L’Ukraine n’a obtenu que la moitié de l’effacement qu’elle voulait sur sa dette et le montant en jeu ne semble pas suffisant pour combler le trou dans le programme du FMI
Par Alexander Mercouris – Le 28 août 2015 – Source Russia Insider
Une annonce du 27 août 2015 a confirmé que l’Ukraine a conclu un accord de restructuration de sa dette avec ses créanciers privés.
Toutefois, comme l’article du Financial Times joint ci-dessous le montre clairement, il est loin d’être certain que l’accord réponde de près ou de loin aux besoins de l’Ukraine.
Selon ses termes l’accord ressemble à une mauvaise affaire pour l’Ukraine qui exigeait une décote de 40%, et a obtenu seulement 20%.
Les créanciers de l’Ukraine sont également d’accord pour retarder des paiements obligataires (en capital) sur la dette restante pendant quatre ans, bien que l’Ukraine doive continuer à payer les coupons (intérêts) à un taux légèrement plus élevé au cours de cette période.
En retour, l’Ukraine a accepté de donner en garantie à ses créanciers un pourcentage de sa croissance économique après la fin du moratoire sur la dette en 2019. Il semble que 40% de toute la croissance économique au-dessus de 4% devra être utilisée pour rembourser la dette. Ceci en plus des paiements de capital et d’intérêts réguliers qui viendront à échéance.
Cela suggère une très lourde période de remboursements de la dette après 2019, qui verra la fin du moratoire du quatre ans sur celle-ci, au moment même où le programme du FMI se terminera également.
Sans surprise, le Financial Times fait état d’inquiétudes parmi les analystes financiers estimant que cela pourrait être un fardeau trop lourd à supporter pour l’Ukraine.
A en juger par le dernier alinéa de l’article du Financial Times, l’Ukraine espère peut-être résoudre ce problème par de nouveaux emprunts sur les marchés des capitaux.
Il reste à voir si les prêteurs, une fois qu’ils auront fait leurs comptes, seront prêts à engager de l’argent supplémentaire.
L’accord attend encore l’aval de certains créanciers. La pression sur eux sera toutefois tellement grande qu’ils pourront difficilement se dérober.
L’accord ne couvre pas le paiement de $3 Mds sur l’Eurobond détenu par la Russie, qui vient à échéance en décembre.
Quelles sont les implications de cet accord?
Tout d’abord, bien que le FMI soutienne l’accord (il n’a pas d’autre choix), il est loin d’être évident que les sommes fassent le compte.
Le dernier programme du FMI suppose une réduction de $15 Mds du total des remboursements de l’Ukraine sur la durée du programme
Le Financial Times affirme que le montant total de dette en jeu dans les négociations est de $18 Mds, et dit que la valeur de la décote est de $3,6 Mds – 20% de $18 Mds.
l’Agence TASS dit que le montant total de la dette en cause dans les négociations est de $19,2 Mds, et que la valeur de la décote est de $3,8 Mds – 20% de $19,2 Mds.
TASS donne peut-être le chiffre le plus précis […]
Il n’y a pas d’informations sur ce que l’Ukraine pourra économiser en paiements d’intérêts à la suite de l’annulation de la dette qui fait l’objet de l’allègement. Nous ne savons pas quel soulagement lui apportera le moratoire de quatre ans sur le paiement de sa dette obligataire.
Cependant, au vu de tout cela, que la décote soit de $3,6 ou 3,8 Mds, les sommes semblent trop petites pour ne serait-ce qu’approcher le montant de réduction de la dette de $15 Mds qui était la cible du FMI.
Par contre, la demande de l’Ukraine pour une coupe de 40% aurait radié $7,2 Mds si la dette est de $18 Mds, ce qui, avec l’annulation des paiements d’intérêts et les quatre années de moratoire aurait pu soulager l’Ukraine des $15 Mds espérés.
Plus de clarté sera fournie lorsque de nouvelles informations seront disponibles. Cependant le pessimisme du Financial Times sur la faisabilité de ce qui a été convenu en dit déjà long.
Si la cible de $15 Mds de réduction de la dette n’est pas atteinte, et à moins que l’Occident ne fournisse plus d’argent ou que l’économie de l’Ukraine s’améliore tout à coup par magie, le programme du FMI va échouer.
Pourquoi cet accord a-t-il été si long à obtenir – surtout compte tenu de l’immense pression des gouvernements occidentaux sur les créanciers – et pourquoi est-il si défavorable à l’Ukraine?
Tout d’abord, il est important de dire que ce n’est pas parce que les créanciers anticipaient qu’en absence d’un accord le FMI se retirerait, forçant l’Ukraine à se soumettre à leurs propres termes.
Comme nous l’avons indiqué précédemment le FMI – sous la pression politique – a dit qu’il soutiendrait l’Ukraine indépendamment de savoir s’il parvient à une entente avec ses créanciers ou non.
Il n’est pas non plus probable que les créanciers aient pensé qu’en laissant l’Ukraine faire défaut sur sa dette, ils retrouveraient tout leur argent grâce aux Swaps de Défaut de Crédit (CDS). Ceux-ci avaient peu de chances de venir compenser les créanciers, et de beaucoup, pour l’argent qu’ils auraient perdu.
Les créanciers se sont retenus tout simplement parce que les exigences de l’Ukraine étaient complètement déraisonnables.
La dette de l’Ukraine n’est pas insoutenable. Le Financial Times affirme que le montant total de la dette ukrainienne – publique et privée – est de $72 Mds.
Cela devrait être parfaitement supportable pour un pays qui est le deuxième plus grand en Europe, a une population bien éduquée de plus de 40 millions de personnes, qui est béni avec une abondance de ressources naturelles, de grandes industries, une longue bande côtière, et certaines des terres agricoles les plus fertiles au monde.
En revanche la Grèce, avec une dette totale de $350 Mds est un petit pays, a une population de seulement 11 millions de personnes, a très peu d’industries, et peu de ressources naturelles.
La comparaison entre les situations de la Grèce et de l’Ukraine n’est pas du tout pertinente. La dette de la Grèce est évidemment insoutenable. La dette de l’Ukraine ne l’est pas.
La raison pour laquelle l’Ukraine ne parvient pas à payer sa dette n’est pas due au montant de celle-ci mais au fait que le pays est chroniquement mal géré et insiste pour faire la guerre plutôt que de rétablir son économie en faisant la paix.
Les créanciers se demandent donc pourquoi ils devraient être invités à se mettre d’accord sur d’énormes remises de dettes quand le pays est parfaitement capable de payer l’argent qu’il leur doit – pour peu qu’il termine la guerre et règle ses problèmes.
Le Financial Times explique la position des créanciers clairement :
«Les porteurs d’obligations avaient rejeté l’affirmation de l’Ukraine disant qu’elle avait besoin d’une restructuration de 40% de sa dette, en faisant valoir que les problèmes du pays étaient imprévisibles et qu’un gel temporaire des paiements de la dette serait une meilleure solution, retardant un accord final jusqu’au moment où les problèmes politiques et économiques seront aplanis.»
L’Ukraine n’a pas aidé sa cause en agissant comme si les créanciers étaient sous une sorte de devoir moral d’annuler la dette ; et en se plaignant sans cesse qu’il a été investi davantage dans le paiement de la dette que dans la dépense militaire – conduisant à la suspicion inévitable qu’elle avait l’intention d’utiliser l’argent économisé sur le paiement de la dette pour financer la guerre.
Le résultat est une insatisfaction pour les deux, l’Ukraine et le FMI. Compte tenu de la pression politique, ils vont sans doute insister sur leurs programmes, mais les sommes ne semblent pas faire l’affaire.
Les dernières nouvelles sur la détérioration de l’économie de l’Ukraine remettent de toute façon en question tout le programme du FMI. Même si une bien plus grande réduction de la dette avait été obtenue, il semble peu probable que les sommes ainsi dégagées soient suffisantes, et de loin, pour remettre d’aplomb l’économie de l’Ukraine.
Il apparaît que seul le contrôle des capitaux empêche l’effondrement total de la monnaie ukrainienne, et sans une percée politique conduisant à la fin de la guerre, il faut se poser des question sur le temps que peut durer cette situation.
À court terme, cet accord insatisfaisant va augmenter la possibilité que l’Ukraine cherche une façon de faire défaut sur l’Eurobond de $3 Mds qu’elle doit à la Russie et qui arrive à échéance en décembre.
Les Russes ont catégoriquement écarté toute restructuration de cette dette, une position qu’ils ont simplement réitérée.
Compte tenu de la pression financière qu’ils subissent suite à un accord qui ne parvient pas à répondre à leurs besoins, il y aura maintenant une forte pression sur les Ukrainiens pour qu’ils fassent défaut sur cette dette à la Russie, et certaines observations faites par Iatseniouk le suggèrent.
Comme je l’ai mentionné précédemment, si l’Ukraine fait défaut sur cette dette des litiges juridiques amers suivront, avec les Russes insistant sur le fait qu’il s’agit d’une dette publique et les Ukrainiens faisant valoir – invraisemblablement – que ce n’est pas le cas. Rien que ces litiges suffiraient à faire dérailler l’ensemble du programme du FMI.
Indépendamment de ce qui se passera avec cette dette particulière, l’avenir de l’Ukraine paraît sombre, suite à ce qui ressemble à un accord profondément insatisfaisant.
Du Financial Times :
L’Ukraine a obtenu un accord pour éviter le défaut et restructurer des milliards de dollars de la dette publique dans une affaire qui pourrait voir les investisseurs internationaux radier près de $4 Mds.
Les créanciers, y compris Franklin Templeton basé à San Francisco et la banque d’investissement brésilienne BTG Pactual, ont accepté la proposition de décote de 20% sur $18 Mds d’obligations du pays en guerre et retardé le remboursement de la dette de quatre ans.
En retour, ils recevront un titre lié au PIB qui va payer les détenteurs d’un pourcentage de la croissance économique de l’Ukraine à partir de 2021.
Cependant, des questions demeurent quant à savoir si l’accord durement gagné, qui est soutenu par le Fonds monétaire international, se traduira par la solvabilité du pays, alors que le conflit avec les séparatistes pro-russes impose un bilan plus lourd que prévu sur l’économie.
«L’Ukraine pourrait faire face à d’autres problèmes de liquidité lorsque le programme du FMI arrivera à terme, une extension du moratoire sur la dette sera cruciale», dit Vadim Khramov, stratège chez Bank of America Merrill Lynch.
[…]
En août, des fonctionnaires de Kiev, y compris la ministre des Finances d’Ukraine, Natalie Jareskoles, née aux États-Unis, sont allés à San Francisco, ville natale de Franklin Templeton, pour des réunions d’urgence à propos d’une recrudescence des combats avec les séparatistes russes dans les régions orientales de l’Ukraine qui pourrait concerner une révision des accords.
[…]
Plus tôt cette année, l’Ukraine a pris la décision très inhabituelle de passer un projet de loi au parlement qui permet au gouvernement de stopper les paiements sur certaines dettes étrangères en déclarant un moratoire, un terme décrit par un avocat de crédit international comme «un mot poli pour défaut». […] Mais les obligations ukrainiennes, émises en vertu de la loi anglaise, contiennent des clauses de défaut croisé qui signifient qu’un manquement de payer sur un seul peut déclencher le défaut sur tous, permettant aux créanciers obligataires d’exiger le remboursement, risquant d’entraîner le pays dans de longues batailles juridiques et aggravant les problèmes économiques existants.
S & P, l’agence de notation de crédit, a déclaré qu’un défaut souverain aggraverait également les problèmes de liquidité déjà serrés dans le secteur bancaire ukrainien, provoquant des retraits de dépôts au risque d’une panique bancaire.
Alexander Mercouris
Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone