À cause des discussions frénétiques sur les relations entre l’équipe Trump et les Russes, nous ratons une histoire plus sombre qui montre comment les pouvoirs de surveillance de l’État profond contrôlent même les dirigeants de la nation, constatent les vétérans étasuniens Ray McGovern et Bill Binney.
Par Ray McGovern and Bill Binney – Le 28 mars 2017 – Source Consortium News
Bien que de nombreux détails soient encore peu clairs à cause du secret – et plus encore obscurcis par la politique – il semble que le président de la Commission du renseignement du Congrès, Devin Nunes, ait été informé, la semaine dernière, de la surveillance électronique de hauts fonctionnaires américains, sans autorisation, et qu’il a ensuite transmis ces informations au président Trump.
Cette information met Trump face à un choix indésirable mais inévitable : affronter ceux qui ne l’ont pas informé de telles activités déloyales ou vivre craintivement dans leur ombre. (Ce dernier choix a été celui du président Obama. Trump choisira-t-il la route la plus escarpée ?).
Ce que va décider le Président Trump déterminera en grande partie la liberté d’action dont il jouit en tant que président sur de nombreuses questions clés de sécurité et autres. Mais plus encore, son choix peut décider si notre république constitutionnelle a encore un avenir. Soit il courbe l’échine, soit il lutte contre les fonctionnaires de l’État profond du renseignement, qui utilisent une myriade de façons d’espionner les politiciens (et d’autres citoyens) et amassent ainsi des informations privées qui peuvent facilement être utilisées pour du chantage.
Cette crise (oui, « crise » est un mot trop utilisé, mais dans cet ensemble de circonstances très inhabituelles nous croyons qu’il est vraiment approprié) est venue à la lumière surtout par accident après que le président Trump a tweeté, le 4 mars, que son équipe qui travaillait à la Trump Towers de New York avait été « mise sur écoute » par le président Obama.
Trump se serait appuyé sur les reportages des médias au sujet de la façon dont les conversations de ces assistants, y compris son malheureux conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, avaient été interceptées. Le tweet de Trump a provoqué une nouvelle offensive de la part des Démocrates et de la presse grand public pour dénigrer les affirmations « ridicules » de Trump.
Cependant, cette inquiétude au sujet des dragnets que le renseignement américain (ou ses partenaires étrangers) peuvent déployer pour intercepter les communications des conseillers de Trump et le fait d’avoir « démasqué » les noms avant de les faire fuiter aux médias d’information a été également mis en évidence à la Commission du renseignement du Congrès, le 20 mars, où Nunes a demandé à quiconque ayant des connaissances relatives du sujet de les présenter.
Cela s’est apparemment produit au soir du 21 mars, quand Nunes a reçu un appel tandis qu’il roulait avec un employé. Après l’appel, Nunes est monté dans une autre voiture et est allé dans une pièce sécurisée au Old Executive Office Building, à côté de la Maison Blanche, où on lui a montré des informations hautement classifiées, apparemment sur la façon dont la communauté du renseignement a intercepté les communications des assistants de Trump.
Le lendemain, Nunes s’est rendu à la Maison Blanche pour informer le président Trump, qui a déclaré plus tard qu’il avait « été convaincu » par ce que Nunes lui avait dit.
La fallacieuse « mise sur écoute »
Mais les médias d’affaires étasuniens ont continué à harceler Trump sur son utilisation du mot « mis sur écoute » et à citer l’insistance avec laquelle le directeur du FBI James Comey et d’autres fonctionnaires du renseignement avaient dit que le président Obama n’avait pas émis d’ordre d’espionnage visant Trump.
Comme ceux qui accordent une attention, même faible, aux méthodes modernes de surveillance le savent, les « mises sur écoute » sont du passé. Mais l’utilisation de ce mot par Trump a permis aux responsables du FBI et du ministère de la Justice et à leurs homologues de l’Agence de sécurité nationale [la NSA, NdT] de jurer sur une pile de Bibles que le FBI, le Ministère de la Justice et la NSA n’avaient pas été en mesure de trouver des preuves de la moindre « mise sur écoute téléphonique ».
Lors de l’audition de la Commission du renseignement de la Chambre le 20 mars, le directeur du FBI, Comey, et le directeur de la NSA, Michael Rogers, ont fermement nié que leurs agences aient mis sur écoute les Trump Towers sur ordre du président Obama.
Donc, Trump et ses associés ont-ils été « mis sur écoute » ? Bien sûr que non. Les écoutes téléphoniques ne sont plus de mode depuis des décennies, ayant été rendues obsolètes par les sauts technologiques de la surveillance.
La vraie question est : Trump et ses associés ont-ils été surveillés ? Réveille-toi, Amérique. Personne ne prêtait donc attention aux révélations du dénonciateur de la NSA, Edward Snowden, en 2013 quand il a exposé le directeur de l’Intelligence nationale James Clapper comme étant un menteur pour avoir nié que la NSA s’était engagée dans la collecte en vrac des communications à l’intérieur même des États-Unis.
La réalité est que TOUT LE MONDE, y compris le président, est surveillé. La technologie permettant la collecte en vrac aurait mis l’eau de la bouche de J. Edgar Hoover, l’ancien directeur dément du FBI.
Les révélations concernant l’abus de ses pouvoirs par la communauté du renseignement ne datent pas de Snowden. Quelques années auparavant, l’ancien employé et lanceur d’alerte de la NSA, Russell Tice, avait mis en garde contre ces « programmes d’accès spéciaux », citant des informations de première main, mais ses déclarations ont été écartées comme provenant d’un employé mécontent ayant des problèmes psychologiques. Ses révélations ont vite été oubliées.
La réplique de la communauté du renseignement
Pourtant, plus tôt dans l’année, on a pu assister à un dur rappel de la peur que ces capacités de surveillance exercent sur les hauts fonctionnaires du gouvernement des États-Unis. Le leader des minorités du Sénat, Chuck Schumer, de New York, a déclaré à Rachel Maddow de MSNBC que le président Trump était « vraiment stupide » de s’en prendre à la communauté du renseignement, car « ils ont mille manières de le lui faire payer ».
Maddow a évité de poser la question logique suivante: « Sénateur Schumer, êtes-vous en train de dire que Trump devrait avoir peur de la CIA ? ». Peut-être ne voulait-elle pas s’aventurer dans une voie qui soulèverait des questions trop troublantes sur la surveillance par la CIA de l’équipe Trump et leurs prétendus contacts avec les Russes.
De même, les médias étasuniens se concentrent maintenant sur l’échec présumé de Nunes à suivre le protocole en ne partageant pas d’abord ses informations avec le représentant Adam Schiff, le Démocrate de rang égal au sien à la Commission du renseignement. Les Démocrates ont aussitôt demandé à Nunes de se retirer de l’enquête sur les relations avec les Russes.
Mardi matin, les journalistes de CNN et d’autres médias ont mitraillé Nunes de questions semblables alors qu’il arpentait un couloir du Capitole, l’incitant à leur suggérer que les journalistes devraient être plus préoccupés par ce qu’il avait appris que par les procédures qu’il avait suivit.
C’est probablement vrai parce que, pour citer le personnage de Jack Nicholson dans Des hommes d’honneur, dans un contexte légèrement différent, les médias traditionnels « ne peuvent pas gérer la vérité », même si elle est évidente.
Lors de sa réunion du 21 mars au soir, à l’ancien bureau exécutif, Nunes a été probablement informé que tous les téléphones, courriels, etc. – y compris le sien et celui de Trump – sont surveillés par ce que les Soviétiques appelaient « les organes de la sécurité d’État ».
En partageant cette information avec Trump le lendemain – plutôt que de consulter Schiff – Nunes aurait pu chercher à éviter le risque que Schiff, ou quelqu’un d’autre, n’utilise une raison bureaucratique pour garder le président dans l’ignorance.
En politicien averti, Nunes savait qu’il aurait un coût politique élevé à payer en faisant ce qu’il a fait. Inévitablement, il serait considéré comme de parti pris. Il y aurait beaucoup d’appels à le retirer de la présidence du comité ; et son assassinat politique, déjà bien en cours dans le Washington Post par exemple, pourrait le placer au sommet de la cote d’impopularité, dépassant même la bête noire qu’est le président russe Vladimir Poutine.
Cet épisode n’est le premier où Nunes a montré une certaine droiture face à ce que l’establishment préfère ignorer. Nunes a eu le courage d’organiser une cérémonie de remise de prix pour l’un de ses électeurs, un marin retraité et membre de l’équipage de l’USS Liberty, Terry Halbardier.
Le 8 juin 1967, en réparant une antenne et en permettant ainsi à l’USS Liberty de transmettre un SOS, Halbardier a empêché les avions et les torpilleurs israéliens de couler ce vaisseau de renseignement de la Marine pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de survivants et décrire comment les « alliés » israéliens avaient bombardé le navire. Pourtant, 34 marins américains sont morts et 171 ont été blessés.
Au moment de la cérémonie de remise des prix en 2009, Nunes a déclaré : « Le gouvernement est resté trop longtemps silencieux, et je me sentais comme mon constituant, il [Halbardier] a besoin d’être reconnu pour les services qu’il a rendu à son pays. » (Ray McGovern a participé à la cérémonie dans le bureau de Nunes, à Visalia, en Californie.)
Maintenant, nous soupçonnons que beaucoup plus peut être révélé sur le programme spécial de surveillance ciblé contre les principaux dirigeants nationaux des États-Unis, si le Représentant Nunes ne recule pas et si Trump ne choisit pas la route la plus facile, c’est-à-dire de courber l’échine devant les acteurs de l’État profond étasunien.
Ray McGovern a été analyste à la CIA pendant 27 ans.
Bill Binney est un ancien directeur technique à la NSA
Traduit par Wayan, relu par Michèle pour le Saker Francophone