Alors que la Syrie vole la vedette, un nouveau conflit se dessine en Europe


Par Andrei Akulov – Le 13 novembre 2015 – Source strategic-culture

Le 21 novembre 2015 marque le 20e anniversaire de l’accord de paix de Dayton, qui a mis fin à la guerre sanglante entre les Serbes, les Croates et les Bosniaques, et a créé l’État contemporain de Bosnie-Herzégovine. Beaucoup de choses soulignent le fait que cette entité créée artificiellement ne durera pas longtemps.

Éclipsée par la grêle de nouvelles sur les frappes aériennes russes contre les rebelles anti-Assad en Syrie, soutenus par les États-Unis, et les demandeurs d’asile qui inondent l’Europe, une crise en Bosnie-Herzégovine se prépare à devenir un autre casse-tête pour l’UE et l’Otan.

Comme le temps passe, un autre État souverain pourrait apparaître en Europe – la République serbe (Republika Srpska-RS). Milorad Dodik, le président de la République serbe, soutient ouvertement l’idée d’indépendance. Il croit que la Bosnie contemporaine est un état non viable. Le président prévoit d’organiser un référendum à peine voilé sur l’indépendance le 15 novembre. Dodik voit l’adhésion de la Crimée à la Russie comme l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination. Il se sent inspiré par cet exemple.

Le 10 novembre, le Conseil de sécurité a renouvelé l’autorisation de la force de stabilisation multinationale européenne (EUFOR ALTHEA) dirigée par l’UE en Bosnie-Herzégovine pour une autre année, une décision prise avant son débat semestriel sur la situation là-bas, vingt ans après les accords historiques de Dayton qui ont mis fin à la guerre de Bosnie.

Le Conseil a également renouvelé, pour un an, l’autorisation figurant au paragraphe 11 de la résolution 2183 (de 2014), qui renouvelle le maintien du quartier général de l’Otan.

Présentant son rapport semestriel (document S/2015/841), M. Valentin Inzko, Haut-Représentant pour la Bosnie-Herzégovine, a déclaré que le 21 novembre marquera le vingtième anniversaire de l’Accord de paix, signé à Dayton, Ohio, et qui mettait fin à la guerre la plus brutale en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

«La paix de Dayton a été durement gagnée, dit-il, et elle ne doit jamais être considérée comme acquise». Selon le fonctionnaire, pendant la deuxième décennie, le pays n’allait pas dans la bonne direction, «les problèmes étaient systémiques, reflétant une bureaucratie complexe et les intérêts de certains dirigeants politiques et des entreprises d’État pour un statu quo dysfonctionnel», a-t-il dit. Le défi immédiat, a noté Inzko, était la décision de la Republika Srpska de tenir un référendum sur l’indépendance en 2018, et sa décision d’en tenir une autre en juillet pour décider si leurs autorités doivent respecter les organes judiciaires centraux du pays ou le Haut-Représentant.

Le 9 novembre, le Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne a averti qu’un référendum prévu par les Serbes de Bosnie pour contester l’autorité du pouvoir judiciaire de l’État pourrait nuire à la cohésion du pays et à l’intégrité territoriale.

«La tenue d’un tel référendum contesterait la cohésion, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine», ont déclaré les ministres des Affaires étrangères de l’UE dans un communiqué.

Lors du référendum, les gens se verront poser une seule question : «Êtes-vous favorable à l’imposition inconstitutionnelle et non autorisée des lois par le Haut-Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, en particulier les lois imposées à la Cour et au Bureau du Procureur de [Bosnie- Herzégovine] et la mise en œuvre de leurs décisions sur le territoire de la Republika Srpska ». Le référendum donnera à Dodik la légitimité politique et juridique pour ordonner aux institutions de la Republika Srpska – depuis les organes administratifs du gouvernement jusqu’aux collecteurs d’impôts – de cesser d’obéir aux ordres de la Cour de justice de l’État, à ses verdicts et décisions et d’entraver le travail du bureau du procureur. Bien que, formellement, le référendum ne porte que sur le pouvoir judiciaire, il n’est rien d’autre qu’une déclaration d’indépendance de facto. De peur que quiconque doute de ses intentions, Dodik a annoncé en avril, que la Republika Srpska tiendra un référendum sur son indépendance en 2018.

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En 1991, la Croatie et la Slovénie ont envisagé de quitter la Yougoslavie, suivies par la Macédoine. En Bosnie, la situation était différente. Musulmans et Croates ont soutenu l’idée de la séparation. Les Serbes voulaient se joindre à la Serbie. Le 15 octobre 1991, Musulmans et Croates ont voté pour la sécession de la Yougoslavie. Les Serbes ont boycotté le référendum. Le 12 août 1992, ils ont proclamé la République de Srpska. Elle a été suivie par une effusion de sang. Le président de la Bosnie à ce moment là, Izetbegovic, voulait une Bosnie-Herzégovine islamique unie. Le pays s’est trouvé embourbé dans la guerre civile. Al-Qaïda s’est visiblement affiché sur le sol bosniaque tuant Serbes et Croates locaux. Les accords de Dayton signés fin 1995 ont couronné le conflit. La Bosnie-Herzégovine est devenue une confédération dans la Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska. Des Musulmans et des Croates (par exemple, l’ancien président croate Stipe Mesic) affirment que la Republika Srpska a été créée en grande partie à cause du génocide des musulmans, et donc cette institution étatique n’a pas le droit d’exister.

L’accord de paix négocié par les États-Unis a divisé la Bosnie-Herzégovine en deux régions très autonomes – une fédération principalement bosniaque, musulmane et croate et la République serbe – liées par une autorité centrale faible. Le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine est très décentralisé et souvent l’otage de querelles ethniques. Le traité a mis en place un système complexe. Le pays est divisé en deux  entités ethniques mentionnées ci-dessus régies par quatorze Premiers ministres avec trois présidents agissant en tant que chef de l’État. Les deux États ont des constitutions, des lois, des parlements, des frontières, des forces de police, des systèmes postaux et des politiques étrangères indépendantes, mais ils ont encore un gouvernement fédéral. On pouvait s’y attendre, l’accord de Dayton n’a pas convaincu les parties de mettre de côté leurs différences et, à part à Sarajevo, la capitale, il n’y a vraiment aucune sorte d’intégration entre les groupes ethniques.

Des protestations à travers la Bosnie l’année dernière ont révélé une colère généralisée envers les politiciens, largement accusés de ne chercher qu’à s’enrichir au détriment du peuple. Mais au moment des élections, les mêmes vieux visages connus ont été réélus.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles cela a pu se produire. Aucun dirigeant impératif n’a émergé du mouvement de protestation. Aucun des partis politiques n’a fait un effort crédible pour séduire les électeurs de toutes origines ethniques. Il y a aussi un fossé entre la rhétorique des dirigeants politiques et les sentiments d’un grand nombre de Bosniaques qui se sentent coincés dans un État qui ne fonctionne pas.

Plusieurs niveaux de gouvernement, parfois avec des intérêts hostiles, conduisent à l’impasse politique. Des entreprises inefficaces liées à l’État et le clientélisme prolifèrent. Le taux de chômage des jeunes est supérieur à 57%. Bien que le Fonds monétaire international prévoie que l’économie bosniaque va croître d’environ 2% cette année, le pays est passé loin derrière ses concurrents régionaux. La Bosnie est beaucoup plus pauvre que le Monténégro et la Serbie. Le ressentiment s’est accru avec des manifestations largement répandues en février 2014, au point d’être surnommées le «Printemps de Bosnie».

Republika Srpska est l’un des États les plus pauvres d’Europe. Le PIB par habitant est seulement de $4 100. Plus de la moitié des jeunes sont au chômage.

Les voix de protestation en RS commencent à résonner plus fort. Deux guerres mondiales et l’occupation ottomane ont rendu les Serbes conscients du fait que le statut de minorité dans un État était souvent le précurseur de la mort, des camps et du nettoyage ethnique. Ce fut le cas au cours des deux guerres mondiales et c’est resté profondément ancré dans la mentalité serbe.

Les événements peuvent facilement se développer à partir du scénario du Kosovo. Mais, alors que dans ce cas, les Albanais du Kosovo ont agi contre la volonté des autorités centrales à Belgrade et que le Kosovo n’était même pas une république autonome, mais une région autonome, la République serbe dispose d’une large indépendance au sein de la Bosnie-Herzégovine, qui se reflète dans les documents officiels et se trouve confirmée au niveau international. Ainsi, la décision de la République serbe de quitter la Bosnie-Herzégovine serait beaucoup plus légitime du point de vue du droit international que dans le cas du Kosovo.

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Forger un attachement universel à l’État bosniaque multi-ethnique ne sera pas facile, mais les enjeux pour l’Occident sont élevés. Toute tentative de division de la Bosnie-Herzégovine provoquerait une nouvelle guerre civile et radicaliserait la communauté musulmane jusqu’ici laïque, soulevant le spectre d’un pays islamiste au cœur de l’Europe. À l’heure actuelle, les Balkans pourraient servir de point de rupture du flanc sud de l’Otan et causer beaucoup de mal à l’UE dans l’affaire. Le défi est croissant. Les manifestations anti-gouvernementales en Bosnie l’année dernière et la crise politique en cours dans la Macédoine proche ont souligné les risques d’instabilité persistants dans les Balkans. Avec un État islamique encore puissant, une crise des réfugiés en plein essor et une économie européenne stagnante qui doit assumer le fardeau de la Grèce et d’autres débiteurs, un conflit de plus en Europe serait le casse-tête de trop à gérer pour l’Otan et l’UE. Dans ce contexte, c’est loin d’être le bon moment pour l’Occident d’affronter la Russie, que ce soit en Syrie, dans les Balkans ou en Ukraine. Avec l’influence dont Moscou bénéficie dans les Balkans, des efforts conjugués pourraient aboutir à des résultats tangibles. Avec la crise syrienne qui envahit l’écran radar, un autre défi pour la sécurité européenne a vu le jour. Son règlement nécessite un effort international avec la participation de tous les acteurs essentiels.

Andrei Akulov

Traduit et édité par jj, relu par Literato pour le Saker Francophone

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