Par Pepe Escobar – Le 18 novembre 2015 – Source Russia Today
Le soi-disant État islamique devrait maintenant avoir compris le message. Il s’en est pris à la mauvaise cible, qui sera dorénavant impitoyable. La Russie ne fera pas de quartier.
Surtout depuis que le magazine terroriste en ligne Dabiq a publié une photo de la prétendue bombe ayant causé le crash du Metrojet : une bombe artisanale à l’intérieur d’une cannette de Schweppes Gold, placée sous le siège d’un passager. Il a également montré des photos de passeports de victimes russes, prétendument prises par le moudjahidin.
Leur sort collectif était scellé à l’instant même où le directeur du Service fédéral de sécurité (FSB) Alexandre Bortnikov a dit au président Poutine, en référence au crash du Metrojet en Égypte le 31 octobre : «Nous sommes prêts à confirmer avec certitude qu’il s’agit d’un acte terroriste.»
Les crétins du califat auront beau s’enfuir – dans les déserts de Syrak ou au-delà – ils ne pourront pas se défiler, si l’on en juge les propos du président de la Russie : «Nous les traquerons partout – où qu’ils se cachent. Nous allons les retrouver dans n’importe quel coin de la planète et ils recevront leur châtiment.» Le message s’accompagne d’une incitation supplémentaire : une récompense de 50 millions de dollars offerte par le FSB pour toute information menant aux responsables de la tragédie du Sinaï.
Le message de Poutine s’est aussitôt métamorphosé en métal hurlant sous forme d’un barrage de tirs massif et impressionnant visant 140 cibles du califat, qui utilisait 34 missiles de croisière dernier modèle largués en altitude et des attaques intenses menées par des Tu-160, des Tu-22 et des bombardiers stratégiques Tu-95Mc Bear. C’était la première fois que des bombardiers stratégiques de longue portée russes étaient déployés depuis le djihad afghan dans les années 1980.
Puis d’autres surprises les attendent à partir du territoire syrien : un nouveau déploiement comprenant 25 bombardiers stratégiques, 8 avions d’attaque au sol Su-24 Fullback et 4 avions de chasse Su-27 Flanker.
Le mystère des camions-citernes
Au G20 à Antalya, Poutine avait déjà, et de façon spectaculaire, dévoilé qui contribue au financement de Daesh, en donnant des «exemples basés sur nos données du financement de Daesh par des individus précis.»
Sa bombe : «Le financement de Daesh vient de 40 pays, dont certains sont membres du G20.» Pas besoin d’être un génie de Caltech [California Institute of Technology, NdT] pour deviner de qui il s’agit, qui seraient d’ailleurs mieux avisés de prendre au sérieux l’avertissement «Vous pouvez fuir, mais pas vous cacher.»
Poutine n’a pas manqué non plus de déboulonner le mythe voulant que Washington soit engagé sérieusement dans la lutte contre Daesh, avec images à l’appui, devant l’ensemble des pays du G20 : «J’ai montré à nos partenaires de nombreuses photos prises depuis l’espace et depuis des aéronefs sur lesquelles on voit clairement le volume que représente la vente illégale de pétrole réalisée par Daesh.» Il parlait de la flotte comptant plus de 1 000 camions-citernes qui font la contrebande du pétrole.
Apparemment grâce aux renseignements obtenus par les satellites russes, le Pentagone a fini par détecter miraculeusement des convois de camions-citernes s’étendant à perte de vue, transportant du pétrole syrien volé hors du pays. Puis ils ont dûment bombardé 116 camions. C’était la première fois en plus d’un an de lutte théorique menée par la Coalition des opportunistes tordus (COT) contre Daesh. La seule et dernière fois que ces convois avaient été bombardés, c’était par l’armée de l’air irakienne.
La stratégie des USA, turbopropulsée par Obama encore récemment, consiste à bombarder l’infrastructure pétrolière syrienne (vieillissante), expropriée et exploitée par Daesh. Techniquement, elle est la propriété de Damas, autrement dit, du peuple syrien.
Mais Washington semblait jusqu’ici davantage concerné par d’autres gens qui pourraient faire de bonnes affaires au moment de la reconstruction de l’infrastructure dévastée par le capitalisme du désastre, au cas où le plan «Assad doit partir» réussirait.
La Russie est allée droit au but, une fois de plus. C’est le réseau de transport (les convois de camions-citernes) qu’il faut bombarder, pas l’infrastructure pétrolière. Car c’est ainsi qu’on forcera les contrebandiers à mettre fin à leur commerce.
La principale raison pour laquelle l’administration Obama n’y a pas songé avant, c’est la Turquie. Washington a besoin d’Ankara, membre de l’Otan, pour utiliser la base aérienne d’Incirlik. La question de savoir qui profite de la contrebande de pétrole par Daesh devient alors très délicate.
Le membre du parti socialiste turc Gursel Tekin a indiqué que le pétrole de contrebande de Daesh est exporté en Turquie par BMZ, une société maritime appartenant à nul autre que Bilal Erdogan, le fils du sultan Erdogan. Au mieux, il s’agit d’une violation de la résolution 2170 du Conseil de sécurité de l’ONU. À la lumière du message de Poutine disant qu’il sera aux trousses de toute personne ou entité facilitant les opérations de Daesh, le clan Erdogan ferait mieux de trouver d’excellentes excuses.
Le camp d’entraînement djihadiste
L’intention de Poutine de s’en prendre à toute personne ou entité collaborant avec Daesh nous ramène logiquement à l’opération Shock and Awe 2003, soit le bombardement, l’invasion et l’occupation de l’Irak, qui a créé les conditions propices à l’établissement d’Al-Qaïda en Irak, dirigé par Abou Moussab al-Zarqawi jusqu’en 2006.
L’étape importante qui a suivi a été Bucca, à proximité d’Umm Qasr au sud de l’Irak, un mini-Guantanamo où au moins neuf membres de la future métastase d’Al-Qaïda qu’est État islamique (EI) ont été engendrés.
Daesh a vu le jour dans une prison américaine. Abou Bakr al-Baghdadi, alias le calife Ibrahim, y a séjourné, tout comme l’ancien numéro deux de Daesh, Abou Muslim al-Turkmani, et surtout celui qui a conceptualisé Daesh : Haji Bakr, ex-colonel de l’armée de l’air de Saddam Hussein.
Des salafo-djihadistes purs et durs y ont côtoyé d’anciens notables baathistes et ont fait cause commune, une offre que le Pentagone ne pouvait refuser et qu’il a en fait sciemment laissée prospérer. La Guerre mondiale contre le terrorisme n’est après tout qu’une guerre sans fin, comme l’a si bien dit le tandem Cheney-Rumsfeld.
L’obsession du changement de régime par les néocons américains a permis de consolider la présence de Daesh en Syrie.
L’ensemble du processus fait ressortir les ramifications multiples de la folie impérialiste, celles d’hier et de demain, qui commencent avec les éclats de bombe des kamikazes et se poursuivent avec les moudjahidines gavés de wahhabisme, entraînés et armés par la CIA (les combattants de la liberté de Reagan) devenant les métastases d’Al-CIAda, et se termine avec Hillary Clinton qui admet que l’Arabie saoudite est une des sources principales du financement des terroristes.
Paris 2015, tout comme Sinaï 2015 d’ailleurs, sont essentiellement des effets secondaires de Bagdad 2003. Poutine le sait. Mais pour l’instant, il s’agit d’écraser ces rejetons bâtards de l’impérialisme une fois pour toutes.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
Traduit par Daniel,édité par jj, relu par Literato pour le Saker francophone.