Par Caitlin Johnstone – Le 29 juin 2019 – Source Medium.com
Après s’être fait écrabouiller sur scène [pendant le premier débat des Démocrates du 26 juin] par Tulsi Gabbard, la direction de campagne de Tim « Putain, qui est ce type ? » Ryan a publié une déclaration qui dénonçait comme « isolationniste » le souhait de la députée d’Hawaï de mettre fin à une occupation militaire inutile de 18 ans [en Afghanistan].
« Alors qu’il expliquait pourquoi l’Amérique ne peut pas céder son leadership international et se retirer du monde entier, Tim a été interrompu par la Représentante Tulsi Gabbard », peut-on lire dans la déclaration. « Lorsqu’il a essayé de lui répondre, elle a déformé un point factuel que Tim avait soulevé, c’est-à-dire que les talibans étaient complices des attaques du 11 septembre en fournissant de la formation, des bases et un refuge à Al-Qaïda et à ses dirigeants. Prétendre que Tim Ryan ne sait pas qui est responsable des attaques du 11 septembre est tout simplement malhonnête. En outre, nous continuons de rejeter l’isolationnisme de Gabbard et ses croyances erronées en matière de politique étrangère. Nous refusons d’être sermonnés par quelqu’un qui pense qu’il est acceptable de dîner avec des dictateurs meurtriers comme Bachar Al-Assad, en Syrie, qui a utilisé des armes chimiques contre son propre peuple. »
La direction de campagne de Ryan ment. Lors d’un échange qui portait explicitement sur les talibans en Afghanistan, Ryan a dit clairement : « Quand nous n’étions pas là-bas, ils ont commencé à envoyer des avions dans nos immeubles. » Au mieux, Ryan peut faire valoir que, lorsqu’il a prononcé « ils », il a soudainement cessé de parler des talibans pour évoquer Al-Qaïda sans se donner la peine de le préciser, mais dans ce cas il ne peut légitimement pas prétendre que Gabbard a « déformé » tout ce qu’il avait dit. Au pire, il n’était tout simplement pas au courant à ce moment de la distinction très claire entre le groupe armé et l’organe politique appelé les talibans d’un côté et l’organisation extrémiste multinationale appelée Al-Qaïda de l’autre.
Plus significatif encore, la direction de campagne de Ryan, qui utilise le mot « isolationnisme » pour décrire la simple idée de bon sens de se retirer d’une occupation militaire meurtrière et coûteuse, qui n’aboutit à rien, met en évidence une méthode de plus en plus courante consistant à cibler tout ce qui n’est pas de l’expansionnisme militaire sans fin comme étrange et aberrant plutôt que normal et bon. Dans le contexte de notre actuel paradigme de langue de bois orwellienne où la guerre pour toujours est la nouvelle normalité, le contraire de la guerre n’est plus la paix, mais l’isolationnisme. Cette éviction d’un antonyme positif de la guerre hors du lexique autorisé par la classe dirigeante a pour résultat que la guerre est toujours l’option souhaitable.
C’est complètement délibéré. Ce petit tour de magie verbale est utilisé depuis longtemps pour traiter comme quelque chose de bizarre et de dangereux toute idée qui s’écarterait de l’agenda néoconservateur d’unipolarité globale par les moyens d’un impérialisme violent. Dans son discours d’adieu à la nation, le criminel de guerre George W. Bush a déclaré ceci :
« Face aux menaces venant de l’étranger, il peut être tentant de chercher du réconfort en se repliant sur soi. Mais nous devons rejeter l’isolationnisme et son compagnon, le protectionnisme. Se replier derrière nos frontières ne ferait qu’attiser le danger. Au XXIe siècle, la sécurité et la prospérité intérieures dépendent de l’expansion de la liberté à l’étranger. Si l’Amérique ne mène pas le combat pour la liberté, ce combat ne sera pas mené. »
Quelques mois après le discours de Bush, Rich Rubino d’Antiwar a rédigé un article intitulé « Le non-interventionnisme n’est PAS de l’isolationnisme », expliquant la différence entre une nation qui se retire entièrement du monde et une nation qui résiste simplement à la tentation d’utiliser l’agression militaire, sauf en cas de légitime défense.
« L’isolationnisme veut qu’un pays n’ait pas de relations avec le reste du monde », écrivait Rubino. « Dans sa forme la plus pure, cela signifierait que les ambassadeurs ne seraient pas échangés avec d’autres nations, que les communications avec les gouvernements étrangers seraient pour l’essentiel superficielles et les relations commerciales inexistantes. »
« Un non-interventionniste soutient les relations commerciales », plaidait Rubino. « En fait, sur le plan commercial, de nombreux non-interventionnistes partagent des penchants libertaires, annuleraient unilatéralement tous les droits de douane, ils seraient ouverts au commerce avec toutes les nations qui le souhaitent. De plus, les non-interventionnistes accueillent favorablement les échanges culturels et les échanges d’ambassadeurs avec toutes les nations qui le souhaitent. »
« Un non-interventionniste croit que les États-Unis ne devraient pas intervenir dans des conflits entre d’autres nations ou des conflits au sein des nations », poursuivait Rubino. « Au cours de l’histoire récente, les non-interventionnistes se sont révélés prophétiques en prévenant des dangers pour les États-Unis d’être entravés par des alliances. Les États-Unis ont subi des effets délétères et ont provoqué une inimitié parmi d’autres gouvernements, citoyens et des acteurs non étatiques à la suite de leurs interventions à l’étranger. Les interventions des États-Unis en Iran et en Irak ont eu des conséquences cataclysmiques. »
Appeler une aversion à la violence militaire sans fin « isolationnisme » revient à appeler une aversion à l’agression de personnes « agoraphobie ». Pourtant, vous verrez que cette étiquette ridicule s’applique à la fois à Gabbard et à Trump, qui ne sont ni isolationnistes, ni même des non-interventionnistes au sens propre. Tulsi Gabbard soutient la plupart des alliances militaires américaines et continue d’exprimer son soutien total à la factice « guerre au terrorisme » mise en œuvre par l’administration Bush, qui ne sert en fait qu’à faciliter un expansionnisme militaire sans fin. De son côté, Trump pousse ouvertement l’interventionnisme jusqu’à un changement de régime au Venezuela et en Iran, tout en refusant de respecter ses promesses de retirer l’armée américaine de la Syrie et de l’Afghanistan.
Un autre qualificatif malhonnête que l’on vous lance quand vous débattez de la guerre sans fin est le « pacifisme ». « Certaines guerres sont mauvaises, mais je ne suis pas pacifiste : parfois la guerre est nécessaire », vous diront les partisans d’une intervention militaire donnée. Ils diront cela en défendant la guerre potentiellement catastrophique de Trump en Iran, en appuyant une invasion en vue d’un changement de régime débile en Syrie, en soutenant des interventions militaires américaines désastreuses du passé comme en Irak.
Ce sont des conneries, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pratiquement personne n’est un pacifiste pur qui s’oppose à la guerre dans toutes les circonstances possibles. Toute personne qui prétend qu’elle ne peut imaginer aucun scénario possible dans lequel elle défendrait l’utilisation d’une sorte de violence coordonnée ne s’est pas creusé la cervelle bien profondément, ou elle se ment. Par exemple, si vos proches venaient à être violés, torturés et tués par un groupe hostile à moins qu’une force adverse ne prenne les armes pour les défendre, vous défendriez celle-ci. Que dis-je, vous la rejoindriez probablement. Ensuite, assimiler l’opposition à l’interventionnisme américain en vue d’un changement de régime, qui est littéralement toujours désastreux et littéralement toujours inutile, n’est pas du tout comparable à s’opposer à toute guerre dans n’importe quelle circonstance imaginable.
Une autre distorsion courante que vous rencontrerez est l’argument spécieux selon lequel un adversaire donné de l’interventionnisme américain « n’est pas anti-guerre » parce qu’il ne s’oppose pas à toute guerre en toutes circonstances. Ce tweet de Mehdi Hasan de The Intercept en est un exemple parfait : il affirme que Gabbard n’est pas anti-guerre parce qu’elle soutient le droit souverain de la Syrie à se défendre, avec l’aide de ses alliés, contre les factions extrémistes violentes qui envahissent le pays, avec l’appui de l’Occident. Encore une fois, pratiquement personne ne s’oppose à toute guerre en toutes circonstances. Si une coalition de gouvernements étrangers avait aidé à submerger le pays d’Hasan, la Grande-Bretagne, de milices extrémistes qui auraient mis à feu et à sang le Royaume-Uni dans le but ultime de renverser Londres, Tulsi Gabbard et Hasan soutiendraient la lutte contre ces milices.
Pour ces raisons, l’expression « anti-guerre » peut être quelque peu trompeuse. Le terme anti-interventionniste ou non-interventionniste décrit le mieux le système de valeurs de ceux qui s’opposent à la guerre de l’Empire occidental, parce qu’ils ont compris que les appels à l’interventionnisme militaire qui se généralisent dans le contexte actuel sont presque exclusivement basés sur des programmes impérialistes destinés à s’emparer du pouvoir, du profit et de l’hégémonie mondiale. L’étiquette « isolationniste » ne s’en approche même pas.
Tout repose sur la souveraineté. Un anti-interventionniste croit qu’un pays a le droit de se défendre, mais il n’a pas le droit de conquérir, de capturer, d’infiltrer ou de renverser d’autres nations, secrètement ou ouvertement. À la « fin » du colonialisme, nous étions tous d’accord sur l’idée que nous en avions fini avec cela, sauf que les manipulateurs sans nation ont trouvé des moyens beaucoup plus subtils de s’emparer de la volonté et des ressources d’un pays sans même y planter un drapeau. Nous devons être plus clairs sur ces distinctions et élever la voix pour les défendre car c’est la seule façon sensée et cohérente de mener une politique étrangère.
Caitlin Johnstone
Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone