Par le Saker – le 14 décembre 2017 – Source The Saker
Tout d’abord les pantins vantards
Trump et Haley n’ont pas encore fini. Ils veulent forcer la Chine à agir contre la RPDC en menaçant de « prendre en main » la Corée du Nord si la Chine refuse de le faire. Haley a dit : « Pour être clair, la Chine peut faire plus (…) et nous lui mettons le plus de pression que nous pouvons. La dernière fois qu’elle a totalement coupé le pétrole, la Corée du Nord est venue s’asseoir à la table. Donc nous avons dit à la Chine qu’elle devait faire davantage. Si elle ne le fait pas, nous allons prendre nous-mêmes la chose en main puis nous commencerons par des sanctions secondaires. »
Commençons par reprendre cette scène dans un jardin d’enfants et rejouons-la.
L’enfant A a un conflit avec l’enfant B. L’enfant A menace de tabasser l’enfant B. L’enfant B dit alors à l’enfant A d’aller se faire voir. L’enfant A ne fait rien, mais profère de nouvelles menaces. L’enfant B continue de rire. Alors l’enfant A vient avec un plan brillant : il menace l’enfant X (qui est beaucoup plus grand que l’enfant B et beaucoup plus fort, aussi !) en lui disant : « Si tu ne fais pas en sorte que l’enfant B réponde à mes demandes, je prendrai le problème moi-même en main ! » Toute la cour de récréation éclate d’un rire hystérique.
Question : que penseriez-vous de l’intelligence de l’enfant A ?
En tout cas…
Tout cela serait très drôle si c’était un spectacle de comédie. Mais, en réalité, c’est une progression lente mais régulière vers la guerre. Ce qui rend tout ceci encore pire est l’obsession des médias pour la série de missiles nord-coréens, s’ils peuvent atteindre Guam ou même les États-Unis. Avec tout le respect dû à l’impérial « nous seuls comptons » (et peu importe la réalité), il y a des risques que « nous », c’est-à-dire le peuple américain, puissions subir les conséquences terribles d’une guerre dans la péninsule de Corée, qui n’ont rien à voir avec les frappes de missiles sur Guam ou les États-Unis.
La cible intéressante : le Japon
Cet été, j’ai mentionné l’une des conséquences potentielles les plus passées sous silence d’une guerre avec la RPDC et je veux revenir sur cette question. Tout d’abord, l’extrait important de mon précédent article :
« Alors que je crois personnellement que Kim Jong-un n’est pas fou et que le principal objectif des dirigeants nord-coréens est d’éviter une guerre à tout prix, que se passe-t-il si je me trompe ? Qu’en est-il si ceux qui disent que les dirigeants nord-coréens sont totalement fous ont raison ? Ou, ce que je crois beaucoup plus probable, si Kim Jong-un et les dirigeants nord-coréens sont parvenus à la conclusion qu’ils n’ont rien à perdre, que les Américains vont tous les tuer, en même temps que leurs familles et leurs amis ? Que pourraient-ils faire, théoriquement, s’ils sont vraiment désespérés ? Eh bien, permettez-moi de vous le dire : oubliez Guam, pensez Tokyo ! En effet, tandis que la RPDC pourrait dévaster Séoul avec des systèmes d’artillerie dépassés, ses missiles sont probablement capables de frapper Tokyo ou la région de Keihanshin qui englobe Kyoto, Osaka et Kobé, y compris les industries clés de la région industrielle de Hanshin. La zone du Grand Tokyo (la région de Kanto) et la région de Keihanshin sont très densément peuplées (37 et 20 millions d’habitants, respectivement) et contiennent un très grand nombre d’industries, dont beaucoup provoqueraient un désastre écologique aux proportions immenses si elles étaient frappées par des missiles. Non seulement cela, mais une attaque sur les principaux nœuds économiques et financiers du Japon donnerait probablement lieu à un effondrement international genre 9/11. Donc si les Coréens du Nord voulaient vraiment, vraiment nuire aux Américains, ce qu’il pourraient faire est de frapper Séoul et des villes importantes au Japon entraînant une immense crise politique pour la planète entière. Pendant la Guerre froide, nous avions coutume d’étudier les conséquences d’une attaque soviétique contre le Japon et la conclusion était toujours la même : le Japon ne peut se permettre aucune guerre. Le territoire japonais est trop petit, trop densément peuplé, trop riche en cibles lucratives et une guerre dévasterait tout le pays. C’est encore vrai aujourd’hui, encore plus. Imaginez seulement la réaction en Corée du Sud et au Japon si une attaque américaine folle sur la RPDC entraînait une frappe de missiles sur Séoul et Tokyo ! Les Sud-Coréens ont déjà fait connaître leur position sans aucune ambiguïté, d’ailleurs. Quant aux Japonais, ils placent officiellement leurs espoirs dans des missiles (comme si la technologie pouvait atténuer les conséquences de la folie !). Donc oui, d’accord, la RPDC est extrêmement dangereuse et la pousser dans ses derniers retranchements est totalement irresponsable, en effet, armes nucléaires ou non. »
Pourtant, pour une raison quelconque, les médias occidentaux mentionnent rarement le Japon ou les conséquences économiques globales possibles d’une attaque contre le Japon. Très peu de gens savent vraiment si les Nord-Coréens ont réellement développé une arme nucléaire utilisable (ogive et missile) ni si leur missile balistique peut réellement atteindre Guam ou les États-Unis. Mais je ne pense pas qu’il y ait aucune doute qu’un missile nord-coréen puisse facilement parcourir les quelque 1000 km jusqu’au cœur du Japon. En fait, la RPDC a déjà lancé des missiles sur le Japon par le passé. Quelques Américains au sang chaud expliqueront, c’est certain, que le système étasunien THAAD peut protéger, et protégera, la Corée du Sud et le Japon de telles frappes de missiles. D’autres, cependant, ne seront pas d’accord. Nous ne le saurons pas avant de le voir, mais à juger d’après la performance absolument lamentable du système Patriot tant vanté dans la guerre du Golfe, je ne mettrais ma confiance dans aucun système ABM made in USA. Enfin, les Coréens du Nord pourraient placer un engin nucléaire (même pas une véritable tête nucléaire) sur un navire commercial régulier ou même un sous-marin, l’amener au large des côtes du Japon et le faire exploser. La panique et le chaos qui s’ensuivraient pourraient coûter encore plus de vies et d’argent que l’explosion elle-même.
Ensuite, il y a Séoul, bien sûr. L’analyste américain Anthony Cordesman l’a exprimé très simplement : « Une bataille près de la zone démilitarisée, dirigée contre une cible comme Séoul, pourrait rapidement dégénérer au point de menacer l’ensemble de l’économie de la République de Corée, même s’il n’y avait aucune invasion majeure. »
Aparté Cordesman étant ce qu’il est, il continue à halluciner sur les effets d’une invasion de la République de Corée par la RPDC et émet des phrases telles que : « Les problèmes amènent à évaluer le résultat d’une invasion massive de la Corée du Sud par la RPDC, même si on se centre seulement sur les forces de chacun des pays. La RPDC dispose de forces terrestres beaucoup plus importantes, mais le résultat de ce qui serait aujourd’hui fortement déterminé par la mobilité globale des forces terrestres de la RPDC et leur capacité à se concentrer le long de lignes de front dépendant de la supériorité des forces aériennes et terrestres de la Corée du Sud est impossible à calculer de manière sûre, tout comme l’est le mélange actuel des forces que les deux côtés pourraient déployer dans une zone et selon un scénario donné. » Oups, l’homme discute sérieusement de concepts de guerre aéroterrestre dans le contexte d’une invasion du Sud par la RPDC ! Il pourrait tout aussi bien discuter de l’usage du concept de Follow-on-Forces Attack dans le contexte d’une invasion de la terre par des Martiens (ou d’une invasion russe tout aussi probable des mini-États baltes !). C’est amusant et pathétique de voir comment un pays doté d’une stratégie nationale totalement offensive, d'une doctrine militaire et d'une position de force ressent toujours le besoin d’halluciner des scénarios défensifs pour résoudre la dissonance cognitive résultant du fait qu’il est à l’évidence le sale type.
Pourquoi est-ce que Cordesman dit ça ? Parce que selon un spécialiste sud-coréen, « les pièces d’artillerie de calibre 170mm et 240mm de la RPDC ‘pourraient tirer 10 000 salves à la minute sur Séoul et ses environs‘ ». Pendant la guerre en Bosnie, la presse occidentale parlait de « frappes d’artillerie serbes massives sur Sarajevo » alors que la puissance de feu effective était d’environ un obus par minute. Je me demande bien comment elle pourrait qualifier une frappe de 10 000 tirs par minute.
Résultat : vous ne pouvez pas vous attendre à ce que votre ennemi agisse d’une manière qui vous convient ; en fait, vous devriez beaucoup plus présumer qu’il va faire ce à quoi vous ne vous attendez pas et ce qui est le pire pour vous. Dans ce contexte, la RPDC a beaucoup plus de possibilités que tirer un ICBM sur Guam ou les États-Unis. Les cinglés dans l’administration ne veulent peut-être pas le mentionner, mais une attaque contre la RPDC risque de faire s’effondrer à la fois les économies sud-coréenne et japonaise, avec des conséquences mondiales immédiates : considérant la nature plutôt fragile et vulnérable du système économique et financier international, je doute beaucoup qu’une crise majeure en Asie ne débouche pas sur l’effondrement de l’économie étasunienne (qui est de toute façon fragile).
Nous devrions également considérer les conséquences politiques d’une guerre sur la péninsule de Corée, en particulier si, comme c’est très probable, la Corée du Sud et le Japon subissent des dommages catastrophiques. La situation pourrait bien provoquer une telle explosion de sentiments anti-américains que les États-Unis devraient faire leurs bagages et quitter totalement la région.
Comment pensez-vous que la République populaire de Chine se sente devant une telle perspective ? Exactement. Et cela ne pourrait-il pas expliquer pourquoi les Chinois sont plus qu’heureux de laisser les États-Unis se débrouiller avec le problème nord-coréen, en sachant pertinemment que d’une manière ou d’une autre, ils vont perdre sans que les Chinois doivent tirer un seul coup de feu ?
Le terrain
Ensuite, je veux revenir sur une menace très souvent débattue : l’artillerie et les forces spéciales nord-coréennes. Mais tout d’abord, je vous demande de regarder de près les trois cartes de la Corée du Nord ci-dessous.
Vous pouvez aussi télécharger ces cartes en taille réelle à partir d’ici.
Ce que je veux que vous voyiez est que le terrain en Corée du Nord est ce que les militaires appellent un « terrain mixte ». La topographie de la Corée du Nord, selon la notice de Wikipedia, l’explique très bien :
« Le terrain se compose principalement de collines et de montagnes séparées par de profondes vallées étroites. Les plaines côtières sont larges à l’ouest et discontinues à l’est. Les premiers visiteurs européens de la Corée remarquaient que le pays ressemblait à 'une mer dans une tempête' à cause des nombreuses chaînes de montagnes successives qui sillonnent la péninsule. Environ 80% de la superficie de la Corée du Nord est composée de montagnes et de hauts plateaux, et toutes les montagnes atteignant une altitude de 2000 mètres ou plus sont situées en Corée du Nord. La grande majorité de la population vit dans les plaines et les basses terres. »
Venant de Suisse, je connais très bien ce genre de terrain (c’est ce que vous voyez dans les contreforts alpins appelés « Oberland » ou « Préalpes ») et j’ajouterai encore ceci : il comporte une végétation dense, des forêts, des rivières et des ruisseaux aux berges escarpées et aux forts courants. De petits villages et beaucoup de profonds tunnels souterrains. Il y a aussi des régions plates en Corée du Nord, bien sûr, mais contrairement à la Suisse, elles sont composées principalement de rizières et de marais. En termes militaires, tout cela se traduit par mot un simple et tout simplement terrifiant : infanterie.
Pourquoi le mot infanterie devrait-il tellement effrayer ? Parce que l’infanterie veut dire aller à pied (ou à cheval) avec très peu de puissance aérienne (AA et MANPAD), et pas grand chose que des satellites (ils ne peuvent pas voir grand chose), des blindés (ils ne peuvent pas se déplacer), des hélicoptères, des sous-marins ou des missiles de croisière ne puissent faire. Parce que infanterie signifie « pas de cibles de grande valeur » mais des petites forces dispersées et très bien dissimulées. Une guerre menée entre régiments ou même pelotons. Parce que l’infanterie en terrain mixte représente le genre de guerre que les Américains craignent le plus.
L’adversaire
En gardant cela à l’esprit, répétons-le : à part ses immenses forces armées régulières (environ un million de soldats plus encore 5 millions dans les organisations paramilitaires), la RPDC a aussi 200 000 forces spéciales. Supposons que la propagande occidentale dise pour une fois la vérité et que les forces armées régulières soient mal équipées, mal entraînées, mal commandées et même affamées et démotivées (je ne suis pas du tout sûr que ce soit une supposition correcte, mais admettez-la). Répartir cette masse de soldats dans toute la zone de combat représenterait encore un énorme casse-tête, même pour « les meilleures et les plus puissantes forces armées de l’histoire », en particulier si vous ajoutez au mélange 200 000 forces armées bien entraînées et extrêmement motivées (je crois que nous pouvons tous être d’accord que supposer que les forces spéciales sont aussi démotivées serait plutôt irresponsable). Comment pourriez-vous savoir qui est qui et d’où vient la plus grande menace ? Et considérez ceci : ce serait extrêmement naïf de s’attendre à ce que les forces spéciales nord-coréennes se montrent dans des uniformes clairement marqués RPDC. Je parie que beaucoup d’entre elles arboreront des uniformes sud-coréens, et d’autres des tenues civiles. Pouvez-vous imaginer le chaos que serait la tentative de les combattre ?
Vous pourriez dire que les Nord-Coréens ont des armes des années 1950. Et alors ? C’est exactement ce qu’il faut pour mener le genre de guerre dont nous parlons : l’infanterie sur des terrains mixtes. Même l’équipement de la Seconde Guerre mondiale ferait l’affaire. Maintenant, il est temps de faire venir l’artillerie nord-coréenne. Nous parlons d’environ 8 600 canons d’artillerie et de plus de 4 800 lance-roquettes multiples (source). Anthony Cordesman estime qu’il y a 20 000 pièces dans les « environs » de Séoul. C’est plus que ce que les États-Unis ont dans le monde entier (5312 selon Military Balance, y compris des mortiers). Et pensez aussi que nous ne parlons pas de batteries gentiment arrangées dans un désert plat, mais de milliers de pièces d’artilleries, simples mais très efficaces, réparties sur l’ensemble du « terrain mixte » et remplies de millions d’hommes en armes, dont 200 000 forces spéciales. Et une grande partie de cette artillerie peut atteindre Séoul, suffisamment pour créer panique massive et exode.
Pensez à un chaos total, atroce et sanglant
Donc lorsque vous pensez à une guerre contre la Corée du Nord, ne pensez pas À la poursuite d’Octobre rouge ou Top Gun. Pensez chaos total, atroce et sanglant. Pensez FUBAR [fucked up beyond all (ou any) recognition, qui pourrait se traduire en français par merdier innommable ou FOUPOUDA, NdT] immédiat à grande échelle. Et ce n’est que pour les tout premiers jours, ensuite les choses deviendront pires, bien pires. Pourquoi ?
Parce qu’à ce moment-là, je m’attends à ce que la Marine et l’Armée de l’air nord-coréennes aient été totalement effacées, vague après vague, les missiles de croisière auront touché un nombre X d’installations (sans aucun moyen d’évaluer l’effet de ces frappes, mais peu importe) et les commandants militaires étasuniens se tourneront vers le président sans avoir de plan suivant à offrir. Quant aux Nord-Coréens, c’est à ce moment-là seulement qu’ils s’installeront dans une guerre sérieuse, avec l’infanterie.
Il y a une chance supérieure à la moyenne qu’une bonne partie des élites de RPDC seront mortes. Ce qui est sûr, c’est que le commandement et le contrôle du département général de l’état-major sur une grande partie de ses forces seront sinon perdus du moins gravement compromis. Mais tout le monde saura qu’ils ont été attaqués et par qui. Vous n’avez pas besoin de beaucoup de commandement et de contrôle lorsque vous êtes en position défensive sur le genre de terrain où il est difficile de commencer à bouger. En fait, c’est le genre de guerre où « haut commandement » veut dire généralement un capitaine ou un major et pas un général lointain.
Vous vous posez peut-être des questions sur la logistique ? Quelle logistique, je vous le demande ? Les munitions sont stockées tout près dans des dépôts, vous pouvez toujours trouver vous-mêmes de la nourriture et, d’ailleurs, c’est votre propre territoire, les civils vous aideront.
De nouveau, pas de guerre de manœuvre, pas de communication avancée, pas de train logistique lourd – nous parlons d’un type de guerre beaucoup plus proche de la Seconde Guerre mondiale, ou même de la Première, que de Tempête du Désert.
Aparté En tant que quelqu’un qui a fait beaucoup de choses intéressantes avec l’armée suisse, permettez-moi d’ajouter ceci : ce genre de terrain est un champ de bataille où une seule compagnie peut arrêter et tenir un régiment entier ; c’est le genre de terrain où essayer de localiser avec précision la position d’une radio ennemie est extrêmement difficile ; c’est le genre de terrain où seuls des chevaux et des ânes peuvent porter des engins lourds sur des sentiers étroits, raides et en zig-zag ; des hôpitaux entiers peuvent être cachés sous terre, leur entrée cachée par une grange ou un hangar ; les canons d’artillerie sont enterrés et ils tirent lorsqu’une trappe épaisse en béton renforcé est déplacée sur le côté, puis ils se cachent ; le radar de contre-batterie fonctionne difficilement à cause des signaux qui se réfractent ; les signaux radio ont une courte portée à cause de la végétation et du terrain ; les caches d’armes et même des camps de la taille d’une compagnie ne peuvent être détectés qu’en marchant littéralement dessus ; les bunkers souterrains ont de nombreuses issues ; les opérations aériennes sont entravées par le très haut risque de tirs d’artillerie anti-aériens ou de missiles portables qui peuvent être cachés et venir de n’importe quelle direction. Je pourrais continuer, mais je veux juste dire une chose. Si vous voulez vaincre votre adversaire sur un tel terrain, il n’y a qu’une technique qui fonctionne : vous faites ce que les Russes ont fait dans les montagnes du sud de la Tchétchénie pendant la seconde guerre tchétchène – vous envoyez vos forces spéciales, de petites unités à pied, et vous combattez l’ennemi sur son propre terrain. C’est un genre de guerre extrêmement brutal, dangereux et difficile que je ne vois vraiment pas les Américains mener. Les Sud-Coréens, oui, peut-être. Mais c’est là que le le nombre joue un rôle : en Tchétchénie, les Spetsnaz russes opéraient dans une zone de combat relativement petite et ils avaient le nombre. Maintenant, regardez une carte de la Corée du Nord et le nombre des forces spéciales nord-coréennes et dites-moi : les Sud-Coréens ont-ils la main-d’œuvre pour ce genre d’opérations offensives ? Encore une chose : la réaction américaine typique à ces arguments serait « Et alors ? Nous nous allons simplement leur envoyer une bombe nucléaire ! » Vous pouvez les atomiser, mais les armes nucléaires ne sont pas très efficaces sur ce genre de terrain, il est difficile de trouver une cible pour commencer, les forces ennemies seront pour la plupart cachées sous terre et, enfin, vous allez utiliser des armes atomiques pour faire face à des unités de la taille d’une compagnie ou d’un peloton ? Ça ne marchera pas.
Si vous pensez que j’essaie de vous faire peur, vous avez totalement raison. C’est ce que je fais. Vous devriez avoir peur. Et notez que je ne mentionne même pas les armes nucléaires. Non, pas d’ogives nucléaires dans des missiles. Des dispositifs nucléaires de base transportés dans des camions militaires ordinaires. Conduits près de la zone démilitarisée en temps de paix parmi des milliers d’autres camions de l’armée puis enterrés quelque part, prêts à exploser au bon moment. Pouvez-vous imaginer quel pourrait être l’effet d’une frappe nucléaire « sans sommation » – « d’où est-elle venue ? » – sur la progression des troupes américaines ou sud-coréennes ? Pouvez-vous imaginer à quel point la question « Y en a-t-il d’autres ? » deviendra urgente ? Encore une fois, pour cela, les Nord-Coréens n’ont même pas besoin d’une véritable arme nucléaire. Un engin nucléaire primitif suffira.
Je peux déjà entendre le « Rah-rah-rah, nous sommes le numéro 1 ! » des irréductibles brandisseurs de drapeau rejetant tout cela en disant : « Ha, et vous ne pensez pas que la CIA sait déjà tout ça ? ». Peut-être que oui et peut-être que non – mais le problème est que la CIA, et le reste de la communauté américaine du renseignement, a été si désespérément politisée qu’elle ne peut rien faire contre les impératifs politiques tels qu’ils sont perçus. Et, franchement, lorsque je vois que les États-Unis essaient de faire peur aux Nord-Coréens avec des B-1B et des F-22 je me demande si quelqu’un au Pentagone ou à Langley est encore en contact avec la réalité. D’ailleurs, il y a les renseignements, et ensuite il y a les renseignements utilisables. Et dans ce cas, savoir ce que les Coréens pourraient faire ne signifie pas du tout savoir quoi faire à ce sujet.
En parlant de chaos – savez-vous ce que les Chinois ont dit expressément à son propos ?
Pouvez-vous deviner ?
Qu’ils ne « permettront pas le chaos et la guerre sur la péninsule ».
L’entrée des Chinois
Venons-en aux Chinois. Ils ont exprimé très clairement leur position : « Si la Corée du Nord lance une attaque qui menace les États-Unis, la Chine restera neutre, mais si les États-Unis attaquent les premiers et tentent de renverser le gouvernement de la Corée du Nord, la Chine les arrêtera. » Comme il n’y a absolument aucune chance d’une attaque nord-coréenne non provoquée contre le Sud ou les États-Unis, notamment avec cette menace des Chinois de rester neutres si la RPDC attaque en premier, examinons la deuxième partie de l’avertissement.
Que pourraient faire les Chinois si les États-Unis décidaient d’attaquer la Corée du Nord ? Leurs options de base dépendent de la nature de l’attaque :
- Si les États-Unis se limitent à une combinaison de missiles et de frappes aériennes et si la RPDC riposte (ou pas), les Chinois peuvent simplement fournir à cette dernière une aide technique, économique et humanitaire et dénoncer les États-Unis au niveau politique.
- Si les États-Unis continuent avec une invasion terrestre ou si la RPDC décide de riposter d’une manière qui pourrait les contraindre à une invasion terrestre, les Chinois pourraient offrir non seulement une aide militaire directe, y compris des troupes, mais pourraient attendre que le chaos devienne total en Corée avant d’ouvrir un deuxième front contre les forces américaines (y compris, éventuellement, Taïwan).
Ce second scénario créerait une situation dangereuse pour la Chine, bien sûr, mais elle serait encore beaucoup plus dangereuse pour les forces américaines en Asie, qui se trouveraient très dispersées sur un très grand territoire sans grand moyen d’obliger l’un ou l’autre adversaire à céder ou à arrêter. Enfin, exactement comme la Chine ne peut pas permettre aux États-Unis d’écraser la Corée du Nord, la Russie ne peut pas leur permettre d’écraser la Chine. Cette dynamique semble-t-elle familière ? Elle devrait, car elle est semblable à ce que nous avons observé récemment au Moyen-Orient :
- Russie -> Iran -> Hezbollah -> Syrie
- Russie ->Chine ->RPDC
C’est une position de force très souple et efficace où le plus petit élément est en première ligne et où le plus puissant est le plus éloigné et à l’arrière parce qu’il oblige l’autre camp à se concentrer d’abord sur l’adversaire en première ligne tout en maximisant les risques de tout succès possible parce que ce succès est susceptible d’attirer l’adversaire suivant, plus grand et plus puissant.
Conclusion : se préparer au génocide
Les États-Unis n’ont strictement aucune chance de désarmer ou, moins encore, de faire changer le régime de la RPDC uniquement avec des missiles et des frappes aériennes. Pour « prendre en main » sérieusement et significativement la RPDC, les dirigeants américains doivent consentir à une attaque terrestre. Cependant, même si ce n’est pas le plan, si la RPDC décide d’utiliser son immense puissance de feu, même relativement désuète, pour frapper Séoul, les États-Unis n’auront pas d’autre choix que de déplacer leurs forces terrestres dans la zone démilitarisée. Si cela se produit, quelque 500 000 troupes sud-coréennes, soutenues par 30 000 soldats de l’armée américaine affronteront environ 1 million de soldats nord-coréens soutenus par 5 millions de paramilitaires et 200 000 forces spéciales sur un champ de bataille en terrain mixte qui requerra une infanterie de l’ordre de celle ayant mené les opérations de la Seconde Guerre mondiale. Par définition, si les États-Unis attaquent la RPDC pour essayer de détruire son programme nucléaire, un tel assaut commencera par des missiles et des frappes aériennes sur les installations nord-coréennes, ce qui implique que les États-Unis viseront les cibles les plus précieuses (du point de vue des Nord-Coréens, bien sûr). Cela signifie qu’après une telle attaque, il ne restera que peu ou pas de capacités de dissuasion aux États-Unis et qu’après cette attaque, la RPDC n’aura plus d’incitation à montrer la moindre retenue. En revanche, même si la RPDC décide de commencer par un barrage d’artillerie dans la zone démilitarisée, y compris dans la région métropolitaine de Séoul, elle aura toujours la capacité d’aller plus loin soit en attaquant le Japon soit en déclenchant un engin nucléaire. Si cela se produisait, il y a une probabilité extrêmement élevée que les États-Unis doivent « proclamer la victoire et s’en aller » (une vieille tradition militaire américaine) ou commencent à recourir à de nombreuses frappes nucléaires tactiques. Les frappes nucléaires tactiques, soit dit en passant, ont une efficacité très limitée sur une position défensive préparée en terrain mixte, en particulier des vallées étroites. D’ailleurs, il est difficile de trouver des cibles pour de telles frappes. En fin de compte, la dernière et la seule option qui restera aux États-Unis est celle à laquelle ils recourent toujours pour finir, celle de se livrer directement et délibérément au meurtre massif de civils pour « briser la volonté de l’ennemi de se battre » et détruire « l’infrastructure de soutien au régime » des forces ennemies (une autre vieille tradition de l’armée américaine qui remonte aux guerres contre les Indiens et qui a été utilisée pendant la guerre de Corée ainsi que, plus récemment, en Yougoslavie). Ici, je veux citer un article de Darien Cavanaugh dans War is Boring :
« En chiffres par habitants, la guerre de Corée a été une des guerres les plus meurtrières de l’histoire moderne, en particulier pour la population civile de la Corée du Nord. L’ampleur de la dévastation a choqué et dégoûté le personnel militaire américain qui y assistait, y compris certains qui avaient combattu dans les batailles les plus horribles de la Seconde Guerre mondiale (...). Ce sont des chiffres stupéfiants et le taux de mortalité pendant la guerre était comparable à ce qui s’est produit dans les pays les plus durement frappés pendant la Seconde Guerre mondiale. (...) En fait, à la fin de la guerre, les États-Unis et leurs alliés ont largué plus de bombes sur la péninsule coréenne, dont l’écrasante majorité sur la Corée du Nord, qu’ils ne l’avaient fait dans tout le théâtre du Pacifique lors de la Seconde Guerre mondiale. »
« La destruction physique et les vies perdues des deux côtés étaient quasiment inimaginables, mais le Nord a subi le dommage le plus grand, à cause des bombardements intensifs et de la politique de la terre brûlée des forces des Nations unies pendant leur retraite », a écrit l’historien Charles K. Armstrong dans un article pour le Asia-Pacific Journal. « L’US Air Force a estimé que la destruction de la Corée du Nord était proportionnellement plus grande que celle du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, où les États-Unis avaient réduit 64 grandes villes en ruines et utilisé la bombe atomique pour en détruire deux autres. Les avions américains ont déversé 635 000 tonnes de bombes sur la Corée – c’est-à-dire essentiellement sur la Corée du Nord – y compris 32 557 tonnes de napalm, contre 503 000 tonnes de bombes larguées dans tout le théâtre du Pacifique de la Seconde Guerre mondiale. » Comme l’explique Armstrong, cela a produit une dévastation presque sans égale. « Le nombre de Coréens morts, blessés ou disparus à la fin de la guerre approchait 3 millions, 10% de l’ensemble de la population. La majorité des tués étaient dans le Nord, qui avait la moitié de la population du Sud ; bien que la RPDC n’ait pas de chiffres officiels, il est possible que 12% à 15% de la population ait été tuée pendant la guerre, un chiffre approchant ou dépassant la proportion des citoyens soviétiques tués pendant la Seconde Guerre mondiale. »
Douze à quinze pour cents de la population totale ont été assassinés par les forces américaines en Corée pendant la dernière guerre (comparez ces chiffres avec le soi-disant « génocide » de Srebrenica !). C’est ce que Nikki Haley et les psychopathes de Washington DC menacent vraiment de faire lorsqu’ils parlent de « prendre la situation en main » ou, encore mieux, lorsque Trump menace de « détruire totalement » la Corée du Nord. Ce que Trump et ses généraux oublient, c’est que nous ne sommes pas dans les années 1950 mais en 2017 et que si la guerre de Corée a eu une influence économique négligeable sur le reste de la planète, une guerre au milieu de l’Extrême-Orient aurait d’énormes conséquences. En plus, dans les années 1950, le contrôle total des États-Unis sur les médias de masse, du moins dans le soi-disant « monde libre », rendait assez facile de dissimuler le carnage meurtrier pratiqué par les forces dirigées par les Américains, ce qui est totalement impossible de nos jours. La réalité moderne est que, indépendamment du résultat effectif sur le terrain, toute attaque des États-Unis contre la RPDC aurait pour résultat qu’ils perdraient si gravement la face que cela signerait probablement la fin de la présence américaine en Asie et causerait un choc financier international massif provoquant l’effondrement de l’économie étasunienne déjà fragile actuellement. En revanche, la Chine sortirait comme la grande gagnante et la superpuissance incontestée en Asie.
Toutes les menaces proférées par les politiciens américains ne sont rien de plus que du vent délirant. Un pays qui n’a pas gagné une seule guerre importante depuis la guerre du Pacifique et dont l’armée est progressivement formée de semi-illettrés, de sexe équivoque, et souvent soldats pour éviter des condamnations ou le chômage, n’est absolument pas en situation de menacer un pays avec le large choix de ripostes qu’a la Corée du Nord. Le tir de barrage actuel des menaces américaines de se lancer dans une nouvelle guerre génocidaire est à la fois illégal selon le droit international et contre-productif politiquement. Le fait est que les États-Unis sont peu susceptibles de pouvoir survivre politiquement à une guerre contre la RPDC et qu’ils n’ont aujourd’hui pas d’autre choix que de s’asseoir et de négocier sérieusement avec les Coréens du Nord ou d’accepter que la RPDC est devenue une puissance nucléaire officielle.
The Saker
Cette analyse a été écrite pour Unz Review
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone
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