Par Shane Quinn − Le 2 septembre 2019 − Source eurasiafuture.com
Des 28 États membres de l’Union Européenne, il se trouve que 22 appartiennent également à l’OTAN, l’organisation militaire dirigée par le Pentagone12.
Il est également frappant que, dans les années suivant l’effondrement de l’Union soviétique, l’élargissement de l’UE et de l’OTAN ait été réalisé vers l’Est de manière quasiment synchronisée. Les personnalités politiques de Bruxelles ont échoué à détacher les politiques fondamentales de l’UE de celles de Washington3, ce qui a amené à des tensions avec la Russie.
Le Kremlin constitue un partenaire commercial important pour l’UE, mais le commerce entre Bruxelles et Moscou n’a fait que décliner depuis 2012 ; principalement du fait des actions européennes en soutien au renversement du gouvernement d’Ukraine, pays voisin de la Russie, et à l’institution d’un dirigeant soutenu par l’occident (Petro Poroshenko).
L’UE consentit par la suite aux injonctions de Washington de mettre en œuvre des sanctions contre la Russie, suite à l’incorporation de la Crimée par Vladimir Poutine en mars 2014 — une région qui, comme l’Ukraine, dispose d’une histoire séculaire avec la Russie, et dont les résidents sont majoritairement des Russes ethniques.
La prise de contrôle de la Crimée par Moscou constitua une réponse à l’éviction de Viktor Yanoukovitch hors de Kiev, au mois de février 2014, qui avait été fabriquée par les USA. Le renversement de Yanoukovitch avait mis en rage le gouvernement russe, légitimement préoccupé par les événements se produisant à ses frontières. Le Kremlin réagit également par ses propres mesures financières, qui ont coûté à l’UE des milliards d’euros.
Au cours de la dernière génération, en particulier, la poursuite de l’existence de l’OTAN a constitué une préoccupation majeure pour la Russie, et ce non sans de bonnes raisons. Par exemple, le bombardement de la Serbie par l’OTAN, au cours du printemps 1999, constitua une provocation visant directement la Russie, même si cela fut à peine reconnu. L’attaque de l’OTAN se produisit à une période où la Russie était faible, et encore en train de se remettre de la dissolution soviétique de la fin 1991. Les relations serbo-russes remontent à des centaines d’années en arrière, et ces deux pays sont restés alliés jusqu’à ce jour.
Lancée le 24 mars 1999, l’agression de l’OTAN sur la Serbie fut imposée telle une démonstration du pouvoir et de la crédibilité étasuniens, sur un territoire qui jadis fit partie de l’« arrière-cour » de l’URSS. L’administration Bill Clinton avait par ailleurs décidé de lancer une action militaire contre la Serbie, par suite au refus de Belgrade des exigences étasuniennes de souscrire aux programmes néolibéraux définis par Washington4. La Serbie constituait alors le dernier coin d’Europe où le néolibéralisme n’avait pas prise.
L’OTAN allait commettre des crimes de guerre presque ses 80 journées d’attaque de la Yougoslavie — comprenant le meurtre de centaines de civils par frappes aériennes « chirurgicales », ainsi que par d’autres actions, comme la destruction de l’ambassade de Chine à Belgrade, et celle du bâtiment de la radio et de la télévision publique du pays (RTS).
Sans surprise, les Chinois s’irritèrent du bombardement de leur ambassade, qu’ils estimèrent avoir été mené de manière délibérée. Trois citoyens chinois perdirent la vie, provoquant la furie à Pékin. L’ambassadeur de Chine à l’ONU, Qin Huasun, qualifia le bombardement d’« acte barbare de l’OTAN, en violation de la charte des Nations Unies ». L’OTAN affirma avoir confondu l’ambassade avec un « dépôt de munitions », ajoutant aux suspicions chinoises.
Parmi les 13 États membres de l’OTAN qui prirent part officiellement au bombardement de la Yougoslavie, 9 étaient des membres de l’UE. L’UE fut donc complice de l’agression de la Yougoslavie. À peine plus d’une décennie plus tard, 11 pays de l’UE participèrent, toujours sous la bannière de l’OTAN, à l’intervention en Libye — qui, comme pour la Serbie, laissa les deux pays dans des conditions bien pires que celles d’avant les agressions de l’OTAN.
L’une des principales raisons derrière la création de l’OTAN, en 1949, fut d’empêcher l’Europe d’emprunter un chemin indépendant de celui de la politique étrangère étasunienne. Vu sous cet angle, l’OTAN a bien fonctionné.
L’OTAN et l’UE sont inextricablement liées sur un autre sujet, des plus critiques : les armes nucléaires. L’UE a ses organes de direction à Bruxelles, capitale belge, qui constitue l’un des « membres fondateurs » de l’OTAN. La Belgique constitue également une puissance nucléaire de facto. L’État belge héberge des armes nucléaires étasuniennes depuis presque 56 ans, depuis novembre 1963, le même mois où John F. Kennedy fut assassiné. Les silos nucléaires étasuniens furent secrètement enfouis en Belgique sans que le parlement belge en soit notifié ; pas plus, évidemment, que le peuple belge.
Localisées à moins de 100 kilomètres au Nord-Est de Bruxelles, on compte au moins 20 bombes nucléaires B-61 étasuniennes, entreposées dans des caves sous la base aérienne de Kleine Brogel. Cette base héberge des escadres aériennes conjointes étasuniennes et belges, ce qui revient à dire que les ordres importants émanent de Washington.
Les pilotes belges sont au contact des armes nucléaires étasuniennes à Kleine Brogel, et sont familiers de leur conception. Les bombes B-61 sont en outre « à transporter et livrer par la flotte en diminution de chasseurs F-16 de l’armée de l’air belge », à en croire un analyste et auteur étasunien expérimenté, William M. Arkin. La présence d’armes nucléaires dans le pays « n’est ni confirmée, ni réfutée » par les politiciens belges.
La Belgique constitue également une cible de haute priorité pour les atrocités terroristes, comme on l’a vu au cours des dernières années. On peut présumer qu’un combattant de l’état islamique serait plus qu’heureux de s’emparer d’une bombe nucléaire, et de provoquer des dégâts inédits en en faisant usage. La possibilité d’une telle occurrence est très réduite, une expertise particulière et des connaissances technologiques très avancées étant sous doute requises pour déclencher une arme nucléaire, mais les chances n’en sont pas nulles.
Et la possibilité n’est pas moins nulle d’un accident imprévu survenant avec une arme nucléaire embarquée dans un avion F-16, sur la base aérienne de Kleine Brogel.
Des incidents se sont produits avec des appareils F-16 au cours des dernières années (et avec d’autres appareils également) qui donnent lieu à s’inquiéter ; tel l’écrasement mortel d’un avion F-16 grec qui se produisit en janvier 2015 en Espagne — autre membre de l’OTAN, causant la mort de 11 personnes ; à l’époque l’avion était impliqué dans un « exercice de l’OTAN » ; et cet été 2019 également, lorsqu’un F-16 « bourré d’armes » avait perdu le contrôle et avait « percuté un entrepôt » en Californie, laissant « un trou béant dans le toit ».
L’Allemagne, nation dominante de l’UE, constitue également une puissance de l’OTAN, et un État nucléaire de facto. La République Fédérale d’Allemagne, aujourd’hui dissoute, accéda à l’OTAN en mai 1955. Deux mois auparavant, en mars de la même année, l’Allemagne de l’Ouest commençait l’entreposage d’armes nucléaires sur son sol, en préparation à la « politique de partage » nucléaire de l’OTAN.
Cela fait à présent 64 ans que des armes nucléaires sont stationnées sur le sol allemand. L’Allemagne conserve 20 nombres B-61 étasuniennes sur la base aérienne de Büchel, dans la partie la plus occidentale du pays, où des escadrilles séparées des armées de l’air allemande et étasunienne sont stationnées. La sécurité allemande s’est vue gravement compromise. La base aérienne de Büchel est facilement atteignable par la route en partant de grandes villes allemandes telles que Cologne, Frankfort et Stuttgart.
La chancelière Angela Merkel professe que le militarisme étasunien protège l’Allemagne et les régions avoisinantes, alors que c’est le contraire qui est vrai. Les Russes n’ont pas d’autre alternative que de prendre en compte la présence de bombes nucléaires étasuniennes, surtout avec un OTAN qui n’a eu de cesse de s’étendre jusqu’à ses frontières.
L’Italie, « membre fondateur » de l’UE et de l’OTAN, héberge au moins 70 bombes étasuniennes B-61 sur deux bases aériennes — Ghedi et Aviano —- au Nord-Est du pays. L’Italie constitue ainsi une puissance nucléaire de facto depuis avril 1957, plus de cinq ans avant la Crise des Missiles de Cuba.
La Hollande constitue encore un état membre de l’UE, fondateur de l’OTAN, et puissance nucléaire de fait. Au cours des 59 dernières années, les hollandais ont hébergé sur leur sol des armes nucléaires étasuniennes, la première y ayant été entreposée en avril 1960. Les bombes étasuniennes B-61 sont entreposées sur la base aérienne de Volkel, au Sud du pays, à moins de 150 kilomètres d’Amsterdam et de Rotterdam, les deux plus grandes villes du pays. Comme le gouvernement belge, le gouvernement hollandais « ne confirme pas et ne réfute pas » que des armes nucléaires fabriquées par une puissance étrangère restent à demeure sur leur sol, comme tel a été le cas pendant des décennies.
La Turquie également reste membre de l’OTAN, pour l’instant. Les relations avec Washington sont loin d’être harmonieuses ; mais la Turquie n’en conserve pas moins 50 bombes B-61, produites aux États-Unis, sur la base aérienne d’Incirlik. Les armes nucléaires d’Incirlik sont positionnées à moins de 300 kilomètres de la ville d’Idlib, infiltrée par les terroristes, où les combats font rage en ce moment avec les forces gouvernementales syriennes soutenues par la Russie. La Turquie est en possession de bombes nucléaires étasuniennes depuis février 1959, quelques semaines après que Fidel Castro prit le pouvoir à Cuba.
Additionnées, on compte présentement environ 150 armes nucléaires étasuniennes distribuées dans les pays ci-dessus, membres de l’UE ou de l’OTAN. Cela peut paraître beaucoup, mais en 1959, le même total s’établissait à environ 2500 bombes nucléaires étasuniennes en Europe. En 1966, ce nombre avait doublé et atteint son maximum de 5000, et l’Europe débordait alors littéralement d’appareils nucléaires étasuniens, complétés par les puissances atomiques de France et de Grande-Bretagne.
Rendus à la fin des années 1970, il restait encore plus de 4000 ogives nucléaires étasuniennes sur le sol européen. Depuis lors, les nombres en ont constamment décliné. Mais les moyens à disposition pour acheminer des armes nucléaires ont progressé en matière technologique, États-Unis en tête, ce qui garantit que les risques en sont augmentés.
Depuis sa création il y a 70 ans, l’OTAN a surtout déstabilisé le continent européen, en faisant monter en puissance la méfiance avec Moscou. Des diplomates étasuniens respectés, comme George Kennan, qui comprenait bien la Russie, l’avaient vu venir. Kennan s’opposa à la formulation de l’OTAN dès le départ, et il prédit les dangers qui allaient survenir dans le déroulement de la course aux armements — révélés par les chiffres donnés ci-dessus.
L’URSS, ou pour être plus précis, la Russie, fut contrainte de suivre, en établissant sa propre organisation pour contrer l’OTAN, en 1955 : le Pacte de Varsovie.
Aujourd’hui, l’OTAN compte 29 États, alors que le Pacte de Varsovie est enfoui dans les mémoires de l’histoire. Sur les 29 pays membres de l’OTAN, 12 ont rejoint l’organisation rien qu’au cours des deux dernières décennies. On trouve parmi eux d’anciens pays membres du Pacte de Varsovie, jadis alliés de la Russie ; voilà qui doit être exaspérant aux yeux des diplomates du Kremlin.
L’OTAN, c’est à dire Washington, a des projets imminents de gonflement de ses rangs encore plus : la Macédoine du Nord, un petit État des Balkans, est actuellement en cours d’adhésion à la vassalité à l’OTAN. Et pratiquement en même temps, la Macédoine du Nord a également été racolée pour adhérer à l’UE.
Non sans raison, le Kremlin assimile l’appartenance à l’UE à celle à l’OTAN. Depuis des années, Moscou s’alarme des gestes de l’Ukraine vers une adhésion à l’UE, qui finirait par ouvrir la voie à une accession à l’OTAN, une perspective des plus inacceptables pour les Russes.
Shane Quinn
Traduit par Vincent, relu par San pour le Saker Francophone
Notes
- Sans parler du fait que l’article 42 du Traité de l’Union Européenne mentionne explicitement l’OTAN, NdT ↩
- Le discours de George W. Bush, en juin 2001, à l’université de Varsovie, était également des plus explicites : « Toutes les nouvelles démocraties de l’Europe, de la Baltique à la Mer Noire et toutes celles qui se trouvent situées entre les deux, doivent avoir la même chance pour la sécurité et la liberté – et la même chance de rejoindre les institutions européennes. Toutes les nations devraient comprendre qu’il n’y a aucun conflit entre l’appartenance à l’OTAN et l’appartenance à l’UE », NdT ↩
- Qui en serait surpris, au vu des pédigrées, par exemple, des présidents successifs de la Commission Européenne, tous passés par des financements, des stages ou des études par les États-Unis, NdT ↩
- et pour détourner l’attention de l’affaire Lewinski, NdSF ↩