologique offensive contre de vastes centres de population ennemis nécessite évidemment des tests approfondis sur le terrain, et ces efforts ont parfois provoqué une grande controverse lorsqu’ils ont finalement été révélés. En septembre 1950, un mystérieux brouillard dégageant une odeur étrange a enveloppé la ville de San Francisco pendant plusieurs jours. Ce n’est que plusieurs décennies plus tard que l’on a découvert qu’il avait été causé par un important test de terrain pour la guerre biologique, un dragueur de mines en mer ayant soufflé vers la ville un énorme nuage de spores bactériennes destinées à remplacer l’anthrax. Bien que les spores soient censées être inoffensives, elles ont en fait provoqué un certain nombre d’infections graves parmi les résidents locaux, dont au moins un décès. En 1975, le New York Times révélait qu’une décennie plus tôt, la CIA avait rempli les métros de New York d’un « simulant inoffensif d’un gaz porteur de maladie », provoquant une nouvelle indignation.

Il semble également raisonnable de penser que des erreurs bien plus permanentes se sont parfois produites. La maladie de Lyme, transmise par les tiques, peut provoquer des démangeaisons, des éruptions cutanées et parfois des affections plus graves. Elle infecte chaque année quelque 300 000 Américains et d’innombrables animaux domestiques, et touche les habitants de la Nouvelle-Angleterre et d’une grande partie de la côte nord-est. Elle a été diagnostiquée pour la première fois en 1975, une date étonnamment récente pour l’apparition soudaine d’une maladie tout à fait naturelle. Se fondant sur Lab 257, un livre de Michael Carroll paru en 2005 qui a fait l’objet de nombreuses recherches, Baker affirme qu’il s’agit probablement d’une conséquence involontaire de nos expériences de guerre biologique. Apparemment, l’île voisine de Plum Island a longtemps été le centre de recherches financées par la CIA et l’armée sur les maladies du bétail transmises par les tiques, et celles-ci ont pu infecter accidentellement des cerfs ou des oiseaux locaux, qui ont ensuite traversé la baie jusqu’à Lyme, dans le Connecticut, produisant l’infestation endémique.

Bien qu’elles ne soient pas aussi controversées que celles visant les humains, ces armes biologiques ciblant l’approvisionnement alimentaire ont également constitué un élément important des plans militaires américains dès les premiers stades, bien qu’elles semblent avoir presque entièrement disparu des archives historiques.

Au début de l’année 1945, les chercheurs de Ft. Detrick avaient mis au point et testé une variété d’armes visant à détruire la récolte de riz du Japon, produisant à cette fin des bombes destinées à diffuser des moisissures, des champignons ou des bactéries, tandis que d’autres experts militaires soutenaient que la pulvérisation de mazout serait le moyen le plus efficace de détruire les semis de riz. Combinée au blocus complet des îles japonaises par les Américains et à la destruction de sa flotte de pêche, cette stratégie visait à réduire un Japon surpeuplé à une famine totale.

Bien que les documents clés concernant la mise en œuvre effective de ces plans de guerre restent classifiés ou si lourdement expurgés qu’ils sont illisibles, nous savons que les chefs d’état-major interarmées ont, à un moment donné, officiellement autorisé l’utilisation complète de la « guerre biologique végétale ». Baker note que la récolte de riz du Japon a échoué en 1945, produisant la pire récolte depuis 1909, alors que la population avait diminué d’un tiers, et que le Japon n’a survécu que parce que le gouvernement d’occupation du général MacArthur a importé d’énormes quantités de nourriture. Après la fin des hostilités, les principaux acteurs de la guerre biologique sont intervenus auprès des médias pour supprimer ou minimiser tout récit des méthodes qui avaient été utilisées pour détruire l’agriculture japonaise.

Compte tenu de ce succès apparent contre le Japon, il n’est guère surprenant que ces techniques anti-agricultures soient rapidement devenues un élément important de notre stratégie de guerre froide, même si les conséquences ont parfois été contre-productives.

Le blé était aussi important pour l’approvisionnement alimentaire soviétique que le riz l’était pour celui du Japon, et nos experts en guerre biologique ont étudié la « rouille de la tige du blé », un parasite dont ils pensaient qu’il pourrait être efficace pour détruire l’agriculture soviétique. En 1949, ils ont mis au point de puissantes souches anti-blé, et le projet est entré en pleine production. Il fallait un énorme stock de spores pour pouvoir porter un coup fatal à l’approvisionnement alimentaire de l’URSS, bien plus que ce qui pouvait être produit dans les serres fermées de Ft. Detrick qui avaient été utilisées à des fins d’essai, et nos experts ont donc commencé à cultiver le parasite fongique sur de vastes étendues de terre.

Les spores extrêmement légères, pouvaient être projetées jusqu’à 10 000 pieds dans les airs par les vents, et une seule pustule pouvait produire 350 000 nouvelles spores. Bien que nos biowarriors aient certainement essayé d’être prudents, des erreurs peuvent parfois se produire, et bien qu’aucune attaque contre l’agriculture soviétique n’ait jamais eu lieu, à partir de 1950, notre propre récolte de blé a été dévastée par cinq années de mystérieuses épidémies de rouille du blé, qui ont fini par toucher douze États et, en 1954, avaient détruit un quart de notre blé panifiable et trois quarts de notre blé pour les pâtes. Il se peut que ce moment soit une pure coïncidence, mais Baker note qu’un rapport déclassifié de l’armée de l’air révèle que les principaux travaux de culture des spores ont eu lieu dans les mêmes États qui sont devenus les épicentres de la propagation de la rouille.

Parfois, de telles erreurs doivent être répétées avant d’être pleinement admises. Au début des années 1960, les chercheurs de Ft. Detrick cultivaient à nouveau la rouille du blé sur plusieurs acres d’une station de culture expérimentale au Kansas, et leurs rapports se vantaient d’avoir réussi à réduire le rendement des cultures de 70 %. Ces efforts se sont poursuivis jusqu’en 1965, année où une énorme épidémie de rouille du blé a gravement endommagé les terres agricoles d’une grande partie du Kansas et du Nebraska, après quoi le projet a été arrêté.

D’autres projets anti-alimentation visaient le bétail, et Baker soupçonne fortement que le choléra des porcs a été utilisé contre les troupeaux de porcs d’Allemagne de l’Est, l’épidémie ayant commencé peu après les émeutes de Berlin de 1953, approuvées par la CIA, et forçant la destruction de plusieurs dizaines de milliers de porcs. Ces méthodes font désormais partie de la panoplie standard de la CIA et, selon Newsday, ses agents ont réussi en 1971 à infecter les troupeaux cubains avec le virus de la grippe porcine africaine, forçant l’abattage de 500 000 porcs et éliminant complètement la disponibilité du porc, un aliment de base du régime alimentaire cubain, bien que des efforts similaires pour détruire l’industrie avicole cubaine aient échoué. Ces événements historiques semblent étrangement rappeler les mystérieuses épidémies virales qui ont commencé à dévaster les industries de la volaille et du porc en Chine en 2018 et 2019, peu après que l’administration Trump ait fait appel à l’un des principaux promoteurs américains de la guerre biologique.

Bien que la plupart de ces faits historiques soient connus des spécialistes universitaires depuis des décennies, ou puissent être découverts par ceux qui les recherchent activement, ils sont pourtant peu susceptibles d’apparaître dans des ouvrages plus généraux. Par exemple, l’un des commentaires élogieux du livre de Baker est celui d’un lauréat du prix Pulitzer, Tim Weiner, qui a passé des décennies à couvrir les affaires liées aux services de renseignement, au New York Times et dans d’autres journaux. Son ouvrage Legacy of Ashes, paru en 2007, compte 700 pages et est considéré comme une histoire de la CIA qui fait autorité, mais lorsque je l’ai lu il y a un an ou deux, je n’ai vu nulle part la moindre mention d’armes biologiques, et encore moins de leur utilisation réelle.

Cependant, cette tendance des médias à esquiver le sujet a récemment commencé à changer. Un autre soutien fort au livre de Baker est venu de Stephen Kinzer, qui, juste un an auparavant, avait publié Poisoner in Chief, principalement axé sur les célèbres projets MK-ULTRA de contrôle mental du Dr Sidney Gottlieb, le chercheur de la CIA décrit dans le titre. Le livre de Kinzer a été salué par les lauréats du prix Pulitzer Seymour Hersh et Kai Bird, deux écrivains ayant une grande expérience des affaires concernant le renseignement, et a fait l’objet de critiques plutôt favorables dans les médias lus par l’élite.

À première vue, la manipulation mentale et la guerre biologique peuvent sembler des sujets totalement dissemblables, mais ils présentent en fait de nombreux points communs. Tous deux nécessitent la création et l’utilisation d’agents biologiques ou biochimiques dangereux, qui, pour une efficacité maximale, doivent ensuite être testés sur des sujets humains non consentants, souvent de manière dangereuse ou mortelle. Étant donné qu’à cet égard ils opèrent manifestement en dehors des limites de la légalité normale, surtout en temps de paix, leur utilisation doit rester entièrement secrète, ce qui correspond naturellement aux penchants d’une agence de renseignement telle que la CIA. Tout au long de son livre, Kinzer souligne le chevauchement considérable du personnel et des ressources entre ces deux domaines. En effet, en tant qu’« empoisonneur en chef » de la CIA, Gottlieb a mis au point une large gamme de composés biologiques mortels qu’il a déployés dans un certain nombre de tentatives, pour la plupart infructueuses, d’assassinat de dirigeants étrangers tels que les premiers ministres chinois Zhou Enlai et congolais Patrice Lumumba, ainsi que le cubain Fidel Castro.

Mais la grande quête personnelle de Gottlieb était de créer un système efficace de contrôle de l’esprit, l’utilisation de composés chimiques ou de techniques physiques pour obtenir le contrôle mental d’un sujet non consentant, dont il persuadait les dirigeants de la CIA qu’il représentait le Saint Graal de leurs efforts d’espionnage.

Il existe un lien supplémentaire et plutôt ironique entre les programmes de guerre biologique de Ft. Detrick et les efforts infructueux de la CIA en matière de contrôle mental. Comme nous l’avons vu plus haut, il semble y avoir des preuves accablantes que les graves revers militaires du début de la guerre de Corée ont incité l’Amérique à employer subrepticement une arme biologique, dont l’impact militaire n’a pas été énorme. Puis, en 1952, une initiative beaucoup plus importante a été de larguer des insectes, des rongeurs et d’autres porteurs de maladies potentiels évidents sur les territoires tenus par les communistes, y compris certaines parties de la Chine. Baker pense que ces dernières attaques étaient principalement des éléments de guerre psychologique, sans vouloir vraiment infecter des porteurs potentiels de maladies, mais il est évident que les gouvernements ennemis et les pilotes impliqués ont supposé que de véritables attaques biologiques avaient à nouveau lieu. Ainsi, lorsque certains des pilotes américains ont été abattus et capturés, ils ont avoué ces apparentes attaques bactériologiques, signant des déclarations et admettant les faits devant des visiteurs étrangers, servant ainsi de pièce maîtresse à une importante campagne de propagande communiste.

Comme de telles actions auraient été considérées comme des crimes de guerre, leur reconnaissance généralisée aurait pu entraîner un énorme désastre en termes de relations publiques pour l’Amérique, et elles ont été vivement démenties dans les termes les plus forts possibles comme étant de la ridicule propagande communiste, ces efforts déterminés pour supprimer les faits ayant largement réussi au sein du bloc occidental.

À leur retour, ces aviateurs capturés ont été menacés d’être traduits en cour martiale, ce qui les a amenés à répudier leurs déclarations comme ayant été faites sous la contrainte. Mais les archives montrent que cette coercition était presque entièrement psychologique, et qu’il n’y a pratiquement eu aucune allégation de traitement physique sévère ou de torture.

Cela a naturellement soulevé le problème de l’explication des déclarations publiques détaillées et apparemment crédibles de ces officiers américains capturés et de la raison pour laquelle ils avaient avoué des crimes de guerre supposés inexistants. La réponse a été la création d’un mythe très répandu selon lequel les communistes chinois avaient été les premiers à utiliser le « lavage de cerveau » comme technique puissante de contrôle de l’esprit. Cela laissait entendre que nos adversaires de la guerre froide avaient fait une percée majeure dans une technologie militaire potentiellement importante, et incitait la CIA à s’aligner sur leurs techniques et à combler le « fossé du lavage de cerveau ».

Ces idées ont également rapidement fait leur entrée dans la culture populaire, l’exemple classique étant Le Candidat Mandchou, un best-seller de 1959 qui est devenu un film à succès en 1962. Cette œuvre de fiction raconte l’histoire d’un soldat américain capturé, transformé par un lavage de cerveau chinois en un assassin programmé utilisé pour éliminer tout obstacle humain à la prise de contrôle de notre système politique par les communistes, et pendant des décennies, le lavage de cerveau est resté un élément essentiel des intrigues de fiction à suspense. Pourtant, Kinzer note qu’au moment de la sortie du film, la CIA abandonnait finalement le projet, le considérant comme un échec malgré les importantes ressources dépensées, ce qui n’est guère surprenant puisque la prémisse sous-jacente était entièrement fallacieuse.

L’un des principaux éléments de ces efforts ratés de la CIA était l’utilisation généralisée du LSD et d’autres drogues hallucinogènes, souvent testés sur des sujets civils involontaires, et l’utilisation de ces drogues a fini par se répandre dans notre société avec de graves conséquences négatives. Ainsi, dans une certaine mesure, notre refus officiel de reconnaître que nous avions illégalement mené une guerre biologique au début des années 1950 a peut-être indirectement contribué à la création de la culture de la drogue qui a tant transformé notre société à la fin des années 1960.

Bien que les efforts de contrôle de l’esprit de Gottlieb soient passés à la vitesse supérieure à la suite de la guerre de Corée, ils avaient en fait commencé dès les premières phases de ce conflit, comme le cite Kinzer dans ce macabre extrait :

« En 1951, une équipe de scientifiques de la CIA dirigée par le Dr Gottlieb s’est rendue à Tokyo », selon une étude. « Quatre Japonais soupçonnés de travailler pour les Russes ont été secrètement amenés dans un endroit où les médecins de la CIA leur ont injecté une variété de dépresseurs et de stimulants… Sous un interrogatoire implacable, ils ont avoué travailler pour les Russes. Ils ont été emmenés dans la baie de Tokyo, abattus et jetés par-dessus bord. L’équipe de la CIA s’est envolée pour Séoul en Corée du Sud et a répété l’expérience sur vingt-cinq prisonniers de guerre nord-coréens. On leur a demandé de dénoncer le communisme. Ils refusent et sont exécutés… En 1952, Dulles fait venir le Dr Gottlieb et son équipe à Munich, dans le sud de l’Allemagne, après la guerre. Ils ont installé une base dans une maison sécurisée… Tout au long de l’hiver 1952-1933, des dizaines de personnes « non indispensables » ont été amenées dans la maison sécurisée. On leur administre des quantités massives de médicaments, dont certains ont été préparés par Frank Olson à Fort Detrick, pour voir si leur esprit peut être modifié. D’autres ont reçu des chocs électro-convulsifs. Chaque expérience a échoué. Les « remplaçables » ont été tués et leurs corps brûlés. »

Ce passage remarquable est tiré de l’une des principales sources de Kinzer, Secrets and Lies de Gordon Thomas, publié par une petite maison d’édition américaine en 2007 et portant ce sous-titre provocateur « A History of CIA Mind Control and Germ Warfare » [Une histoire de contrôle de l’esprit et de guerre bactériologique menés par la CIA]. Intrigué par cet ouvrage, j’ai décidé d’en commander un exemplaire pour moi-même, ce qui s’est avéré une entreprise moins facile que je ne l’avais supposé.

À un moment donné, Baker raconte l’anecdote suivante : lorsque l’un des premiers livres révélant les activités de la CIA est paru en 1964, des représentants de l’agence ont menacé d’en acheter tous les exemplaires et de le retirer ainsi de la circulation. Ce plan a été immédiatement contrecarré lorsque l’éditeur de Random House a déclaré qu’il commanderait simplement un autre tirage, mais une telle stratégie serait évidemment beaucoup plus efficace si elle était dirigée contre des livres produits par de petites presses et qui n’étaient plus imprimés. Lorsque j’ai cherché le livre de Thomas sur Amazon, la copie papier la moins chère disponible était cotée à plus de 500 dollars, un prix que je n’avais jamais rencontré auparavant pour un livre relié grand public datant de moins de 15 ans, et le seul exemplaire répertorié sur AbeBooks.com s’est avéré être introuvable. Heureusement, j’ai pu trouver un exemplaire à un prix plus raisonnable ailleurs.

L’extrême rareté de ce livre particulier est bien différente du cas des dizaines d’autres de l’immense œuvre de Thomas, qui a accumulé un étonnant total de 45 millions de ventes. Bien qu’il soit l’œuvre d’un auteur à succès et d’un animateur de la BBC spécialisé dans les questions d’histoire et de renseignement, ce volume ne comporte aucune source et regorge de conversations privées détaillées, probablement inventées par Thomas, qui espérait probablement que son ouvrage serait adapté au cinéma, comme ce fut le cas pour sept de ses livres précédents. Ces facteurs m’ont naturellement fait hésiter par rapport aux volumes soigneusement documentés de Baker, Endicott/Hagerman et Kinzer.

Cependant, Thomas affirme qu’une grande partie de ses informations provenaient de CD contenant 22 000 documents secrets de la CIA qu’un lanceur d’alerte lui avait envoyés en 2001, et il a republié certains de ces documents dans son livre. C’est pour cela que son matériel avait été traité comme totalement authentique par des auteurs ultérieurs tels que Kinzer. L’auteur s’est également appuyé sur de nombreux entretiens personnels, sa source la plus importante étant William Buckley, un vétéran de la CIA y ayant travaillé pendant trente ans, au cœur des événements, qui avait été proche d’Allen Dulles et de William Casey, les deux principaux directeurs de l’agence. Dans l’ensemble, j’ai donc considéré les documents de Thomas comme étant d’une valeur unique et raisonnablement crédibles, même s’ils n’étaient peut-être pas aussi solides que les ouvrages de Baker et de Kinzer, explicitement basés sur des documents.

Les documents de Thomas ont fortement étayé le récit de Baker sur les attaques américaines de guerre biologique pendant la guerre de Corée, et il a même développé cette histoire de manière importante. Par exemple, il a suggéré qu’en 1951, Gottlieb et nos autres experts en guerre biologique ont peut-être testé leurs maladies cultivées en laboratoire sur 20 000 prisonniers de guerre nord-coréens, dont près de 1 800 sont morts, les archives complètes de la CIA sur cet incident préjudiciable ayant peut-être été détruites en 1972-1973. Selon Thomas, Buckley a également examiné les enregistrements des confessions de nos pilotes capturés et a noté que leurs descriptions détaillées correspondaient si parfaitement à nos technologies actuelles de guerre biologique qu’elles semblaient très convaincantes.

Et si Thomas et ses sources personnelles peuvent être crédibles, son récit pourrait avoir résolu l’un des incidents les plus déroutants et les plus notoires des années 1950, largement évoqué dans d’autres ouvrages.

En 1953, l’un de nos principaux experts en matière de guerre biologique, le Dr Frank Olson, a commencé à se comporter très bizarrement et, après avoir été emmené à New York pour y être soigné par un psychiatre, il a été retrouvé mort sur le trottoir, sous les fenêtres brisées de sa chambre d’hôtel au cinquième étage, le verdict officiel étant un suicide dû à une soudaine maladie mentale. Des décennies plus tard, on a découvert qu’il avait secrètement reçu une forte dose de LSD dans le cadre d’un projet de recherche de la CIA sur le contrôle de l’esprit, et l’incident a été considéré comme un exemple notoire des effets potentiellement mortels de cette drogue hallucinogène, qui avait été introduite dans notre société et testée sur des Américains sans méfiance par des chercheurs de la CIA. En guise de compensation, la famille Olson a reçu un important règlement financier. Mais selon Thomas, la vérité pourrait être bien plus sombre que cette histoire.

Le développement de toxines mortelles et d’autres armes biologiques nécessite évidemment des tests humains considérables pour être efficace, et pendant la Seconde Guerre mondiale, le très vaste programme de guerre biologique du Japon a apparemment consommé des milliers de sujets humains – qualifiés par euphémisme de « bûches » dans leurs rapports – principalement d’infortunés Chinois, mais aussi des prisonniers de guerre américains et occidentaux. Les allégations selon lesquelles des expériences humaines mortelles similaires avaient été réalisées sur les détenus de certains camps de concentration nazis ont occupé une place importante dans les tribunaux de Nuremberg. Mais les besoins pratiques transcendent les idéologies, et le programme américain de guerre biologique d’après-guerre, en pleine expansion, semble avoir adopté des méthodes d’essai tout à fait similaires, la plupart d’entre elles se déroulant dans un vaste complexe isolé dans la région de la Forêt-Noire, en Allemagne occupée, les victimes – divers personnages suspects ou autres « consommables » – étant ensuite éliminées si elles parvenaient à survivre aux essais d’armes eux-mêmes.

En 1953, Olson se rend pour la première fois dans cet établissement et est apparemment profondément horrifié d’être personnellement témoin de l’utilisation réelle des technologies mortelles qu’il a passé les douze dernières années à développer dans son laboratoire. Rentré chez lui en passant par la Grande-Bretagne, son état de détresse a été révélé à l’un de ses collègues britanniques spécialistes de la guerre biologique, qui a rapporté les faits à ses supérieurs et l’information a été immédiatement transmise à leurs homologues américains. Il semble que Gottlieb, le chef du programme américain, ait craint qu’Olson ne finisse par révéler les faits sordides aux médias. Il s’est donc arrangé pour le faire tuer rapidement, en lui administrant d’abord une dose massive de LSD pour produire les changements de comportement soudains qui appuieraient un verdict de suicide.

Apparemment, le directeur de la CIA, Allen Dulles, était très méfiant à l’égard de l’histoire officielle du suicide, déclarant à Buckley, son proche collaborateur,  qu’Olson semblait être la dernière personne au monde à se suicider, et il a chargé cet officier de faire toute la lumière sur ce qui s’était réellement passé. Buckley pensait y être parvenu, déterminant même l’identité de l’assassin employé, et des décennies plus tard, l’exhumation et l’autopsie du cadavre d’Olson semblaient fortement étayer cette reconstitution, si bien qu’un procureur de New York préparait en 1999, peu avant la mort de ce dernier, une inculpation pour homicide contre Gottlieb. Mais le sordide incident a été complètement étouffé à l’époque, et après la chute du communisme, les dossiers du KGB et de la Stasi est-allemande ont révélé qu’ils utilisaient l’exemple de la disparition d’Olson comme étude de cas du « meurtre parfait par suicide ».

Kinzer semble soutenir cette même reconstitution, bien que n’ayant pas eu accès aux documents de Thomas ou au bénéfice de ses entretiens personnels avec Buckley, il soit beaucoup plus circonspect dans sa conclusion.

La lecture de ces livres a également contribué à résoudre une autre question relative aux armes biologiques qui était restée dans un coin de ma tête au cours des deux dernières années.

David Irving est probablement l’historien britannique qui a connu le plus grand succès international au cours des cent dernières années, et certaines de ses recherches dans les archives ont produit des révélations remarquables. Comme je l’ai écrit en 2018 :

Parallèlement aux lois interdisant le bombardement des villes, toutes les nations avaient aussi convenu d’interdire l’initiative d’utiliser des gaz de combat, tout en stockant des quantités pour des représailles, si nécessaires. L’Allemagne étant le leader mondial de la chimie, les nazis avaient produit les formes les plus mortelles de nouveaux gaz neurotoxiques, tels que le Tabun et le Sarin, dont l’utilisation aurait pu facilement entraîner des victoires militaires majeures sur les fronts oriental et occidental, mais Hitler avait scrupuleusement obéi aux protocoles internationaux que sa nation avait signés. Toutefois, à la fin de la guerre, en 1944, le bombardement incessant des villes allemandes par les Alliés a entraîné les attaques dévastatrices des bombes volantes V-1 contre Londres, et Churchill, outré, a insisté pour que les villes allemandes soient attaquées au gaz de combat en guise de représailles. Si Churchill avait obtenu ce qu’il voulait, plusieurs millions de Britanniques auraient bientôt péri à cause des contre-attaques allemandes au gaz neurotoxique. Mais la proposition de Churchill de bombarder l’Allemagne avec des centaines de milliers de bombes mortelles à l’anthrax a été refusée, une opération qui aurait pu rendre une grande partie de l’Europe centrale et occidentale inhabitable pendant des générations.

Selon Irving, seule la résistance obstinée de ses subordonnés militaires et politiques consternés a empêché ce chef de guerre ivre de mettre à exécution son projet d’anéantir le cœur de l’Europe par la guerre biologique. Le grand historien en donne les détails dans l’une de ses conférences publiques passionnantes, autrefois facilement accessibles sur YouTube, mais désormais confinées à Bitchute :

Note du Saker Francophone

Vidéo censurée

Dans des circonstances normales, je considérerais des affirmations aussi étonnantes comme presque impossibles à croire. Cependant, au cours du célèbre procès en diffamation de 2000 qui a ruiné la carrière d’Irving et l’a mis en faillite, ses bourreaux juifs ont puisé dans leurs fonds presque illimités pour engager une armée de chercheurs qui ont passé un an ou plus à soumettre le vaste corpus d’écrits d’Irving à un examen minutieux ligne par ligne et note par note, un degré de vérification hostile des faits sûrement sans précédent dans les annales de l’historiographie. Et comme ils n’ont jamais contesté aucune de ces déclarations frappantes, je me suis senti en confiance pour penser que ces affirmations étaient correctes. Mais j’ai tout de même été heureux de voir ces faits apparemment confirmés par les livres de Kinzer, Endicott/Hagerman et Thomas, qui rapportent tous l’ordre urgent de Churchill, en 1944, pour la production en masse de bombes à l’anthrax par son industrie nationale, ainsi que sa demande acceptée que les Américains lui envoient 500 000 bombes supplémentaires de notre propre stock.

L’un des aspects étranges du paysage américain de l’information est qu’un grand nombre des faits historiques les plus controversés semblent être cachés au grand jour. Nicholson Baker et Stephen Kinzer sont tous deux des auteurs tout à fait ordinaires et bien considérés, leurs livres sont largement salués par des critiques éminents et sont facilement disponibles à la vente sur Amazon.com. Il en va de même pour l’histoire beaucoup plus ancienne de Stephen Endicott et Edward Hagerman. Le volume de Gordon Thomas est un peu plus difficile à obtenir en version papier, mais la version Kindle ne coûte que 9,99 dollars, et ses autres livres se sont vendus à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires et ont fait l’objet de sept films. Personne ne pourrait décrire ces écrivains comme des figures marginalisées, purgées pour leurs affirmations historiques controversées. Et les histoires qu’ils ont racontées sur l’utilisation intensive de la guerre biologique par l’Amérique et les expériences mortelles menées sur un grand nombre de victimes humaines semblent tout à fait explosives. Nous ne vivons évidemment pas dans un État totalitaire qui impose un mur de secret sur ces faits sordides. N’importe qui peut cliquer sur un bouton sur Amazon et commencer à lire le livre un jour ou deux plus tard, ou acheter la version Kindle et l’ouvrir en quelques secondes.

Pourtant, les ventes de ces livres se sont probablement limitées à quelques milliers ou dizaines de milliers d’exemplaires, et rien de cette histoire n’est promu dans les médias grand public ou incorporé dans nos manuels scolaires standard, ce qui lui permettrait d’atteindre plusieurs millions de lecteurs. Plus important encore, elle est entièrement ignorée par nos médias électroniques, qui constituent la principale source d’information pour la grande majorité de notre population. Par conséquent, j’étais complètement ignorant de ces histoires, et lorsque j’ai contacté plusieurs personnes bien informées et cultivées, dont certaines se concentrent principalement sur les questions de sécurité nationale, c’était le cas pour elles aussi. En n’insistant pas suffisamment sur certains faits, les médias les dissimulent presque aussi efficacement que s’ils avaient été déclarés secrets d’État.

On pourrait facilement faire valoir que, bien que de mauvais goût, ces événements passés ont peu d’effet sur le monde et ne sont que des détails de l’histoire, sans importance pour nos vies actuelles. Nos attaques de guerre biologique pendant la guerre de Corée n’ont tué ou blessé qu’une infime partie des pertes infligées par notre campagne massive de bombardements stratégiques ou par le reste des combats conventionnels sur le terrain. Et à l’exception des agriculteurs du Midwest dont les récoltes de blé ont été dévastées au début des années 1950 ou des habitants du Nord-Est qui souffrent encore des affres de la maladie de Lyme, le nombre d’Américains touchés par ces politiques ou leurs répercussions involontaires a été absolument négligeable.

Mais les armes biologiques créent d’énormes dangers potentiels, comme l’avait souligné le président Nixon lorsqu’il a décidé de les interdire, et jouer à la roulette russe peut sembler absolument sans danger jusqu’au moment où, soudainement, ce n’est plus le cas.

Considérez la réalité de l’épidémie mondiale actuelle de Covid. Bien qu’elle ne soit qu’au milieu de sa deuxième année, l’épidémie a déjà tué près de 14 millions de personnes dans le monde et, malgré les efforts déployés pour la contrôler, elle a lourdement affecté la vie de presque tous les huit milliards d’habitants de la planète, touchant tous les continents et toutes les villes. Plusieurs centaines de milliers d’Américains figurent parmi les morts, et notre propre société a été énormément perturbée. À tout point de vue, l’épidémie de Covid a déjà eu un impact sur le monde bien plus important que les attaques du 11 septembre 2001 et les deux décennies de guerres majeures et de déplacements de population qui ont suivi, ce qui en fait certainement l’un des trois ou quatre événements les plus marquants de ces cent dernières années.

Depuis avril 2020, je présente des preuves solides, voire accablantes, que l’épidémie a été déclenchée par une attaque américaine de guerre biologique exceptionnellement imprudente contre la Chine (et l’Iran). Les nombreux articles de ma série ont maintenant été consultés plus de 350 000 fois, un total peut-être supérieur aux ventes combinées des divers livres majeurs dont il est question dans cet article. Pourtant, pour exactement les mêmes raisons – l’évitement studieux des grands médias et des médias électroniques – seule une infime partie de ceux qui ont été touchés par ces événements désastreux ont pris conscience de la cause probable de leur détresse.

Si les faits historiques malheureux des dernières décennies de développement et d’utilisation de la guerre biologique par l’Amérique avaient été mieux connus par les deux dernières générations, notre calamité actuelle aurait peut-être pu être évitée.

Ron Unz

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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2 réflexions sur « American Pravda. Faire la guerre biologique »

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