Alerte fake news : NON, la Chine ne construit pas de base militaire au Zimbabwe


Par Andrew Korybko – Le 12 avril 2019 – Source eurasiafuture.com

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Les médias alternatifs se voient manipulés une nouvelle fois par des praticiens de la guerre de l’information ; on les pousse à répandre une fake news, republiée par le populaire média South Front, au sujet d’une prétendue base chinoise au Zimbabwe.

Ils sont poussés à publier cette fausse information car elle apparaît bercer leurs illusions selon lesquelles la République populaire entrerait dans un défi musclé avec les USA en Afrique. Pourtant, cette affirmation ne constitue qu’une tentative subtilement montée et visant à jeter le discrédit tant sur Pékin que sur le nouveau gouvernement de Harare.

Biais de confirmation

L’un des dogmes sous-jacents à la communauté des médias alternatifs réside dans la croyance que la Russie, la Chine et l’Iran font tout leur possible pour s’opposer à ce qu’on appelle le « Nouvel ordre mondial », et pour saper le contrôle unipolaire des USA sur les affaires mondiales. Cette idée s’est emparée de l’imagination de millions de lecteurs et les a souvent rendus capables de croire assez naïvement, par un biais de confirmation, toute information qui viendrait étayer leurs « vœux pieux ». C’est particulièrement le cas quant à l’« information »  qui nous intéresse ici : les trois grandes puissances se seraient secrètement mises d’accord pour monter une base militaire dans le « grand sud » pour défendre un pays partenaire contre l’expansion géopolitique agressive étasunienne. Avec ce contexte psychologique à l’esprit, le média populaire South Front a relayé une fausse nouvelle, au sujet d’une base chinoise au Zimbabwe, parce qu’elle semblait répondre à tous ces critères. Mais le résultat est qu’il a ainsi contribué à la diffusion d’une information relevant de la guerre de l’information, qui était non seulement fausse mais subtilement montée pour répandre l’opprobre à la fois sur Pékin et sur le nouveau gouvernement de Harare. Bien leur en aurait pris de vérifier cette information quand il en était encore temps.

La fabrication d’une fake news

South Front citait un blog obscur dénommé Spotlight Zimbabwe, géré par une petite équipe de seulement trois personnes, dont deux résident à l’étranger, au Canada et en Allemagne. Cela aurait du constituer la première indication de non-crédibilité de cet article : il est difficile de croire qu’un média d’aussi petite dimension fasse le « scoop » sur une information de l’ampleur de la création de la première base militaire jamais montée par la Chine dans l’arrière-pays africain. South Front aurait également du avoir la puce à l’oreille du fait que Spotlight Zimbabwe affirmait en outre que l’ancien président Mugabe s’était exprimé sur une conspiration établie par son successeur en titre avec la Chine, visant à le renverser et à piller le pays ; il s’agit de deux fables interconnectées déjà répandues précédemment par les médias dominants pour discréditer les deux parties. Mais South Front a donné blanc-seing à ces informations et les a republiées sans se poser de questions, apparemment sans se rendre compte de leur caractère sensible dans les contextes national et continental.

Les défis posés à la Chine

Développons. Le rôle de la Chine en Afrique est déjà très controversé pour beaucoup, depuis les faux-pas maladroits de la Chine au début des années 2000 sur le continent, qui ont mis à mal sa réputation et ont donné du grain à moudre au rival étasunien pour en dire du mal depuis lors. En général, on peut dire que les Africains apprécient les projets d’infrastructure géants portés par la Chine dans leur pays, mais s’inquiètent de la dette contractée par leur gouvernement envers la République populaire, et développent une certaine méfiance à l’égard des commerçants chinois qui prennent la place des entreprises locales. Si l’on ajoute à cela les frictions socio-culturelles remontant au début des années 2000, ainsi que les attaques de guerre de l’information étasunienne incessantes contre l’activité chinoise en Afrique – en particulier les histoires qui veulent que les chinois sont obsédés par une extraction de ressources néo-coloniales et veulent construire des bases militaires partout sur le continent pour supprimer toute résistance locale à leurs sociétés – il devient clair que l’environnement politique est de plus en plus hostile envers la Chine. On peut déplorer que cette toile de fond ait été négligée par South Front, qui a sans le vouloir contribué à répandre des fausses informations s’inscrivant dans cette campagne de guerre de l’information.

La réalité des relations sino-africaines

La stratégie générale chinoise pour le XXIème siècle considère l’Afrique comme indispensable à la poursuite de la croissance de la République populaire, pour des raisons de matières premières et de marchés. On comprend aisément le sujet des matières premières, qui est partagé par chacune des grandes puissances mondiales, mais la disponibilité des marchés africains est spécifique à la Chine, qui a constamment besoin d’écouler ses surplus de production à bas coûts. Le projet des Nouvelles routes de la soie [Belt & Road Initiative (BRI)] a comme unique objectif de mettre en place une infrastructure physique facilitant les deux objectifs, tout en encourageant un développement durable local des partenaires chinois, dans une perspective gagnant-gagnant. Comme toute stratégie, celle-ci n’est pas toujours exécutée avec brio, mais la description qui précède résume l’objectif chinois. La Chine, plutôt que de protéger directement ses investissements – chose qu’ont fait tous les autres pays par le passé – s’appuie sur les armées nationales des États qui hébergent la BRI, et aspire à ne laisser qu’une empreinte militaire sur le terrain aussi faible que possible ; une option qui a émergé récemment réside d’ailleurs dans la possibilité de contracter des « mercenaires » russes sur les scénarios de crise.

Révéler au grand jour la provocation relevant de la guerre de l’information

À présent que le lecteur dispose d’une compréhension plus étendue des dynamiques stratégiques sous-jacentes aux relations sino-africaines, il peut mieux comprendre le caractère pernicieux de l’attaque de guerre de l’information émise par Spotlight Zimbabwe, que South Front a eu le malheur de relayer. L’article en question a été soigneusement fabriqué pour dépeindre la Chine comme une puissance néo-coloniale agressive, bénéficiant de l’aide et de la bénédiction de relais de corruption locaux, qu’elle aurait contribué à porter au pouvoir au travers d’un coup d’État, aux fins d’extraire toujours plus de matières premières du sous-sol du Zimbabwe, et d’utiliser le pays comme cour de jeu militaire. L’auteur de cet article visait manifestement à provoquer la colère du lecteur envers Pékin et le nouveau gouvernement de Harare ; mais cette motivation pourtant manifeste a été occultée par les éditeurs de South Front, qui n’ont vu que ce qu’ils voulaient voir, à savoir la perception simpliste selon laquelle la Chine vient défier les USA en Afrique en construisant une soi-disant base militaire super-secrète au cœur du continent africain, chose qui a du piquer au vif leur imagination et leur laisser à penser que leur public y serait également réceptif.

Le talon d’Achille des médias alternatifs

Ici réside l’une des nombreuses faiblesses des médias alternatifs, qui est la prédisposition de la communauté à croire toute information qui va dans le sens de ses « vœux pieux », en l’occurrence l’idée que les puissances non-occidentales font progresser leurs influences au niveau mondial sous toutes les dimensions (et en particulier militaire) afin de s’opposer au soi-disant « Nouvel ordre mondial ». Le lecteur moyen, en particulier s’il ne réside pas en Afrique, ne dispose de quasiment aucun bagage quant aux dynamiques du continent, et peut être enclin à croire facilement toute information qui s’inscrit dans sa manière de comprendre le monde. C’est ce qui explique que South Front a pu se montrer aussi réceptif au message superficiel portant l’idée que « la Chine vient défier les USA dans le Sud de l’Afrique en y installant un base militaire ». Mais la réalité est  toute autre : il ne s’agissait que d’une fausse information, montée de toutes pièces, et visant à nourrir les oppositions à la Chine et au nouveau gouvernement du Zimbabwe. South Front a, sans le vouloir, contribué à répandre un article monté de toutes pièces, et dont l’objectif était contraire à ceux de ce média alternatif, qui croyait relayer des informations positives quant à la Chine et au Zimbabwe.

Conclusions

Cette affaire, qui a vu le média alternatif South Front, par ailleurs très respecté, relayer des fake news sur la Chine, est très instructive : elle souligne l’une des nombreuses faiblesses de la communauté. Cette faiblesse réside dans l’inclinaison de ses membres à croire toute information qui semble s’aligner avec leur vision du monde, par un biais de confirmation. Dans cet exemple, il a suffi d’un faux article publié par un blog obscur géré par des personnes principalement établies hors du continent africain, et que ce blog ait prétendu disposer d’informations exclusives quant à l’établissement d’une base militaire chinoise au Zimbabwe, pour que les éditeurs de South Front relayent ces fausses informations avec enthousiasme, et y ajoutent leur propre sceau de crédit. Voilà qui illustre très exactement le fonctionnement habituel des fake news, qui se répandent et infiltrent le discours dominant – des médias par ailleurs respectables se mettant dès lors à publier de manière irresponsable des articles cousus de mensonges sans s’en rendre compte. Cela permet aux fausses informations de prendre vie en propre, par une diffusion virale dans l’ensemble de l’écosystème informatif, jusqu’à voir les lecteurs peu avertis les accepter comme des vérités. Il faut pardonner à South Front son écart involontaire, en espérant que ses éditeurs auront acquis une bonne leçon de cette expérience et prendront les mesures pour éviter qu’elle ne puisse se reproduire.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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