Ne faites aucune confiance à The Intercept


Le gouvernement étatsunien chope, une fois de plus, une source du journal en ligne The Intercept.


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 9 mai 2019

Une autre source ayant fourni des secrets d’État à The Intercept a été dénoncée et mise en accusation par le gouvernement américain.

The Intercept a été créé pour publier les documents de la NSA divulgués par un de ses sous-traitants, Edward Snowden. Ce magazine en ligne est financé par Pierre Omidyar, le fondateur d’Ebay, qui est connu pour ses nombreux liens, assez louches, avec l’administration Obama et pour ses efforts dans la promotion de divers changements de régime.

En juin 2017, nous écrivions déjà sur un premier cas de divulgation d‘identité d’une source de The Intercept :

Hier, The Intercept a publié une analyse de cinq pages faite par la NSA sur l'ingérence présumée de la Russie dans les élections américaines de 2016. Cette publication révélait la personne à l’origine de la fuite des documents de la NSA. Cette personne, R.L. Winner, a maintenant été arrêtée et risque d'être emprisonnée pendant des années, sinon pour le reste de sa vie. 

Les demandes de perquisition (pdf) et de mandat d'arrêt (pdf) du FBI révèlent le comportement irresponsable des journalistes et des rédacteurs en chef de The Intercept qui ont négligé tous les trucs du métier pour empêcher que la source des fuites ne soit reconnue. On est en droit de se poser la question de savoir si c'était intentionnel ou simplement de l'incompétence pure et simple. Quoi qu'il en soit, l'incident confirme ce que les sceptiques avaient depuis longtemps découvert : The Intercept n'est pas un moyen fiable de divulguer des secrets d'État d'intérêt public.

Notre méfiance à l’égard de ce magazine en ligne est renforcée par l’arrestation d’une nouvelle source lui ayant confié ses secrets.

Aujourd’hui, le ministère de la Justice a arrêté et inculpé un ancien soldat de l’armée de l’air américaine, Daniel Everette Hale, 31 ans, de Nashville (Tennessee), qui avait travaillé à la NSA comme analyste du renseignement en Afghanistan, et à la National Geospatial Intelligence Agency (NGIA). Le ministère de la Justice allègue que M. Hale a divulgué plusieurs documents et présentations PowerPoint secrets à un magazine en ligne :

Selon les allégations contenues dans l'acte d'accusation, à partir d'avril 2013, alors qu'il était enrôlé dans l'U.S. Air Force et affecté à la NSA, Hale a commencé à communiquer avec un journaliste. Hale a rencontré le journaliste en personne à plusieurs reprises et, à l'occasion, il a communiqué avec lui au moyen d'une plateforme de messagerie chiffrée. Puis, en février 2014, alors qu'il travaillait en tant qu'entrepreneur de la défense à la NGIA, Hale a imprimé six documents classifiés sans rapport avec son travail à la NGIA et a, dans la foulée, échangé une série de messages avec ce journaliste. Chacun des six documents imprimés a par la suite été publié par le journal où ce journaliste travaille.

Selon les allégations contenues dans l'acte d'accusation, alors qu'il travaillait pour la NGIA, Hale a imprimé à partir de son ordinateur 36 documents très secrets, dont 23 documents sans rapport avec son travail à la NGIA. Sur les 23 documents non liés à son travail, Hale en a fourni au moins 17 au journaliste et/ou à son journal en ligne, qui a publié les documents en tout ou en partie. Onze des documents publiés étaient classés dans la catégorie secrète ou Très secrète et identifiés comme tels.

L’acte d’accusation (pdf), déposé le 7 mars sous scellés, comprend une liste des rencontres et des communications que Hale a eues avec le journaliste. La première a eu lieu lors de la tournée de promotion du livre du journaliste, en avril 2013, à Washington DC. Pendant cette période, Jeremy Scahill, l’un des rédacteurs fondateurs de The Intercept, était en tournée nationale pour promouvoir son livre sur Blackwater. Plusieurs histoires écrites par Scalhill à partir de documents secrets ont été publiées dans les délais indiqués par l’acte d’accusation.

Voici les notes d’Associated Press sur cette affaire :

Les documents judiciaires n'identifient pas nommément le journaliste qui aurait reçu les fuites, mais les détails donnés indiquent clairement que c’est Jeremy Scahill, l'un des rédacteurs fondateurs de The Intercept, qui a reçu ces fuites.

L'acte d'accusation indique que de nombreux documents classifiés ont été divulgués dans un article d'octobre 2015.

Le 15 octobre 2015, Scahill a publié un article sur The Intercept intitulé « The Assassination Complex » qui s'appuie sur « une série de diapositives secrètes qui donne un aperçu sur le fonctionnement interne des opérations de capture/assassinat de l'armée américaine à un moment clé dans l'évolution de la guerre des drone ».

Il y a d’autres documents que Scahill a publiés à ce sujet qui correspondent au déroulement chronologique et aux descriptions de l’acte d’accusation.

Le 23 Juillet 2014, The Intercept publiait « Blacklisted – The Secret Government Rulebook For Labeling You a Terrorist »,  [«Fiché S – Les nouvelles règles du gouvernement pour vous ficher comme terroriste »].

L'administration Obama a discrètement approuvé une extension substantielle du système de liste de surveillance des terroristes, autorisant un processus secret qui n'exige ni « faits concrets » ni « preuves irréfutables » pour désigner un Américain ou un étranger comme terroriste, selon un document gouvernemental clé obtenu par The Intercept.

L’article a été écrit par Jeremy Scahill et Ryan Devereaux.

En août 2014, The Intercept publiait « Watch Commander – Barack Obama’s Secret Terrorist-Tracking System, by the numbers », [« Le Commandant à l’œuvre – Le système secret d’Obama pour traquer les terroristes, chiffres à l’appui »], écrit par les mêmes journalistes :

Près de la moitié des personnes figurant dans ce fichier, largement partagé, du gouvernement américain sur les personnes soupçonnées de terrorisme ne sont reliées à aucun groupe terroriste connu, selon des documents gouvernementaux classifiés obtenus par The Intercept.

Le 17 avril 2015, Scahill écrivait un article sur l’utilisation d’une base militaire américaine en Allemagne pour des frappes de drone.

Un document top secret du renseignement américain obtenu par The Intercept confirme que l'immense base militaire américaine de Ramstein, en Allemagne, constitue le cœur high-tech du programme de drones américain. ...
Un jeu de diapositives top secret, daté de juillet 2012, fournit le plan le plus détaillé à ce jour de l'architecture technique utilisée pour effectuer des frappes à l’aide de drones Predator et Reaper.

Toutes ces histoires, et bien d’autres encore, semblent correspondre aux descriptions, dans l’acte d’accusation, des articles que Hale a imprimés ou copiés pendant qu’il travaillait pour les agences américaines.

L’acte d’accusation indique que les documents que Hale a obtenus et remis à un journaliste ont ensuite été publiés dans un livre, par le même auteur.

En 2016, Scahill a coécrit le livre The Assassination Complex : Inside the Government’s Secret Drone Warfare Program, [Le cartel des assassins : Dans le programme secret du gouvernement pour la guerre des drones].

L’acte d’accusation ne dit pas comment le gouvernement a découvert que c’est Hale qui avait fourni les documents à Scahill. Mais les deux semblent parfois avoir communiqué ouvertement par téléphone, par courriel et par textos. Ça aurait dû être totalement évité. Le gouvernement a récupéré au moins une partie de ces communications. Hale a assisté à plusieurs événements de la tournée de promotion des livres de Scahill. En outre, Hale a ouvertement communiqué avec « un confident » au sujet de ses contacts avec Scahill. Plus tard, Scahill et Hale ont utilisé le canal de discussion crypté Jabber. Hale a également utilisé Tails, un logiciel recommandé par The Intercept pour les fuites de documents.

Il est fort possible que le ministère de la Justice soulève également des accusations contre Jeremy Scahill. Les premiers contacts avec Hale et les premières fuites par Hale ont eu lieu au cours du premier semestre de 2013, lorsque Hale était encore engagé et travaillait à la NSA. En juillet, Hale a envoyé par courriel un curriculum vitae à Scahill qu’il voulait utiliser pour trouver un emploi auprès d’un entrepreneur de la défense qui loue des personnes ayant une cote de sécurité dans d’autres organismes américains. Ils semblent avoir discuté du CV par téléphone. Hale a par la suite été embauché par un tel entrepreneur et a travaillé à la NGIA. Là, il a copié les documents secrets et top secrets et les présentations qui semblent être les objets des rapports ultérieurs de Scahill.

Le fait que Scahill ait discuté du curriculum vitae de Hale avec lui pourrait être interprété comme une aide active pour avoir accès à des secrets qui seraient ensuite divulgués par The Intercept. Les États-Unis demandent actuellement l’extradition de Julian Assange de Grande-Bretagne sous prétexte qu’il aurait activement aidé Chelsea Manning à échapper à la surveillance en utilisant son accès à des documents secrets avec un compte différent du sien. Assange est l’éditeur de Wikileaks.

Bien qu’on ne sache pas comment le gouvernement a découvert que Hale avait divulgué les documents en question, le fait que ses échanges téléphoniques et par messageries soient connus montre que toute communication ouverte avec un journaliste de The Intercept sera probablement interceptée par les organismes compétents.

Il est louable que Hale ait divulgué les informations secrètes sur les guerres de drones et les campagnes d’assassinat d’Obama. Il est louable que The Intercept ait publié ces articles.

Mais que son fondateur ait gagné beaucoup d’argent grâce à des contrats gouvernementaux alors que The Intercept a divulgué moins de 5% des fuites de Snowden et a récemment fermé l’accès à ces fuites laisse un très mauvais goût en bouche.

Le fait est que R.L. Winner a été emprisonné parce qu’un journaliste de The Intercept, que l’on savait peu digne de confiance, a « mal géré » la fuite. Le fait qu’une deuxième source soit maintenant en état d’arrestation après une longue communication ouverte avec un autre journaliste de The Intercept ne fait que renforcer notre avertissement :

Ne faites aucune confiance à The Intercept.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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