Par Philip M. Giraldi − Le 18 avril 2019 − Source Strategic-culture.org
Il est déprimant d’observer comment les États-Unis sont devenus l’empire du mal. Ayant servi dans l’armée des États-Unis pendant la guerre du Vietnam puis à la CIA pendant la seconde moitié de la guerre froide, j’ai eu un point de vue privilégié sur la façon dont une politique de sécurité nationale, essentiellement pragmatique, a progressivement dérivé en une doctrine bipartite qui implique une domination mondiale sans concession de Washington. Malheureusement, lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, l’occasion de mettre définitivement fin à la confrontation nucléaire bipolaire qui menaçait d’anéantir le monde a été gâchée, lorsque le président Clinton a choisi d’humilier et d’utiliser l’OTAN pour contenir une Russie démoralisée et sans réel chef.
L’exceptionnalisme américain est devenu le cri de bataille d’un gouvernement fédéral de plus en plus incohérent ainsi que pour un public leurré par les médias. Lorsque le 11 septembre est arrivé, le pays était prêt à s’en prendre au reste du monde. Le président George W. Bush a grogné : « Il y a un nouveau shérif en ville et vous êtes soit avec nous, soit contre nous. » L’Afghanistan a suivi, puis l’Irak, et, dans un esprit de synthèse bipartisane, les Démocrates ont eu la Libye et le premier engagement sérieux en Syrie. Dans sa manifestation actuelle, voici un État américain qui menace l’Iran presque chaque semaine et déchire les accords de contrôle des armements avec la Russie, tout en maintenant le déploiement des forces américaines en Syrie, Irak, Afghanistan, Somalie et d’autres endroits comme le Mali. Les États-Unis ont 800 bases militaires dispersées à travers le monde tandis que leurs principaux ennemis, la Russie et la Chine en ont respectivement une et zéro.
Jamais au cours de ma vie je n’ai vu les États-Unis aussi belliqueux, et ce, malgré le fait qu’ils n’aient pas un seul ennemi ou une alliance d’ennemis pour menacer réellement le territoire ou un intérêt vital. Le Venezuela est menacé d’invasion d’abord parce qu’il se trouve dans l’hémisphère occidental, et donc soumis à l’autorité impériale revendiquée par Washington. Mercredi dernier, le Vice-président Mike Pence a déclaré au Conseil de sécurité des Nations Unies que la Maison-Blanche démettrait le président vénézuélien Nicolás Maduro, si possible par la diplomatie et les sanctions, mais que « toutes les options [étaient] sur la table ». Pence a également prévenu que la Russie et les autres amis de Maduro devaient partir immédiatement ou affronter les conséquences.
La transformation des États-Unis en force hostile et assez imprévisible n’est pas passé inaperçue. La Russie assume le fait que la guerre approche, quoi qu’elle négocie avec Trump, et améliore constamment ses forces militaires. Selon certaines estimations, son armée est mieux équipée et davantage prête au combat que celle des États-Unis, qui dépensent près de dix fois plus pour leur « défense ».
L’Iran améliore également ses capacités défensives, qui sont formidables. Washington s’est retiré de l’accord nucléaire avec l’Iran, a imposé une série de sanctions de plus en plus dures et, plus récemment, a déclaré qu’une partie de l’armée iranienne constitue une « organisation terroriste étrangère » et donc susceptible d’être attaquée par les forces américaines à tout moment. Il est donc maintenant clair que la guerre sera la prochaine étape. Dans trois semaines, les États-Unis chercheront à faire appliquer un embargo mondial sur tout achat de pétrole iranien. Un certain nombre de pays, dont la Turquie, ont déclaré qu’ils n’en tiendraient pas compte et il sera donc intéressant d’observer ce que la marine américaine a l’intention de faire pour le faire appliquer. Ou ce que l’Iran fera pour le forcer.
Mais même si on tient compte de toutes les décisions terribles prises à la Maison-Blanche, il existe une organisation beaucoup plus folle et peut-être encore plus dangereuse. Il s’agit du Congrès des États-Unis, un organe législatif qui n’est perçu positivement que par 18% de la population américaine, sans surprise.
Un projet de loi actuel, intitulé « Loi de défense de la sécurité américaine contre l’agression du Kremlin en 2019 » (DASKA : Defending American Security from Kremlin Aggression Act of 2019), porte le numéro S-1189. Il a été présenté au Sénat qui « exige du secrétaire d’État qu’il détermine si la Fédération de Russie doit être désignée comme État parrainant le terrorisme, et si les entités armées parrainées par la Russie en Ukraine doivent être désignées comme organisations terroristes étrangères. » Le projet de loi est présenté par le sénateur républicain Cory Gardner (Colorado) et le démocrate Robert Menendez (New Jersey).
La version actuelle du projet de loi a été présentée le 11 avril, et on ne sait absolument pas quel appui elle pourra obtenir. Mais le fait qu’elle ait effectivement émergé devrait inquiéter quiconque pense qu’il est du meilleur intérêt de tous d’éviter une confrontation militaire directe entre les États-Unis et la Russie.
Dans un communiqué de presse de Gardner, qui insiste depuis longtemps pour que la Russie soit inscrite sur la liste des États qui soutiennent le terrorisme, une version précédente du projet de loi datant de février avait été décrite comme suit : « une législation globale [qui] vise – à accroître la pression économique, politique et diplomatique sur la Fédération de Russie en riposte à son ingérence dans les processus démocratiques à l’étranger, son influence néfaste en Syrie et son agression en Ukraine, y compris dans le détroit de Kerch. Le législateur établit une réponse politique globale pour affiner la position du gouvernement américain face à l’agression du Kremlin, en créant de nouveaux bureaux de cyberdéfense et de coordination des sanctions. Le projet de loi protège l’OTAN et interdit au Président le retrait des États-Unis de l’Alliance sans vote du Sénat. Il intensifie également la pression des sanctions sur Moscou pour son ingérence dans les processus démocratiques à l’étranger et son agression permanente contre l’Ukraine. »
Cette version du projet de loi datant de février regroupait Menendez, la Démocrate Jeanne Shaheen (New Hampshire), le Démocrate Ben Cardin (Maryland) et la Républicaine Lindsey Graham (Caroline du Sud). Elle laisse supposer que la marche vers la guerre fait l’objet d’une synthèse bipartite actuellement à Washington.
Chaque sénateur commanditaire a fait son propre commentaire au communiqué de presse. Ainsi, Gardner a observé que « la Russie de Poutine est un régime hors-la-loi déterminé à miner le droit international et à détruire l’ordre mondial progressiste mené par les États-Unis ». Menendez a déclaré que « l’immobilisme délibéré du président Trump devant l’agression du Kremlin a porté le Congrès au point d’ébullition ». À son tour Graham a ajouté que « notre objectif est de bouleverser le statu quo et d’imposer des sanctions et des mesures significatives contre la Russie de Poutine. Poutine devrait cesser de s’ingérer dans [notre] processus électoral, mettre fin aux cyberattaques contre les infrastructures américaines, retirer la Russie de l’Ukraine et mettre fin à ses efforts visant à créer le chaos en Syrie. » Cardin a affirmé que « le Congrès continue de jouer un rôle de premier plan dans la défense contre l’incessante agression russe envers les institutions démocratiques nationales et à l’étranger. » Enfin, Shaheen a fait observer que « ce projet de loi s’appuie sur les efforts déployés par le Congrès pour rendre la Russie responsable de son comportement belliqueux contre les États-Unis et de sa détermination à déstabiliser notre ordre mondial ».
Ces déclarations du Sénat sont, bien sûr, largement exagérées et parfois complètement fausses au regard de la réalité dans le monde, mais elles révèlent à quel point les législateurs américains peuvent être ignares… et le sont souvent. Les Sénateurs n’ont également pas compris que désigner de présumées forces de substitution du Kremlin comme « organisations terroristes étrangères » équivaut à une déclaration de guerre de l’armée américaine contre elles. Comme si qualifier hypocritement la Russie d’« État parrain du terrorisme » n’était pas déjà suffisant, dans la mesure où c’est objectivement faux. Mais le véritable dommage vient de l’existence même de ce projet de loi : de chaque côté, il renforcera la position des partisans de la ligne dure, garantissant qu’aucun rapprochement entre Washington et Moscou ne sera possible dans un avenir prévisible. Cette évolution est néfaste pour tous les acteurs
Il reste à déterminer s’il faut la considérer comme la conséquence involontaire d’une mauvaise prise de décision, ou comme quelque chose de plus sinistre qui impliquerait un Congrès et une administration profondément corrompus.
Traduit par Stünzi pour le Saker francophone
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