Un ministre hollandais admet avoir menti au sujet d’une rencontre avec Poutine.


Les « infos bidons » sont-elles utilisées par la Russie ou contre la Russie ?


Par Glenn Greenwald – Le 12 février 2018 – Source The Intercept

Poutine a ordonné une campagne d’influence pour aider Trump à gagner, selon un rapport déclassifié des services de renseignements

Tous les empires ont besoin d’une menace extérieure, effrayante si possible et dirigée par un méchant très menaçant, ceci afin de justifier leurs  dépenses militaires massives, la consolidation de leur puissance autoritaire et des guerres sans fin. Pendant les cinq décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, Moscou a parfaitement joué ce rôle. Mais la chute de l’Union soviétique a signifié, du moins pendant un certain temps, que le Kremlin ne pouvait plus provoquer des niveaux de peur suffisants. Après quelques auditions brèves et en grande partie infructueuses pour des remplacements possibles, des pays asiatiques comme la Chine et un Japon en effervescence ont effectivement été envisagés, l’ère post 11 septembre a élevé un casting de doublures musulmanes au rang de vedette : al-Qaïda et Oussama ben Laden, ISIS et Abu Bakr al-Baghdadi, et le « djihadisme » en général sont parvenus à maintenir cette peur bien vivante.

L’absence d’attaques catastrophiques, de type 11 septembre 2001 sur le sol américain (ou tout autre sol occidental) depuis 17 ans, ainsi que le meurtre d’un ben Laden misérable et vieillissant et l’érosion d’État islamique, ont gravement compromis leurs rôles de grands méchants. Aujourd’hui, au moment où les studios de cinéma redonnent vie au super vilain d’autrefois pour une nouvelle génération de cinéphiles, nous retrouvons les Russes sur le devant de la scène.

Que Barack Obama ait passé huit ans à se moquer de l’idée que la Russie représentait une grave menace pour les États-Unis, compte tenu de sa taille et de ses capacités, et qu’il ait même essayé à plusieurs reprises d’établir de bonnes relations avec le président russe Vladimir Poutine, n’est pas important : à l’ère de l’Internet, l’année  2016 est considérée comme de l’histoire ancienne, noyée dans un nombre infini de nouvelles menaçantes, mises en exergue par des médias tous unis contre la peste russe. De plus, la nature humaine a besoin de croire en une menace étrangère existentielle parce qu’elle lui confère un sens et une cause, renforce l’unité et l’identité tribales, offre un bouc émissaire, permet de rejeter la responsabilité de problèmes internes sur des causes externes et (comme la religion) offre une théorie simplificatrice pour comprendre un monde complexe.

L’une des principales accusations soutenant cette propagande est que le Kremlin noie l’Occident sous des « informations bidons » et d’autres formes de propagande. On peut débattre de son impact et de son ampleur, mais les campagnes de désinformation sont quelque chose que les États-Unis, la Russie et d’innombrables autres pays se font subir mutuellement depuis des siècles, et il y a des preuves convaincantes [C’est l’opinion de l’auteur, NdSF] que la Russie fait ce genre de choses maintenant. Mais la preuve d’une seule menace ne signifie pas que toutes les menaces revendiquées sont réelles, ni que cette tactique est exclusivement utilisée par un seul parti.

Au cours de l’année écoulée, les agences de renseignement occidentales ont fait de nombreuses déclarations, admises sans réflexion par la presse occidentale et qui se sont révélées sans fondement, voire des intox délibérées. Aujourd’hui encore, il a été révélé que le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Halbe Zijlstra, a menti en affirmant qu’il avait participé à une réunion avec Poutine, au cours de laquelle le président russe « a déclaré qu’il considérait le Bélarus, l’Ukraine et les pays baltes comme faisant partie de la ‘Grande Russie’ ».

« LA HAGUE, Pays Bas – Dans une révélation embarrassante et potentiellement nuisible pour lui, le ministre hollandais des Affaires étrangères, Halbe Zijlstra, a reconnu, a la veille de son voyage en Russie, avoir menti au sujet d’une réunion qu’il aurait eue avec Poutine en 2006.

Zijlstra a fait une déclaration confirmant cette révélation publiée dans l’édition de lundi du respecté De Vlokkskrant.

Dans le passé Ziljstra disait qu’il était présent, en tant qu’employé de la Shell, à une réunion dans une maison de campagne de Poutine lorsque celui-ci a déclaré qu’il considérait le Bélarus, l’Ukraine et les pays baltes comme faisant partie de la ‘Grande Russie’.

Dans une déclaration écrite, Zijlstra a avoué ne pas avoir été présent à cette réunion de 2006 mais avoir entendu cette histoire de la bouche de quelqu’un qui y était. Il a ajouté qu’il considérait cette histoire comme assez importante géopolitiquement pour être rapportée et l’a prise à son compte pour couvrir sa source. »

Les « infos bidons » sont bien sûr inquiétantes quand elles émanent d’adversaires étrangers, mais elles sont tout aussi inquiétantes et menaçantes, sinon plus, quand elles émanent de nos propres gouvernements et médias. Et il y a d’innombrables exemples très significatifs, au-delà de celui d’aujourd’hui, d’une telle propagande émanant de l’intérieur.

L’interférence russe dans le vote sur le Brexit

The Guardian, 10 janvier 2018 :

Reuters, 8 février 2018 :

Les Russes sont responsables de la campagne #Release the memo

Associated Press, 22 janvier 2018 :

Daily Beast, 23 janvier 2018 :

L’interférence russe dans les élections allemandes

Reuters, 4 juillet 2017 :

 New York Times, 21 septembre 2017 :

Les Russes ont piraté la campagne présidentielle de Macron

 Telegraph, 6 mai 2017 :

Associated Press, 1 juin 2017 :

Et ce, en dehors de tous les cas où les médias américains ont été contraints de se rétracter ou de publier des notes humiliantes sur des articles concernant la « menace russe », articles qui se sont révélés faux. Même dans les cas où l’on peut trouver des preuves suggérant que certains « Russes » se sont engagés sur internet pour soutenir une cause particulière, la taille et l’impact de ces actions sont généralement si infimes qu’elles prêtent à en rire. En réponse à des mois de demandes et de menaces adressées à Twitter par le gouvernement britannique pour enquêter sur la façon dont son service a été utilisé par les Russes pour soutenir le référendum sur le Brexit, Twitter – pour satisfaire les plaintes de plus en plus nombreuses – a finalement trouvé ceci :

Le responsable Twitter pour la Grande Bretagne, Nick Pickles, a dit au comité de la Chambre des Communes, au cours d’une audience aujourd’hui à Washington, que 49 comptes liés à l’Agence russe de recherches sur Internet ont tweeté 942 fois pendant la campagne sur le Brexit. Ils furent retweetés 461 fois et aimés 637 fois. Ces 49 comptes représentent moins de 0,005% du total de comptes ayant tweeté au sujet du référendum, a-t-il dit.

Un représentant de Twitter nous a dit : « comme nous l’avons fait remarquer dans notre précédente lettre au comité, notre enquête a été profonde et ne s’est pas limitée aux informations demandées par le comité. » Il a confirmé les informations ci-dessus et ajouté : « Ces tweets ont été retweetés 461 fois et aimés 637 fois en tout. En moyenne cela représente moins de 10 j’aime par compte et moins de 13 retweets par compte pendant toute la campagne, la plupart des comptes recevant 1 ou 2 j’aime et retweets. Ce sont de très bas niveaux d’engagement. »

Pendant les six décennies de cette misérable guerre froide, les Américains qui ont tenté de faire valoir que la menace russe était exagérée à des fins malfaisantes et qui ont plaidé pour de meilleures relations entre Washington et Moscou ont été qualifiés de « traîtres » d’apologistes du Kremlin ou, au mieux, d’« idiots utiles ». Le retour de la Russie en tant que grand méchant a également donné une nouvelle vie à ces vieilles tactiques de droite, bien que cette fois-ci utilisées par les mêmes personnes qui en étaient autrefois les cibles :

Mais la raison pour laquelle cela importe tant – ces actions coordonnées pour dépeindre une fois de plus la Russie comme une menace grave – est que leurs implications politiques sont graves et durables. La vedette du Nouveau Parti démocratique Joseph Kennedy III suit les traces de ses ancêtres de la guerre froide en proposant de nouveaux programmes militaires, de propagande et de cybersécurité pour combattre la menace russe. Des sénateurs comme la démocrate Jeanne Shaheen et le républicain John McCain font régulièrement référence à des « actes de guerre » lorsqu’ils discutent des relations entre les États-Unis et la Russie. Les généraux et les tabloïdes britanniques exagèrent la menace russe au-delà de toute mesure dans leur quête pour obtenir de nouveaux systèmes d’armes et l’augmentation des dépenses militaires au détriment des sujets britanniques subissant le poids de politiques d’austérité.

S’il y a une leçon qui devrait unir tout le monde en Occident, c’est que le plus grand scepticisme est nécessaire lorsqu’il s’agit des affirmations du gouvernement et des médias au sujet de la nature des menaces étrangères. Si nous voulons retourner à la guerre froide, ou nous soumettre à des dépenses militaires et à des pouvoirs gouvernementaux plus importants au nom de l’arrêt d’une prétendue agression russe, nous devrions au moins veiller à ce que les informations sur lesquelles ces campagnes sont fondées reposent sur des faits. Mais une brève revue, même rapide, de la propagande menée par les centres de pouvoir occidentaux au cours de l’année écoulée ne laisse guère de doute sur le fait que c’est exactement le contraire qui se produit.

Glenn Greenwald

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

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