Par Andrew Korybko − Le 2 juillet 2025 − Source korybko.substack.com
La chute d’Assad en Syrie a déclenché une suite d’événements rapides qui menace désormais l’influence russe dans le Sud-Caucase, en Mer Caspienne et en Asie Centrale : c’est l’ensemble de la périphérie du Sud de la Russie qui est concerné.

Les derniers développements en date dans le Sud-Caucase sont reliés à l’expansion de la sphère d’influence de la Turquie vers l’Est, en direction de la Mer Caspienne et, de là, de l’Asie Centrale. Les troubles qui se produisent en Arménie découlent des préoccupations manifestées par l’opposition à l’idée que le premier ministre Nikol Pashinyan soit prêt à orienter son pays vers un protectorat conjoint azéri-turc. Cela pourrait se produire s’il conclut un accord avec eux — comme certains l’ont rapporté — pour ouvrir le « Corridor de Zanguezour » sans permettre qu’il passe sous contrôle russe, contrairement à ce qui avait été convenu.
Le cessez-le-feu conclu en novembre 2020 sous médiation de Moscou stipule la création d’un corridor contrôlé par la Russie, traversant la province de Syunik, dans le Sud de l’Arménie, désigné par Bakou comme « Corridor de Zanguezour », reliant les deux parties de l’Azerbaïdjan. Le contrôle russe empêcherait la Turquie de dérouler son appareil logistique militaire vers l’Asie Centrale par ce couloir, afin de prendre le pas sur l’influence russe dans la région dans le cadre d’un grand jeu de pouvoir stratégique aligné spontanément avec l’agenda de l’Occident.
Le second développement est directement relié au premier, et a trait aux derniers problèmes en date apparus dans les relations russo-azerbaïdjanaises. D’évidence, le président Ilham Aliyev estime que son pays dispose d’un meilleur avenir dans le cadre d’un ordre régional dirigé par la Turquie qu’en maintenant son multi-alignement entre Turquie et Russie. Il est sans doute parvenu à cette conclusion suite aux rapports précités concernant le Corridor de Zanguezour, et cela a pu déclencher son repositionnement politique, et l’enhardir à intimider la Russie pour redorer son blason régional.
Le catalyseur de ces développements est la possibilité que le Corridor de Zanguezour puisse s’ouvrir sans le contrôle russe qui avait été convenu, contrôle qui avait été décidé en grande partie en raison de la chute d’Assad et du changement de politique étasunien qui avait suivi vis-à-vis de l’ensemble de la région. L’influence turque avait alors brièvement fait son apparition en Syrie, ce qui avait fait paniquer Israël, qui avait amené Trump à réhabiliter le terroriste Ahmad al-Sharaa (Jolani) pour contribuer à gérer ces tensions.
Trump a même rencontré l’homme, et l’a encouragé à rallier les accords d’Abraham conclus avec Israël (et les derniers rapports en dates suggèrent que Sharaa envisage de le faire), et a levé les sanctions étasuniennes contre la Syrie. Cette suite d’événements va fortement brider les influences turques en Syrie, mais elle est contrebalancée par la dissolution du PKK et le possible lot de consolation que Trump a pu accorder à son ami Erdogan : une possible cession du protectorat conjoint étasuno-français jusqu’alors envisagé en Arménie à la Turquie et à l’Azerbaïdjan.
Une telle décisions constituerait de la part de Trump plus qu’un geste de bonne volonté : il s’agirait d’une décision pragmatique car les tentatives menées par les États-Unis de transformer l’Arménie en bastion permettant de diviser pour mieux régner dans la région demandait une subordination ou un renversement du gouvernement de Géorgie, qui a repoussé plusieurs assauts de Révolutions de Couleur lancés dans ce but. Cet échec, qui remonte à l’ère Biden, a détraqué les flux logistiques étasuniens et français à destination de l’Arménie, et il est donc devenu préférable de lâcher ce poids mort, qui peut à présent accélérer fortement l’ascension de la Turquie comme Grande Puissance eurasiatique, aux dépens de la Russie.
Ces calculs, ainsi que les changements de politique associés, qui découlent de l’événement inattendu constitué par la chute d’Assad, expliquent les derniers développements en date dans le Sud-Caucase. Quoi qu’il en soit, il n’était pas nécessaire pour Aliyev d’abandonner le positionnement d’équilibrage de l’Azerbaïdjan entre la Russie et la Turquie, ni de plastronner face à la Russie, chose qu’il a sans conteste ordonnée directement à ses subordonnés, avec la descente dans les bureaux de Sputnik et le passage à tabac de Russes en détention. Ces actions émotionnelles, à courte vue et totalement inattendues présentent le risque de voir l’Azerbaïdjan devenir avec le temps un partenaire junior de la Turquie.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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