La Chine se montre pragmatique vis-à-vis de la crise des missiles en Europe


Par Andrew Korybko − Le 29 janvier 2022 − Source OneWorld Press

andrew-korybko

Lorsque des conflits se font jour, la République populaire prend soin d’éviter de se rallier à un camp. Elle préfère appeler l’ensemble des parties à se comporter de manière responsable et rappeler à chacun le droit international. C’est très exactement ce qu’elle a fait au sujet de la crise des missiles provoquée par les États-Unis en Europe.

Les membres de la Communauté des médias alternatifs qui se font de grandes idées quant à une prétendue “alliance” entre la Russie et la Chine seront sans doute fort déçus de constater le positionnement pragmatique adopté par Pékin au sujet de la crise non déclarée des missiles provoquée par les États-Unis en Europe. Loin de se ranger fermement du côté de la Russie, Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères, a affirmé que “Nous appelons toutes les parties à conserver leur calme et à éviter de décider d’actions pouvant provoquer des tensions et faire escalader la crise… Le nouvel accord de Minsk, qui a été approuvé par le Conseil de Sécurité, est un document politique fondamental, reconnu par l’ensemble des parties, et il doit être mis en œuvre dans les faits.” Quelques explications méritent d’être apportées autour de ce positionnement, pour bien le comprendre.

La Chine et la Russie sont des partenaires stratégiques extrêmement proches, qui fonctionnent sur un pied d’égalité, et dans le respect mutuel. Il ne s’agit pour autant pas d’“alliés” comme certains peuvent se l’imaginer. Dmitry Medvedev, ancien président de la Russie et vice-président du Conseil de Sécurité, a récemment réaffirmé ce fait au cours d’une interview très intéressante publiée par TASS. Selon lui, “Nous n’avons pas d’alliance militaire avec la République populaire de Chine, et personne n’œuvre à en établir une.” Il s’agit d’une description tout à fait exacte de leurs relations : ni l’une, ni l’autre n’a le désir d’envoyer ses soldats se battre, se sacrifier, voire mourir pour l’autre, établie à l’autre bout de l’Eurasie.

Le présent auteur a expliqué ce positionnement plus en détail dans sa réponse à la troisième question qui lui fut posée au cours de l’interview qu’il a donnée au média italien, disponible en version intégrale ici. Le fait est que personne n’aurait dû escompter voir la Chine prendre le parti de la Russie, car les deux pays ne sont pas des “alliés”, mais des partenaires stratégiques proches. On peut ajouter que nourrir de telles attentes est un indicateur d’une mauvaise compréhension de la diplomatie chinoise de notre temps. La République populaire évite soigneusement de prendre parti, quel que soit le conflit, et préfère systématiquement appeler l’ensemble des parties à se comporter de manière responsable, tout en rappelant à chacun les règles du droit international. C’est exactement ce qu’elle a fait au sujet de la crise des missiles non déclarée en Europe, provoquée par les États-Unis.

Il faut également préciser que la Chine entretient des liens extrêmement étroits avec l’Ukraine, malgré un scandale provoqué par les États-Unis, portant sur des milliards de dollars, l’an dernier. Le présent auteur avait décrit ces points en détail au cours d’une analyse récente que l’on peut trouver ici. Si la Chine laissait perler l’impression qu’elle prenait parti pour la Russie dans cette affaire, l’Ukraine et d’autres pays pourraient considérer la Chine comme partisane, et par conséquent peu digne de confiance en matière d’investissement. La République populaire veut à tout prix éviter de laisser paraître cela. Elle ne tient absolument pas à voir les médias dominants occidentaux propager des articles relevant de la guerre de l’information, et sabordant les liens qui sont en train de s’établir entre la Chine et ses nombreux pays partenaires dans le cadre du projet de la Ceinture et la Route (les nouvelles routes de la Soie).

Le lecteur sera également intéressé par les remarques qui suivent, au sujet du partenariat stratégique qui unit la Russie et la Chine. Contrairement aux fausses perceptions malheureusement trop souvent énoncées par des démagogues s’exprimant dans divers médias alternatifs au fil des années, relevant du fantasme politique et du vœu pieux, Moscou ne prend pas non plus parti pour Pékin dans les différends régionaux où la Chine est impliquée. Par exemple, la Grande Puissance eurasiatique soutient pleinement le positionnement de l’Inde vis-à-vis du Cachemire, et surtout la révocation de l’Article 370, en date du mois d’août 2019, qui avait eu pour conséquence la réaffirmation par New Delhi de ses prétentions territoriales sur la région d’Aksai Chin, sous contrôle chinois. L’ambassadeur de Russie en Inde avait même affirmé que le point de vue de son pays sont “identiques à quasiment 100 % avec celles de l’Inde.”

On peut en dire autant au sujet de la Mer de Chine du Sud. À la surprise des partisans les plus enthousiastes du développement des relations russo-vietnamiennes eux-mêmes, le partenariat stratégique unissant ces deux pays, défini au début du mois de décembre 2021, durant la visite du président vietnamien à Moscou, a été réaffirmé pas moins de trois fois face à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Ces affirmations ont été faites en dépit du désaccord de la Chine quant à la décision de l’institution internationale, il y a quelques années, prise en faveur des prétentions territoriales exprimées par les Philippines. Et la Russie vend même des missiles de croisières supersoniques BrahMos, produits en partenariat avec l’Inde, aux Philippines, en dépit du vif différend territorial qui oppose ce pays à la Chine.

Autant de réalités politiques objectives et facilement vérifiables, qui sont néanmoins “incommodes pour le récit” des acteurs de la Communauté des Médias alternatifs qui affirment à tort que la Russie et la Chine constituent des “alliées”. Ces pays ne sont pas alliés, ne l’ont jamais été, et ne nourrissent pas de désir de le devenir. Il s’agit simplement de partenaires stratégiques très proches. Cela signifie qu’il ne faut pas s’attendre à ce que l’un d’entre eux prenne le parti de l’autre dans des conflits régionaux, surtout si cela peut ternir leur image de partenaire neutre, comme tel serait le cas si la Chine soutenait la Russie pour les affaires concernant l’Europe Centrale et Orientale, ou si la Russie soutenait la Chine en Asie du Sud-Est. Le positionnement de la Chine vis-à-vis de la crise en Europe, et le positionnement de la Russie vis-à-vis de la Mer de Chine du Sud sont par conséquent tout aussi pragmatiques l’un que l’autre.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF