Par Andrew Korybko − Le 8 novembre 2021 − Source OneWorld Press
Il se peut que la guerre hybride menée par les États-Unis contre le Nicaragua puisse muter en lutte d’influence par procuration contre la Russie ; ce pays entretient nettement plus de relations stratégiques avec le Nicaragua que la Chine.
Joe Biden, président des États-Unis, a disqualifié les élections présidentielles du dimanche 7 novembre 2021, au Nicaragua, en les qualifiant de « pantomime » lors d’une déclaration publiée le même jour. Il a décrit Daniel Ortega, le président sortant, comme « pas différent de la famille Somoza qu’Ortega et les Sandinistes ont combattu il y a quatre décennies. » Biden a également promis que « les États-Unis, en étroite collaboration avec les autres membres de la communauté internationale, feront usage de tous les outils diplomatiques et économiques à leur disposition pour soutenir le peuple du Nicaragua et tenir pour responsable le gouvernement Ortega-Murillo et tous ceux qui en facilitent les excès. » On peut interpréter ce message comme une menace d’intensification de la guerre hybride étasunienne contre le Nicaragua.
Objectivement, les États-Unis s’emploient à fabriquer une nouvelle crise au Nicaragua. La première crise majeure, au cours du passé récent, s’était produite lorsque l’ancien président Reagan avait soutenu les « Contras » anti-sandinistes au cours d’une guerre par procuration qui aura duré une décennie. Ce conflit avait été lancé sous le prétexte que le Nicaragua aurait représenté un autre « domino » dont la « chute » aux mains des rebelles socialistes risquait de provoquer une réaction en chaîne dans le reste de l’Amérique latine et des Caraïbes. Dans le contexte présent, aucune crainte de ce type n’est crédible, mais cela n’a en rien gêné le président Trump pour mettre la machine en mouvement en vue de générer la crise imminente, que son successeur semble décidé à empirer encore.
J’avais couvert les premières agressions lancées par Trump au fil des années avec les analyses qui suivent :
- 27 juillet 2017 : « Les sanctions étasuniennes contre le Nicaragua sont supposées déclencher une guerre hybride contre la Chine« .
- 28 avril 2018 : « Cauchemar au Nicaragua : ce pourrait n’être que le début« .
- 2 février 2019 : « Trump essaye de faire tomber la ‘Troïka de la Tyrannie’ en Amérique latine« .
Le contexte stratégique a évolué depuis ces événements, et demande quelques clarifications analytiques.
Pour commencer, la raison initialement soupçonnée derrière cette guerre hybride — bloquer les projets de la Chine de construire un canal trans-atlantique — n’est plus à l’ordre du jour, car aucun progrès tangible n’a été observé sur ce dossier. Deuxièmement, la motivation première, à ce jour, est de détruire tous les pays relevant de la « sphère d’influence« étasunienne auto-proclamée dès lors qu’ils ne se plient pas à sa volonté hégémonique. Troisièmement, il s’agit de la dernière campagne de changement de régime dans cet hémisphère, que l’on peut qualifier d’« Opération Condor 2.0 ». Quatrièmement, le Nicaragua a jusqu’ici résisté à la campagne de pressions menée jusqu’ici par les États-Unis, ce qui voue celle-ci à s’intensifier dans un avenir proche. Et cinquièmement, cette intensification pourrait poser de graves menaces envers la stabilité du pays.
Si la campagne de pressions que les États-Unis prévoient de lancer contre le Nicaragua en coordination avec ses vassaux de la région ne parvient pas à affaiblir la « sécurité démocratique« (les tactiques et stratégies de contre-guerre hybride, semblables à celles utilisées contre les menaces de révolutions de couleur qui ont été mises en œuvre en amont de l’élection pour éviter ce scénario de changement de régime) du pays, il n’est pas à écarter que l’on puisse assister une fois de plus à un recours à la guerre cinétique par procuration. Le Honduras voisin, qui est sous contrôle d’un dirigeant installé par les États-Unis, pourrait facilement reprendre son rôle historique de soutien à de telles influences. Toute déstabilisation significative du Nicaragua pourrait déclencher une crise de réfugiés qui pourrait rapidement s’épandre sur la région, et empirer celle qui existe déjà.
Il existe également une chance pour que la guerre hybride étasunienne contre le Nicaragua devienne une lutte d’influence par procuration contre la Russie, qui entretient des relations stratégiques nettement plus nourries avec ce pays que la Chine. En article de 2019, paru sous le titre « Russie et Nicaragua : progrès des relations bilatérales« livre un résumé détaillé des développements les plus importants quant aux liens entre ces deux pays, au cours des quelques décennies passées. Il révèle que les relations, surtout dans la dimension militaire, ont été significativement renforcées au cours des 10 dernières années. Sur la base de cela, Moscou pourrait décider de soutenir Managua durant toute crise à venir, en livrant en urgence davantage d’armes, et peut-être au travers d’autres formes de soutien, comme l’envoi de conseillers.
Les États-Unis pourraient cyniquement tirer parti de ce scénario, du moins selon l’optique qu’ils comptent projeter auprès des grands publics étasunien et étrangers. Les fabricants de perception étasuniens pourraient développer leurs récits de création de peurs sur la Russie, en la dépeignant comme « soutenant un dictateur dévoyé face à la volonté démocratique de son peuple ». Ce point pourrait également être exploité comme prétexte pour étendre la présence militaire étasunienne dans la région, qui pourrait tenir lieu par la suite de distraction pour faire oublier le récent retrait humiliant de ces armées hors d’Afghanistan. Des pressions supplémentaires pourraient également se voir appliquer contre les alliés cubain et vénézuélien du Nicaragua, sous prétexte de répondre à leur possible assistance, semblable à celle de la Russie, accordée à ce pays.
Si ceci devait s’inscrire dans les motivations derrière une intensification de la guerre hybride étasunienne contre le Nicaragua à l’issue des dernières élections pratiquées dans ce pays, les observateurs pourront en conclure que cette guerre hybride est menée par la faction néoconservatrice de l’appareil permanent étasunien militaire, de renseignements et diplomatique (l’« État profond« ). Ils sont obsédés par une « mise sous contrôle » de la Russie, et sont opposés par principe à certains des efforts menés par leurs homologues plus pragmatiques en vue de conclure un « pacte de non-agression« avec la Russie pour réguler de manière plus responsable leurs rivalités. S’ils parviennent à empirer cette guerre hybride, et à déclencher une forme de soutien militaire russe au Nicaragua en réponse, ils pourraient réussir à saboter ce processus en cours par ce moyen.
Il reste à voir la forme que cette campagne de pressions intensifiée va prendre, et si la Russie va ou non y répondre par un soutien militaire significatif apporté au Nicaragua, mais tout semble se mouvoir dans cette direction générale, si l’on considère la dernière déclaration d’intentions hostiles proférée par Biden. Ceci tend à indiquer qu’il poursuit la politique de son prédécesseur, visant à renverser les gouvernements régionaux indépendants, politique qui avait déjà été instaurée sous Obama. Les États-Unis ne laisseront jamais de gouvernements indépendants se développer pacifiquement dans leur soi-disant « sphère d’influence ». Ils exigent que ces pays souscrivent sans discuter à leurs exigences hégémoniques, et brandissent la menace de guerres hybrides si ces pays s’y refusent.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone
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