Pepe Escobar nous donne des nouvelles de la Route de la Soie


Pékin met en place une globalisation à la chinoise qui va défier l’hégémonie américaine non seulement régionale mais aussi mondiale.


Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 24 fevrier 2016 – Source TeleSur

La semaine dernière, le premier train commercial chinois, arrimé de 32 containers, est arrivé à Téhéran après un trajet de moins de 14 jours à partir du grand hangar de Yiwu dans le Zhejiang, à l’est de la Chine, après avoir traversé le Kazakhstan et le Turkménistan. 

Un trajet de 10 400 km. Un voyage plus court de trente jours que la voie maritime qui relie Shanghai à Bandar Abbas. Et nous ne parlons pas encore du TGV, qui sera installé dans quelques années, de la Chine orientale jusqu’à l’Iran et au delà, vers la Turquie et, crucialement, vers l’Europe de l’Ouest, permettant à des trains de 500 containers ou plus de traverser l’Eurasie en un temps record.

Quand Mohsen Pour Seyed Aghaei, le président des Chemins de fer iraniens, a fait la remarque que «les pays le long de la Route de la Soie se battent pour faire revivre l’ancien réseau de routes commerciales», il ne faisait qu’effleurer un sujet qui va changer bien des choses.

Le président chinois, Xi Jinping a rendu visite à l’Iran exactement le mois dernier, étant ainsi le premier dirigeant mondial à le faire après que les sanctions ont été levées. Les héritiers des anciennes puissances de la Route de la Soie, c’est-à-dire la Perse impériale et la Chine impériale, ont prestement signé un accord pour relancer le commerce bilatéral jusqu’à une valeur de $600 Mds sur la prochaine décennie.

Et ce n’est que le début.

Guerres commerciales, maritimes et aériennes

Pour comprendre ce processus du point de vue de la stratégie chinoise, il est enrichissant de revenir sur un discours très important tenu l’été dernier par le général Qiao Liang à l’Université de la Défense, la plus grande école militaire chinoise. C’est comme si les mots de Liang sortaient de la bouche même du dragon, Xi lui-même.

Les dirigeants chinois estiment que les États-Unis ne vont pas se lancer dans une guerre contre la Chine d’ici les dix prochaines années. Regardez bien ce calendrier ; 2025 est l’année où Xi pense que la Chine sera devenue une société modérément prospère comme le prévoit le nouveau Rêve chinois. Alors Xi aura rempli sa mission, cueillir les fruits de l’arbre planté par le petit timonier que fut Deng Xiaoping.

Le secret pour ces dix prochaines années, comme le remarquait le général Liang, est pour la Chine de réajuster son économie (un travail en cours) et d’internationaliser le yuan. Cela implique aussi la mise en route d’un accord commercial de libre échange asiatique, qui ne sera visiblement pas le TTP américain interdit aux Chinois, mais le RCEP mené par les Chinois.

Le général Liang connecte directement l’internationalisation du yuan à quelque chose qui va bien au-delà de la nouvelle Route de la Soie dénommée officiellement par la Chine Une Ceinture, Une Route . Il en parle comme si c’était un accord commercial nord-est asiatique, alors que ce qui est en jeu et ce vers quoi tend la Chine est un accord de libre échange trans-asiatique.

En conséquence, un effet ricochet va diviser le monde.

Si un tiers seulement de l’argent mondial est libellé en dollar, comment la monnaie américaine peut-elle maintenir son hégémonie ? Est-ce que des États-Unis au bout du rouleau, laissés sans avantage monétaire, peuvent continuer à être une puissance mondiale ?

Le déclin de la monnaie américaine est donc la cause explicative, selon les dirigeants chinois, des «récents problèmes de la Chine sur lesquels s’étend l’ombre des États-Unis».

Entre alors en jeu le pivot américain vers l’Asie. Pékin interprète clairement cet objectif comme une tentative visant à «contrecarrer la puissance montante chinoise». Et cela nous mène à la discussion sur l’ancien concept de bataille maritime et aérienne (qui s’est maintenant bien bâtardisé) que le général Liang qualifie de dilemme insoluble pour les États-Unis.

«Cette stratégie reflète en premier lieu la faiblesse militaire américaine, affirme Liang. Les troupes américaines pensaient pouvoir utiliser des frappes aériennes et la marine contre la Chine. Tout à coup, les États-Unis réalisent que ni l’armée de l’air ni la marine n’ont l’avantage contre la Chine.»

Ce précédent paragraphe à lui seul serait suffisant pour mettre en perspective le turbulent jeu du chat et de la souris des avancées chinoises et du harcèlement américain en Mer de Chine. Pékin est tout à fait conscient que Washington ne peut plus remettre en question les avancées de l’armée chinoise comme la capacité de détruire des systèmes spatiaux ou attaquer des porte-avions. Les États-Unis doivent donc patienter dix ans de développement avant de pouvoir mettre en place un système de combat moderne qui dépasserait les avancées chinoises. Cela signifie qu’il faudrait encore dix ans avant qu’ils puissent planifier une guerre contre la Chine.

Faites la guerre, moi je monte des projets

Donc, pas de guerre majeure avant 2025, ce qui laisse Xi et le Parti communiste chinois (PCC) libres de progresser très vite. Les observateurs qui suivent les progrès de Pékin en temps réel les qualifient «à couper le souffle» ou «spectacle à ne pas manquer». Le gouvernement américain est essentiellement désemparé.

La veille du premier jour de l’année chinoise du Singe, le PCC, sous les ordres de Xi, a édité un dessin animé hip hop sensationnel qui a fait le buzz et qui parle du soft power chinois. Voici comment cette période de dix ans, jusqu’en 2023, a été annoncée a la population.

Voici les quatre point clefs : 1) développer une société modérément prospère (c’est-à-dire un PIB/habitant de $10 000) ; 2) continuer d’approfondir les réformes, spécialement dans le domaine économique ; 3) gouverner selon la loi, cela parait évident, mais veut surtout dire la loi telle que l’entend le PCC ; 4) éliminer la corruption qui gangrène le PCC (un long travail en cours).

Rien de tout cela n’implique bien sûr de suivre un modèle occidental ; au contraire, cela montre que Pékin contrebalance le soft power occidental dans tous les domaines.

Et puis, inévitablement, toutes les routes mèneront tôt ou tard vers Une Ceinture, Une Route chinoise. Le général Liang voit cela comme allant bien au-delà d’un processus de globalisation, de globalisation à l’américaine, qu’il qualifie de globalisation du dollar. Car ni lui ni le gouvernement chinois ne voient la Route de la Soie chinoise comme s’intégrant dans le système économique global. Dire que le dollar va continuer sa globalisation et son intégration est une erreur de jugement. En tant que grande puissance montante, Une Ceinture, Une Route est l’étape initiale de la globalisation chinoise.

Radicalement ambitieux est un terme encore trop faible. Une Ceinture, Une Route n’est pas seulement le vecteur extérieur du rêve chinois qui repose sur l’intégration économique de toute l’Eurasie sur une base gagnant/gagnant, c’est aussi, «et de loin, la meilleure tactique que la Chine puisse appliquer. C’est une tactique d’esquive face au mouvement américain vers l’est».

Nous y voilà donc, comme je l’écris depuis que le projet Une Ceinture, Une Route a été lancé. «C’est la tactique d’esquive chinoise de tourner le dos au pivot américain vers l’Asie, vous poussez dans une direction, je vais dans la direction opposée. Ne m’y avez-vous pas poussé ? Je vais vers l’ouest non pas pour vous éviter ni parce que j’ai peur, mais pour intelligemment diminuer la pression que vous exercez sur moi par l’est.» Bienvenue au pivot chinois vers l’ouest.

Libre de s’encercler tout seul.

Le général Liang préfère bien sûr se concentrer sur les questions militaires et non sur les aspects commerciaux. Il ne pouvait l’exprimer plus clairement :

«Étant donné que la puissance navale chinoise est encore faible, le premier choix pour Une Ceinture, Une Route devrait être de s’étendre par la terre», a-t-il déclaré. Liang choisit la Ceinture comme terrain de compétition le plus avantageux, c’est-à-dire les routes terrestres de l’ancienne Route de la soie. Mais cela laisse de préoccupantes questions encore sans réponses quant aux capacités expéditionnaires de l’armée chinoise.

Le général Liang ne s’est pas appesanti sur cette compétition, visiblement contre les États-Unis, le long de cette Route de la Soie. Ce qu’il considère cependant comme certain est «qu’en choisissant la Chine comme rival, les États-Unis choisissent le mauvais ennemi dans la mauvaise direction car, dans l’avenir, le véritable défi pour les États-Unis n’est pas la Chine, ce sont les États-Unis eux-mêmes, un pays qui finira par s’enterrer lui-même.»

Et comment cela va-t-il se passer ? A cause du capitalisme financier. On dirait que le général Liang est un lecteur de Michael Hudson et Paul Craig Roberts (il doit surement l’être). Il remarque que «à cause de l’économie virtuelle, les États Unis ont déjà mangé tous les profits du capitalisme».

Et pour l’enterrement ? Eh bien, il sera orchestré par «internet, les grosses banques de données et le Cloud» qui sont «poussés à l’ extrême» puis, «vivront leur propres vies et s’opposeront au gouvernement américain».

Qui aurait pu penser cela ? C’est comme si les Chinois n’avaient plus besoin de jouer au jeu de go. Ils leur suffit de laisser l’adversaire s’encercler tout seul.

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.

Article original paru sur TeleSur.

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.

 

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