Par Ron Unz — Le 22 novembre 2021 — Source unz.com
L’effacement par les médias de nos meilleurs journalistes et intellectuels.
Glenn Greenwald et l’Intercept
Il y a quelques années, à la période où les divulgations s’enchaînèrent en série au sujet de la NSA, Glenn Greenwald était sans doute classé comme le plus célèbre journaliste au monde, et toute sa carrière semblait avoir été tracée suivant un livre de contes de la gauche libérale.
Déçu par sa carrière juridique en entreprise au sein d’une firme de premier plan, il avait cofondé un petit cabinet spécialisé sur les affaires relevant du Cinquième Amendement, puis avait lancé un blog personnel dénonçant les violations des libertés civiles pratiquées par l’administration Bush. Il avait obtenu une telle aura pour la pertinence de ses commentaires qu’il s’était fait embaucher par Salon, le premier webzine de gauche, et quelques années plus tard, il avait été recruté par le Guardian, journal libéral, alors au plus haut de sa réputation internationale. Ses écrits de haut niveau sur les abus pratiqués par le gouvernement avaient attiré l’attention d’Edward Snowden, le jeune lanceur d’alerte de la NSA, qui lui avait donné le récit qu’on ne reçoit qu’une seule fois dans sa vie, complété par ses fioritures à la James Bond à Hong Kong, et un prix Pullitzer suivit, avec la renommée mondiale. À peine les échos de ces accolades accordées par l’establishment s’étaient-ils mis à s’atténuer qu’il retrouva une place dans les gros titres comme cofondateur d’une nouvelle organisation médiatique internationale visant à pratiquer un journalisme honnête, libre de toute restriction politique, une entreprise soutenue par une promesse de 150 millions de dollars faite pour l’avenir par un multi-milliardaire de la Silicon Valley, intéressé par les intérêts du public. Cela ressemblait vraiment à une histoire de Cendrillon s’achevant sur une fin heureuse, propre à inspirer les générations futures de jeunes journalistes libéraux.
Cependant, l’histoire ne s’est pas arrêtée là. Dans les vieux dessins animés Rocky & Bullwinkle de mon enfance, on voyait toujours une section « Contes de Fée Brisés », qui apportait un récit satirique de ce qui se produisait sans doute une fois le rideau retombé, et au cours de l’année passée, la trajectoire personnelle de Greenwald a connu une embardée inattendue de cette nature. À la fin de l’année 2020, il a violemment claqué la porte de l’empire médiatique anti-censure de bonne taille qu’il avait contribué à édifier, du fait que ses propres écrits se voyaient censurées, et a préféré revenir à ses racines, comme blogueur indépendant sur la nouvelle plateforme Substack.
Pour autant que je puisse en juger, aucune de ses positions idéologiques n’a changé d’un iota au cours des dix dernières années, voire plus, mais les mêmes visions qui l’inscrivirent jadis comme héros conquérant des journalistes libéraux et libéraux-de-gauche l’ont subitement coloré comme toxique et indésirable dans ces mêmes milieux, sa seule emprise restante dans les médias traditionnels étant ses apparitions régulières sur Tucker Carlson Tonight, une émission de Foxnews régulièrement attaquée comme représentant la frange la plus extrême de la droite qui continue d’exister à la télévision. Durant au moins trois générations, les libéraux étasuniens ont considéré nos organes de sécurité nationale — la CIA, la NSA et le FBI — comme faisant partie des pires méchants, ces sentiments d’hostilité atteignant leur sommet il y a quelques années, lorsque Greenwald et Snowden ont révélé l’étendue massive des espionnages pratiqués par la NSA. Pourtant, de nos jours, les anciens dirigeants de la CIA, de la NSA et du FBI sont régulièrement invités et employés par les stations libérales que sont CNN et MSNBC, cependant que Greenwald et Snowden y sont devenus tout à fait indésirables. Nous disposons donc d’une fable qui se termine avec le brave chevalier qui pourfend la belle princesse et qui épouse l’horrible dragon, une tournure des plus inattendues pour les événements.
Le point de rupture pour Greenwald est survenu lors des élections de 2020. Durant les primaires démocrates, les oligarques politiques siégeant au sommet de l’establishment libéral se sont retrouvés confrontés à l’insurrection d’une force inattendue de la part de Bernie Sanders, qui a fait usage de toutes les connivences imaginables pour faire franchir à un Joe Biden très impopulaire la ligne d’arrivée, puis l’a affublé de Kamala Harris, une candidate si peu intéressante qu’elle avait lâché la course à la présidence longtemps avant que le premier scrutin fût tenu dans l’Iowa. Ces arrogants faiseurs de rois démocrates ont alors découvert à leur horreur qu’en dépit de la grande méfiance manifestée par le public envers Donald Trump, les candidats sélectionnés par eux-mêmes relevaient de la même catégorie. Un récit médiatique racial extrêmement malhonnête avait provoqué la plus grande vague d’émeutes urbaines et de pillages constatée en deux générations, et pendant que 200 de nos grandes villes subissaient ces agitations, divers activistes démocrates de premier-plan répondaient aux scènes de chaos et de désordre en proclamant d’une voix forte que la solution consistait à « définancer la police. »
Au vu de ces circonstances, on peut comprendre que de nombreux électeurs se soient mis à se demander si Trump — nonobstant ses quatre années désastreuses au pouvoir — ne pourrait pas après tout constituer le moindre des deux maux. Il s’en est suivi que pour pallier à cette possibilité dangereuse, les grands médias et les grandes entreprises technologiques se sont mis d’accord pour s’assurer que les Étasuniens votent comme on l’attendait de leur part, en imposant la censure politique la plus extrême jamais vue dans toute élection moderne, et pourtant leurs tentatives n’ont pas suffi.
Selon les gros titres des journaux au lendemain des élections, Biden avait remporté la course de 2020 avec une avance substantielle, et les affirmations de Trump dénonçant une élection présidentielle volée représentaient l’ultime preuve de son aliénation mentale, des mensonges patents qui ont en fin de compte amené ses disciples illuminés à envahir le Capitole le 6 janvier. Mais comme je l’avais signalé quelques jours après cet événement, le décompte officiel des voix racontait une toute autre histoire :
Le candidat sortant Donald Trump a perdu l’Arizona, la Géorgie et le Wisconsin d’une marge tellement étroite qu’une bascule de moins de 22,000 électeurs au sein de ces États centraux aurait suffi à le faire réélire. Avec un décompte de 158 bulletins de vote au total, ceci revient à une marge de victoire d’environ 0.01%. Aussi, si aussi peu qu’un électeur étasunien sur 7,000 avait changé d’avis, Trump aurait pu passer quatre années de plus au pouvoir. Un électeur étasunien sur 7,000.
Une victoire aussi exceptionnellement étroite est extrêmement inhabituelle dans l’histoire étasunienne moderne… De fait, à la seule exception de la célèbre décision prise par les « loosers » de Floride lors de l’élection Bush-Gore de l’année 2000, aucun candidat présidentiel n’avait perdu avec une marge aussi étroite que Donald J. Trump en plus de 100 années d’élections présidentielles étasuniennes…
Peu de temps avant les élections, le disque dur d’un ordinateur portable abandonné appartenant à Hunter Biden, le fils de Joe Biden, révéla un gigantesque système de corruption internationale, impliquant plausiblement jusqu’au candidat à la présidence. Mais les faits de ce scandale politique colossal sont restés totalement ignorés et boycottés par la quasi-totalité des organes de presse dominants. Et lorsque le récit en a finalement été publié dans les pages du New York Post, le plus vieux journal des États-Unis, tous les liens amenant à l’article du post et au site web du journal ont subitement été bannis par Twitter, Facebook et d’autres réseaux sociaux pour s’assurer que les électeurs restent ignorants jusqu’à l’expression de leur vote.
Le renommé journaliste international répondant au nom de Glenn Greenwald n’était pas du tout partisan de Trump, mais il s’offusquait de ce que les éditeurs de l’Intercept, la publication à 100 millions de dollars qu’il avait contribué à co-fonder, lui refusait de couvrir ce scandale médiatique massif, et il claqua la porte pour protester. Dans les faits, les médias et géants technologiques étasuniens ont constitué un front commun pour voler les élections et parvenir tant bien que mal à porter le duo bancal Biden/Harris jusqu’à la ligne d’arrivée.
Le scandale de corruption de Hunter Biden aurait semblé très grave dans le cadre de toute élection présidentielle moderne, et la marge de victoire officielle de Biden a été d’à peine 0.01%. Il s’ensuit que si la vérité avait été dévoilée plus tôt aux électeurs étasuniens, Trump aurait presque certainement remporté les élections, possiblement par une victoire écrasante dans le Collège électoral. Au vu de ces faits, quiconque continue de réfuter que les élections ont été volées à Trump se montre purement ridicule.
Quoique Greenwald fût sans doute le plus éminent journaliste libéral à se retrouver censuré et laissé sans domicile idéologique pour être resté fidèle à ses vieux principes, d’autres personnages notables ont connu le même sort. Durant l’effondrement financier d’il y a 10 ans, Matt Taibbi, de Rolling Stone, avait attiré l’attention générale par sa description tranchante de Goldman Sachs, « une grande pieuvre-vampire », et durant ses années en tant que correspondant pour le Moyen-Orient pour le New York Times, Chris Hedges était devenu un héros populaire aux yeux de la Gauche pour ses articles incisifs sur le sort des Palestiniens, et l’ouvrage qu’il publia par la suite vint cimenter cette réputation. Au lendemain du départ fracassant de Greenwald de l’Intercept, ces deux personnes ont passé une demi-heure à condamner le régime sévère d’auto-censure qui était en train d’enserrer de plus en plus le monde du journalisme dominant étasunien, dans le cadre d’une conversation qui se déroula sur la chaîne russe RT, la seule qui pouvait autoriser une telle discussion. Et Taibbi rallia bientôt Greenwald dans l’édification de sa nouvelle demeure sur Substack.
À l’occasion du premier anniversaire de sa frappe personnelle pour la liberté éditoriale, Greenwald publia une chronique très longue et intéressante analysant ce qui s’était produit, y compris un examen des problèmes sous-jacents auxquels il avait été confronté au sein de son propre organe de presse.
Ses difficultés avaient commencé en 2015, avec la montée de Donald Trump, un développement qui avait provoqué une réaction hystérique dans les ailes de l’establishment des deux partis, démocrate et républicain, hystérie qui empira encore fortement après la victoire inattendue en 2016 de Trump sur Hillary Clinton.
Plutôt que s’interroger sur les raisons pour lesquelles leurs politiques étaient devenues si impopulaires, au point qu’un nouveau-venu impétueux qui n’avait rien lésiné sur la publicité pût gagner, les Démocrates de premier-plan se replièrent en position fœtale, adoptèrent l’excuse lunatique selon laquelle le président russe Vladimir Poutine avait manigancé la montée en puissance de Trump, en réussissant le tour de main de surpasser une campagne présidentielle financée à grands coups de milliards à l’aide de quelques milliers de dollars de publicités affichées sur Facebook.
Il n’y avait que les personnes déconnectées de la réalité, ou ne se respectant pas pour avaler de telles absurdités servies aussi abruptement, pour y croire, mais ces conditions incapacitantes s’avérèrent répandues au sein de nos mondes médiatique et politique de l’establishment, et cet étrange récit du Russiagate a continué de dominer les deux premières années de la présidence de Trump, réduisant la politique étasunienne à rester la risée générale. Les journalistes éminents, tel Greenwald, qui avaient refusé de soutenir des absurdités aussi conspirationnistes, et avaient dénoncé le manque absolu d’éléments factuels se sont de plus en plus fait mettre sur la touche, et qualifier d’hérétiques par les organes de presse dominants.
Greenwald a livré une analyse très intéressante de la dynamique interne de sa propre organisation, The Intercept, aussi généreusement financée par son parrain milliardaire, Pierre Omidyar. Nous avons chacun nos propres domaines d’attention et d’expertise, possédons des connaissances solides dans ces domaines tout en restant ignorants et faciles à duper sur les autres domaines. Aussi, si Omidyar comprenait sans doute tout à fait bien la technologie, les affaires et les investissements, il était politiquement peu avancé, et a accepté par conséquent le récit médiatique écrasant selon lequel la Russie, en utilisant Trump comme agent, complotait pour subvertir nos libertés étasuniennes, exactement comme le New York Times, le Washington Post et CNN l’annoncèrent à grand bruit. Au fil des années, j’ai pu avoir quelques contacts avec des personnes très haut placées dans les mondes des affaires et de la finance, et dans la plupart des cas, j’ai observé que leur niveau de compréhension politique était peu ou prou équivalent à celui de votre voisin de palier sympathique, si bien que le récit de Greenwald sonne très juste à mes oreilles.
Les opérateurs politiques rusés sont toujours à la recherche de telles personnes, riches, pensant à l’intérêt général, espérant alléger le poids écrasant de leurs comptes en banque, et Omidyar devint bientôt l’un des principaux financeurs des diverses organisations établies pour sauver notre pays de la menace russe qui montait, y compris les journaux emplis de néo-conservateurs de Bush dont les politiques horribles avaient au départ inspiré le propre journalisme de Greenwald.
Les observateurs extérieurs commencèrent immédiatement à remarquer l’ironie considérable selon laquelle Greenwald était devenu le principal critique des organisations politiques financées par son propre parrain, et se demandaient combien de temps une telle insubordination allait rester tolérée. Il faut porter au crédit personnel énorme de M. Omidyar qu’il a souligné à maintes reprises que les journalistes qu’il soutenait avaient le droit absolu d’adopter tout positionnement qui leur siérait, quand bien même celui-ci contredirait ses propres opinions personnelles, et il ne fit jamais le moindre signe pour amener Greenwald à modérer son franc-parler.
Mais les journalistes vedettes dotés d’une réputation mondiale peuvent désirer prendre des risques professionnels que leurs homologues moins talentueux auraient tendance à fuir, et Greenwald se montra bien moins aimable dans la description du comportement de ses collègues de l’Intercept, surtout le personnel éditorial senior et fort bien payé. Après le départ de Greenwald, son allié Max Blumenthal a tweeté son indignation au vu des salaires injustifiés des bénéficiaires d’Omidyar :
Betsy Reed, de l’Intercept, qui gagne 427,419 $ par an sans produire le moindre travail de journaliste par elle-même, se moque des journalistes indépendants qui dépendent de Substack et de Patreon pour s’en sortir. Tout le monde n’a pas sous la main un milliardaire solitaire prêt à leur verser des sommes importantes pour éditer des trucs que personne ne lit. https://t.co/TdnjrDdinw pic.twitter.com/83FMDhpRgQ
— Max Blumenthal (@MaxBlumenthal) 30 octobre 2020
Les temps sont durs pour la profession de journaliste, avec des salaires au plancher et des licenciements à grande échelle, mais tant qu’Omidyar a continué de financer l’Intercept, les employés du média ont joui d’indemnités somptuaires, de notes de frais généreuses, et d’une sécurité de l’emploi totale, bien que leurs productions peu inspirées n’aient attiré qu’un lectorat extrêmement maigre. Par conséquent, comme l’a expliqué Greenwald, tout ce qu’ils écrivent s’est retrouvé axé sur un seul lecteur, Pierre Omidyar, qui est devenu le dieu de leur univers, et ils se sont naturellement organisés autour de chacun de ses caprices, comme l’a révélé à de multiples reprises son fil Twitter. Si l’essaim de courtiers et de consultants du milliardaire l’avaient persuadé que Trump et la Russie étaient les deux plus grandes menaces envers la liberté étasunienne, les auteurs et les éditeurs qui touchent ses chèques à la fin du mois pouvaient produire une montagne de mots affirmant exactement la même chose. En application d’une autre des métaphores énoncées par Greenwald, ils ont compris qu’ils avaient eu la chance de tirer un billet gagnant au loto Omidyar, et ont travaillé dans la crainte de perdre ce ticket-restaurant en or.
Et bien qu’il soit trop charitable pour l’énoncer, je pense que Greenwald a compris que ses collègues le considèrent comme une menace dangereuse envers leur propre sécurité de l’emploi. Il était de très loin le journaliste le plus éminent payé par Omidyar, et peut-être qu’à un certain stade, le fait qu’il énonce que le Russiagate était de fait un canular ridicule pourrait changer la donne dans l’arène publique. Mais si le milliardaire naïf parvenait au constat qu’il s’est fait duper, il pourrait s’énerver contre les légions de bénis-oui-oui grassement payés qui ont passé des années à construire cette tromperie, et pourquoi pas mettre fin à ses donations généreuses.
Julian Assange et WikiLeaks
Greenwald s’est certes fait expulser vers l’obscurité par la plus grande partie de l’establishment libéral dominant, mais il n’a guère eu à déplorer de dégâts. Son départ fracassant de l’Intercept a déclenché un coup de tonnerre médiatique, et à partir du moment où il a retrouvé sa liberté éditoriale sur Substack, il s’est mis à produire une suite de chroniques longues et remarquablement incisives, si bien qu’en l’espace de deux semaines, je me suis retrouvé à lire davantage d’écrits de sa part qu’au cours des cinq ou six années précédentes. D’autres personnes semblent avoir eu la même réaction, et ses revenus personnels sur Substack ont rapidement dépassé le million de dollars par an, une réussite qui n’a sans doute pas manqué de provoquer une énorme jalousie de la part de la multitude de journalistes timorés et mercenaires, qui se contentent de débiter des âneries inoffensives et prudentes.
Si Greenwald est sans doute monté au plus haut niveau de notoriété mondiale pour un journaliste, il est toujours allé de pair, dans mon esprit, avec l’éditeur le plus célèbre au monde, et ce dernier a subi des dommages bien plus importants, l’année précédente. Le 11 avril 2019, la police britannique s’est emparée physiquement de Julian Assange, barbu et débraillé, depuis la pièce de l’Ambassade d’Équateur à Londres qui avait constitué son refuge-prison au cours des sept années précédentes.
Assange avait fondé le site Wikileaks en 2006, pour permettre aux personnes mécontentes de déposer des informations confidentielles embarrassantes pour les gouvernements et autres entités puissantes, en mettant ces contenus à disposition des journalistes et activistes dans le monde entier. En 2010, un analyste du renseignement étasunien avait apporté un colossal lot de documents et de vidéos sur les guerres en Irak et en Afghanistan, qui avaient propulsé le site web au-devant de la scène mondiale et avaient infligé une énorme défaite en matière de propagande à notre establishment de sécurité nationale. Assange et son petit groupe de collaborateurs volontaires devinrent sur le champ les chantres des libéraux de gauche aux États-Unis et partout dans le monde, salués comme des pionniers du journalisme et des héros. Un soutien public aussi important avait en partie protégé Assange de représailles immédiates, mais les larbins de l’État Profond se mirent à le considérer comme leur ennemi juré, et ils se mirent à chercher un moyen de prendre leur revanche.
Des accusations d’agression sexuelle supposément commises par Assange lors d’une visite en Suède ont amené à son incarcération à la fin de l’année 2010 en Grande-Bretagne, et ses soutiens ont soupçonné à raison que l’ensemble de la manœuvre judiciaire ne constituait qu’un stratagème pour le faire extrader et le faire comparaître aux États-Unis. Confronté à une bataille légale perdue d’avance, il a rompu les termes de sa liberté sous caution en 2012, et a trouvé refuge à l’ambassade locale d’Équateur, dont le gouvernement lui a accordé l’asile. Au fil des années, Greenwald et de nombreux autres ont noté que les publications par Assange de documents confidentiels n’étaient pas différentes des activités normales de journalistes ordinaires, et en 2013, le Département de la Justice des États-Unis reconnut même ce fait, mais notre establishment de sécurité nationale a continué de vouloir en tirer un exemple puissant pour dissuader les autres.
Le paysage politique a considérablement changé en 2016, lorsque Wikileaks a publié un nouveau tombereau d’e-mails issus du parti démocrate, comprenant des révélations sur le fait que la direction du parti avait collaboré avec Hillary Clinton pour mettre Bernie Sanders en échec. Ces éléments confidentiels se sont avérés extrêmement embarrassants pour la campagne de Clinton, car ils ont été publiés au cours des mois précédent l’élection du mois de novembre, et ont probablement contribué à la victoire inopinée de Trump. Il s’en est suivi que les partisans des Démocrates, couplés à l’establishment libéral, se sont mis à considérer Assange comme leur ennemi.
Suite à ces publications, le Parti démocrate a affirmé que ses serveurs avaient été piratés par des espions russes, qui avaient ensuite livré les éléments à Wikileaks pour aider Trump, et ces affirmations devinrent l’un des principaux soutiens du récit du Russiagate qui suivit dans nos médias. La CIA ainsi que d’autres agences de renseignements ont publiquement soutenu cette accusation d’implication russe dans la politique étasunienne, ce qui a constitué une étape importante dans la formation de ce qui est devenu une alliance politique Démocrates/CIA/NSA/FBI hostile à la fois à Trump et à la Russie.
Cependant, diverses personnes associées à Wikileaks ont suggéré un récit différent. Peu après la publication originelle des e-mails, Assange a fortement laissé entendre que loin d’avoir été livrés par des hackers lointains, les éléments avaient été l’objet d’une fuite pratiquée par un employé mécontent du parti démocrate du nom de Seth Rich, qui avait été assassiné peu de temps après, et Wikileaks s’est mis à proposer une prime de 20,000 $ en échange d’informations sur ce meurtre de rue jamais élucidé. Bien que les médias dominants aient dénoncé avec force ces accusations comme une ridicule « théorie du complot », elles ont été reprises par de nombreux activistes de droite et par des partisans de Trump, et les détails de l’affaire constituent une page Wikipédia de 10,000 mots sous le titre « Le Meurtre de Seth Rich », comprenant plus de 150 références.
La controverse est complexe, et comporte des quantités considérables d’affirmations et de contre-allégations, et je n’ai pas consacré ne serait-ce qu’une fraction du temps nécessaire à la dénouer. Mais l’effondrement total de ce qui restait du récit du Russiagate me laisse sceptique sur cette affaire. Qui plus est, Craig Murray, un ancien ambassadeur britannique et proche allié de Wikileaks, m’apparaît dans l’ensemble comme une personne crédible, et en 2016 il a affirmé de sources personnelles que les documents du Parti démocrate avaient fait l’objet d’une fuite de la part d’un lanceur d’alertes démocrate en colère, et non pas piratés par des agents étrangers ; et l’an passé, il a encore souligné la nature très suspecte du meurtre de Rich et les nouveaux éléments montrant que le FBI prend cette théorie au sérieux.
Il nous faut examiner les statistiques et les coïncidences improbables. On a compté 135 homicides à Washington DC cette année-là, et les victimes étaient presque toutes des personnes non-blanches issues des quartiers pauvres de cette ville, ou de son sous-prolétariat criminel. De fait, même si la ville reste dangereuse, je ne serais pas surpris qu’en 2016 Rich ait été le seul blanc issu de la classe moyenne abattu par hasard à Washington en marchant innocemment dans la rue. Le fait qu’il ait travaillé au sein du Parti démocrate et fut un partisan de Sanders s’y connaissant en technologie, mort dans une fusillade de rue non élucidée peu après que les documents provenant de son lieu de travail aient fuité, laisse la place à des soupçons importants. On a dépensé des milliards de dollars pour faire parvenir Hillary Clinton à la Maison-Blanche, et sa victoire aurait découlé sur des milliers d’emplois bien payés et de subventions pour son armée de suiveurs loyaux, et des océans de possible corruption, si bien que le mobile en est puissant. Comme j’en avais émis l’hypothèse plus tôt cette année :
Par ailleurs, je pourrais supposer que Washington DC est un endroit où organiser un meurtre est très aisé, vu qu’avant l’important embourgeoisement que la ville a connu au cours de la décennie passée, il s’agissait de l’une des capitales étasuniennes du meurtre de rue. Il apparaît comme parfaitement plausible qu’un employé junior du parti démocrate est allé prendre un repas quelque part, maudissant sans fin Seth Rich pour avoir trahi son parti, et mis en danger l’élection de Hillary Clinton, et que l’un de ses amis ait pu répondre qu’il connaissait quelqu’un qui serait prêt à « s’occuper du problème » pour mille dollars…
Je devrais également faire mention des conclusions de certains experts éminents en renseignement, dont je considère les opinions avec sérieux. Ray McGovern a été analyste pour la CIA durant plus d’un quart de siècle, spécialisé sur l’Union soviétique, et à la fin des années 1980, il dirigeait le National Intelligence Estimate et briefait en personne le président George H.W. Bush ; William Binney a été officier de renseignement de haut niveau pour la NSA, qui a pris sa retraite en 2001. En 2017, les deux hommes, soutenus par des dizaines d’autres professionnels du renseignement étasunien en retraite, ont émis des avis documentés en faveur de la thèse selon laquelle les documents de Wikileaks avaient été transférés localement à une clé USB, et non pas aspirés par Internet, ce qui suggère que techniquement, la publication de ces documents résulterait d’une fuite plutôt que du piratage énoncé par le récit du Russiagate. On a mis en doute leurs accusations, et les éléments logiciels qu’ils ont avancés ont été remis en cause, mais le fait que des éléments aussi frappants aient été divulgués par ces experts en retraite, tout en restant totalement ignorés par nos médias dominants a démontré l’énorme parti pris de ces derniers sur le sujet.
Qu’Assange ait disséminé les éléments subtilisés au parti démocrate a sans doute contribué à l’élection de Trump au mois de novembre 2016, ce qui a mis en rage les libéraux et les démocrates. Mais à peine quelques mois plus tard, l’hostilité continue de l’appareil de sécurité national des États-Unis a été relancée lorsque Wikileaks s’est mis à publier les documents « Vault 7 » de la CIA, dévoilant les détails techniques des capacités de piratage et les outils logiciels ciblant les téléphones mobiles, les ordinateurs et autres appareils connectés à Internet. Cela a constitué la fuite la plus importante et la plus dévastatrice de l’histoire de la CIA, et la direction de l’organisation a publiquement déclaré Wikileaks comme un service de renseignement hostile, tout en examinant secrètement des projets visant à kidnapper ou assassiner Assange.
Les décideurs politiques du Parti démocrate et nos services de renseignements possèdent chacun une forte dose d’influence sur les médias dominants étasuniens, et comme chacun de ces deux groupes est devenu si fortement hostile aux activités d’Assange, la transformation rapide de son image publique de héros vers le statut de méchant est devenue presque assurée. Nombreux ont été ceux, parmi les journalistes et les publications qui l’avaient encensé, et avaient même tiré parti de sa collaboration directe, qui désormais noircissent régulièrement son nom et ignorent sa détresse.
Le professeur Stephen Cohen et The Nation
L’éclatement soudain d’hostilité intense à l’encontre de la Russie qui a balayé les cercles libéraux au milieu des années 2010 avait précédemment érodé la position d’un autre personnage important, jadis intégré au firmament de la politique étrangère libérale.
Des décennies durant, le professeur Stephen Cohen, de l’université de Princeton et de New York, avait été classé parmi l’un des plus éminents spécialistes étasuniens de la Russie, et sans doute le personnage le plus éminent en la matière dans les cercles de la gauche libérale. Dès les années 1970, ses chroniques Sovieticus étaient apparues de manière régulière dans les pages de The Nation, notre premier magazine d’opinion de gauche, et durant l’ère Gorbatchev et l’effondrement de l’URSS qui suivit, je l’avais souvent vu sur l’émission PBS Newshour, débattant de la politique étasunienne envers l’Union soviétique avec ses homologues conservateurs. Dans le même temps, ses nombreux ouvrages universitaires sur l’histoire russe et soviétique étaient commentés avec respect dans les publications tenues par l’élite dominante. Non seulement Cohen était-il le principal expert sur la Russie au sein de la Gauche étasunienne, mais aucun autre nom d’une stature comparable ne venait à l’esprit quand on en cherchait, et son second mariage, en 1988, avec Katrian vanden Heuvel, qui occupa le poste d’éditeur pour the Nation durant presque un quart de siècle, contribua encore davantage à établir l’impression de son influence.
Cohen avait dévolu l’ensemble de sa carrière à favoriser une relation amiable entre la Russie et les États-Unis. Mais lorsque Victoria Nuland et les autres néo-conservateurs gagnèrent en influence sous l’administration Obama, ils réduisirent ce rêve en morceaux en l’espace d’un instant, en orchestrant début 2014 le violent coup d’État qui a remplacé le gouvernement indépendant de l’Ukraine par un régime de quasi-marionnettes à la solde des États-Unis. Non seulement ce développement a-t-il menacé de faire progresser les limites de l’OTAN jusqu’à la frontière russe, en violation absolue des garanties jadis accordées à Gorbatchev, mais il semblait également que l’Occident s’apprêtait à prendre le contrôle de la Crimée, peuplée de manière écrasante par des Russes, qui héberge la pus importante base navale de la Russie, et seule la réaction rapide de Poutine put contrer ce risque en rattachant la péninsule à son pays au travers d’une annexion. Une guerre civile violente et un mouvement sécessionniste dans le reste de l’Ukraine éclatèrent rapidement, ôtant la vie à des milliers de Russes ethniques au fil des années qui ont suivi, tout en menaçant de manière régulière d’enflammer une guerre à grande échelle entre la Russie et l’Occident.
Bien que ce renversement anti-russe ait semblé attirer un soutien quasi unanime de la part de l’establishment politique et médiatique étasunien, au mois de mai 2014, Cohen et son épouse avaient publié une chronique dans the Nation dénonçant la soudaine éruption de cette nouvelle guerre froide à l’encontre de la Russie. Quelques mois plus tard, le vol 17 de la Malaysian Airlines était abattu au-dessus de l’Est de l’Ukraine, et bien que moi-même comme d’autres ayons souligné l’incertitude qui régnait quant aux responsabilités de cet incident, nos médias se mirent presque tous à accuser les forces pro-russes, condamnant vertement Cohen lorsqu’il exprima ses doutes importants. De fait, sa page Wikipedia catalogue les nombreuses attaques qu’il a subies, allant jusqu’à citer un article du Chronicle of Higher Education affirmant que ses écrits avaient incité les employés de the Nation « à se révolter ouvertement contre le positionnement pro-russe du magazine ». Ces jeunes journalistes axés sur les idées libérales et libérales-de-gauche l’ont condamné pour sa persistance à défendre des politiques rationnelles envers une Russie dont l’énorme arsenal nucléaire serait en mesure d’annihiler notre propre pays. Après les élections de 2016, presque tous les Démocrates adoptèrent joyeusement le canular du Russiagate et l’hostilité envers ceux qui s’y sont refusé est devenue de plus en plus patente. Hormis ses apparitions hebdomadaires dans l’émission radio de John Batchelor, de New York, qui est hébergée par un de ses anciens étudiants, il a été en pratique exclu des médias étasuniens.
Une longue interview menée par Slate en 2017 par Isaac Chotiner est typique de son traitement. L’auteur y exprimait son incrédulité marquée face au fait que Cohen n’accepte pas de manière automatique les affirmations mêlant la Russie, le Russiagate, Trump et Poutine, considérées de manière universelle comme vraies par les médias et au sein des cercles libéraux dominants, et ne comprenant pas qu’un expert disposant de dizaines d’années de recul sur le fonctionnement de ce pays, et capable de lire le russe, puisse récupérer des informations ailleurs qu’aux États-Unis.
Quelques semaines plus tôt à peine, Jim Rutenberg, un chroniqueur du Times avait publié un long article au sein de son propre journal, décrivant sa propre visite à Moscou et sa stupéfaction quant au fait que les médias russes présentent une « vérité alternative » tellement différente de sa propre opinion sur l’idée que le gouvernement syrien, soutenu par la Russie, avait récemment lancé une attaque au gaz mortel contre sa propre population. Plusieurs jours avant la parution de cet article, nous avions publié un article de 6900 mots, rédigé par l’éminent spécialiste en sécurité nationale Theodore A. Postol, du MIT, démystifiant profondément la réalité de cette supposée attaque au gaz par l’État syrien, mais comme aucune vision contraire n’avait jamais pénétré la bulle médiatique de Rutenberg, il n’en avait aucune conscience, et ayant commencé sa carrière journalistique comme chroniqueur de potins, peut-être n’aurait-il en aucun cas su analyser la différence. Donc, Chotiner lisait Rutenberg, et Rutenberg lisait Chotiner, et le culte de l’ignorance incestueux qui en est sorti n’a laissé aucun espace pour la vision divergente des véritables experts comme Cohen ou Postol.
Dans ses éditos il avertissait que la combinaison d’une diabolisation incessante de la Russie de Poutine et de la création de possibles poudrières militaires en Syrie et en Ukraine produisait une situation mondiale extrêmement dangereuse, avertissements qu’il a répété de manière régulière dans ses discussions radiophoniques hebdomadaires. Dans l’une de ses dernières émissions avant son décès du cancer l’an dernier à l’âge de 81 ans, Cohen suggérait que notre confrontation actuelle face à la Russie pourrait être encore plus dangereuse que celle que nous avions connue au plus haut de la crise des missiles cubains, en 1962, et pourtant aucun de nos organes médiatiques insouciants n’a reconnu que les politiques menées par notre gouvernement menaçaient de déclencher une nouvelle guerre mondiale.
Malheureusement, les décisions éditoriales du propre magazine de Cohen peuvent avoir considérablement atténué l’impact de son très important message. L’expert avançait que nos lignes médiatiques et politiques faisaient monter le terrible risque d’une guerre contre la Russie nucléarisée, et pourtant je ne me souviens d’aucun article en page de garde de the Nation soulignant ce danger, et bien que son site internet ait hébergé ses podcasts hebdomadaires, et très occasionnellement ses articles, ces éléments restaient en général enterrés dans l’obscurité pour faire l’objet d’une couverture et d’une discussion au niveau le plus bas possible. Bien que cette attitude défensive ait pu s’avérer nécessaire pour éviter un tollé de la part d’abonnés en colère, le résultat évident en a été de minimiser la gravité du message émis par Cohen. Pourquoi les lecteurs de the Nation auraient-ils dû prendre au sérieux ses graves avertissements sur une guerre mondiale, si les éditeurs du même organe ne le faisaient apparemment pas ? De fait, lorsque je me suis arrangé à la fin de l’année 2019 pour commencer à republier et faire reparaître régulièrement les chroniques et les émissions radios de Cohen, ces éléments ont attiré beaucoup plus d’intérêt et de commentaires de soutien sur notre site qu’ils ne l’avaient fait sur le sien, ce qui démontre les lourds obstacles idéologiques auxquels il avait à faire face au sein de sa propre communauté.
Cohen peut avoir ou non été conscient du parallèle mystérieux entre sa propre impasse et une situation similaire qui s’est déroulée au sein de la même publication aux environs de sa date de naissance, en 1938. Entre 1900 et le milieu des années 1930, the Nation avait appartenu et avait vu sa ligne éditoriale gérée par Oswald Garrison Villard, un nom aujourd’hui tombé dans l’oubli, mais qui fut celui de l’un des personnages libéraux les plus en vue de son époque, cofondateur du NAACP et petit-fils du célèbre abolitionniste William Lloyd Garrison, également classé parmi les principaux anti-impérialistes et anti-militaristes étasuniens. Son père avait été un immigré allemand, et lorsqu’il publia des écrits critiquant l’implication étasunienne dans la première guerre mondiale, son magazine fut supprimé par voie judiciaire par les lois de censure de l’époque, qui en interdirent la distribution par courrier. Mais au milieu des années 1920, la majorité écrasante de l’élite et des Étasuniens ordinaires avait rallié sa position, et conclu que son opposition à la Grande Guerre avait été le positionnement correct depuis le début.
Bien qu’il finît par vendre the Nation en 1935, durant les creux de la Grande Dépression, le magazine qu’il avait géré durant plus de trois décennies continua de faire paraître son commentaire hebdomadaire, soutenant fermement les politiques du New Deal de Franklin D. Roosevelt, et critiquant fortement Hitler et les nazis. Mais en approchant de la fin des années 1930, il s’alarma du fait qu’une autre guerre mondiale se présentait à l’horizon, impliquant une fois de plus les États-Unis, et ses visions anti-guerre se mirent à diverger fortement de celles des autres auteurs, si bien que sa chronique étalée sur des décennies connut un point d’arrêt en 1940. Changer le cours d’une marée montante idéologique s’était avéré tout aussi difficile pour Villard à la fin des années 1930 que cela le fut pour Cohen trois générations plus tard.
Sydney Schanberg, John McCain, et les prisonniers de guerre du Vietnam
Les âpres avertissements émis par Cohen au sujet des politiques étasuniennes anti-Russie n’eurent qu’une très faible empreinte sur le débat public, en partie du fait que le placement peu alléchant de ses articles avait fortement diminué leur impact. Il y a environ dix années, j’ai rencontré un exemple très similaire, impliquant également the Nation :
Lauréat du prix Pulitzer et de deux prix George Polk, on considérait généralement feu Syney Schanberg comme l’un des plus grands correspondants de guerre du XXème siècle. Ses exploits au cours de notre funeste guerre d’Indochine étaient devenus le fondement du film primé aux Oscars « La Déchirure », qui l’établit sans doute comme journaliste le plus célèbre des États-Unis après Woodward et Bernstein qui avaient mis au jour le Watergate, et devint également l’un des principaux éditeurs du New York Times. Il y a une dizaine d’années, il a publié son plus grand exposé, livrant une montagne d’éléments établissant que les États-Unis avaient délibérément laissé en arrière des centaines de prisonniers de guerre au Vietnam, et il pointa du doigt John McCain, alors candidat à la présidence, comme personnage central de la dissimulation de cette trahison monstrueuse. Le sénateur de l’Arizona avait profité de sa réputation nationale d’ancien prisonnier de guerre le plus célèbre pour enterrer le récit de ces prisonniers abandonnés, pour épargner de graves embarras à l’establishment politique étasunien. Il s’ensuivit que le sénateur McCain reçut des récompenses à foison de la part de nos généreuses élites dirigeantes, à l’instar de son père, l’amiral John S. McCain Sr., qui avait assuré la mise sous le boisseau de l’attaque délibérée menée par Israël en 1967 contre l’U.S.S. Liberty, attaque qui tua ou blessa plus de 200 marins étasuniens.
En tant qu’éditeur de The American Conservative, j’avais fait paraître le remarquable article produit par Schanberg en première page, et sur plusieurs sites internets au fil des années ; cet article a sans doute été lu plusieurs centaines de milliers de fois, avec un fort pic de nombre de lecture au moment de la mort de McCain. Je trouve par conséquent assez difficile de croire que les nombreux journalistes ayant enquêté sur le passif de McCain aient pu rester dans l’ignorance de ces éléments. Pourtant, aucun indice de ces faits ne fut publié dans aucun des articles apparaissant dans n’importe quel organe de presse de premier-plan, comme on peut le vérifier en tapant « McCain and Schanberg » dans un moteur de recherche et en considérant les pages web datées des environs de la date du décès du sénateur.
Les éléments remarquables produits par Schanberg ont probablement constitué l’un des plus grands scandales étasuniens de la seconde moitié du XXème siècle, mais malgré ses efforts répétés, ce sont presque tous nos médias qui ont évité de traiter l’information. Comme il l’a raconté en 2010 :
Au cours des années récentes, j’ai proposé mes récits sur les prisonniers de guerre à une longue liste d’éditeurs de journaux, magazines, ainsi que divers sites web de premier plan qui pratiquent le véritable reportage. Et lorsqu’ils ont décliné mes propositions, je les ai exhortés à mener leur propre enquête sur les prisonniers de guerre avec leur propre personnel, sous leur propre supervision.
La liste de ces organisations comprend le New York Times, le Washington Post, le Los Angeles Times, le magazine New York, l’Atlantic, le New Yorker, Harper’s, Rolling Stone, Mother Jones, Vanity Fair, Salon, Slate, Talking Points Memo, ProPublica, Politico, et d’autres. À ma connaissance, aucun n’a tenté ou réussi à produire un article.
Leurs explications pour éviter l’article n’ont jamais sonné juste. J’ai choisi de ne pas divulguer les noms des éditeurs ni les textes qu’ils ont livré pour rejeter ma proposition, car cela pourrait embarrasser certains d’entre eux. Il ne s’agit pas d’un différend personnel, mais professionnel. J’ai plutôt décidé de résumer ici leurs commentaires.
Certains ont affirmé manquer de personnel pour couvrir l’histoire. D’autres ont affirmé que le récit était « ancien » — alors que nous n’avons jamais su ce qui était arrivé aux prisonniers disparus. J’ai souvent ressenti que ces personnes du monde de l’information avaient peur — que le récit était trop gros pour eux parce qu’il pourrait provoquer trop de répercussions. Les journalistes ne sont-ils pas censés s’occuper des histoires difficiles et des méfaits commis par des personnages importants ? Ne sont-ils pas supposés s’attendre à des répercussions ?
J’ai interrogé ces éditeurs au sujet de la montagne de preuves établies attestant de l’existence d’hommes abandonnés. En particulier, au sujet des preuves rapportées par des témoins, les 1600 premières observations de prisonniers étasuniens encore en vie à la fin de la guerre. Ces journalistes pensaient-ils que chacun des 1600 témoins mentait ou se trompait ? Nombre de ces témoins vietnamiens avaient été interrogés par des officiers étasuniens de renseignement. On avait fait passer nombre d’entre eux au détecteur de mensonge. Ils avaient réussi le test. Les rapports des interrogateurs qualifiaient le plus gros de ces témoins de « crédibles ». Quelques-uns des journalistes que j’ai encouragés à creuser le récit ont reconnu que leur journal, leur magazine ou leur réseau télévisé maintient des « trous noirs ». Mais à maintes reprises, la vaste majorité d’entre eux se sont raclé la gorge, ont hésité, et ont affirmé avoir des « doutes » au sujet des informations relatives aux prisonniers de guerre. La pratique du journalisme n’est-elle pas la meilleure manière de confirmer ou d’infirmer des doutes ?
Je pourrais parcourir toute la longue gamme des interceptions radios connues des services de renseignements mentionnant des déplacements de prisonniers vers et depuis des camps de travail au Laos, des photos satellites, des conversations interceptées par des agents des services secrets au sein même de la Maison-Blanche, des rançons versées depuis Hanoï en passant par des mandataires, des témoignages sous serment réalisés par trois secrétaires à la défense des États-Unis ayant fait partie des services durant l’ère du Vietnam affirmant que « des hommes ont été laissés derrière ». La presse n’était pas, et n’est pas intéressée.
Le sénateur John McCain avait constitué un personnage central de la dissimulation de cette affaire des prisonniers de guerre, et sa nomination comme candidat républicain pour les élections de 2008 semblait rendre impossible aux médias la tâche d’ignorer les remarquables découvertes faites par Schanberg, comme je l’ai expliqué dans mon introduction à notre symposium sur la dissimulation :
Au cours des derniers jours de la campagne présidentielle de 2008, j’ai cliqué sur un lien ambigu, mis à disposition sur un site web obscur, et je suis tombé dans un univers parallèle.
Au cours des deux années précédentes, durant ce long cycle électoral, les récits médiatiques autour du sénateur John McCain avaient décrit un héroïsme sans tache et une dévotion désintéressée à ses camarades soldats. Des milliers de récits étaient passés à la télévision et dans la presse, faisant mention de la torture brutale qu’il avait subie de la part de ses geôliers du Nord-Vietnam, de son refus catégorique de craquer, et de sa carrière politique visant à répondre aux besoins des camarades vétérans du Vietnam. Cette ligne narrative avait commencé par parvenir au stade national durant sa campagne de 2000, puis était revenue avec une force plus importante encore lorsqu’il avait visé la nomination comme candidat républicain pour 2008. Apparemment acceptée par tous, cette histoire était devenue la pièce centrale de sa campagne. Les soutiens de McCain faisaient l’article de son héroïsme comme preuve qu’il possédait le caractère propre à mériter la confiance du peuple étasunien, alors que ses détracteurs ne faisaient que changer de sujet.
Après que j’ai cliqué sur ce lien, j’ai découvert un John McCain très différent…
Pourtant, ce que j’ai trouvé de plus remarquable dans l’essai de Schanberg n’a pas été ses affirmations historiques explosives, mais le silence absolu avec lequel elles ont été reçues par les médias dominants. En 2008, les faits de guerre héroïques de John McCain et son patriotisme personnel étaient au centre de sa quête pour le pouvoir suprême — un objectif qu’il faillit bien atteindre. Mais lorsque l’un des journalistes les plus éminents des États-Unis publia un rapport complet affirmant que le candidat s’était en réalité prêté à une action monumentale de trahison nationale, nos médias n’en tinrent aucun compte. Les critiques publiques de McCain et les responsables de son opposant démocrate pouvaient se saisir goulûment de chaque rumeur selon laquelle le sénateur avait partagé un déjeuner privé avec un lobbyiste notoire, mais ils ne s’intéressèrent pas aux affirmations documentées selon lesquelles il avait couvert le meurtre de milliers de prisonniers de guerre étasuniens. Ces allégations étaient assez graves et suffisamment documentées pour assurer une attention nationale — et pourtant elles n’en reçurent aucune.
En dépit de l’énorme pertinence du sujet vis-à-vis de la campagne présidentielle républicaine de 2008, ce fut presque la totalité des publications des États-Unis qui continuèrent de fermer les portes aux éléments explosifs énoncés par Schanberg. The Nation, en tant que magazine très idéologisé et partisan, ne figurait pas du tout parmi les médias de choix de Schanberg, mais ses éditeurs furent les seuls à accepter de publier l’exposé massif construit par ce dernier contre le candidat républicain, qu’ils s’employaient à attaquer sur tous les fronts possibles. Cependant, une fois qu’ils l’eurent accepté, ils s’assirent sur le récit et repoussèrent sans fin sa date de publication, semble-t-il par crainte des controverses que l’article pourrait déclencher, tout en demandant de manière répétée que l’auteur pratiquât des coupes dans son texte. Par conséquent, l’exposé monumental construit par Schanberg ne parut que sous une forme fortement mutilée, coupé de 70% de son contenu, et ne fut publié que quelques semaines avant les élections. L’article était enterré sur deux pages au milieu du magazine, alors que la version publiée sur le site web était biaisée par les clauses de non-responsabilité énonçant des perspectives opposées.
En publiant cet article d’une manière aussi atténuée et sous-estimée, les éditeurs de the Nation suggéraient fortement qu’ils entretenaient eux-mêmes des doutes quant à ses conclusions, ce qui posait naturellement la question de savoir pourquoi quelques lecteurs devraient réagir différemment. Je pense qu’un article présentant des implications aussi importantes devrait ou bien paraître en première page ou bien être rejeté entièrement. Et pour la postérité, je note également que le rédacteur en chef de the Nation de l’époque était la même Betsy Reed, qui allait traiter Greenwald et ses alliés avec un tel mépris, depuis son poste à l’Intercept, douze années plus tard. La version complète du travail de Schanberg n’a survécu que parce que Hamilton Fish décida de la publier à titre séparé sur son site affilié Nation Institute, et c’est là que j’ai pu en prendre connaissance et par la suite préparer sa republication.
Nicholas Wade et les origines du Covid
Quelque douze années après que Schanberg a rencontré des obstacles aussi colossaux à faire publier son travail important, des difficultés similaires se sont imposées à ses anciens collègues du Times, mais cette fois-ci les choses se retournèrent de manière surprenante au final.
Nicholas Wade figure assurément parmi les journalistes scientifiques les plus distingués des États-Unis, après avoir passé quarante-cinq années à Nature, Science et au New York Times, et tenant lieu de rédacteur scientifique pour notre journal national des records. Il s’agit également d’un auteur à succès, dont de nombreux ouvrages ont attiré les louanges les plus rayonnantes.
Après avoir pris sa retraite du Times en 2012, il s’est mis à centrer son attention entièrement sur des projets de livres, mais l’épidémie mondiale de Covid qui a commencé au début de l’année 2020 a naturellement attiré son attention, et il est peu à peu devenu sceptique vis-à-vis du traitement de celle-ci par les médias, qui dépeignaient de manière presque unanime le virus comme étant d’origine naturelle. De son côté, l’examen qu’il porta aux sources publiées, couplé à ses propres analyses, le convainquirent que le virus qui avait déjà tué plusieurs centaines de milliers d’Étasuniens et des millions de personnes dans le monde avait probablement été produit dans un laboratoire. En fin de compte, le 2 mai 2021, il publia sans bruit un article de 11,000 mots, soigneusement étayé, sur le blog Medium, sans soutien et sans imprimatur de prestige, et l’article fut repris quelques jours plus tard par le site web peu visité Bulletin of Atomic Scientists :
Les origines du Covid — à la poursuite des indices
Sont-ce des gens ou bien la nature qui ont ouvert la boîte de Pandore à Wuhan ?
Nicholas Wade • Medium • 2 mai 2021 • 11,000 mots
Voici la description que j’ai faite de ce qui a suivi :
En dépit de débuts extrêmement peu favorables et le ton prudent et feutré adopté par son texte, les conséquences en furent dramatiques. Quoique presque tous les faits et éléments discutés par Wade aient été disponibles publiquement durant la plus grande partie de l’année passée, son analyse soignée et sa considérable crédibilité journalistique transformèrent rapidement le paysage intellectuel. Il commençait son long article en expliquant qu’à partir du mois de février 2020, une énorme bulle idéologique avait été gonflée par la propagande politique se faisant passer pour de la science, une bulle qui fut maintenue par la suite au travers d’une combinaison de lâcheté et d’incompétence de la part des journalistes. Le président Donald Trump avait proclamé que le virus était artificiel, si bien que nos médias avaient insisté sur le fait qu’il devait être naturel, quand bien même tous les éléments semblaient suggérer le contraire.
Les vannes s’ouvrirent rapidement, et en l’espace de quelques semaines, on écrivit beaucoup plus à ce sujet que durant les douze mois précédents combinés. Au travers d’un seul exemple, Donald G. McNeil, Jr., le vétéran du Times qui avait mené la couverture par son journal du Covid, publia un mea culpa frappant et fit sienne l’hypothèse de la fuite hors d’un laboratoire, reconnaissant que lui-même et d’autres collègues du Times avaient commencé par rejeter l’idée comme une folie d’« extrême droite », étroitement associées au « Pizzagate, la Plandémie, le Kung Flu, Q-Anon, Stop the Steal, et l’invasion du Capitole du 6 janvier ».
Comment j’en suis venu à ne plus m’inquiéter et à adopter la théorie de la fuite hors du laboratoire
Donald G. McNeil, Jr. • Medium • 17 mai 2021 • 4,700 mots
Une semaine plus tard, Glenn Greenwald soulignait la révolte en cours dans les visions entretenues par l’establishment médiatique et scientifique des États-Unis :
Il est frappant de voir à quelle rapidité, dans les secteurs dominants, ce sujet s’est transformé d’une « théorie du complot folle et déséquilibrée qu’il faut bannir de l’internet car relevant de l’information dangereuse » à « une possibilité sérieuse et plausible en faveur de laquelle des éléments rationnels existent. »
Nous avons des enseignements à en tirer. https://t.co/aPnY0JLRJX
— Glenn Greenwald (@ggreenwald) 25 mai 2021
Le 26 mai, la Maison-Blanche annonçait que le président Joe Biden avait ordonné aux agences de renseignement des États-Unis de produire un rapport complet sur les véritables origines de l’épidémie de Covid, et quelques jours plus tard, le Wall Street Journal publiait en gros titre : « Facebook met fin à la censure des publications affirmant que le Covid-19 a été créé par l’homme« . Voici qu’en l’espace de moins d’un mois, un article auto-publié venait de modifier ce que presque trois milliards de personnes dans le monde avaient le droit de lire et d’écrire.
Un analyste des médias a décrit par la suite l’impact frappant que l’article de Wade avait produit sur les autres journalistes :
Des journalistes notables de gauche comme Thomas Frank (Guardian, 1er juin 2021) et Jonathan Cook (1er juin 2021) ont cité l’article de Wade comme ayant « dynamité » leur « suffisance » dans le débat, Cook affirmant que l’article « a fait voler en éclats les portes qui avaient été conservées soigneusement fermées sur l’hypothèse de la fuite hors d’un laboratoire. »
Au vu des millions de morts et du raffut massif par elle provoquée, on peut penser que l’épidémie de Covid constitue l’événement global le plus important depuis la seconde guerre mondiale. Le long article publié par Wade ne fut sans doute pas la seule cause de la grande réévaluation des origines du virus, mais il a catalysé le processus, largement cité par des meneurs d’opinion pour expliquer leur changement de perspective. Au vu de l’importance du sujet, de la magnitude du renversement d’opinion publique, et de la vitesse à laquelle la transformation s’est produite, il ne me vient à l’esprit aucun autre article au cours des décennies passées à avoir eu un impact immédiat plus important sur le monde.
Mais il existe également un récit antérieur à la parution de cet article. J’ai appris sur le tard qu’au cours de l’année 2021, Wade avait bel et bien soumis son article précurseur à une vaste gamme de publications, sur l’ensemble du spectre idéologique, et que toutes l’avaient rejeté, si bien qu’il avait fini par abandonner l’idée et avait simplement posté ce qu’il avait produit sur le site web Medium, en supposant que l’article disparaîtrait sans laisser de trace. Ainsi, les obstacles auxquels Wade s’est trouvé confronté ressemblaient fortement à ceux qu’avait rencontrés Schanberg dix années plus tôt avec sa propre analyse importante, sauf que cette fois-ci, les événements ont suivi le script d’une fin heureuse à la Hollywood. Apparemment, les articles les plus significatifs produits par les journalistes les plus distingués peuvent également être ceux qui rencontrent la résistance la plus importante de la part d’éditeurs timorés et suffisants.
Le lieutenant-général William Odom et la guerre en Irak
La version ratiboisée de l’important article produit par Schanberg avait paru dans l’édition du 6 octobre 2008 de The Nation, profondément enterrée dans les dernières pages. À cette période, je ne connaissais absolument ni l’auteur, ni ses découvertes remarquables, mais par coïncidence, la semaine précédente, je venais de publier mon premier article en plusieurs années, un article de première page pour l’American Conservative qui rendait hommage à une personne dont la détermination toute aussi pleine à dire la vérité sur des sujets très importants avait amené à sa mise sur liste noire par les médias dominants.
Mon vieil ami Bill Odom, le général trois étoiles qui avait dirigé la NSA sous Ronald Reagan, avait passé des années comme l’une des personnalités les plus respectées en matière de sécurité nationale au sein de l’establishment de la Côte Est, dirigeant les études du Hudson Institute tout en jouant le rôle d’assistant professeur à Yale. Mais une fois que les néo-conservateurs eurent pris le contrôle de l’administration Bush, au lendemain des attaques du 11 septembre, et mis en branle notre pays en direction de la désastreuse guerre en Irak, sa forte opposition à ce projet mal conçu a amené à sa mise sur liste noire absolue par les médias, le contraignant à publier ses opinions dissidentes sur un petit site internet en lieu et place des pages de nos journaux les plus influents. Par conséquent, notre pays se précipita vers le désastre de politique étrangère sans débat public adéquat :
Les circonstances entourant notre guerre en Irak démontrent ce point, et la classent sans doute parmi les conflits militaires les plus étranges des temps modernes. Les attaques lancées contre les États-Unis en 2001 furent rapidement imputées aux islamistes radicaux d’al-Qaeda, dont l’ennemi le plus acharné de tout le Moyen-Orient avait toujours été le régime baathiste et profane de Saddam Hussein en Irak.
Pourtant, en usant de déclarations publiques trompeuses, de fausses fuites dans la presse, et mêmes des preuves fabriquées comme les documents du « yellowcake », l’administration Bush et ses alliés néo-conservateurs ont utilisé les médias étasuniens obéissants pour persuader nos citoyens que les armes de destruction massives inexistantes de l’Irak constituaient une menace nationale fatale, et qu’il fallait les éliminer par la guerre et l’invasion. De fait, durant plusieurs années, les sondages nationaux ont montré qu’une vaste majorité de conservateurs et de Républicains croyaient réellement que Saddam était le cerveau derrière le 11 septembre, et que la guerre en Irak était menée en châtiment. Imaginez à quel point l’histoire des années 1940 serait étrange si les États-Unis avaient attaqué la Chine en représailles pour Pearl Harbor.
Les faits réels étaient facilement trouvables pour quiconque prêtait attention au sujet dans les années suivant 2001, mais la plupart des Étasuniens ne s’ennuient pas à faire des recherches et tirent simplement leur compréhension du monde de ce que les médias dominants leur en disent, médias qui, de manière écrasante et quasiment unanime, soutenaient la guerre contre l’Irak ; ce sont les chroniqueurs télévisés qui ont créé notre réalité. Sur tout le spectre médiatique s’étalant des libéraux aux conservateurs, les journalistes de premier plan s’empressaient de publier les mensonges les plus ridicules et les déformations reçues par des sources anonymes, et ont poussé le Congrès sur le sentier de la guerre.
Le résultat en a été ce que feu mon ami le lieutenant-général Bill Odom a dénoncé à raison comme « le pire désastre stratégique de toute l’histoire des États-Unis. » Les armées étasuniennes ont subi des milliers de morts et blessures inutiles, cependant que notre pays faisait un grand pas en avant vers la faillite nationale. Joseph Stiglitz, le prix Nobel d’économie, et d’autres, ont estimé qu’en prenant en compte les intérêts, le coût total à long terme de nos deux récentes guerres peuvent atteindre la somme astronomique de 5 ou 6 000 milliards de dollars, soit 50,000 $ par ménage étasunien, une dette qui pour l’instant reste en grande partie à rembourser. Dans le même temps, l’économiste Edward Wolff a calculé que la grande récession et ses retombées ont fait baisser le revenu net du ménage étasunien moyen à 57,000 $ en 2010, alors qu’il était établi à un montant presque deux fois supérieur trois années plus tôt. Si l’on compare ces actifs et ces passifs, on constate que la classe moyenne étasunienne se trouve désormais à la limite de l’insolvabilité, dont la cause principale est nos guerres à l’étranger.
Mais parmi ceux qui nous plongèrent dans cette débâcle, aucun n’eut à en subir de grave conséquence, et la plupart des mêmes hommes politiques de premier plan et de personnages médiatiques très bien payés qui en ont été responsables restent à ce jour tout aussi éminents, et toujours aussi bien payés. Aux yeux des Étasuniens, la réalité est ce que nos organes médiatiques nous en laissent voir, et puisque ces derniers ont absolument ignoré les faits et les conséquences néfastes de nos guerres au cours des années passées, le peuple étasunien a simplement oublié ces éléments. Des sondages récents montrent que parmi le grand public, de nos jours, seulement la moitié des gens estiment que la guerre en Irak était une erreur.
L’auteur James Bovard a décrit notre société comme une « démocratie en déficit d’attention, » et la vitesse à laquelle les événements importants sont oubliés une fois que les médias cessent de les présenter pourrait surprendre George Orwell.
Et Odom n’a été que l’un des nombreux à avoir subi ce destin, comme je l’ai rapporté il y a quelques années :
Au sein de la ferveur patriotique qui a suivi les attaques du 11 septembre, peu de personnages médiatiques de stature nationale ont osé remettre en cause les plans et les propositions de l’administration Bush, à la rare exception de la chronique de Paul Krugman dans le Times ; exprimer des « sentiments anti-patriotes », comme cela était décrit de manière très répandue, pouvait fortement impacter le déroulement d’une carrière. Cela a été particulièrement le cas des médias électroniques, avec leur portée tellement importante, et par conséquent leur exposition aux pressions les plus extrêmes. Durant les années 2002 et 2003, il était très peu courant de voir des opposants à la guerre en Irak sur le moindre réseau télévisé ou parmi les alternatives câblées émergentes, et mêmes MSNBC, le moins populaire et le plus libéral de ces réseaux câblés, a rapidement adopté des mesures de répressions idéologiques sévères.
Des décennies durant, Phil Donahue avait posé les fondements du talk show quotidien à la télévision, et en 2002, il le remit au goût du jour, au bénéfice des audiences de MSNBC, mais début 2003, son émission fut annulée, et un mémo fuita indiquant que son opposition à la guerre imminente en était la raison. Pat Buchanan le conservateur et Bill Press le libéral, deux critiques de la guerre en Irak, animaient une émission de débats sur le même réseau, ce qui leur permettait de se confronter avec leurs opposants favorables à Bush, mais leur émission fut elle aussi annulée, pour des raisons similaires. Si les invités les plus célèbres et les programmes les plus côtés du réseau câblé ont été sujets à de telles annulations sommaires, les personnalités moins bien cotées en ont sans nul doute tiré les conclusions qui s’imposaient quant aux risques de franchir certaines lignes idéologiques.
La grande purge étasunienne des années 1940
Quoique l’internet fût encore à ses balbutiements lors des années ayant suivi le 11 septembre, et ne disposât pas du poids politique des télévisions et journaux traditionnels, ce média existait, si bien que les individus ayant subi une purge du fait de leurs opinions politiques pouvaient faire connaître leur point de vue, ou au moins expliquer ce qui leur était arrivé. Mais au cours des générations précédentes, aucun moyen de communication de cette nature n’était disponible, et les voix dissidentes ne faisaient que disparaître, seuls quelques membres du public éduqué pouvant savoir ce qui s’était produit.
Même les Étasuniens les mieux informés ont sans doute passé leur vie dans une ignorance considérable au sujet de certaines des grandes purges idéologiques de l’histoire du XXème siècle dans leur propre pays, surtout celle du début des années 1940 et de la seconde guerre mondiale. Il y a une vingtaine d’années, j’entamai l’édification d’un système de contenu numérisé comprenant les archives presque complètes de nombreux de nos journaux périodiques sur les 150 dernières années, et l’échelle de ces événements passés m’est rapidement apparue, comme je l’ai décrite :
Je me suis parfois imaginé un peu comme un jeune chercheur soviétique sincère des années 1970, qui se serait mis à creuser dans les fichiers moisis d’archives du Kremlin tombées depuis longtemps dans l’oubli, et j’ai réalisé des découvertes stupéfiantes. Trostky n’était apparemment pas le célèbre espion et traître nazi dont le portrait est fait dans tous les manuels, mais avait été la main droite du saint Lénine lui-même durant les jours glorieux de la grande Révolution bolchevique, et durant les années qui suivirent, il était resté aux premières places de l’élite du Parti. Et qui étaient ces autres personnages — Zinoviev, Kamenev, Bukharin, Rykov — qui avaient également passé des années au plus haut de la hiérarchie communiste ? Dans les cours d’histoire, on ne trouvait guère que quelques mentions d’eux, décrits comme des agents mineurs du capitalisme qui avaient été rapidement démasqués et avaient payé de leur vie leur traîtrise. Comment le grand Lénine, père de la Révolution, avait-il pu se montrer idiot au point de ne s’entourer presque exclusivement que de traîtres et d’espions ?
Mais contrairement à leurs homologues staliniens les ayant précédés de quelques années, les victimes étasuniennes qui ont disparu aux environ de 1940 ne furent ni abattues, ni mises au goulag, mais simplement exclues des médias dominants qui définissent notre réalité, expulsés ainsi de notre mémoire, si bien que les générations à suivre oublieraient peu à peu qu’ils avaient même jamais vécu.
Un exemple éminent d’une telle « disparition » d’un Étasunien fut le journaliste John T. Flynn, sans doute presque entièrement tombé dans l’oubli de nos jours, mais dont la stature fut jadis colossale. Comme je l’ai écrit l’an passé :
Imaginez donc ma surprise lorsque j’ai découvert qu’au cours des années 1930, il avait été l’une des quelques voix libérales les plus influentes dans la société étasunienne, un auteur sur les sujets économiques et politiques dont le statut aurait pu être comparé à celui de Paul Krugman, quoique fortement enclin à remuer la gadoue. Sa chronique hebdomadaire dans le New Republic lui permit de tenir lieu de fil directeur pour les élites progressistes, et ses apparitions régulières dans Colliers, un hebdomadaire illustré acheté par millions par les Étasuniens, ce qui lui accordait une diffusion comparable à celle d’une personnalité majeure de la télévision à l’âge d’or des réseaux télévisuels.
Dans une certaine mesure, on peut mesurer objectivement l’influence qu’avait Flynn. Il y a quelques années, je me suis pris à faire mention de son nom à une libérale très lue et engagée, née dans les années 1930, et sans surprise elle ne vit pas du tout de qui je parlais mais se demanda s’il avait pu ressembler un tant soit peu à Walter Lippmann, le très célèbre chroniqueur de cette période. Lorsque j’ai vérifié, j’ai constaté que parmi les centaines de périodiques archivés dans mon système de conservation, on comptait à peine 23 articles de Lippmann pour la période des années 1930, contre 489 pour Flynn.
Un parallèle étasunien encore plus fort à Taylor peut être tracé avec l’historien Harry Elmer Barnes, un personnage qui m’est presque totalement inconnu, mais qui a été à son époque l’un des universitaires les plus influents et installés :
Imaginez ma surprise en découvrant par la suite que Barnes avait en réalité été l’un des premiers et les plus assidus collaborateurs de Foreign Affairs, l’un des principaux relecteurs de livres pour cette vénérable publication dès sa fondation en 1922, alors que sa stature de tout premier plan parmi les universitaires libéraux était indiquée par son nombre d’apparitions dans The Nation ainsi que dans The New Republic durant toute cette décennie. De fait, on lui attribue d’avoir joué un rôle central dans la « révision » de l’histoire de la première guerre mondiale, en faisant tomber l’image d’Épinal de l’indicible méchanceté allemande laissée par la propagande de guerre malhonnête produite par les gouvernements britannique et étasunien. Et sa stature professionnelle a été démontrée par ses trente-cinq livres, voire plus, dont nombre furent des ouvrages académiques influents, ainsi que par ses nombreux articles pour l’American Historical Review, le Political Science Quaterly, et d’autres journaux de premier plan.
Il y a quelques années, j’ai fait mention de Barnes à un éminent universitaire étasunien, dont l’intérêt général en science politique et en politique étrangère était relativement similaire, et pourtant son nom ne lui disait rien. À la fin des années 1930, Barnes était devenu un critique de premier ordre de l’implication proposée des États-Unis dans la seconde guerre mondiale, et il fut « effacé » de manière permanente en conséquence de ce positionnement, supprimé de tous les organes de presse dominants, cependant que de fortes pressions furent exercées au mois de mai 1940 sur une chaîne de journaux majeure pour qu’elle mît fin soudainement à sa chronique établie depuis longtemps.
Nombre des amis et alliés de Barnes tombèrent lors de cette même purge idéologique, chose qu’il a décrite dans ses propres écrits, et qui a perduré après la fin de la guerre :
Plus d’une décennie après sa disparition de nos médias nationaux, Barnes parvint à publier La Guerre Perpétuelle pour une Paix Perpétuelle, un assemblage d’essais écrits par des universitaires et d’autres experts discutant les circonstances de l’entrée en guerre des États-Unis dans la seconde guerre mondiale, et le fit produire et distribuer par un petit imprimeur de l’Idaho. sa propre contribution en fut un essai de 30,000 mots intitulé « Révisionnisme et censure historique« , décrivant les obstacles colossaux subis par les penseurs dissidents de cette période.
L’ouvrage lui-même était dédié à la mémoire de son ami, l’historien Charles A. Beard. Depuis les premières années du XXème siècle, Beard s’était classé comme personnalité intellectuelle le plus grand et le plus influent, cofondateur de la New School de New York, et ayant occupé le poste de président de l’American Historical Association ainsi que de l’American Political Science Association. Lorsqu’il soutint les politiques économiques du New Deal, il fut applaudi de manière écrasante pour ses opinions.
Pourtant, dès qu’il se déclara opposé à la politique étrangère belliqueuse menée par Roosevelt, les éditeurs lui fermèrent leur porte, et seule son amitié personnelle avec le dirigeant de la Yale University Press permit la parution de son volume critique paru en 1948, Roosevelt and the Coming of the Wat, 1941. La réputation au firmament de Beard sembla prendre une trajectoire de déclin rapide à partir de ce stade, si bien qu’en 1968, l’historien Richard Hofstadter put écrire : « De nos jours, la réputation de Beard gît comme une ruine imposante dans le paysage de l’historiographie étasunienne. Ce qui fut jadis la plus grande maison de la province est désormais une survie ravagée ». De fait, l’« interprétation économique de l’histoire » jadis dominante qui fut celle de Beard pourrait de nos jours presque être rejetée comme promouvant « de dangereuses théories du complot », et je soupçonne que le nombre de personnes hors du cercle des historiens à jamais avoir entendu parler de lui est très faible.
Un autre contributeur majeur au volume de Barnes fut William Henry Chamberlin, qui était resté des décennies durant parmi les premiers journalistes en politique étrangère des États-Unis, avec plus de quinze ouvrages à son crédit, dont la plupart avaient été largement et favorablement commentés. Pourtant, America’s Second Crusade, son analyse critique parue en 1950 de l’entrée des États-Unis dans la seconde guerre mondiale, ne trouva pas d’éditeur parmi les grands, et lorsque cet ouvrage paru, il fut largement ignoré par les critiques. Avant sa publication, on avait trouvé sa signature dans nombre de nos magazines nationaux influents, comme l’Atlantic Monthly et Harpers. Mais après cela, ses écrits restèrent presque uniquement cantonnés à des bulletins d’information ou à des périodiques à diffusion restreinte, n’attirant que les audiences étroitement conservatrices ou libertariennes.
De nos jours, où l’Internet existe, n’importe qui peut facilement établir un site internet pour faire connaître ses opinions, les rendant immédiatement disponibles au monde entier. Les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter peuvent apporter à l’attention de millions de personnes des éléments intéressants ou controversés en à peine deux clics de souris, dépassant entièrement la nécessité d’un soutien de la part d’intermédiaires de l’establishment. Il nous est facile d’oublier le défi extrême que constituait à l’âge du papier et de l’encre la dissémination d’idées dissidentes, et qu’un individu expulsé de son organe de presse habituel pouvait mettre de nombreuses années à reprendre pied dans le travail de distribution de son œuvre.
Durant cette période, le pionnier de l’aviation Charles Lindbergh était un héros national de la stature la plus imposante, se trouvait régulièrement classé parmi les hommes les plus admirés des États-Unis, et les politiques opposées à la guerre qu’il épousa disposaient probablement du soutien de 80% de la population. Mais il tomba lui aussi lors de cette purge idéologique :
Alarmé par la crainte croissante que les États-Unis pussent se voir de nouveau entraînés dans une nouvelle guerre mondiale sans que les électeurs n’y aient rien eu à dire, un groupe d’étudiants de droit de Yale lança l’organisation politique anti-interventionniste qu’ils appelèrent « Comité États-Unis d’abord », et qui compta bientôt 800,000 membres, devenant l’une des plus importantes organisations politiques populaire de notre histoire nationale. De nombreux personnages publics de premier plan la rallièrent ou la soutinrent, avec la présidence de Sears, Roebuck comme président, et ses jeunes membres comprenant les futurs présidents John F. Kennedy et Gerald Ford, ainsi que d’autres personnalités notables, comme Gore Vidal, Potter Stewart et Sargent Schriver. Flynn tenait lieu de président du chapitre de la ville de New York, et le principal porte-parole de l’organisation était le célèbre aviateur Charles Lindbergh, qui était resté des décennies durant comme le plus grand héros national des États-Unis.
Durant l’année 1941, d’immenses foules prirent part à des rassemblements anti-guerre organisés par Lindbergh et d’autres dirigeants, de nombreux millions de personnes écoutant les émissions couvrant ces événements. Mahl montre que les agents britanniques et leurs soutiens étasuniens continuèrent dans le même temps leurs opérations clandestines visant à s’opposer à cette tentative en organisant divers groupes politiques soutenant l’implication militaire des États-Unis, et en s’employant par des moyens justifiables ou non à neutraliser leurs opposants politiques. Des personnalités et organisations juives semblent avoir joué un rôle fortement disproportionné dans cette tentative.
Dans le même temps, l’administration Roosevelt pratiqua l’escalade de sa guerre non-déclarée contre les sous-marins allemands et d’autres forces maritimes en Atlantique, sans parvenir à provoquer un incident qui aurait plongé le pays dans la guerre. Franklin Delano Roosevelt promut également les inventions de propagande les plus bizarres et les plus ridicules, visant à terrifier les Étasuniens naïfs, en affirmant disposer des preuves que les Allemands — qui ne disposaient pas d’une marine de surface importante et étaient complètement bloqués par la Manche — avaient formulé des plans concrets visant à traverser les deux mille miles d’Océan Atlantique et de s’emparer de l’Amérique latine. Des agents britanniques produisirent certains des faux grossiers qu’il cita comme preuves.
Ces faits, qui sont de nos jours fermement établis par des décennies de recherches, apportent un contexte quelque peu nécessaire au discours notoirement controversé lors d’un rassemblement d’America First au mois de septembre 1941. Lors de cet événement, il accusa trois groupes en particulier de « faire pression sur ce pays vers la guerre [:] les Britanniques, les Juifs et l’administration Roosevelt, » ce qui déclencha un immense déluge de feu d’attaques et de dénonciations médiatiques, dont des accusations largement répandues d’antisémitisme et de sympathies pour le régime nazi. Au vu des réalités de la situation politique, la déclaration de Lindbergh constitua une illustration parfaite du célèbre trait d’esprit lancé par Michael Kinsley, selon lequel « une gaffe, s’est quand un homme politique dit la vérité — quelque vérité évidente qu’il est supposé taire. » Mais en conséquence, la réputation jadis héroïque de Lindbergh subit des dégâts énormes et permanents, et la campagne de calomnie résonna durant les trois décennies qu’il vécut encore, et même bien au-delà. Même s’il ne fut pas totalement supprimé de la vie publique, sa stature ne fut jamais plus ce qu’elle avait été.
A.J.P. Taylor and David Irving
Les controverses entourant l’entrée des États-Unis dans la seconde guerre mondiale avaient fait tomber certains de nos personnages les plus influents dans les domaines journalistiques, académiques, ainsi que politiques, mais les échos de cette Grande Purge ont également continué de se faire sentir dans les générations qui ont suivi.
Plus de vingt ans après le début de ce conflit mondial, A.J.P. Taylor, l’historien renommé d’Oxford, a publié son travail en 1961, Origins of the Second World War, un classique. Comme je l’ai écrit il y a deux ans :
L’exigence finale de Hitler, que 95% de la Dantzig allemande revînt à l’Allemagne, exactement comme le désiraient ses habitants, était absolument raisonnable, et seule une terrible bévue commise par les Britanniques avait amené les Polonais à refuser cette demande, ce qui provoqua la guerre. Les proclamations que l’on fit ensuite à grande échelle, selon lesquelles Hitler voulait conquérir le monde, étaient tout à fait absurdes, et le dirigeant allemand avait en réalité fait tout son possible pour éviter la guerre contre la Grande-Bretagne et la France. De fait, il se montra dans l’ensemble tout à fait amical envers les Polonais, et n’eut de cesse que d’espérer rallier la Pologne aux côtés de son pays face à la menace de l’Union soviétique posée par Staline.
Le récent anniversaire des soixante-dix années de l’éclatement du conflit qui a coûté des dizaines de millions de vies a naturellement provoqué l’éclosion de multiples articles historiques, et la discussion qui en a suivi m’a amené à ressortir mon ancien exemplaire du court ouvrage de Taylor, que j’ai relu pour la première fois en presque quarante années. Je l’ai trouvé tout aussi puissant et persuasif que cela avait été le cas lorsque je fréquentais l’université, et les notices publicitaires ornant la couverture constituaient une indication des louanges immédiates que ce travail avait reçues. Le Washington Post avait loué l’auteur comme « l’historien en vie le plus éminent de Grande-Bretagne », World Politics avait qualifié l’ouvrage de« Puissamment argumenté, brillamment écrit, et toujours persuasif », le New Statesman, le principal magazine de gauche britannique, l’avait décrit comme« Un chef d’œuvre : lucide, bienveillant, très bien écrit », et l’auguste Times Literary Supplement l’avait qualifié de« simple, dévastateur, ultra-lisible, et profondément dérangeant ». En tant que best-seller international, il se classe sans doute comme œuvre la plus célèbre de Taylor, et je peux aisément comprendre pourquoi il était encore sur ma liste de lectures obligatoires à l’université, presque deux décennies après sa publication originale.
Mais en revisitant l’étude édifiante produite par Taylor, j’ai fait une découverte remarquable. Malgré toutes les ventes internationales et acclamations des critiques, les découvertes publiées dans l’ouvrage provoquèrent une hostilité considérable de la part de certains milieux. Les conférences données par Taylor à Oxford avaient durant un quart de siècle été extrêmement populaires, mais en résultat direct de la controverse, l’« historien en vie le plus éminent de Grande-Bretagne » se vit sommairement expulsé de la faculté peu de temps après. Au début de son premier chapitre, Taylor avait noté l’étrangeté avec laquelle il avait découvert que plus de vingt années après le début de la guerre la plus cataclysmique au monde, aucune histoire sérieuse n’avait été produite pour en analyser soigneusement le départ. Peut-être les représailles qu’il eut à subir lui permirent-elles de mieux comprendre une partie de ce puzzle.
Une génération plus tard, un destin bien plus extrême fut infligé à l’un des compatriotes et confrères de Taylor de la même discipline académique. À l’exception possible d’Arnold Toynbee, je pense que David Irving est probablement l’historien britannique le plus couronné de succès à l’international des cent dernières années, et ses découvertes d’archives stupéfiantes constitueront certainement l’un des piliers centraux de notre compréhension future de la seconde guerre mondiale bien longtemps après que tous ses contemporains actuels auront été oubliés. Moi qui ai lu plus d’une dizaine de ses importants volumes, je peux attester de la qualité de son travail.
Mais ses découvertes ont posé des problèmes à l’orthodoxie officielle, des problèmes bien plus graves que ceux causés par les travaux de Taylor, et si ce dernier fut simplement expulsé de son poste d’enseignement tenu un quart de siècle à Oxford, Irving s’est vu dénoncé, calomnié et placé sur liste noire auprès de tous les éditeurs connus, et a fini par tomber en faillite et même se faire emprisonner.
De fait, Irving a subi le destin d’une double purge. À la fin des années 1990, ses ennemis impitoyables avaient réussi à l’exclure des journaux de l’élite et à détourner de lui les éditeurs de livres qu’il avait jadis dominés, mais après que ses conférences publiques captivantes lui ont valu une nouvelle renommée sur Youtube il y a quelques années, celles-ci se sont également retrouvées purgées de l’Internet.
Le savoir historique édifiant d’Irving a été considéré comme tellement menaçant par nos élites dirigeantes que des gangs de jeunes voyous ont été enrôlés pour faire irruption lors de ses discours publics, et le signalement d’une telle attaque contre un restaurant privé de Chicago, il y a une dizaine d’années, constitua sans doute la première fois que je vis mention d’« antifas » à l’écrit.
À présent qu’il a plus de quatre-vingts ans, Irving se trouve en plein crépuscule de sa carrière universitaire étalée sur six décennies, mais ses dizaines de longs ouvrages historiques constituent son héritage, cependant que certaines de ses conférences importantes d’il y a trente années restent consultables sur Bitchute :
CHURCHILL’S WAR – DAVID IRVING
DAVID IRVING A BRITISH HISTORIAN EXAMINES THE HOLOCAUST -1988
DAVID IRVING – SMEAR CAMPAIGNS TO STIFLE TRUTH IN HISTORY.!!
NdSF : ces trois vidéos ont entre-temps été censurées en France par Bitchute, l’autoproclamé « champion de la libre expression ». Vous pouvez essayer d’y accéder par ces liens alternatifs
CHURCHILL’S WAR – DAVID IRVING ;
DAVID IRVING A BRITISH HISTORIAN EXAMINES THE HOLOCAUST -1988 ;
DAVID IRVING – SMEAR CAMPAIGNS TO STIFLE TRUTH IN HISTORY.!!
La stratégie du silence dynamique
La longue liste d’affaires que je viens de discuter comprend nombre de nos journalistes, universitaires, et autres personnages publics des plus illustres, et les raisons pour lesquelles ils ont eu à subir un tel traitement ne sont guère difficiles à comprendre.
Les personnes raisonnables ne se laissent pas prendre par les arguments d’autorité, et si les arguments avancés par ces personnes très réputées avaient été faibles ou fallacieux, ils auraient pu et dû se voir facilement réfutés. Mais le problème qu’ont rencontré leurs puissants opposants était que les éléments et les analyses qu’ils présentaient étaient extrêmement forts, et soutenus par leur crédibilité et publications passées, si bien qu’ils pouvaient sans problème tenir au grand jour face à la multitude de leurs opposants publics. C’est pourquoi la réponse n’a pas été de leur répondre dans le cadre d’un débat — un débat qui aurait facilement pu être perdu — mais plutôt de les faire « disparaître ».
L’efficacité de telles techniques de disparition a varié considérablement avec les évolutions dans les technologies de communication, et avec les règles sociales considérées comme acceptables. Au cours de la plus grande partie du siècle dernier, les informations populaires provenaient de la radio, de la télévision, et de films, ainsi que de médias imprimés, moins éphémères, comme les journaux, magazines et livres. La propriété de ces moyens de communication est restée fortement concentrée et d’immenses capitaux étaient nécessaires pour lancer un nouveau concurrent sur ces activités, si bien que notre infrastructure de médias comprenait une suite de puissants goulets d’étranglement dans les discussions publiques. Les purges idéologiques étaient donc relativement faciles à mettre en œuvre.
La montée de l’Internet, au cours de la dernière génération, a complètement renversé ce cadre, a détruit la puissance de tant d’organes médiatiques existants, et a permis aux individus de créer leurs propres organes de communications alternatifs presque en un clic de souris. Avec des coûts si fortement réduits, des personnalités crédibles ayant des choses importantes à dire ont quasiment pu sans aide extérieure lancer une opération médiatique. Une année après avoir quitté l’Intercept, Glenn Greenwald dispose sans doute aujourd’hui d’un impact public plus important en passant par ses chroniques sur Substack que l’ensemble de l’entreprise médiatique dont il a claqué la porte, malgré les dizaines d’employés et les centaines de millions de dollars investis dans celle-ci. Il y a vingt ou trente années, sa situation aurait été totalement différente.
Mais au cours des quelques années récentes, de nouveaux moyens de contrôle ont été imposés de nouveau sur un Internet jadis sans entrave, avec la montée de gardiens dominants tels que Google, Facebook et Twitter, et la volonté croissante de ces monopoles privés d’exercer ce pouvoir et de réduire au silence la voix de quiconque s’écarterait trop des lignes considérées comme acceptables.
Je n’aurais pas l’audace de me considérer comme comparable à la liste des personnages augustes dont j’ai décrit les histoires médiatiques ci-avant, mais j’ai eu à subir des obstacles similaires. Quelques jours à peine après avoir écrit mon premier article du mois d’avril 2020 pour présenter certains des faits importants et non rapportés autour de l’épidémie globale de Covid, l’ensemble de notre site internet s’est soudainement retrouvé banni de Facebook et déclassé par Google. Ce coup dur a très fortement réduit la distribution des informations très importantes que j’ai passé l’année passée à essayer de faire connaître :
Par exemple, en 2017, Trump a fait venir Robert Kadlec, qui avait été depuis les années 1990 l’un des principaux avocats de la guerre biologique aux États-Unis. L’année suivante, en 2018, une mystérieuse épidémie virale avait frappé l’industrie de la volaille chinoise, et en 2019, une nouvelle épidémie virale mystérieuse avait dévasté l’industrie porcine chinoise…
À partir des tous premiers jours de l’administration, les principaux dirigeants nommés par Trump avaient considéré la Chine comme l’adversaire géopolitique le plus formidable opposé aux États-Unis, et ils avaient orchestré une politique de confrontation. Puis, entre les mois de janvier et d’août 2019, le département de Kadlec avait déroulé l’exercice de simulation « Crimson Contagion », mettant en jeu l’hypothétique éclatement d’une dangereuse maladie respiratoire en Chine, qui finissait par se répandre jusqu’aux États-Unis, avec un focus mis sur les mesures nécessaires à la contrôler dans ce pays. Kadlec, du fait de son statut d’expert prédominant en guerre biologique, avait souligné l’efficacité unique des armes biologiques aussi loin qu’à la fin des années 1990, et nous devons lui reconnaître une formidable prescience pour avoir organisé un exercice épidémique majeur en 2019, aussi remarquablement similaire à ce qui s’est produit dans la vraie vie quelques mois plus tard à peine.
Avec les principaux dirigeants nommés par Trump tout à fait épris de guerre biologique, fortement hostiles à la Chine, et lançant en 2019 des simulations à grande échelle quant aux conséquences d’une mystérieuse éclosion virale dans ce pays, il semble tout à fait déraisonnable de refuser absolument de considérer la possibilité que des projets extrêmement imprudents ont pu être discutés et finalement mis en œuvre, probablement sans autorisation présidentielle.
Mais, les conséquences terrifiantes de l’inaction de notre gouvernement étant par la suite devenues évidentes, des éléments de nos agences de renseignements se sont employés à démontrer qu’ils n’étaient pas restés endormis durant leur tour de veille. En début de mois, un reportage mené par ABC News a cité quatre sources gouvernementales distinctes révélant que dès la fin du mois de novembre, une unité spéciale de renseignement médical fonctionnant au sein de notre Defense Intelligence Agency avait produit un rapport avertissant qu’une épidémie hors de contrôle était en cours dans la région chinoise de Wuhan, et a distribué largement ce document dans les rangs de notre gouvernement, avertissant que des actions devaient être entreprises pour protéger les soldats étasuniens stationnés en Asie. Après que cela fut diffusé, un porte-parole du Pentagone réfuta officiellement l’existence de ce rapport en date du mois de novembre, divers autres dirigeants du gouvernement et des renseignements refusant d’émettre des commentaires.
Mais quelques jours plus tard, la télévision israélienne fit mention qu’au mois de novembre, les renseignements étasuniens avaient bel et bien partagé un tel rapport au sujet de la maladie présente à Wuhan avec ses alliés de l’OTAN et d’Israël, semblant confirmer de manière indépendante la pertinence totale du reportage originellement produit par ABC News et ses diverses sources au sein du gouvernement.
Il apparaît donc que des éléments de la Defense Intelligence Agency étaient au courant de l’épidémie virale mortelle à Wuhan plus d’un mois avant n’importe quel dirigeant du gouvernement chinois lui-même. À moins que nos agences de renseignement n’aient réalisé des innovations fulgurantes dans la technologie de la précognition, je pense que ceci peut s’être produit pour la même raison selon laquelle les pyromanes connaissent à l’avance les occurrences des incendies à venir.
Selon ces multiples récits parus dans les médias dominants, dès « la seconde semaine du mois de novembre », notre Defense Intelligence Agency était déjà en train de préparer un rapport secret avertissant d’une épidémie « cataclysmique » en cours à Wuhan. Pourtant, à ce stade, sans doute à peine une bonne vingtaine d’individus avaient été infectés dans cette ville qui compte 11 millions d’habitants, et peu d’entre eux présentaient des symptômes graves. Les implications en sont tout à fait évidentes. Qui plus est :
Alors que le coronavirus commençait peu à peu à se répandre au-delà des frontières de la Chine, un autre développement s’est produit qui a fortement multiplié mes soupçons. La plupart de ces cas initiaux s’étaient produits exactement où l’on pouvait les attendre, parmi les pays d’Asie de l’Est jouxtant la Chine. Mais à la fin du mois de février, l’Iran était devenu le second épicentre de l’épidémie globale. De manière plus surprenante encore, les élites politiques de ce pays avaient été particulièrement touchées, avec pas moins de 10% du parlement iranien qui s’était retrouvé infecté et au moins une dizaine de dirigeants et d’hommes politiques de ce pays morts de la maladie, y compris certains d’un âge très avancé. De fait, les activistes néo-conservateurs se mirent joyeusement à noter que leurs ennemis iraniens détestés étaient en train de tomber comme des mouches.
Examinons les implications de ces faits. À travers le monde entier, les seules élites politiques qui ont jusqu’ici subi des pertes humaines significatives ont été celles de l’Iran, et elles sont mortes à un stade très précoce de l’épidémie, avant que des propagations significatives se soient produites n’importe où sur la planète hormis la Chine. Ainsi, nous avons vu les États-Unis assassiner le principal commandant militaire d’Iran le 2 janvier, et quelques semaines plus tard, de vastes portions des élites dirigeantes iraniennes se retrouvant infectées par un mystérieux et mortel nouveau virus, nombre d’entre eux en ayant péri. Est-ce qu’un individu rationnel pourrait considérer ceci comme une simple coïncidence ?
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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