L'utilisation démagogique par les Démocrates du Russia-gate pour « résister » au président Trump met les progressistes du même côté que les fauteurs de guerre et les entreprises d’armement et évite une évaluation sérieuse des problèmes politiques du parti, prévient Norman Solomon.
Par Norman Solomon – Le 5 juin 2017 – Source Consortium News
L’administration Trump a déjà causé d’énormes dommages aux États-Unis et à la planète. En chemin, le président Trump a également fait que de nombreux éminents progressistes ont abaissé la qualité de leur propre discours politique. Il nous revient de contester les effets corrosifs d’une hyperbole devenue routine et d’une démagogie absolue.
Écoutez la rhétorique de l’un des nouveaux membres les plus prometteurs de la Chambre des représentants, le démocrate Jamie Raskin, lors d’une manifestation près du Monument de Washington, ce week-end. Lisant un texte écrit à l’avance, Raskin s’est échauffé en déclarant que « Donald Trump est une arnaque contre les Américains, perpétrée par les Russes ».
Bientôt, le congressiste a nommé des pays aussi variés que la Hongrie, les Philippines, la Syrie et le Venezuela, et a immédiatement proclamé : « Tous les despotes, les dictateurs et les kleptocrates se sont retrouvés, et Vladimir Poutine est le chef du monde non libre. »
Plus tard, lorsqu’on lui a posé des questions sur les erreurs factuelles de son discours, Raskin a rétropédalé au cours d’une interview filmée par The Real News. La fanfaronnade du parti Démocrate sur la Russie a peu à voir avec des faits confirmés et beaucoup à voir avec des arguties partisanes.
Le jour même où Raskin parlait, l’ancien secrétaire du travail, Robert Reich, a présenté, en tête de son site internet, un article qu’il a écrit, titré Les règles de l’art de l’accord Trump-Poutine. L’article présentait des similitudes frappantes avec ce que les progressistes ont détesté pendant des années de la part des commentateurs de droite et des chasseurs de sorcières. Cette technique intemporelle est en effet à double face : je ne peux pas prouver que c’est vrai, mais nous allons faire comme si ça l’était.
Le truc de l’article de Reich était habile. Bien trop habile : « Disons que vous êtes Vladimir Poutine, et que vous avez passé un accord avec Trump l’année dernière. Je ne suggère pas qu’il y ait eu une telle affaire, voyez vous. Mais si vous êtes Poutine et que vous avez passé un tel accord, qu’est-ce que Trump a accepté en échange ? » À partir de là, l’article de Reich n’est plus qu’un amas de conjectures vides.
Techniques de propagande
Les progressistes déplorent systématiquement de telles techniques de propagande venant de la Droite, non seulement parce que la Gauche est ciblée, mais aussi parce que nous cherchons une culture politique fondée sur des faits et l’équité plutôt que sur des sous entendus et la diffamation. Il est pénible de voir maintenant de nombreux progressistes s’engager dans une propagande creuse.
De même, il est triste de voir tant d’empressement à faire confiance à la crédibilité d’institutions comme l’Agence centrale de renseignement et l’Agence nationale de sécurité – des institutions qui auparavant avaient perdu leur confiance. Au cours des dernières décennies, des millions d’Américains ont pris conscience du pouvoir de manipulation et de tromperie des médias, menés par les meneurs de la politique étrangère étasunienne. Pourtant, confrontés à une extrême droite montante, certains progressistes ont cédé à la tentation de faire porter la faute de notre situation politique sur un « ennemi » étranger plutôt que sur les puissantes forces dirigées par les grosses entreprises du pays.
L’utilisation exagérée de la Russie comme bouc émissaire sert plusieurs objectifs du complexe militaro-industriel, des néoconservateurs républicains et des démocrates « interventionnistes libéraux ». En cours de chemin, la rhétorique du « C’est la faute à la Russie » s’est avérée d’une aide considérable pour l’aile Clintonienne du Parti démocrate – une grand diversion, de peur que son élitisme et ses relations avec le pouvoir financier ne fassent l’objet d’un examen plus approfondi et d’un rejet plus fort de la part de la base du parti.
Dans ce contexte, les incitations et les encouragements à participer à cette frénésie anti-russe extrême sont devenus omniprésents. Un nombre remarquable de personnes proclament leur certitude concernant le piratage et même la « collusion » – alors que les événements ne sont, à l’heure actuelle, toujours pas prouvés. Cela s’explique en partie par les allégations trompeuses répétées par les politiciens démocrates et les médias d’actualité.
Un bon exemple est l’affirmation générale et très trompeuse selon laquelle « 17 agences de renseignement américaines » ont obtenu la même conclusion au sujet du piratage russe du Comité national démocrate – une affirmation que le journaliste Robert Parry a montré comme effectivement erronée dans un article la semaine dernière.
Ce que veulent les Américains
Lors d’une récente apparition sur CNN, l’ancien sénateur de l’Ohio, Nina Turner, a offert une très nécessaire perspective sur le sujet de l’interférence présumée de la Russie dans les élections américaines. Les habitants de Flint, Michigan, « ne vous interrogeront pas sur la Russie et Jared Kushner , a-t-elle déclaré. Ils veulent juste savoir comment ils vont récupérer de l’eau potable et pourquoi 8 000 personnes sont sur le point de perdre leurs maisons ».
Turner a noté que « nous devons absolument faire face » à ces allégations d’ingérence russe dans les élections, « cela perturbe l’esprit des Étasuniens, mais si vous voulez savoir ce que les gens de l’Ohio pensent, ils veulent savoir pour leurs emplois, ils veulent savoir pour leurs enfants ». En ce qui concerne la Russie, elle a déclaré :
« Nous sommes préoccupés de cela, ce n’est pas que ce n’est pas important, mais tous les jours les Américains sont oubliés parce que c’est la Russie, la Russie et encore la Russie. »
À l’instar des PDG d’entreprise dont la vision ne s’étend pas au-delà des deux ou trois prochains trimestres, de nombreux politiciens démocrates ont voulu injecter leur discours toxique dans le corps politique en se basant sur la théorie que cela sera politiquement rentable lors des prochaines élections. Mais même selon leurs propres termes, l’approche est susceptible d’échouer. La plupart des Américains sont beaucoup plus préoccupés par leur avenir économique que par le Kremlin. Un parti qui se révèle plus connu sous le nom d’anti-russe que pro-travailleur est promis à un avenir problématique.
Aujourd’hui, 15 ans après que la péroraison sur l’axe du mal de George W. Bush a préparé le terrain pour un carnage militaire toujours en cours, les politiciens qui se livrent à cette rhétorique détachée de la réalité, du genre « Poutine est le meneur du monde non libre », contribuent à alimenter l’état de guerre et, dans la foulée, augmentent les chances d’un conflit militaire direct entre les États-Unis et la Russie, conflit qui pourrait être nucléaire et nous détruire tous.
Mais de telles préoccupations leur semblent pures abstractions par rapport aux éventuels gains politiques à court terme. C’est toute la différence entre les dirigeants et les démagogues.
Norman Solomon
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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