Une analyse médico-légale des rapports d’Amnesty International sur l’opération israélienne Protective Edge à Gaza en 2014
Par Norman G.Finkelstein – Le 28 juillet 2015 – Source byline.com
Première Partie
Deuxième Partie
Troisième Partie
Quatrième Partie
Cinquième Partie
Le seul but de l’Opération Protective Edge était de laisser les familles sous les décombres.
L’atroce vérité sur ce qui s’est déroulé à Gaza est décrite non pas dans l’efficace maquillage d’Amnesty mais bien dans Briser le Silence, un recueil de témoignages de soldats des Forces de défense israéliennes (IDF) qui ont servi à Gaza pendant l’OPE (voir le tableau 4) 1
TABLEAU 4 – La destruction de maisons et propriétés pendant l’OPE: une sélection de témoignages de l’IDF
1* – [Avez-vous vu des photos aériennes «avant et après»?]**
Bien sûr. Des quartiers rasés. Vous savez quelle blague on racontait dans l’armée pendant cette période? Que les Palestiniens ne chantaient que le refrain parce qu’il ne leur restait plus de couplets [maisons]. [En hébreu, le mot pour couplet est le même que pour maison.]
5 – Durant la discussion [lors de l’entraînement], il [un officier de bataillon blindé de haut rang] nous a montré le site d’entraînement au combat urbain et a dit : «Tout ce que vous voyez ici, imaginez que quelqu’un est venu maintenant et a tout détruit. Il ne reste pratiquement plus de bâtiment debout.» La préférence est d’éviter les risques, ou plutôt de détruire tout ce qu’on croise en chemin.
14 – J’ai l’impression que chaque maison qu’on passait sur notre chemin avait été touchée par un obus – même les maisons les plus éloignées. C’était méthodique. Il n’y avait pas de menace.
15 – Quand on était stationnés là-bas, les forces blindées tiraient constamment sur les maisons environnantes. Je ne sais pas quels étaient leurs ordres au juste, mais on aurait dit que chaque maison était considérée comme une menace, et donc que chaque maison devait être touchée par un obus au moins…
[Après que vous soyez partis, est-ce qu’il restait des maisons debout?]
Pratiquement pas.
20 – [Sur quoi tiriez-vous ?]
Sur les maisons.
[Choisies au hasard?]
Oui.
[Combien de tirs avez vous effectués?]
On discutait constamment du nombre de coups tirés, de coups au but, de qui avait raté la cible. Il y avait des gens qui tiraient 20 obus par jour. C’est simple : celui qui a envie de tirer plus tire plus. La plupart des gars ont tiré plus. Des douzaines d’obus [par jour], pendant toute l’opération. Vous multipliez ça par 11 tanks dans la compagnie.
21 – Je ne sais pas comment ils y sont arrivés, les chauffeurs de D9*** ne se sont pas reposés une seconde. Sans arrêt, comme s’ils étaient en train de jouer dans un bac à sable. Avançant et reculant, en avant et en arrière, rasant une autre maison, une autre rue. Et à un certain moment, il ne restait plus aucune trace de cette rue… Jours et nuits, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ils avançaient et reculaient, rassemblant des monticules, formant des talus, aplatissant maison après maison.
28 – Il n’y avait pas de menace et tout était tranquille, et tout d’un coup il y a cet ordre à la radio : «Les gars, tout le monde forme un rang en face du quartier de al-Bureij»… Je m’en souviens, tous les tanks se tenaient sur un rang, et j’ai demandé moi-même au commandant : «Où est-ce qu’on tire?» Il m’a répondu : «Tu choisis là où ça te chante.» Et plus tard, quand j’en ai parlé avec d’autres gars, chacun essentiellement avait choisi sa propre cible, et dans ses message radio, le commandant appelait ça «Bonjour al-Bureij.» «On se fait un Bonjour al-Bureij, les gars», c’est comme ça qu’il disait… Et chacun tirait des obus là où il en avait envie, manifestement. Personne ne nous avait tiré dessus, ni avant, ni après, ni pendant.
30 – Tout en mouillé [utilisant des tirs réels]. A partir du moment où on est montés en ligne, on tirait des charges de MATADOR et de LAW [lance-missiles anti-chars portatifs] sur chaque maison où on entrait avant de les ouvrir, tout en mouillé, des grenades, tout le bazar. La guerre.
[Chaque pièce dans laquelle vous entrez, vous l’ouvrez en mouillé?]
Chacune. Quand j’entrais dans une maison, elle était déjà à moitié détruite. Des tas et des tas d’impacts de balles à l’intérieur, un foutoir complet à l’intérieur.
[Les deux heures de tir d’artillerie avant, sur quoi est-ce qu’ils tiraient?]
Sur des zones dispersées autour des maisons. Tous les terrains agricoles autour des maisons. Avant de faire le moindre mouvement, un tank tire, chaque fois. Ces gars-là étaient des fêlés de la gâchette, totalement dingues. C’étaient leurs ordres, j’en suis sûr, il n’y a aucune chance pour que quelqu’un se permette d’aller comme ça à gauche et à droite en tirant partout. La philosophie [de la brigade] était: «On va tirer sans se tracasser, et puis on verra bien ce qui se passe.»
[Les tirs étaient dirigés vers des endroits jugés suspects?]
Non, pas nécessairement. Le tank tire sur des endroits où on sait qu’on devra aller, il tire sur ces maisons là.
[Seulement les maisons dans lesquelles vous allez pénétrer?]
Non, également les maisons tout autour. Il y a aussi des champs agricoles là-bas, le D9 les retournent complètement. Et les cabanes en tôle, aussi. Il jette par terre tout ce qu’il rencontre, il renverse les serres. Beaucoup de maisons ont été aplaties en «bar du bar» [le surnom du bâtiment d’habitation où les forces étaient positionnées]. Des maisons vides qui nous gênaient. Qui nous gênaient uniquement parce qu’on n’avait plus envie de les voir.
33 – Le jour même où on a quitté Gaza, toutes les maisons dans lesquelles nous sommes restés ont été détruites à l’explosif par les sapeurs de combat.
34 – Nous [les corps blindés] avons reçu un certain nombre d’objectifs… Ce n’est pas comme dans une ville normale, où vous voyez un bâtiment à côté d’un autre bâtiment, et un espace entre les deux. Ça ressemble à une seule couche unie.
[Et à ce moment, est-ce qu’on vous tirait dessus?]
Personne ne nous a tiré dessus, mais ces endroits étaient considérés comme suspects, ce qui voulait dire [que] des consignes de tir très laxistes [étaient mises en œuvre]. Ça pouvait vouloir dire n’importe quoi, quelque chose qui nous parait suspect… Chaque chef d’équipage savait, et même les simples soldats savaient, que si quelque chose tournait mal ils pourraient toujours dire qu’ils avaient vu quelque chose de suspect.
37 – Un des commandants de haut rang, il aimait vraiment bien les D9. Il était vraiment partisan de tout aplatir. Il en a fait bon usage. Disons simplement que chaque fois qu’il était quelque part, toutes les infrastructures autour des bâtiments étaient totalement détruites, pratiquement chaque maison avait été touchée par un obus. Il était tout à fait en faveur de ça.
42 – Les forces… ont détruit tout ce qu’il restait là-bas. Littéralement, aucune maison n’a été laissée debout… «Nous pénétrons cette zone dans le but de détruire toute l’infrastructure des tunnels qui subsiste là-bas.» Si on y réfléchit bien, ça veut dire en fait chaque maison dans la zone.
[Vous avez dit que d’après les renseignement à disposition de l’IDF, aucun tunnel ne subsistait là-bas?]
Exact. Ce qu’ils veulent dire, c’est qu’il s’agit de la zone dans laquelle la brigade se déplace, si ça tient encore debout, il faut l’abattre… Cette incursion est survenue la nuit avant qu’il y ait un cessez-le feu. Ils y sont allés juste pour détruire des trucs. Juste pour détruire sans but, pour finir le boulot, jusqu’au moment où on leur dise d’arrêter.
46 – Un après midi, le commandant de la compagnie nous a tous rassemblés et nous a annoncé que nous allions bientôt passer à l’offensive, pour provoquer le quartier au-dessus de nous, qui était al-Bureij… Parce que jusqu’à ce moment là, nous n’avions pas vraiment eu d’engagement réel avec eux… Quand il a commencé à faire noir, mon tank a ouvert le chemin, on formait une espèce de convoi, et il y avait cette petite maison. Et puis tout d’un coup, nous voyons tout un quartier surgir devant nous, des tas de maisons, surpeuplé, et au moment où on atteint cette petite maison, l’ordre arrive d’attaquer. Chaque [tank] a visé dans la direction qu’il voulait… Et c’est vraiment ainsi que ça se passait, chaque tank qui tirait là où bon lui semblait. Et pendant l’offensive, personne ne nous a tiré dessus – ni avant, ni pendant, ni après. Je me souviens que lorsque nous avons commencé à nous retirer avec les tanks, j’ai regardé vers le quartier, et je n’ai vu qu’un quartier complètement en flammes, comme dans les films. Des colonnes de fumée partout, le quartier en miettes, les maisons au sol, et certainement, des gens vivaient là, mais personne ne nous avait tiré dessus. Nous tirions sans motif.
51 – Une semaine ou deux après que nous ayons pénétré dans la bande de Gaza et que nous tirions tous à tout va alors qu’il n’y en avait nul besoin – juste pour le plaisir de tirer – un membre de notre compagnie a été tué… Le commandant de la compagnie est venu vers nous et nous a dit qu’un gars de la compagnie avait été tué à cause de ceci et de cela, et il nous a dit : «Les gars, apprêtez-vous, montez dans les tanks et on va déclencher un barrage en hommage à notre camarade»… Il y avait une sorte de building au loin, près du bord de mer, à peu près à 4,5 kilomètres de nous… Il ne constituait pas une menace pour nous, il n’avait rien à voir avec quiconque, il ne faisait pas partie de l’opération, il était loin près de la mer, éloigné de tout et de toute menace potentielle – mais il était peint de couleur orange, et cet orange m’avait tapé dans l’œil depuis le début… Alors j’ai dit à mon commandant de peloton : «Je veux tirer sur cette maison orange», et il m’a dit : «Parfait, comme tu en as envie», et on a tiré…
[Est-ce que vous les gars en avez parlé ensemble, après?]
Le fait d’avoir bombardé sans motif? Non, parce que si on regarde ça avec du recul, c’est quelque chose qu’on faisait tout le temps. On tirait sans motif à longueur de journées. On ne trouvait trace du Hamas nulle part.
52 – [Est-ce que le M16 du tank est utilisé pendant tout ce temps?]
Le plus possible. Quelles armes? Le tank, des munitions à profusion, et une puissance de feu complètement dingue. En permanence. Si pas avec le canon, avec la mitrailleuse lourde du tank.
[Sur quoi est-ce qu’il tire?]
Sur tout, en fait. Sur des maisons suspectes. Qu’est-ce que c’est, un endroit suspect? Tout est un endroit suspect. C’est ça Gaza, on tire sur tout.
54 – A chaque fois que les types de l’infanterie entrent dans une maison, un tank les précède. C’était vraiment ça la consigne : chaque fois que la troupe pénètre dans une maison, la maison reçoit d’abord au moins un obus de char avant même que la troupe n’y entre. Directement après l’engagement, nous nous nous sommes déployés dans ce verger, nous avons balancé des obus sur les maisons aux alentours. Même mon commandant, parce qu’il était tout excité à l’idée de tirer avec son arme personnelle, a fait sortir toute l’équipe juste pour tirer sur la maison, alors qu’elle était manifestement vide. On lui a envoyé un paquet d’obus, et clairement, elle était vide. «Eh bien, tirez», nous a-t-il dit. Ça n’avait pas de sens. C’était juste pour prendre son pied, le genre de plaisir qu’on prend au stand de tir.
63 – [Le commandant] vous dit : «Écoutez, c’est ici la première rangée, je ne peux pas prendre de risque avec la première rangée de maisons, servez-vous de l’artillerie sur celles-là.»
[Est-ce qu’il avait des renseignements sur ces maisons?]
Non, non, il n’a pas de renseignements.
67 – [Les équipes de sapeurs de combat] ont fait exploser beaucoup de maisons… Il y a toutes sortes de raisons pour faire exploser une maison. L’une d’entre elles, par exemple, c’est quand vous voulez défendre d’autres maisons. S’il y a une maison qui bouche votre champs de vision, [et vous voulez] dégager la vue de manière à ce que la zone soit plus facile à défendre… Parfois on faisait exploser une maison quand on soupçonnait qu’il y avait un engin explosif dedans, mais je pense qu’au bout du compte, on a fait exploser pratiquement toutes les environs.
71 – Le jour où le type de notre compagnie s’est fait tuer, les commandants sont venu nous trouver et nous ont dit ce qui était arrivé. Puis ils ont décidé de tirer un barrage d’honneur et de tirer trois salves.
[Un barrage de quoi?]
Un barrage d’obus. Ils ont tiré de la façon dont on tire aux funérailles, mais avec des tirs d’obus et sur des maisons. Pas en l’air. Il ont juste choisi [une maison], le commandant a dit : «Prenez la plus éloignée, comme ça, ça fera un maximum de dégâts.» Une sorte de vengeance. Alors on a tiré sur une des maisons.
74 : Je me souviens qu’une fois des explosifs ont été allumés pour pratiquer des voies de passage. Il nous ont dit : «Planquez-vous, on va les utiliser à 100, 150 mètres d’ici.» Ensuite une explosion – je n’avais jamais entendu quelque chose d’équivalent. Les lampes qui tombent par terre, c’était dément, un champignon de feu hallucinant, vraiment dingue. Puis on est descendus dans la rue, et les maisons qu’on était supposés occuper n’existaient plus. Volatilisées.
83 – Il y avait un cessez-le-feu humanitaire qui prenait effet à 6 heures du matin. Je me souviens qu’à 5h15, ils nous ont dit : «Écoutez, on va leur offrir un spectacle»… C’était incroyable. Un feu roulant, un barrage d’artillerie non-stop sur le quartier Sevivon [à l’est de Beit Hanoun]… Non-stop, tout simplement non-stop. Tout le complexe Beit Hanoun – en ruines… Rien. Absolument rien. Rien.
110 – [Un] officier supérieur de très haut rang, du centre de coordination des frappes armées arrive en courant et dit : «Écoutez bien, le commandant de brigade a été tué et un soldat kidnappé, c’est une catastrophe, on doit les aider…» Un des officiels les plus gradés de l’IDF, il a juste marqué sur une photo aérienne de Shuja’iyya les maisons à abattre. Il a simplement regardé les cartes et vu les points de commandement et les maisons de commandement, et [a choisi] les objectifs d’une manière en quelque sorte aléatoire – de façon à ce qu’il ne soit pas possible que, si vous êtes un militant du Hamas… il n’y ait pas eu l’une ou l’autre maison démolie près de vous à l’instant même. Ce n’est pas comme si dans chaque bâtiment qui a été touché à Shuja’iyya il y avait eu un militant du Hamas ou quelqu’un qui tirait sur nos troupes.
[Alors pourquoi a-t-il été attaqué?]
Pour les forcer à garder la tête baissée et permettre à nos forces de sortir de là, pour utiliser la puissance de feu – c’est comme ça que ça marche à l’armée.
[J’essaye de comprendre ; c’était au hasard, ou ça faisait partie d’une liste de cibles préparée à l’avance?]
Ça n’était pas du tout préparé à l’avance. Dans l’enquête qui a suivi, ça a été décrit comme une erreur
* Les témoignages sont numérotés dans le recueil.
** Les interpolations entre guillemets et en italiques viennent de Briser le Silence.
*** Bulldozers Blindés.
Dans son introduction à Familles sous les décombres, Amnesty exhorte Israël a «tirer la leçon de ce conflit et des précédents, et de changer sa doctrine militaire et ses tactiques de combat au sein de zones densément peuplées telles que Gaza, de manière à s’assurer d’une stricte conformité à la loi humanitaire internationale».
Mais Israël a déjà tiré les leçons des combats dans Gaza, sa doctrine militaire a incorporé ces leçons, et l’IDF les a brillamment appliquées. Il faut une exceptionnelle discipline mentale pour ne pas remarquer que s’assurer d’une «stricte conformité à la loi internationale» n’a jamais été une préoccupation israélienne, encore moins une priorité. De fait, le seul but de l’OPE était de laisser les familles sous les décombres. 2, pp. 35-37, 98. ]
Traduit par bluetonga, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone
Notes
- Breaking the Silence, This Is How We Fought In Gaza: Soldiers’ testimonies and photographs from Operation “Protective Edge” (2014). ↩
- Au sujet de la destruction aveugle des foyers, qui «a dû faire suite à l’approbation des échelons supérieurs de prise de décision au sein de l’armée israélienne et/ou du gouvernement», voir également Mission de recherche des données médicales [Medical Fact-Finding Mission ↩