La Chine vit déjà en 2020


Par Pepe Escobar – Le 28 mars 2016 – Source Strategic Culture.

Perdu dans la multitude de manifestations de sa crise existentielle, l’Occident a, comme d’habitude, négligé, voire sous-estimé, le dernier grand show politique chinois, la célèbre double session, celle de la Conférence consultative politique du peuple et celle du Congrès national populaire, l’assemblée législative, qui s’est terminée par l’adoption du 13e plan quinquennal chinois.

Le point central fut la déclaration de Li Keqiang, statuant que Pékin prévoit une croissance économique moyenne de 6,5% par an sur la période allant de 2016 à 2020, croissance portée par l’innovation. Si cela marche comme prévu, en 2020, 60% de la croissance économique chinoise reposera sur les avancées technologiques et scientifiques

Le président Xi Jiping est allé encore plus loin en promettant de doubler le PIB chinois en 2020, par rapport à celui de 2010, tant pour les zones urbaines que rurales. C’est la mise en application du rêve chinois, la très ambitieuse politique officielle de Xi et la version contemporaine d’une vie confortable pour tous, ce que promettait Deng Xiaoping il y a presque un demi-siècle de cela.

Sur le plan économique, les mesures prévues par Pékin sont la libéralisation des taux d’intérêt, le maintien de la stabilité du yuan (éviter les dévaluations spectaculaires) et le contrôle effectif de flux anormaux de capitaux à travers les frontières. Le premier ministre Li est allé droit au but en précisant que pour que cet effort collectif massif aboutisse, travailler dur est essentiel. Cela veut dire tolérance zéro pour ceux qui voudraient faire capoter un tel objectif, et la maison de correction pour ceux qui font des erreurs. Les innovateurs seront généreusement récompensés.

Le rêve chinois de Xi atteint maintenant la vitesse d’un TGV. Le centième anniversaire du Parti communiste chinois est quasiment pour demain, 2021. D’où l’accélération pour réaliser l’objectif annoncé de la construction d’un pays socialiste moderne. Encore que doubler le PIB est l’effort de toute une vie lorsque vous avez une population qui vieillit rapidement, une bulle immobilière énorme (c’est un euphémisme) et une dette croissante.

Tout devra être parfaitement calibré. Par exemple, la Chine a utilisé plus de ciment entre 2011 et 2013 que les États-Unis au cours du XXe siècle et, bien sûr, beaucoup de ciment a été gaspillé. Jia Kang, un membre du Comité politique consultatif l’a souligné: «Les 6,5% sont un plancher qui ne doit jamais être franchi… Si la croissance s’en rapproche, il faudra appliquer des politiques pro-croissance.»

Présentation de la Xiconomie

Même avec un PIB ralentissant à 6,5% par an, le PIB chinois sera de 25 000 milliards de yuan ($3 800 milliards) de plus qu’en 2014. Pour échelle, ce PIB supplémentaire correspond en gros à celui de l’Allemagne actuelle.

D’une façon typiquement chinoise, Li a commenté qu’en 2016, l’année chinoise du singe, il est prêt à manier le mythique fouet avec ses bagues en or pour briser tous les obstacles qui pourraient empêcher Pékin d’atteindre ses ambitieux objectifs économiques.

Voici donc la Xiconomie. La Xiconomie est le successeur de la Liconomie, qui implique que Xi, et non Li, est le vrai leader des réformes économiques chinoises, même si c’est Li qui possède un doctorat d’économie de l’université de Pékin.

Tout le monde en Chine parle de Xiconomie depuis que le Quotidien du Peuple publie une série d’articles exaltant les pensées sur l’économie de Xi. En pratique, cela implique que c’est Xi qui dirige le Groupe de direction centrale pour la réforme profonde et globale, ainsi que le Groupe de direction centrale pour la finance et les affaires économiques. Ces deux groupes sont habituellement présidés par le Premier ministre.

Le 13e plan quinquennal est fortement influencé par la Xiconomie. Il est important de noter qu’avant la publication de la version finale, Liu He, le premier adjoint de Xi, a souvent été au téléphone avec le trésorier étasunien Jacob Lew, pour discuter intensément de la politique des taux de change chinois.

Une des clés de voûte de la Xiconomie est que Pékin préfère les fusions et acquisitions des sociétés d’État, plutôt que leur privatisation. Les économistes interprètent ceci comme le signe que Xi soutient le capitalisme d’État pour exploiter les nombreux marchés étrangers, pour beaucoup encore vierges, afin de compenser la faible croissance interne.

Cela nous ramène à l’importance cruciale de la nouvelle Route de la Soie, Une Ceinture, Une Route (UCUR), selon la terminologie officielle chinoise. Les entreprises d’État chinoises vont jouer un rôle important dans la mise en place d’UCUR, qui va accélérer l’intégration eurasienne grâce à cet immense projet trans-eurasien.

UCUR se révèle être le seul plan d’intégration globale en cours (pas de plan B), avec $1 000 milliards d’investissements déjà annoncés. En juin dernier, la Banque de développement chinoise a annoncé qu’elle allait investir le chiffre impressionnant de $890 milliards dans 900 projets UCUR concernant 60 pays. Dont une importante ligne ferroviaire TGV, longue de 3 600 km, reliant le Xinjiang à Téhéran, un élément essentiel du partenariat stratégique croissant, touchant l’énergie et le commerce, entre la Chine et l’Iran.

Au niveau interne, le défi numéro un de Pékin sera la pacification du Xinjiang, un point de transit important d’UCUR. Un effort est fait pour encourager les quartiers résidentiels mixtes, comme l’a souligné le premier ministre Li, effort ciblant les villes où les Ouïghours et les Hans chinois ont été séparés depuis les manifestations de 2009, surtout à Urumqi, la capital du Xinjiang. Les étudiants Ouïghours seront encouragés à étudier dans les écoles hans. Le succès d’un tel effort dépendra surtout de la capacité des cadres provinciaux à suivre à la lettre les directives intégrationnistes de Pékin.

Tout dépend de Xi

Pékin est sans aucun doute en train de conforter son soft power, parallèlement à son pouvoir économique. Le lancement de la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure, qui financera de nombreux projets de l’UCUR, se fait en parallèle à la mise en place d’une zone d’identification aérienne en mer de Chine et la construction rapide d’infrastructures dans des zones disputées de cette mer.

Ce n’est pas un hasard si la CIA envoie ses propres signaux, insistant sur le fait que les États-Unis seraient mal à l’aise à l’idée d’une Chine dominant la sécurité de l’Asie du Sud et de l’Asie centrale sur le long terme.

Pékin n’est pas particulièrement préoccupé. La réforme de l’Armée de libération du peuple (ALP) est aussi en progrès et devrait être terminée en 2020. Cette réforme, coordonnée par la Commission militaire centrale, repose sur une meilleure coordination entre les quatre forces armées pour gagner les guerres, selon les mots de Xi.

Xi a déjà annoncé qu’avant 2017 l’ALP serait dégraissée de pas moins de 300 000 hommes, mais comptera quand même encore 2 millions de soldats. Un autre objectif important est de développer la puissance maritime chinoise afin d’être totalement capable de contrôler le trafic maritime et aérien en mer de Chine.

Par exemple, Pékin a déployé le puissant système de défense HQ-9 à Yongxing dans l’archipel des Paracels, habité par un millier de Chinois depuis 1965, mais également revendiqué par le Vietnam et Taiwan. Ce système HQ-9 est capable de transformer une grande part de territoire en une zone d’interdiction aérienne. Seul le F-22 Raptor et le bombardier B-2 Spirit peuvent opérer en relative sécurité dans le voisinage du HQ-9.

L’idée derrière ces réformes militaires chinoises est claire, l’armée américaine ferait mieux de ne pas entretenir de sottes pensées, non seulement au sujet de la mer de Chine, mais aussi concernant le Pacifique occidental.

La stratégie chinoise d’interdiction d’accès à la zone est prête. Et Xi est derrière elle. Il est maintenant considéré, même au niveau provincial, comme le cœur de toutes ces réformes. Cela ressemble à une très rapide consolidation du pouvoir. Et l’on dirait qu’il va y avoir de longues discussions au cours du prochain sommet du G20 qui se tiendra en Chine, en Septembre, à Hangzhou. Le 13e plan quinquennal vient juste d’être approuvé, mais la Chine est déjà, mentalement, en 2020.

Pepe Escobar

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.

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