Notes du Saker Francophone : L’histoire de la domination coloniale occidentale sur le monde et au Moyen-Orient, est une succession de violence, de mensonges, d’assassinats, de contrôle de territoires, bref une histoire de mafieux voulant imposer leurs lois sur le quartier voisin. L’Européen moyen le réalise-t-il ? Non. Il ne veut même pas en entendre parler, car il est convaincu que l’Europe incarne les valeurs humanistes dans un monde de brutes. Penser le contraire lui est impossible. Et pourtant, si l’Europe veut vraiment évoluer et trouver sa place dans le futur monde multipolaire, il va bien falloir qu’elle sorte de cette attitude bipolaire.
Par Joe Lauria – Le 9 avril 2016 – Source Consortium News.
Quand un avion commercial russe a explosé en vol au dessus du Sinaï égyptien en octobre dernier, les médias occidentaux ont rapporté que cet attentat revendiqué par État islamique avait été commis en représailles aux frappes aériennes russes en Syrie. Le meurtre de 224 personnes, principalement des touristes russes en vacances, a été traité d’un ton neutre, comme un acte de guerre perpétré par un groupe fanatique n’ayant pas de force aérienne et donc étant obligé d’avoir recours au terrorisme comme unique moyen de riposte.
Pourtant, les armées occidentales ont tué infiniment plus de civils innocents dans les pays musulmans que la Russie. Alors pourquoi les fonctionnaires et les médias occidentaux ne présentent-ils pas les attaques terroristes sur New York, Paris et Bruxelles comme des représailles contre la violence occidentale ?
Au contraire, on peut voir une volonté farouche de ne pas faire le même type de liens que la presse faisait si facilement, quand c’était la Russie qui était la victime du terrorisme islamique. [Voir Consortiumnews.com : Obama Ignore les victimes russes du terrorisme.]
Par exemple, pendant les quatre heures de couverture par Sky News, le 7 juillet 2005, des attentats de Londres, seule une brève mention a été faite au sujet d’un motif possible pour expliquer les actes horribles commis contre trois métros et un bus, tuant 52 personnes. Pourtant, ces attentats survenaient juste deux ans après la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion meurtrière de l’Irak.
Le Premier ministre Tony Blair, l’un des architectes de la guerre en Irak, a condamné la perte de vies innocentes à Londres et lié les attaques à un sommet du G-8 qu’il venait d’inaugurer le matin même. Un animateur de télévision a ensuite lu pendant 10 secondes la revendication de responsabilité d’Al-Qaïda émise par un membre autoproclamé en Allemagne et disant que l’invasion de l’Irak était la justification de cet attentat. Il n’y a plus eu la moindre discussion à ce sujet.
Expliquer pourquoi ces attaques se produisent ne veut pas dire tolérer ou justifier ces attentats terroristes contre des civils innocents. Cela fait tout simplement partie de la responsabilité du journalisme, en particulier lorsque le pourquoi n’est pas un mystère. Tout cela a été entièrement expliqué par Mohammad Sidique Khan, l’un des quatre kamikazes de Londres. Bien que parlant seulement au nom d’une fraction minuscule des musulmans, il a déclaré dans un enregistrement sur bande vidéo avant l’attaque:
«Vos gouvernements démocratiquement élus perpétuent sans arrêt des atrocités contre mon peuple partout dans le monde. Et votre soutien à ces atrocités vous rend directement responsables, tout comme je suis directement responsable de protéger et de venger mes frères et sœurs musulmans. Jusqu’à ce que nous nous sentions en sécurité, vous serez nos cibles et jusqu’à ce que vous arrêtiez de bombarder, de gazer, d’emprisonner et de torturer mon peuple, nous continuerons ce combat. Nous sommes en guerre et je suis un soldat. Maintenant, vous aussi allez goûter à la réalité de cette situation.»
État islamique a publié la raison suivante pour justifier les attentats de Paris en novembre:
«Que la France et toutes les nations qui font comme elle, sachent qu’elles continueront d’être en tête de liste des cibles d’État islamique, et que l’odeur de la mort ne quittera pas leurs narines tant qu’ils participeront à la campagne des croisés […] et continuent d’être fiers de leur guerre contre l’islam en France et leurs frappes aériennes contre les musulmans sur les terres du califat.»
Déclarer que c’est un état d’esprit
Ignorant totalement ces déclarations d’intention pourtant très claires, on nous sert plutôt un bromure par ceux qui, comme le porte-parole du département d’État Mark Toner, disent qu’il est impossible «d’entrer dans l’esprit de ceux qui exécutent ces attentats».
La capacité de lire un esprit n’est cependant pas nécessaire. État islamique nous a explicitement dit, dans un communiqué de presse, pourquoi il a organisé les attentats de Bruxelles: «Nous avons promis des jours sombres pour toutes les nations Croisées alliées dans leur guerre contre État islamique, en réponse à leurs agressions contre nous. »
Pourtant, ayant encore du mal à expliquer pourquoi c’est arrivé, Toner nous dit: «Je pense que cela reflète plus un effort pour frapper ce qu’ils considèrent comme occidental ou comme Occidentaux »
Toner a attribué le motif à un état d’esprit: «Je ne sais pas si c’est en lien avec l’établissement d’un califat, au-delà des gains territoriaux qu’ils ont essayé d’obtenir en Irak et en Syrie, mais c’est aussi un autre aspect de l’idéologie tordue de Daesh, que d’exécuter des attaques sur l’Europe et ailleurs si possible. […] Que ce soient les espoirs, les rêves ou les aspirations d’un peuple, cela ne devrait jamais justifier la violence.»
A la suite du 11 septembre, le président George W. Bush a déclaré que les États-Unis ont été attaqués parce qu’«ils détestent nos libertés». C’est l’exemple parfait du point de vue occidental qui attribue des intentions aux Orientaux sans les laisser parler pour eux-mêmes ou ne les prennent pas au sérieux quand ils s’expriment.
Expliquant ses motivations pour avoir organisé le 11 septembre, Oussama ben Laden, dans sa Lettre à l’Amérique, a exprimé sa colère à propos des troupes américaines stationnées sur le sol saoudien. Ben Laden a demandé: «Pourquoi nous battons-nous et nous opposons-nous à vous? La réponse est très simple: parce que vous nous avez attaqués et continuez à nous attaquer.» (Aujourd’hui les États-Unis ont des dizaines de bases dans sept pays de la région.)
Alors, pourquoi les fonctionnaires et les médias occidentaux ne prennent-ils pas les déclarations d’intention des djihadistes au pied de la lettre? Pourquoi ne nous disent-ils pas vraiment pourquoi nous sommes attaqués?
Il semble que ce soit une tentative pour couvrir une histoire longue et de plus en plus intense d’interventions militaires et politiques occidentales au Moyen-Orient et pour nier les réactions violentes qu’elles provoquent, réactions qui mettent des vies occidentales innocentes en danger. La culpabilité occidentale indirecte dans ces actes terroristes est systématiquement omise, comme les preuves de l’implication directe de l’Occident dans le terrorisme sont systématiquement effacées et niées.
Certains responsables gouvernementaux et journalistes peuvent se leurrer en croyant que l’intervention occidentale au Moyen-Orient est une tentative pour protéger les civils et répandre la démocratie dans la région, plutôt que d’apporter le chaos et la mort pour faire avancer les objectifs stratégiques et économiques de l’Occident. Pourtant, d’autres responsables devraient forcément le savoir.
1920-1950: Un siècle d’interventionnisme commence.
Quelques-uns doivent déjà connaître l’histoire, la plupart du temps cachée, des actions hypocrites et souvent irresponsables des Occidentaux au Moyen-Orient. Elle est cependant ignorée par la plupart des Occidentaux. Il est donc instructif de regarder en détail cet épouvantable bilan d’ingérence dans la vie de millions de musulmans afin d’apprécier le poids que cela a fait peser sur la région. Cela va aider à expliquer la colère anti-occidentale qui anime quelques radicaux et les pousse à commettre des atrocités en Occident.
Cette histoire est une chaîne ininterrompue d’interventions, de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Elles ont commencé après la guerre, quand la Grande-Bretagne et la France ont utilisé les Arabes en leur promettant l’indépendance contre leur aide dans la victoire sur l’Empire ottoman. L’accord secret Sykes-Picot de 1916 a divisé la région entre les puissances européennes, dans le dos des Arabes. Londres et Paris ont créé des nations artificielles, en découpant les provinces ottomanes, prévues pour être contrôlées par des rois et des dirigeants désignés et installés par eux, avec intervention militaire directe si nécessaire.
S’en sont suivis, pendant 100 ans, des efforts continus de la Grande-Bretagne et de la France, puis par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, pour garder la domination occidentale sur une région rebelle. Le nouveau gouvernement soviétique a dénoncé les accords Sykes-Picot en novembre 1917 à Izvestia. Lorsque la première guerre fut terminée, les Arabes se sont révoltés contre la duplicité britannique et française. Londres et Paris ont impitoyablement maté les soulèvements indépendantistes.
La France a vaincu le gouvernement syrien autoproclamé en une seule journée, le 24 Juillet 1920, à la Bataille de Khan Mayssaloun. Cinq ans plus tard il y eut une seconde révolte syrienne, remplie d’histoires d’assassinats et de sabotages, qu’il a fallu deux ans pour écraser. Si vous traversez le souk du Vieux Damas et regardez les toits en tôle ondulée, vous voyez de minuscules taches de lumière passer furtivement au travers. Ce sont les trous des balles des avions de guerre français qui ont massacré les civils vivant dessous.
La Grande-Bretagne a elle aussi maté une série de révoltes indépendantistes, en Irak, entre 1920 et 1922, d’abord en y envoyant 100 000 soldats britanniques et indiens, puis grâce à la première utilisation de la puissance aérienne en contre-insurrection. Des milliers d’Arabes ont été tués. La Grande-Bretagne a également aidé le roi Abdallah, qu’elle avait mis en place, à écraser les rébellions en Jordanie, entre 1921 et 1923.
Puis Londres eut à affronter une révolte arabe en Palestine qui dura de 1936 à 1939, qu’elle a brutalement écrasée, tuant environ 4 000 Arabes. La décennie suivante, ce sont les terroristes israéliens qui ont bouté les Britanniques hors de Palestine en 1947, l’un des rares cas où des terroristes ont atteint leurs objectifs politiques.
L’Allemagne et l’Italie, en retard dans ce jeu impérialiste, étaient prêtes à envahir l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au début de la Seconde Guerre mondiale. Elles en ont été chassées par les forces impériales britanniques (en grande partie indiennes) avec l’aide des États-Unis. La Grande-Bretagne a envahi et vaincu l’Irak, théoriquement indépendant, qui avait pris le parti de l’Axe. Avec l’Union soviétique, la Grande-Bretagne a également envahi et occupé l’Iran.
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont assumé la domination régionale sous le prétexte de repousser l’influence soviétique sur la région. Trois ans seulement après que la France eut accordé l’indépendance à la Syrie, la toute nouvelle CIA y a fomenté un coup d’État en 1949, contre un gouvernement démocratique et laïc. Pourquoi? Parce celui-ci a hésité à approuver un plan d’oléoduc saoudien que les États-Unis voulaient favoriser. Washington a intronisé Husni al-Za’im, un dictateur militaire, qui a immédiatement approuvé le projet d’oléoduc.
Les années 50: la Syrie d’avant et de maintenant
Avant les grandes guerres d’invasion et de guerres aériennes en Irak et en Libye des 15 dernières années, les années 1950 étaient l’époque de la plus forte, et surtout secrète, intervention de l’Amérique au Moyen-Orient. L’administration Eisenhower voulait contenir à la fois l’influence soviétique et le nationalisme arabe, qui ranimait la quête d’une nation arabe indépendante. Après une série de coups et contre-coups, la Syrie est revenue à la démocratie en 1955, en se tournant vers les Soviétiques.
Une tentative de coup d’État en Syrie, en 1957, de la part de l’administration Eisenhower, dans laquelle la Jordanie et l’Irak allaient envahir le pays sous un faux prétexte, a horriblement mal tourné, provoquant une crise qui a échappé au contrôle de Washington et a entraîné les États-Unis et les Soviétiques au bord de la guerre.
La Turquie a placé 50 000 soldats à la frontière syrienne, menaçant de l’envahir. Le premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev a implicitement menacé la Turquie d’une attaque nucléaire et les États-Unis ont poussé Ankara à reculer. Cela rappelle étrangement ce qui est arrivé le mois dernier lorsque la Turquie a de nouveau menacé d’envahir la Syrie et les États-Unis y ont mis un frein. La principale différence est que l’Arabie saoudite, en 1957, était opposée à l’invasion de la Syrie, alors qu’elle était prête à y participer le mois dernier. [Voir Risquer la guerre nucléaire pour Al-Qaïda? De Consortiumnews.com]
Dans les années 1950, les États-Unis ont également débuté leur association avec l’extrémisme religieux islamique pour contrer l’influence soviétique et contenir le nationalisme arabe laïc. Nous devons tout faire pour souligner l’aspect guerre sainte, a déclaré le président Eisenhower à son secrétaire d’État John Foster Dulles. Après la Guerre froide, les extrémistes religieux, dont certains sont encore alliés à l’Occident, sont devenus eux-mêmes l’alibi de l’intervention des États-Unis.
Malgré l’ascendance régionale des États-Unis dans les années 1950, la Grande-Bretagne et la France y sont restées. En 1953, un coup d’État MI6-CIA en Iran a remplacé une démocratie par une monarchie restaurée, lorsque Mohammed Mossadegh, le Premier ministre élu, a été renversé après avoir cherché à nationaliser le pétrole iranien sous contrôle britannique. La Grande-Bretagne avait découvert du pétrole en Iran en 1908, ce qui a provoqué un profond intérêt pour la région.
Trois ans plus tard la Grande-Bretagne et la France se sont alliées avec Israël pour attaquer l’Égypte en 1956, lorsque le président Gamal Abdel Nasser, qui avait pris le relais du roi Farouk soutenu par la Grande Bretagne mais évincé, a proposé de nationaliser le canal de Suez. Les États-Unis ont fait arrêter cette opération en menaçant la Grande-Bretagne de lui supprimer son approvisionnement en pétrole d’urgence et son accès au Fonds monétaire international si les Britanniques ne reculaient pas.
Suez a représenté le virage ultime dans l’influence occidentale au Moyen-Orient, passant du Royaume Uni aux États-Unis. Mais Washington n’a pas pu empêcher la Grande-Bretagne d’essayer et de rater l’assassinat de Nasser, ce qui a déclenché le mouvement nationaliste arabe.
En 1958, les États-Unis ont débarqué 14 000 Marines au Liban pour soutenir le président Camille Chamoun, après qu’une guerre civile avait éclaté contre l’intention de Chamoun de changer la constitution pour pouvoir se faire réélire. La rébellion a été très peu soutenue par la République Arabe Unie, cette union qui dura de 1958 à 1961 entre l’Égypte et la Syrie. Ce fut la première invasion américaine d’un pays arabe, à l’exclusion de l’intervention de la Seconde Guerre mondiale des États Unis en Afrique du Nord.
De 1960 à 2003: les interventions post-coloniales
La rébellion de l’Algérie, qui dura de 1954 à 1962, contre le colonialisme français, que Paris a essayé de brutalement réprimer, fut parsemée d’actes de terrorisme algériens. Exposant la même attitude désarçonnée affichée par le porte-parole du département d’État, Toner, l’attitude française envers le soulèvement a été exprimée par un officier français exaspéré dans le film La Bataille d’Alger, où celui ci hurle : «Mais que veulent donc ces gens ?»
Des années 1960 aux années 1980, l’intervention des États-Unis dans la région a été principalement limitée à un soutien militaire à Israël dans les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973. Du point de vue arabe, cela représente un engagement important des États-Unis pour protéger le colonialisme israélien.
L’Union soviétique est aussi intervenue directement dans la guerre d’usure entre l’Égypte et Israël, qui dura de 1967 à 1970, quand Nasser est allé à Moscou pour dire qu’il aurait à démissionner et serait remplacé par un dirigeant pro-occidental si les Russes ne venaient pas à son aide. En soutenant Nasser, les Soviétiques ont perdu 58 hommes.
Les Soviétiques ont également été impliqués dans la région à des degrés et à des moments différents pendant la Guerre froide, en fournissant une aide aux Palestiniens, à l’Égypte de Nasser, à la Syrie, à l’Irak de Saddam et à la Libye de Mouammar Kadhafi – tous ces pays et dirigeants cherchant une voie indépendante de l’Occident.
Pendant le conflit, dit Septembre Noir, en 1970, entre la Jordanie et la guérilla palestinienne, les États-Unis avaient des Marines prêts à Haïfa pour sécuriser l’aéroport d’Amman lorsque la Jordanie a repoussé une invasion syrienne en faveur des Palestiniens.
Dans les années 1980, les États-Unis ont soutenu Saddam Hussein dans sa brutale guerre de huit ans contre l’Iran, lui fournissant des armes, des renseignements et des armes chimiques, qu’il n’a pas hésité à utiliser contre les Iraniens et les Kurdes. Le président Ronald Reagan a également bombardé la Libye en 1986 après l’avoir accusée, sans preuves flagrantes, d’un attentat à Berlin, dix jours plus tôt, qui avait tué un soldat américain.
Les États-Unis sont intervenus plus directement dans la région, animés par la vengeance, dans la guerre du Golfe de 1991, enterrant vivantes les troupes irakiennes, qui s’étaient rendues, avec des bulldozers, en tirant dans le dos de milliers de soldats alors qu’ils battaient en retraite sur l’Autoroute de la Mort et en poussant les chiites au sud et les Kurdes au nord à se soulever, puis en les laissant se venger de Saddam.
L’Irak n’a jamais vraiment récupéré de cette dévastation, après avoir été écrasé pendant 12 ans sous les sanctions américaines et celles des Nations Unies, qui, selon les mots mêmes de Madeleine Albright, ambassadrice aux Nations Unies, ont contribué à la mort d’un demi-million d’enfants irakiens. Mais elle a dit que tout cela en valait la peine.
Les sanctions contre l’Irak ont seulement pris fin après l’invasion de 2003, menée par les États-Unis et la Grande Bretagne, de la nation arabe souveraine, une agression justifiée par des déclarations mensongères sur l’Irak cachant des stocks d’armes de destruction massive qui pourraient être partagées avec Al-Qaïda. L’invasion a tué des centaines de milliers de personnes et a laissé l’Irak dévastée. L’invasion a également déclenché une guerre civile et a donné naissance au groupe terroriste État islamique en Irak qui a ensuite fusionné avec les terroristes en Syrie pour devenir Daesh.
Tout au long de ce siècle d’interventions, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis ont régenté la région grâce à de solides alliances avec des dictateurs ou des monarques, qui n’ont eu aucun égard pour les droits démocratiques. Mais quand ces autocrates deviennent incontrôlables, comme Saddam Hussein, alors ils sont éliminés.
Voici venir la plus grande invasion
Alors que la plupart des Américains ignorent cette longue histoire d’humiliation vécue par les musulmans, les chrétiens et les autres minorités religieuses de la région – et la haine de l’Occident en résultant – ils ne peuvent pas ignorer l’invasion de l’Irak, la plus grande invasion occidentale de la région, à l’exclusion de la Seconde Guerre mondiale. Ni ignorer celle de 2011 en Libye, et le chaos qui en a résulté. Et pourtant, aucun lien n’est fait entre ces catastrophes et les attaques terroristes contre l’Occident.
Les hommes forts séculaires de l’Irak, de la Libye et de la Syrie ont été ciblés parce qu’ils ont osé être indépendants de l’hégémonie occidentale, et non pas à cause de leurs horribles dossiers sur les droits de l’homme. La preuve en est que les dossiers sur les droits de l’homme de l’Arabie Saoudite et d’Israël sont aussi épouvantables, mais les États-Unis se tiennent toujours fermement aux côtés de ces alliés.
Au cours du soi-disant printemps arabe, quand les Bahreïnis exigeaient la démocratie dans cette île-royaume, les États-Unis ont préféré regarder de l’autre côté pendant que les manifestants étaient écrasés par une alliance entre la monarchie et les troupes saoudiennes. Washington a également soutenu l’homme fort égyptien Hosni Moubarak jusqu’à la fin.
Pendant ce temps, sous le prétexte de protéger la population libyenne, les États-Unis et l’Otan ont mis en œuvre un sanglant changement de régime en Libye conduisant à l’anarchie, à un autre État failli et à la création d’une enclave de plus pour État islamique. Au cours de ces cinq dernières années, l’Occident et ses alliés du Golfe ont alimenté la guerre civile en Syrie, ce qui a provoqué une autre catastrophe humanitaire.
La vraie motivation de l’Occident pour toute cette ingérence, est souvent ramenée au pétrole. Mais l’obéissance est aussi un facteur important. Hans Morgenthau a écrit dans La politique entre les nations (1968), que l’envie des empires de s’élargir «ne sera pas satisfaite tant qu’il restera quelque part un objet possible de domination – un groupe politiquement organisé d’hommes qui, par leur indépendance même, attise la convoitise du conquérant pour le pouvoir».
Tariq Ali, dans son livre, publié en 2003, Bush à Babylone, écrit à propos de Gnaeus Julius Agricola, le général romain responsable de la majeure partie de la conquête de la Grande-Bretagne au premier siècle: «Pendant l’une de ses visites aux confins de l’Angleterre, Agricola a regardé en direction de l’Irlande et a demandé à un collègue pourquoi elle était resté inoccupée. Parce qu’elle n’était faite que de terres marécageuses incultivables et habitée par des tribus très primitives. Que pourrait-elle avoir à offrir au grand Empire? Telle fut sa réponse. Le malheureux a été sévèrement réprimandé. Le gain économique n’est pas tout. Bien plus important est l’exemple fourni par un pays inoccupé. Il est peut-être arriéré, mais il est encore libre.»
Des motifs cachés
Très peu de cette longue histoire de manipulation, de tromperie et de brutalité occidentale au Moyen-Orient est connue par les Américains, parce que les médias américains n’en parlent jamais pour expliquer les attitudes arabes et iraniennes envers l’Occident. [La même chose en Europe, NdT]
Par contre, les musulmans se souviennent bien de leur histoire. Je connais des Arabes qui sont encore furieux contre le coup de poignard dans le dos que furent les accords Sykes-Picot, sans parler des déprédations les plus récentes. Regardez comment les fanatiques d’État islamique sont encore bloqués sur les Croisades, une période encore plus ancienne d’intervention occidentale. À certains égards, il est surprenant, et heureux, que seule une petite fraction de musulmans se soit orientée vers le terrorisme.
Néanmoins, un islamophobe comme Donald Trump veut empêcher tous les musulmans d’entrer aux États-Unis jusqu’à ce qu’il comprenne mais bon sang qu’est ce qui se passe. Il dit que les musulmans ont une haine profonde des Américains. Mais il ne pourra pas le comprendre tant qu’il reste ignorant de la principale cause de cette haine – le siècle passé d’intervention, et, cerise sur le gâteau, les plus récentes atrocités occidentales en Irak et en Libye.
Nier les motifs politiques et historiques fait des terroristes rien de plus que des dingues alimentés par une haine irrationnelle d’un Occident pourtant bienveillant qui prétend ne vouloir que les aider. Ils nous détestent simplement parce que nous sommes occidentaux, selon des personnes comme Toner, et non pas parce que nous avons fait quelque chose contre eux.
De la même façon, Israël et ses facilitateurs occidentaux enterrent également l’histoire du nettoyage ethnique palestinien et le morcellement de la Palestine, afin de pouvoir condamner les Palestiniens qui se tournent vers le terrorisme, en disant que c’est simplement par haine contre les juifs.
J’ai demandé à plusieurs Israéliens pourquoi les Palestiniens ont tendance à les haïr. Plus l’Israélien était instruit, plus la réponse était relatif à l’histoire et à la façon dont Israël a été créé et comment le pays continue à régner. Par contre, les moins instruits répondaient qu’ils nous détestent simplement parce que nous sommes juifs.
Il n’y a aucune excuse au terrorisme. Mais il existe un moyen efficace de l’enrayer: mettre fin aux interventions et occupations actuelles et ne plus en planifier.
La psychologie de la terreur
Bien sûr, la colère envers l’histoire occidentale faite d’exploitation des terres musulmanes n’est pas la seule motivation pour le terrorisme. Il y a des pressions émotionnelles et des effets de groupe qui poussent certains à franchir la ligne pour se sangler de bombes et se faire sauter avec des innocents autour d’eux. Heureusement, seuls quelques individus très spéciaux vont réagir à cette triste histoire par des actes horribles de terrorisme.
L’argent joue également un rôle. Nous avons vu des vagues de défections quand EI a récemment réduit de moitié les salaires des combattants. La colère contre des chefs locaux installés et sécurisés par les Occidentaux et qui oppriment leur peuple pour les intérêts de l’Occident en est un autre motif. Les prédicateurs extrémistes, en particulier les wahhabites saoudiens, partagent également la responsabilité car ils poussent au terrorisme, généralement contre les chiites.
Patauger dans la psychologie de quelqu’un se tournant vers le terrorisme est une tâche peu enviable. La position officielle de l’Occident est que les extrémistes islamistes détestent simplement la modernité et la laïcité. Cela pourrait être leur motivation à vouloir ramener en arrière leurs propres sociétés et y supprimer l’influence occidentale. Mais ce n’est pas ce qu’ils disent quand ils revendiquent la responsabilité des attentats frappant l’Occident.
Ignorer leurs paroles et rejeter les réactions violentes provoquées par l’histoire longue et continue de l’intervention occidentale, peut protéger les Américains et les Européens de leur propre culpabilité envers ces atrocités. Mais cela fournit également une couverture pour que les interventions continuent, interventions qui vont produire toujours plus de terrorisme.
Plutôt que de regarder le problème objectivement – et avec un peu d’autocritique –, l’Occident camoufle sa propre violence avec l’excuse de répandre la démocratie (qui semble ne jamais se matérialiser) ou de protéger les civils (qui sont plutôt mis en danger). Admettre un lien entre ce sordide dossier historique et le terrorisme anti-occidental, serait admettre la culpabilité de l’Occident et reconnaître le prix à payer pour sa domination.
Pire encore, laisser les terroristes être perçus comme des hommes simplement fous et sans cause donne une justification à la poursuite de l’action militaire. C’est précisément ce que l’administration Bush a fait après le 11 septembre, cherchant absolument à relier les attentats au gouvernement irakien.
En revanche, établir une connexion entre le terrorisme et l’intervention occidentale pourrait déclencher un grave examen de conscience envers le comportement de l’Occident dans la région, susceptible d’amener à une possible retraite et même à la fin de cette domination extérieure. Mais c’est clairement quelque chose que les décideurs à Washington, Londres et Paris – et leurs médias serviles – ne sont pas prêts à faire.
[Pour en savoir plus sur ce sujet, voir Consortiumnews.com Pourquoi Beaucoup de musulmans haïssent l’Occident et Souvenirs musulmans de l’impérialisme occidental.]
Joe Lauria est un journaliste vétéran spécialisé dans les affaires étrangères. Il a écrit pour le Boston Globe, le London Daily Telegraph, le Johannesburg Star, la Gazette de Montréal, le Wall Street Journal et d’autres journaux. Il peut être contacté à joelauria@gmail.com et suivi sur Twitter à @unjoe.
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.
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