Le désordre arménien ne profite qu’aux USA


Par Andrew Korybko − Le 30 avril 2018 − Source Oriental Review

Armenia protests

Des milliers de personnes sont descendues dans la rue à Yerevan, certaines de manière violente, pour s’opposer à la nomination de Serzh Sargsyan, ancien président du pays, comme premier ministre. Les réformes constitutionnelles de 2015 font du premier ministre le personnage le plus important à la tête du pays. D’aucuns dénoncent ce processus comme une manœuvre politicienne, que l’homme, dans la politique depuis très longtemps, aurait réalisée pour rester au pouvoir sans repasser par les urnes : c’est le Parlement qui nomme le Premier ministre, alors que le président est élu au suffrage universel. Il a donc démissionné de son poste de Premier ministre [le 23 avril 2018] sous la pression de la rue.

C’est Nikol Pashinyan, un autre politicien de longue date, qui a dirigé ce qu’il a lui-même appelé « révolution de velours » et dont le rôle avait été déterminant dans la tentative de révolution de couleur de 2015 « Yerevan électrique », qui a personnalisé cette campagne pour le grand public, quand bien même le premier ministre avait fait remarquer − avec justesse − que l’homme, ayant obtenu 7% des votes aux dernières élections, n’avait aucune légitimité à parler au nom de la nation. Au « crédit » de Pashinyan, toutefois, il s’est montré très clair quant à ses intentions de piloter un changement de régime, et son mouvement a très bien réussi à embrigader des cohortes de jeunes naïfs dans la foule des manifestants.

Tous ces jeunes étaient irrités, et on le comprend, du manque total de perspectives économiques de cet état enclavé du Caucase du sud. Mais leur participation dans ces manifestations a été exploitée, et ils ont été utilisés comme « boucliers humains » en protection des organisateurs des manifestations, plus âgés qu’eux, tout comme en 2015. Ajoutons à cela que l’Arménie − comme l’Ukraine il y a presque 5 ans − est coupée en deux moitiés Est et Ouest. Pour preuve de cette division, l’exercice d’équilibriste plus ou moins réussi de l’ancien gouvernement de Sargsyan, qui tâchait tant bien que mal de concilier son appartenance à l’union économique eurasienne menée par la Russie, en parallèle de ses relations retrouvées avec l’UE au travers de l’Accord de partenariat complet et renforcé [du 1er mars 2017].

Cette « schizophrénie » géostratégique, qualifiée ainsi faute de mieux, n’avait pas manqué de déstabiliser la situation politique intérieure arménienne, en envoyant des signaux mitigés à sa population, et en provoquant des désaccords dans toutes les strates de la société, comme cela arrive souvent quand des décideurs indécis essayent de ménager la chèvre et le chou. Cet état de choses profite en général à des hyper-nationalistes comme Pashinyan, qui avait dénoncé de manière démagogique l’échec de l’ancien gouvernement à protéger les intérêts arméniens, et avait critiqué le manque de réponse de son pays à la « diplomatie militaire » de la Russie, qui selon lui avait rompu l’« équilibre » stratégique entre son pays et l’adversaire voisin azerbaïdjanais.

Manifestations en Arménie

On ne peut pas minimiser les conséquences internationales de la perspective de voir Pashinyan − ou tout autre dirigeant hyper-nationaliste et pro-occidental − prendre le pouvoir en Arménie par suite de la démission de Sargsyan : il est très probable que cela provoquerait une « guerre d’extension » dans le Haut-Karabagh [République autoproclamée au sortir de l’effondrement de l’URSS, située à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et réclamant son rattachement à l’Arménie, NdT], dans une tentative d’attirer la Russie dans un embrasement « Reverse Brzezinski », où l’ours russe se retrouverait empêtré dans le bourbier régional du Caucase. L’engagement de défense mutuelle de Moscou avec Yerevan ne s’applique pas au delà de la frontière arménienne vers cette région en litige, internationalement reconnue comme rattachée à l’Azerbaïdjan, mais quoi qu’il en soit, la dynamique de chaos inhérente à tout conflit serait telle que la base russe de Gyumri pourrait se retrouver impliquée.

Tout ceci étant dit, la situation en Arménie change à toute vitesse et les choses deviennent de moins en moins prévisibles. La déstabilisation du pays n’est pas du tout à l’avantage de la Russie, ni de l’ordre multipolaire émergent, mais correspond essentiellement aux intérêts des USA et de leurs alliés, par l’éclatement de problèmes juste au cœur du triangle multipolaire Russie-Turquie-Iran en cette période géopolitique particulièrement sensible.

Cet article est une retranscription partielle de l’émission radio CONTEXT COUNTDOWN, diffusée sur Sputnik News le 27 avril 2018

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Liens

, excellente commentatrice du monde Russe, nous propose une autre analyse de cette crise Arménienne.

L’Arménie, une révolution au scénario très bien orchestré

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

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