Par M. K. Bhadrakumar − Le 09 juillet 2019 − Source Indianpunchline.com
L’agence de presse nationale turque Anadolu a diffusé une analyse intitulée « Les sanctions américaines contre l’Iran accroissent le malaise public », très critique de l’approche de l’élite dirigeante iranienne vis-à-vis de l’affrontement actuel avec les États-Unis.
Le cœur de l’argumentaire est que les élites dirigeantes iraniennes provoquent délibérément une confrontation avec les États-Unis en rejetant les offres répétées du président Trump pour des négociations inconditionnelles. En effet Téhéran nourrit l’idée qu’il est possible de paralyser sa candidature pour un second mandat aux élections de 2020 en empêtrant les États-Unis dans une guerre asymétrique et en les jetant dans un bourbier moyen-oriental. L’arrière-plan de l’analyse est que la nouvelle belligérance de Téhéran est attribuable au chef suprême et n’est pas dans l’intérêt de la nation iranienne.
Cet article d’opinion arrive à un moment où la Turquie se satisfait du pragmatisme du président Trump qui a accepté qu’elle achète le système antibalistique S-400 à la Russie. Cela renforce l’impression donnée par les remarques surprenantes de Trump sur le président turc Erdogan, lors de la conférence de presse à Osaka du 29 juin : en l’occurrence, que les deux dirigeants étaient parvenus à un accord. Trump a tout fait pour défendre la décision d’acheter les missiles S-400, qui n’est « pas vraiment la faute d’Erdogan » car « il a[vait] été traité très injustement » par l’administration Obama. Trump a ajouté qu’il travaillait sur l’accord S-400 : « Nous verrons ce que nous pourrons faire. »
Erdogan a affirmé plus tard que Trump lui avait promis, lors de leur réunion à Osaka, que les États-Unis n’imposeraient pas de sanctions à la Turquie en raison de son accord avec la Russie sur les S-400. Pendant ce temps, la livraison du système S-400 en Turquie est prévue pour la semaine prochaine. (Erdogan a également déclaré récemment qu’une visite de Trump en Turquie en juillet était « en cours de discussion ».)
Une sorte d’entente entre Trump et Erdogan au sujet de l’Iran ne peut être écartée. Car bien sûr, la Turquie est en mesure de fournir une aide inestimable à l’Iran pour l’aider à faire échec aux sanctions américaines (ce qu’elle a déjà fait, dans le cadre du tristement célèbre accord pétrole contre or entre les élites commerciales turques et iraniennes pendant la présidence Obama.) Trump doit savoir que si la Turquie refuse sa « profondeur stratégique » à l’Iran, cela peut changer les données de la stratégie de « pression maximale » contre Téhéran.
De manière intéressante, le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, devrait également se rendre aux États-Unis pour rencontrer Trump le 22 juillet. La Turquie et le Pakistan ne sont pas exactement comparables, mais il y a des points communs entre les deux. La Turquie, allié mis à l’écart de l’OTAN, est ouvert à la réconciliation, tandis que le Pakistan cherche vivement à rétablir ses liens stratégiques moribonds avec les États-Unis.
En fin de compte, les États-Unis ont tout à gagner de la coopération gagnant-gagnant avec ces deux anciens alliés de la Guerre froide sur l’épineux problème de l’Iran.
La coopération de la Turquie est vitale pour que les États-Unis puissent connecter la route terrestre de l’Iran aux ports de la Syrie en Méditerranée orientale et les bases américaines dans l’est de la Turquie sont des avant-postes de renseignement clés qui surveillent l’Iran. De même, les États-Unis espèrent maintenir une « très grande » présence de leur renseignement dans les bases afghanes, ce qui nécessite l’assentiment du Pakistan. Il est certain que les services de renseignement américains ne se concentrent pas uniquement sur le problème du terrorisme, mais ciblent aussi la Russie, la Chine et l’Iran. Pour résumer, les services de renseignements américains en Turquie et au Pakistan joueront un rôle crucial dans toute confrontation militaire avec l’Iran.
Au fond, pour ce qui concerne la Turquie et le Pakistan, leur éloignement en tant qu’alliés s’est produit en raison des politiques défaillantes des États-Unis, qui ne répondaient pas adéquatement à leurs intérêts légitimes. Dans les deux cas, la dégradation et la vrille consécutive des relations ont eu lieu sous le président Obama. La mise à l’écart de la Turquie a commencé lorsque l’administration Obama a ralenti sur le projet de changement de régime en Syrie en 2012 et elle s’est exacerbée après la tentative ratée de coup d’État en 2016 pour renverser Erdogan.
Dans le cas du Pakistan également, le moment décisif a été atteint en 2011 quand une série d’incidents ont secoué les liens entre les États-Unis et le Pakistan : la détention de l’ancien employé de la CIA, Raymond Allen Davis, à Lahore en janvier, l’opération d’Abbottabad pour tuer Oussama ben Laden en mai et le massacre de 28 militaires pakistanais dans deux postes frontaliers pakistanais dans le district tribal de Mohmand par des hélicoptères Apache de l’OTAN, un navire de guerre AC-130 et des avions de chasse en novembre.
Évidemment, lors de la conférence de presse à Osaka, Trump n’a pas dévoilé ce qu’il avait demandé à Erdogan pour conclure ce marché. Mais le commentaire d’Anadolu laisse entendre que la Turquie ne sapera pas la « pression maximale » des États-Unis sur l’Iran. La Turquie a fermé ses ports au pétrole iranien, se conformant entièrement aux sanctions américaines contre son principal fournisseur, et bien qu’Erdogan ait précédemment critiqué ces mêmes sanctions en déclarant qu’elles déstabilisaient la région. Avant mai 2018, lorsque les États-Unis se sont retirés de l’accord nucléaire avec l’Iran, la Turquie importait en moyenne 912 000 tonnes de pétrole par mois de l’Iran, soit 47 % de ses importations totales.
Une fois de plus, mardi dernier [2 juillet, NdT], les États-Unis ont inscrit le Front de libération du Baloutchistan sur leur liste de surveillance du terroriste mondial et jeudi [4 juillet, NdT], Islamabad a fait l’annonce officielle de la visite d’Imran Khan aux États-Unis. Le Pakistan se trouve dans le théâtre d’opérations du Commandement central américain, de même que l’Iran. Actuellement, il n’y a pas de bases américaines au Pakistan.
Mais le Pakistan, comme la Turquie, a aussi une longue histoire d’accueil des bases militaires américaines. Rien qu’au Baloutchistan, il y avait plusieurs bases de drones américaines : l’aérodrome de Shamsi, nimbé de secret, servait exclusivement à mener des opérations par drones et abritait le personnel militaire américain ; une base aérienne des Forces aériennes pakistanaises sur la frontière Sindh-Baloutchistan, avait également été utilisée pour les opérations de drones de la CIA ; l’aéroport de Pasni où les avions espions américains étaient basés, et ainsi de suite.
M. K. Bhadrakumar
Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone
Ping : Les origines de l’État profond en Amérique du nord – 1/6 – Le Saker Francophone – DE LA GRANDE VADROUILLE A LA LONGUE MARGE