Pourquoi et comment le capitalisme a besoin d’être réformé 1/2


Par Ray Dalio – Le 12 avril 2019 – Source EconomicPrinciples.org

Web Summit 2018 - Forum - Day 2, November 7 HM1 7481 (44858045925).jpgJ’ai eu la chance d’être élevé dans une famille de la classe moyenne par des parents qui prenaient soin de moi, d’aller dans de bonnes écoles publiques et d’entrer dans un marché du travail qui m’offrait des opportunités équitables. J’ai été élevé avec la conviction qu’il est juste d’accéder de manière équitable à des soins de base, une bonne éducation et un emploi, et que c’est le mieux pour notre bien-être collectif. Avoir ces choses à disposition et les utiliser pour construire une vie digne d’être vécue est la signification du rêve américain.

À l’âge de douze ans, on pourrait dire que je suis devenu capitaliste parce que c’est à ce moment-là que j’ai gagné de l’argent en faisant divers travaux, comme livrer des journaux, tondre des pelouses et faire le caddy sur les terrains de golf, et que je l’ai mis en bourse lorsque le marché boursier était propice. Cela m’a rendu accro au jeu de l’investissement économique que j’ai joué pendant la plupart des 50 dernières années. Or, pour réussir à ce jeu, j’ai dû acquérir une compréhension pratique de la façon dont les économies et les marchés fonctionnent. Mon contact avec la plupart des systèmes économiques, dans la plupart des pays, pendant de nombreuses années, m’a appris que la capacité à gagner de l’argent, de l’épargner, et de le transformer en capital (ce qu’on appelle le capitalisme) est la motivation personnelle et l’allocation des ressources les plus efficaces pour élever le niveau de vie des gens. Au cours de ces nombreuses années, j’ai aussi vu le capitalisme dysfonctionner pour la majorité des Américains parce qu’il produit des spirales ascendantes pour les nantis et descendantes pour les démunis. Ce phénomène accroît les écarts de revenus/de richesse/d’opportunités qui posent des menaces existentielles pour les États-Unis parce qu’ils entraînent des conflits nationaux et internationaux préjudiciables et affaiblissent la situation des États-Unis.

Je pense que la plupart des capitalistes ne savent pas partager correctement le gâteau économique et que la plupart des socialistes ne savent pas comment le faire grandir. Néanmoins, nous en sommes maintenant à un point où 1. des gens d’opinions différentes travailleront ensemble pour réinventer intelligemment le système afin que le gâteau soit à la fois bien partagé et bien développé ou alors 2. nous déboucherons sur un grand conflit et une forme de révolution qui nuira à la plupart des gens et réduira le gâteau.

Je crois que toutes les bonnes choses poussées à l’extrême peuvent être autodestructrices et que tout doit évoluer ou mourir. C’est maintenant vrai pour le capitalisme. Dans ce rapport, je montre pourquoi je crois que le capitalisme ne fonctionne pas pour la majorité des Américains, j’analyse les raisons pour lesquelles il produit ces résultats inadéquats, et je fais quelques suggestions sur ce qui peut être fait pour le réformer.

Pourquoi et comment le capitalisme a besoin d’être réformé

Avant d’expliquer pourquoi je crois que le capitalisme doit être réformé, je vais expliquer d’où je viens, ce qui a façonné mon point de vue. Je montrerai ensuite les indicateurs qui m’indiquent clairement que les résultats du capitalisme sont incompatibles avec ce que je crois être nos objectifs. Je donnerai ensuite mon diagnostic sur les raisons pour lesquelles le capitalisme produit ces résultats inadéquats. Enfin, je conclurai en offrant quelques réflexions sur la façon dont il peut être réformé pour produire de meilleurs résultats. Comme il y a beaucoup de choses dans ce rapport, je le présenterai en deux parties.

Première partie

D’où je viens

Comme je l’ai dit, j’ai eu la chance d’être élevé dans une famille de la classe moyenne par des parents qui prenaient soin de moi, d’aller dans de bonnes écoles publiques et d’entrer dans un marché du travail qui m’offrait des opportunités équitables. On peut dire que j’ai connu le Rêve américain. À l’époque, la plupart des gens autour de moi pensaient que notre société devait tout faire pour fournir cette base à tout le monde (en particulier l’égalité dans l’éducation et les opportunités d’emploi). C’était le concept de l’égalité des chances, que la plupart des gens trouvait équitable et productif. Je suppose que je suis devenu capitaliste à l’âge de douze ans, parce que c’est à ce moment-là que j’ai gagné de l’argent en faisant divers travaux, comme livrer des journaux, tondre des pelouses et faire le caddy, et que je l’ai mis en bourse lorsque le marché boursier était propice, dans les années 60. Cela m’a rendu accro au jeu de l’investissement économique. J’ai fait des études supérieures même si je n’avais pas assez d’argent pour payer les frais de scolarité, parce que je pouvais emprunter de l’argent à un programme gouvernemental de prêts étudiants. Puis je suis entré sur un marché du travail qui m’offrait des opportunités équitables. Dès lors, j’étais lancé.

Parce que j’adorais jouer sur les marchés, j’ai choisi d’être un macro-investisseur à l‘échelle mondiale, ce que je suis resté depuis environ cinquante ans. C’est pourquoi j’ai dû acquérir une compréhension pratique de la façon dont les économies et les marchés fonctionnent. Pendant toutes ces années mon contact avec la plupart des systèmes économiques dans la plupart des pays m’a permis de comprendre pourquoi la capacité à gagner de l’argent, de l’épargner, et de le transformer en capital (ce qu’on appelle le capitalisme) est la motivation personnelle et l’allocation des ressources les plus efficaces pour élever le niveau de vie des gens. Il constitue un moyen de motivation efficace pour eux parce qu’il les récompense pour leurs activités productives avec de l’argent qui à son tour peut être utilisé pour obtenir tout ce que l’argent peut acheter. Et c’est un moyen efficace d’allocation des ressources parce que le profit exige que la production créée ait plus de valeur que les ressources affectées à sa création. Être productif amène les gens à gagner de l’argent, ce qui les amène ensuite à constituer du capital (c’est-à-dire leur épargne placée en investissements), qui à la fois protège l’épargnant en fournissant de l’argent en cas de besoin ultérieur, et procure des ressources en capital à ceux qui savent les combiner avec leurs idées et les convertir en profits et en productivité. Ce mécanisme augmente notre niveau de vie. C’est cela, le système capitaliste.

Au cours de ces nombreuses années, j’ai vu l’arrivée et le départ du communisme, et j’ai vu que, pour ces raisons, tous les pays qui font bien fonctionner leur économie, y compris la « Chine communiste », ont fait du capitalisme une partie intégrante de leur système. La philosophie communiste « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » s’est révélée naïve parce que les gens ne seraient pas motivés pour travailler dur s’ils n’étaient pas récompensés proportionnellement, de sorte que la prospérité globale en souffrirait. Le capitalisme corrèle la rémunération à la productivité et crée des marchés financiers efficaces qui facilitent l’épargne et la disponibilité du pouvoir d’achat pour alimenter à son tour la productivité des gens. Il a beaucoup mieux fonctionné. J’ai également étudié ce qui fait que les pays réussissent ou échouent selon qu’ils adoptent une perspective mécaniste plutôt qu’idéologique, parce que j’étais évalué sur ma capacité à traiter des économies et des marchés de façon pratique. Si vous voulez voir un résumé de mes recherches qui montrent les raisons pour lesquelles les pays réussissent ou échouent, c’est ici.

Pour résumer, une mauvaise éducation, une culture pauvre (qui empêche les gens de coopérer efficacement), une infrastructure déficiente et une dette trop lourde entraînent de mauvais résultats économiques. Les meilleurs résultats sont obtenus quand il y a un excédent dans les domaines suivants :

  1. Égalité des chances dans l’éducation et dans le travail ;
  2. Éducation par la famille ou l’entourage pendant les études secondaires ;
  3.  Comportement civilisé au sein d’un système que la plupart des gens jugent équitable, et
  4. aMrchés libres et correctement réglementés pour les biens, les services, la main-d’œuvre et le capital qui offrent ainsi des incitations, de l’épargne et des opportunités de financement à la plupart des gens.

Évidemment, j’ai suivi ces critères de près au fil des années dans tous les pays, particulièrement aux États-Unis.

Et maintenant, je vais montrer les résultats que notre système produit et qui m’ont amené à juger que le capitalisme ne fonctionne pas bien pour la plupart des Américains.

Pourquoi je crois que le capitalisme ne fonctionne pas bien pour la plupart des Américains

Dans cette partie, je vous montrerai une longue série de statistiques et de graphiques qui permettent de brosser un tableau. Il y en aura peut-être trop à votre goût. Si vous avez l’impression que vous dépassez le seuil de chute de rentabilité de votre attention, je vous suggère soit de parcourir rapidement la suite en lisant les phrases en gras ou de passer directement à la section suivante, qui explique pourquoi je pense que ne pas réformer le capitalisme constituerait une menace existentielle pour les États-Unis.

Pour commencer, j’aimerais vous montrer les différences qui existent entre les nantis et les démunis. Comme ces différences sont cachées par les moyennes, j’ai réparti l’économie entre les 40% des revenus les plus élevés et les 60% des revenus les plus faibles, 1. De cette façon, nous pourrons voir à quoi ressemble la vie des 60 % les plus pauvres (c’est‑à‑dire la majorité) et la comparer à celle des 40 % les plus riches. Ce que j’ai découvert se trouve dans cette étude. Je vous suggère de la lire et je vais rapidement vous donner  de nombreuses statistiques qui brossent le tableau ici.

Il y a eu peu ou pas de croissance réelle du revenu pour la plupart des gens depuis des décennies. Comme le montre le graphique ci-dessous à gauche, les actifs dans la force de l’âge de la tranche inférieure, celle des 60%, n’ont connu aucune croissance du revenu réel corrigée de l’inflation depuis 1980. Dans le même temps, les revenus des 10% les plus riches ont doublé et ceux des 1% les plus riches ont triplé. Comme le montre le graphique de droite, le pourcentage d’enfants qui gagnent plus que leurs parents est passé de 90% en 1970 à 50 % aujourd’hui. Pour la plupart des personnes de la tranche inférieure de 60%, les perspectives sont encore pires.

 

Comme je le montre ci-dessous, l’écart de revenu n’a jamais été aussi grand et l’écart de richesse est le plus élevé depuis la fin des années 1930. Aujourd’hui, la richesse des 1% supérieurs dépasse celle de la tranche inférieure de 90% de la population cumulée, soit le même genre d’écart de richesse qui existait pendant la période 1935-1940, une période qui fut le début d’une ère de grands conflits internes et externes pour la plupart des pays. Les 40% les plus riches ont maintenant en moyenne plus de dix fois plus de richesse que les 60% les plus pauvres. 2. C’était six fois en 1980.

 

Graphique des revenus (à gauche) montrant les parts de revenu fiscal. Données de la World Inequality Database.

 

Les graphiques suivants montrent la croissance du revenu réel par quantiles pour l’ensemble de la population depuis 1970. Demandez-vous dans quel quantile vous vous trouverez. Il aura probablement influencé votre point de vue. Mais mon objectif est de vous montrer une perspective plus large.

 

Données du Bureau du recensement

 

La plupart des gens dans les 60% inférieurs sont pauvres. Par exemple, seulement un tiers  des 60 % les plus démunis économisent une partie de leur revenu en espèces ou en actifs financiers. Selon une récente étude de la Réserve fédérale, 40% des Américains auraient de la difficulté à réunir 400 $ en cas d’urgence. 2.

Et ils sont de plus en plus condamnés à la pauvreté. Le tableau suivant montre les chances qu’une personne dans le quantile inférieur passe au quantile moyen ou au quantile supérieur au cours d’une période de 10 ans. Les chances sont passées d’environ 23 % en 1990 à seulement 14 % en 2011. 4.

 

 

Alors que la plupart des Américains considèrent les États-Unis comme un pays à grande mobilité économique et de nombreuses opportunités, son taux de mobilité économique est maintenant l’un plus bas du monde développé. Comme indiqué ci-dessous, aux États-Unis, les personnes dont le père se situait dans le quartile de revenu inférieur ont 40% de chance de rester dans ce quartile et seulement 8% de chance d’atteindre le quartile supérieur, qui est la moitié de la probabilité moyenne de monter et l’une des pires probabilités des pays analysés. Dans un pays d’égalité des chances, cela ne pourrait pas exister.

 

Pourcentage estimé des personnes nées dans le quartile inférieur et passées dans le quartile supérieur, rapporté à l’ensemble du quartile inférieur. Estimations pour la Chine basée sur les travaux de Kelly Labar, “Intergenerational Mobility in China”, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00556982/document Notez que les méthodologies varient selon les pays dans l’étude de l’OCDE.

 

La croissance du revenu d’une personne découle de la croissance de sa productivité, qui découle à son tour de son épanouissement personnel. Alors voyons donc comment nous formons les gens, et commençons par les enfants.

Pour moi, le point le plus intolérable, c’est que notre système ne prend pas correctement soin d’un grand nombre d’enfants. Comme je vais le montrer, beaucoup d’entre eux sont pauvres, mal nourris (physiquement et mentalement), et mal éduqués. Plus particulièrement :

– Le taux de pauvreté chez les enfants aux États-Unis est maintenant de 17,5 % et ne s’est pas amélioré de façon significative depuis des décennies. 5.  Aux États-Unis, en 2017, environ 17 % des enfants vivaient dans des foyers connaissant l’insécurité alimentaire, où au moins un membre de la famille était incapable d’acquérir la nourriture suffisante en raison d’un manque d’argent ou d’autres ressources. 6. L’Unicef  rapporte que les États-Unis sont en dessous de la moyenne pour ce qui est du pourcentage d’enfants vivant dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire. Les États-Unis se trouvent dans une situation pire que la Pologne, la Grèce et le Chili. 7.

Les conséquences de ces conditions sont coûteuses. Faibles revenus, écoles mal financées, faiblesse du soutien familial pour les enfants provoquent de mauvais résultats scolaires, qui entraînent une faible productivité et de faibles revenus pour des personnes qui deviennent des fardeaux économiques pour la société.

Bien qu’il y ait des points positifs dans le système d’éducation américain, comme nos quelques grandes universités, la population des États-Unis dans son ensemble a des notes très faibles en comparaison du reste du monde développé dans les tests normalisés à niveau d’éducation égal. Plus de détails :

– Si l’on examine les résultats des tests les plus reconnus (PISA), les États-Unis se situent actuellement au dessous des 15%  du monde développé. Comme indiqué ci-dessous, les scores des États-Unis sont inférieurs à ceux de presque tous les pays développés, hors Italie et Grèce. C’est un obstacle à un niveau de vie adéquat pour de nombreuses personnes et à la compétitivité des États-Unis.

Scores à PISA 2015 par pays

 

Les différences de scores sont liées aux niveaux de pauvreté : en effet les écoles à forte pauvreté (mesurées par la proportion d’élèves éligibles à un déjeuner gratuit ou à prix réduit) ont des résultats PISA d’environ 25 % inférieurs aux écoles ayant les niveaux de pauvreté les plus bas.

Scores US aux tests PISA par pourcentage d’élèves éligibles à un déjeuner gratuit ou à prix réduit

 

– Parmi les pays de l’OCDE, les États-Unis se classent au troisième plus mauvais rang pour ce qui est des écarts de pénuries de professeurs entre les écoles favorisées et les écoles défavorisées.

Pénuries de professeurs dans les écoles favorisées rapportées aux écoles défavorisées (basé sur des enquêtes indexées). OCDE (2016), Résultats de PISA 2015 (Volume I) : Excellence and Equity in Education, PISA, OECD Publishing, Paris, 231.

Les statistiques qui montrent que les États-Unis s’occupent plus mal des besoins de leurs étudiants pauvres que les autres pays sont interminables. En voici quelques autres :

– La proportion d’élèves défavorisés ayant au moins une année d’enseignement en maternelle est plus faible aux États-Unis que dans la moyenne des pays de l’OCDE. 8.

– Parmi les pays de l’OCDE, en 2008, les États-Unis se classaient au deuxième rang des pays où le taux de pauvreté infantile est le plus élevé parmi les ménages monoparentaux sans travail : un trou dans le filet de sécurité sociale. 9.

Ces mauvais résultats dans le domaine éducatif conduisent à un pourcentage élevé d’élèves mal préparés pour le travail et connaissant des problèmes émotionnels qui se manifestent par des comportements inadaptés. Les élèves défavorisés aux États-Unis sont beaucoup plus susceptibles de développer des problèmes sociaux et/ou psychologiques que dans la plupart des autres pays développés, ce qui inclut une mauvaise intégration sociale à l’école, une anxiété sévère face aux tests, et une faible satisfaction à l’égard de la vie.

Données PISA

 

34 % des écoles à pauvreté élevée ont connu des niveaux élevés d’absentéisme, mais seulement 10 % dans les écoles à revenu élevé. Même dans le Connecticut, l’un des États les plus riches en termes de revenu par habitant, 22 % des jeunes sont en décrochage (c’est‑à‑dire qu’ils manquent plus de 25 jours d’école par année scolaire, échouent à deux cours ou plus, ou sont exclus à plusieurs reprises) ou déscolarisés (jeunes non inscrits à l’école et sans diplôme d’études secondaires). Les jeunes déscolarisés du Connecticut sont cinq fois plus susceptibles de se retrouver incarcérés et 33 % plus susceptibles de souffrir de toxicomanie (rapport complet en lien ici).

En croisant les taux d’obtention de diplôme d’études secondaires des districts scolaires du Connecticut avec les taux de pauvreté infantile, on constate une corrélation étroite dans l’ensemble de l’État : un taux de pauvreté infantile supérieur de 1% équivaut à un taux d’obtention de diplôme inférieur d’environ 1%.

 

Taux de diplomation en Secondaire rapporté au taux de pauvreté infantile dans les districts scolaires du Connecticut. Poverty data from Census Bureau SAIPE School District Estimates

 

– Dans l’ensemble des États, il existe un lien étroit entre les dépenses par élève et les résultats scolaires :

Répartition des dépenses d’éducation aux États-Unis – Dépenses par élève rapportées aux résultats des tests de 12e année. Note: les données sur les dépenses proviennent du Bureau du recensement US et sont à jour en 2016. Les résultats des tests et les données sur les compétences sont tirés des évaluations du « Bulletin national », ils sont censés être comparables d’un État à l’autre. Les données datent de 2013. Seul un échantillon limité d’États possède des données pour cette évaluation de 12ème année.

 

– Selon des recherches récentes menées aux États-Unis, les enfants de moins de 5 ans qui ont eu accès à des coupons alimentaires ont obtenu de meilleurs résultats en matière de santé et d’éducation – une augmentation estimée à 18 % des taux d’obtention du diplôme d’études secondaires – ce qui les a conduits à être beaucoup moins susceptibles de dépendre d’autres programmes de bien-être plus tard dans leur vie

– Les étudiants issus de familles pauvres qui essaient d’aller au collège sont moins bien préparés. Par exemple, au SAT [Scholastic Assessment Test, NdT], les familles dont le revenu est inférieur à 20 000 dollars obtiennent en moyenne 260 points sur 1 600 de moins que les étudiants de familles gagnant plus de 200 000 dollars, et l’écart continue à augmenter. Selon une étude de 2011, on estime que l’écart entre les résultats aux tests chez les enfants du haut et du bas de l’échelle des revenus est de 75 % supérieur aujourd’hui à ce qu’il était au début des années 1940 10.

– Or, chaque élève vivant dans un quartier pauvre reçoit en moyenne environ 1 000 dollars de moins de la part de l’État et de la collectivité que celui qui vit dans un quartier plus prospère. 11. Et cela, malgré le fait que le gouvernement fédéral (selon sa formule de financement du Titre I) estime qu’il en coûte à un district 40% de plus par année pour éduquer les étudiants à faible revenu en visant les mêmes objectifs que les étudiants courants. 12.

En conséquence, les écoles des zones à faible revenu sont généralement gravement sous-financées. En moyenne, dans les écoles publiques, 94 % des enseignants doivent payer les fournitures avec leur propre argent, et cela comprend souvent des produits pour le nettoyage de base. C’est encore pire dans les écoles publiques les plus pauvres.

– Un problème connexe est que de nombreux enseignants qui doivent travailler dans ces conditions stressantes sont sous-payés et peu respectés. Dans ma jeunesse, les médecins, les avocats et les enseignants étaient les professions les plus respectées. Aujourd’hui, les enseignants ne gagnent que 68% de ce que gagnent les autres diplômés universitaires, ce qui est beaucoup moins que ce que les professeurs gagnent dans les autres pays développés de l’OCDE. 13. Même en tenant compte de la rémunération hebdomadaire pour lisser l’année scolaire et d’autres facteurs qui ont une incidence sur la rémunération comme l’âge et les années d’expérience, les enseignants gagnaient 19 % de moins que les travailleurs comparables en 2017. C’était seulement 2 % de moins en 1994. Et encore pire, ils ne sont pas respectés comme ils le devraient.

L’écart  de revenu, d’études, de patrimoine, d’opportunités renforce l’écart  de revenu, d’études, de patrimoine et d’opportunités :

– Les collectivités les plus riches ont tendance à avoir des écoles publiques beaucoup mieux financées que les collectivités les plus pauvres, ce qui renforce l’écart entre le revenu, la richesse et les opportunités. L’une des principales raisons de ce manque de financement est que la Constitution a fait de l’éducation une question du ressort des États et que la plupart des États ont décidé que les écoles locales seraient majoritairement financées localement, de telle sorte que les villes riches ont les écoles publiques correctement financées, et les villes pauvres ont des écoles publiques mal financées. Plus précisément, environ 45 % du financement des écoles proviennent des collectivités locales, principalement par le biais des impôts fonciers, tandis que seulement environ 8 % proviennent du gouvernement fédéral, et le reste des États. C’est ainsi que se creusent d’énormes variations dans la richesse et le revenu des communautés individuelles. De plus, les 40% les plus riches dépensent près de cinq fois plus pour l’éducation de leurs enfants que les 60% les moins nantis, tandis que les 20% les plus riches dépensent environ six fois plus que les 20% les plus démunis. 14.

– Les écoles publiques sous-financées souffrent également sur le critère de la qualité. Par exemple, les données de PISA montrent que les élèves des écoles américaines où il y a une pénurie importante de personnel enseignant obtiennent des résultats inférieurs de 10,5 % à ceux des écoles où il n’y a pas de pénurie d’enseignants. De même, une pénurie d’équipement de laboratoire est associée à une baisse de 16,7 % des notes, et des pénuries de documents en bibliothèque sont associées à une baisse de 15,1 % des notes des étudiants.

– En comparaison, les écoles privées dépensent en moyenne beaucoup plus pour les élèves d’une part et produisent de meilleurs résultats d’autre part. Aux États-Unis, les écoles privées dépensent environ 70 % de plus par élève que les écoles publiques, la médiane des écoles privées se situant à environ 23 000 dollars par élève en 2016, contre environ 14 000 dollars pour une école publique moyenne. 15. Ces dépenses plus élevées se traduisent par des résultats plus élevés aux tests : lors de la dernière série de tests PISA, les élèves des écoles privées américaines ont obtenu en moyenne 4,3 % de plus que les élèves des écoles publiques aux tests de mathématiques, lecture et sciences. Au cours des trois enquêtes du PISA menées depuis 2009, les élèves des écoles privées ont obtenu une note moyenne supérieure de 6,9%.

– Sans surprise, les Américains ont aujourd’hui beaucoup moins confiance dans les écoles publiques qu’au cours des cinq dernières décennies. Aujourd’hui, seuls 29 % des Américains ont « beaucoup » ou « pas mal » confiance dans le système d’éducation public. En 1975, ils étaient 62 %.

Pour moi, laisser tant d’enfants dans la pauvreté et sans éducation correcte équivaut à une violence exercée sur eux, et c’est économiquement stupide.

L’affaiblissement de la famille et de la bonne gouvernance parentale ont également eu une influence négative conséquente. Voici quelques statistiques qui illustrent l’évolution de la cellule familiale au fil des ans :

– En 1960, 73 % des enfants vivaient avec deux parents mariés qui n’avaient jamais connu de divorce, et 13 % vivaient dans un ménage sans les deux parents mariés. En 2014, la proportion d’enfants vivant dans un ménage sans parents mariés était de 38 %, et maintenant moins de la moitié vivent dans des ménages avec leurs deux parents d’un premier mariage. Ces statistiques correspondent à la moyenne de tous les ménages aux États-Unis. Le soutien familial donné à ceux qui vivent dans des ménages à faible niveau d’éducation et faible revenu est beaucoup moins élevé. Environ 60% des enfants nés de parents ayant arrêté leurs études secondaires avant la fin ne vivent pas dans des ménages avec deux parents mariés, tandis que seulement 14% des enfants de parents diplômés de l’Université font partie de ce type de ménages. Les 14% restants vivent avec deux parents remariés.

– La probabilité d’être incarcéré est étroitement liée au niveau de scolarité : chez les Américains de 28 à 33 ans, 35 % des hommes ayant abandonné avant la fin du Secondaire ont été incarcérés, contre environ 10 % des hommes diplômés du Secondaire et seulement 2 % des hommes diplômés de l’Université. 16.

– Entre 1991 et 2007, le nombre d’enfants ayant un parent dans une prison d’État ou fédérale a progressé de 80%. 17. Aujourd’hui, on estime que 2,7 millions d’enfants aux États-Unis ont un parent emprisonné, soit un enfant sur 28, soit 3,6 % de tous les enfants. 18.

Les mauvais soins à l’enfance et une mauvaise éducation mènent à un comportement inadapté des adultes, donc à des taux de criminalité plus élevés qui entraînent des coûts terribles pour la société :

– Aux États-Unis, le taux d’incarcération est près de cinq fois supérieur à la moyenne des autres pays développés et trois fois supérieur à celle des pays émergents. 19. Le coût des services pénitentiaires de l’État a quadruplé au cours des deux dernières décennies et avoisinent maintenant les 50 milliards de dollars par année, ce qui représente 1 dollar de fonds publics sur 15.

Un cercle vicieux se crée, dans la mesure où l’inscription au casier judiciaire a pour conséquence une difficulté accrue à trouver un emploi, qui diminue à son tour les revenus. Une incarcération, même pour des périodes relativement brèves, réduit le salaire horaire des hommes d’environ 11 %, le temps de travail de 9 semaines par année et les gains annuels de 40 %. 20.

Les conséquences sanitaires et les coûts économiques d’une faible éducation et de la pauvreté sont terribles :

– Par exemple, pour ceux qui se situent dans les 60% les plus démunis, les décès prématurés ont augmenté d’environ 20% depuis 2000. 21. Les hommes parmi les 20 % les plus pauvres de la répartition des revenus peuvent s’attendre à vivre environ 10 ans de moins que les hommes des 20 % les plus riches. 22.

– Les États-Unis sont à peu près le seul grand pays industrialisé avec des taux de mortalité prématurée stables ou légèrement en hausse. Les principales causes de ce changement sont une augmentation du nombre de décès par drogue ou empoisonnement (qui a plus que doublé depuis 2000) et une augmentation du nombre de suicides (progression de plus de 50 % depuis 2000). 23.

– Depuis 1990, la proportion d’Américains qui déclarent avoir reporté un traitement médical pour maladie grave en raison de son coût lors de la dernière année a plus ou moins doublé, passant de 11% en 1991 à 19% aujourd’hui.

– Ceux qui sont au chômage ou ceux qui gagnent moins de 35.000 dollars par an sont en moins bonne santé, 20 % de chaque groupe déclarant être en mauvaise santé, soit environ trois fois le taux dans le reste de la population.

– On estime que les effets de la pauvreté infantile aux États-Unis font augmenter les dépenses de santé de 1,2 % du PIB.

Ces conditions créent un risque existentiel pour les États-Unis.

Les écarts revenu/richesse/opportunités décrits ci-dessus et leurs conséquences constituent des menaces existentielles pour les États-Unis parce que ces conditions affaiblissent l’économie des États-Unis, menacent de provoquer des conflits intérieurs violents et contre-productifs, et sapent la force des États-Unis par rapport à celle de leurs concurrents mondiaux.

Ces écarts nous affaiblissent économiquement car :

• Ils ralentissent notre croissance économique parce que la propension marginale à dépenser des gens riches est bien inférieure à la propension marginale à dépenser des gens qui manquent d’argent.

• Elles entraînent un développement sous-optimal des talents et conduisent un pourcentage important de la population à entreprendre des activités destructrices plutôt que créatrices.

En plus des conséquences sociales et économiques néfastes, l’écart revenu/richesse/opportunités conduit à des divisions sociales et politiques dangereuses qui menacent notre cohésion sociale et le capitalisme lui-même.

Je pense sérieusement qu’en cas d’écart très important dans les conditions économiques des gens qui vivent ensemble et de ralentissement économique, le risque de conflit violent s’élève. La disparité des richesses, surtout quand elle s’accompagne d’un éparpillement des valeurs, entraîne un risque croissant de conflit. En politique, cela se manifeste sous la forme d’un populisme de gauche et/ou de droite, et souvent par des révolutions d’une forme ou d’une autre. Pour cette raison, je m’inquiète de la tournure que prendra le prochain ralentissement économique, parce que les banques centrales ont perdu leur capacité à renverser la vapeur et parce que nous pouvons observer une extrême polarité politique ainsi que du populisme.

Le problème est que les capitalistes ne savent généralement pas partager correctement le gâteau et que les socialistes ne savent généralement pas comment l’agrandir. On pourrait espérer qu’en raison de cette polarité économique et de ces mauvaises conditions, les dirigeants se rassembleraient autour d’une réforme du système pour à la fois partager le gâteau économique et l’agrandir (ce qui est certainement faisable, et la meilleure manière), ils glissent vers les extrêmes et s’affrontent au lieu de coopérer.

Il y a deux ans, afin de comprendre le phénomène du populisme, j’ai fait une étude dans laquelle j’ai examiné 14 cas emblématiques et observé les modèles ainsi que les forces qui les animent. Si cela vous intéresse, vous pouvez le lire ici à www.economicprinciples.org. Pour résumer, j’ai appris que le populisme se développe lorsque de puissants chefs de droite ou de gauche, cherchant à vaincre l’opposition, arrivent au pouvoir et en profitent pour intensifier leur conflit avec l’opposition, ce qui a pour effet de galvaniser celle-ci, généralement autour du même type de chefs. La chose la plus importante à surveiller quand le populisme se développe, c’est la façon dont les conflits sont gérés, si les forces opposées peuvent coexister pour faire avancer ensemble ou bien si elles marchent vers un état de guerre pour se bloquer et se nuire mutuellement, causant ainsi des grippages. Dans le pire des cas, ce conflit déclenche des problèmes économiques (par exemple par des grèves et des manifestations qui paralysent le pays) et peut même entraîner le passage d’un modèle démocratique à un modèle autocratique, comme cela s’est produit dans plusieurs pays pendant les années 1930.

Nous voyons maintenant les conflits entre les populistes de gauche et les populistes de droite se multiplier dans le monde entier, à peu près de la même façon que dans les années 1930, lorsque les écarts de revenu et de richesse étaient comparables. Aux États-Unis, la polarité idéologique est supérieure et la volonté de compromis est inférieure à ce qu’elles ont toujours été. Le graphique de gauche montre comment les sénateurs et les représentants républicains conservateurs d’un côté, et les sénateurs progressistes et démocrates de l’autre, se sont positionnés depuis 1900. Comme vous pouvez le voir, ils sont sans exception plus extrémistes et plus divisés que jamais. Le tableau de droite montre le pourcentage de ceux qui ont voté selon les lignes de leur parti depuis 1790. C’est en ce moment le plus élevé jamais vu. En d’autres termes, les représentants prennent plus de positions polarisées extrêmes, et ils assument plus que jamais ces positions. Et nous entrons dans une année d’élections présidentielles… Nous pouvons donc nous attendre à une sacrée bagarre.

Il n’est pas besoin d’être un génie pour savoir que, quand un système produit des résultats tellement différents de ses objectifs, il faut le réformer. Dans la prochaine partie, j’expliquerai pourquoi il produit ces résultats inférieurs aux attentes et ce qu’il faudrait faire, à mon avis, pour le réformer.

Partie 2

Ray Dalio

Note du Saker Francophone

Ce texte en 2 parties est à lire avec le recul lié à l'auteur et à sa vision du monde et du capitalisme.

Traduit par Stünzi pour le Saker francophone

  1. en fait, nous l’avons divisée en de nombreuses autres sous-catégories, puis nous les avons regroupées en deux groupes pour simplifier la présentation des résultats
  2. cf. 2016 ; basé sur des données d’une enquête de finances grand public
  3. cf. 2016 ; basé sur des données d’une enquête de finances grand public
  4.  Enquête de finances grand public https://www.federalreserve.gov/publications/files/2017-report-economic-well-being-us-households-201805.pdf
  5. Bureau du recensement US, dernière enquête de population, suppléments annuels économiques et sociaux de 1960 à 2018, tableaux dynamiques sur la pauvreté
  6.  https://www.ers.usda.gov/webdocs/publications/90023/e rr-256.pdf, 10
  7.  https://www.weforum.org/agenda/2017/06/these-rich-countries-have-high-levels-of-child-poverty/
  8.  OCDE (2017), Educational Opportunity for All : Overcoming Inequality throughout the Life Course, OECD Publishing-Paris, 46. http://dx.doi.org/10.1787/9789264287457-en
  9. OCDE (2017), Educational Opportunity for All : Overcoming Inequality throughout the Life Course, OECD Publishing, Paris, 60. http://dx.doi.org/10.1787/9789264287457-en
  10.  https://cepa.stanford.edu/sites/default/files/reardon%20whither%20opportunity%20-%20chapter%205.pdf, p8
  11.  https://edtrust.org/wp-content/uploads/2014/09/FundingGapReport_2018_FINAL.pdf, p4
  12.  https://edtrust.org/wp-content/uploads/2014/09/FundingGapReport_2018_FINAL.pdf , p7
  13.  OCDE (2017), « D3.2a. Salaires réels des enseignants par rapport aux salaires des travailleurs diplômés de l’enseignement supérieur (2015) », in The Learning Environment and Organisation of Schools, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/eag-2017-table196-en
  14.  Données basées sur l’Enquête sur les dépenses des consommateurs
  15.  Données sur les dépenses des écoles privées : https://www.nais.org/statistics/pages/nais-independent-school-facts-at-a-glance/
  16.  https://www.brookings.edu/research/twelve-facts-about-incarceration-and-prisoner-reentry/, p10
  17.  https://www.sentencingproject.org/wp-content/uploads/2016/01/Incarcerated-Parents-and-Their-Children-Trends-1991-2007.pdf, p4
  18.  Les fondations de bienfaisance Pew, Coûts collatéraux : l’effet de l’incarcération sur la mobilité économiquehttps://www.pewtrusts.org/~/media/legacy/uploadedfiles/pcs_assets/2010/collateralcosts1pdf.pdf
  19.  http://www.prisonstudies.org/highest-to-lowest/prison_population_rate?field_region_taxonomy_tid=All Calculs basés sur les données de la base de données « World Prison Brief »
  20.  https://www.pewtrusts.org/~/media/legacy/uploadedfiles/pcs_assets/2010/collateralcosts1pdf.pdf , p4
  21.  cf. 2015 ; analyse de Bridgewater, basée sur les données du CDC, https://www.cdc.gov/nchs/data_access/VitalStatsOnline.htm#Mortality_Multiple
  22. Chetty, Raj, et al., « The Association Between Income and Life Expectancy in the United States, 2001-2014 », Journal of the American Medical Association, 2016
  23.  cf. 2015 ; analyse de Bridgewater, basée sur les données du CDC https://www.cdc.gov/nchs/data_access/VitalStatsOnline.htm#Mortality_Multiple
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