Suite de la premiere partie que vous trouverez ICI.
Par Andrew Korybko – Le 4 avril 2016 – Oriental Review
Le Stratagème:
L’auteur a publié une analyse en juin 2014, dans laquelle il expose le concept géostratégique du Reverse Brzezinski, qui est essentiellement un retour aux années 1980 quand les États-Unis utilisaient la stratégie afghane, où ils organisaient des bourbiers dans lesquels la Russie s’affaiblissait, stratégie qui peut également être appliquée contre d’autres grandes puissances comme la Chine. Le projet américain est que certains scénarii de déstabilisation géopolitique peuvent être créés de toute pièce dans et autour de la zone post-soviétique. Cela qui pourrait pousser les Russes à une intervention militaire classique de répression, alors que c’est en réalité un piège fomenté par les États-Unis dans le but d’enliser la Russie dans une guerre inutile qui nuirait à son intégrité physique, matérielle, économique et à son capital stratégique.
Les trois plus probables champs de bataille Reverse Brzezinski actuels sont le Donbass, le Haut-Karabagh, la vallée de Fergana, et il n’est pas surprenant de constater que tous les trois ont connu une soudaine flambée de violence au cours de la semaine passée. A côté de l’évidente situation entourant le Haut-Karabagh dont nous allons parler, la République populaire autoproclamée de Donetsk a mis en garde la semaine dernière, contre une détérioration importante de la situation le long de la ligne de contact avec les forces de Kiev, pendant que l’Ouzbékistan et le Kirghizistan ont évité de justesse des affrontements sur leur frontière, qui menaçaient de se développer rapidement en un conflit plus large. Ces trois exemples de déstabilisations périphériques post-soviétiques et leur éclosion quasi-simultanée, ne peuvent pas être considérés comme une coïncidence, mais font partie de ce que l’auteur avait initialement prévu il y a près de deux ans environ, avec le scénario américain de Reverse Brzezinski contre la Russie.
Identifier le coupable
Sur les trois sondes que les États-Unis ont lancées pour évaluer la viabilité du prochain champ de bataille Reverse Brzezinski, celui du Haut-Karabagh est rapidement devenu la scène des combats avec la plus grande échelle et le conflit avec le plus fort potentiel pour dégénérer rapidement en une guerre tous azimuts. On ne sait pas quel camp a tiré le premier et entraîné la dernière série de violations du cessez-le-feu, et en fin de compte, même si tout cela est très important du point de vue normatif et juridique, on ne le saura probablement jamais, à cause des récits contradictoires venant des deux camps. Il y a des arguments convaincants pour soutenir que l’Azerbaïdjan a commencé en vue d’aider la Turquie et les États-Unis dans leur nouvelle guerre froide, mais tous les éléments de preuve mentionnés dans la première partie, montrant une coopération russo-azérie étroite et l’affaiblissement des liens azéri-occidentaux, montre que cette explication reste superficielle (même si elle n’est pas à rejeter entièrement). De l’autre côté, l’Arménie n’a rien à gagner en essayant d’attirer son allié russe dans une guerre au Haut-Karabagh, si ce n’est de provoquer une consternation publique forte et immédiate de la part de Moscou, si jamais elle soupçonnait que cela soit vraiment le cas. Avec les deux dirigeants arménien et azéri n’ayant aucun intérêt objectif à attiser les flammes d’une nouvelle guerre qui impliquerait forcément la Russie, tous les yeux se tournent une fois de plus vers les États-Unis en se posant la question du cui bono. [A qui profite le crime, NdT]
Le brouillard de la guerre
Pour répéter ce qui vient d’être mentionné ci-dessus, il ne sera probablement jamais établi sans doutes raisonnables qui a tiré le premier et qui a déclenché la pire flambée de violence depuis le cessez-le-feu de 1994. Mais il est très probable qu’un provocateur individuel, ou un groupe, venant d’un côté ou des deux, ait profité du brouillard de la guerre pour déclencher les hostilités actuelles. Ni l’Arménie, ni l’Azerbaïdjan n’ont le plein contrôle sur leurs forces au front, et l’état de tension nerveuse et de quasi-guerre auquel ils ont tous deux été exposés au cours des deux dernières décennies (et surtout récemment avec les derniers bombardements de septembre 2015), permet qu’un allumé et/ou des réactions militaires à fleur de peau puissent facilement être provoquées et entraîner une réponse militaire disproportionnée des forces opposées. En fait, à en juger par la longue liste des violations du cessez-le-feu, même avant ce dernier incident, il semble très probable que cela a été le cas à plusieurs reprises auparavant et pourrait même avoir été testé et perfectionné bien à l’avance, par ce qui pourrait en fait être une tentative de sabotage à la Reverse Brzezinski par les États-Unis. Avec les deux parties se limitant pour le moment, et le président Poutine appelant chacun d’eux à s’abstenir de franchir le pas, on dirait que personne ne sait vraiment qui a commencé la bagarre et que toutes les parties se bousculent pour comprendre ce qui se passe et essayer d’empêcher la situation de devenir hors de contrôle pour qu’elle n’endommage pas leurs intérêts avant qu’il ne soit trop tard.
Œuvrer à la paix à Pékin
On ne sait pas dans quelle direction les dernières hostilités peuvent aller, mais il est clair que leur intensité et leur portée sont sans précédent depuis le cessez-le-feu de 1994. Le Groupe de Minsk de l’OSCE pour la résolution des conflits, qui a été créé au milieu des années 1990 et est co-présidé par la Russie, les États-Unis et la France, a pitoyablement échoué à faire des progrès significatifs dans l’amélioration de la situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au cours de ses plus de deux décennies d’existence et a montré, face aux derniers événements, qu’il est absolument incapable de calmer la situation actuelle. Pour cette raison, un nouveau format doit être immédiatement recherché, afin d’accroître l’efficacité des mécanismes de résolution des conflits et de prévenir l’escalade incontrôlable de la violence entre les deux parties. L’auteur a écrit une série en trois parties, il y a presque exactement un an sur ce sujet et comment l’OSC, dans laquelle l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont désormais officiellement partenaires, peut se substituer efficacement au Groupe de Minsk de l’OSCE et alimenter un processus de paix avec l’élan nécessaire fourni par une participation totalement neutre de la Chine. Pour les détails spécifiques de ce plan, le lecteur est vivement encouragé à lire les articles de l’auteur sur Le conflit du Haut-Karabagh: Le Groupe de Minsk de l’OSCE est obsolète, L’OSC sera le nouveau cadre pour le règlement du Haut-Karabagh, et Comment l’Occident empêche l’OSC d’être médiateur dans le Haut-Karabagh, mais le paragraphe suivant résume succinctement les aspects se rapportant au présent article les plus pertinents de cette série.
Contrairement à la Russie, que quelques voix arméniennes et azéries nationalistes accusent faussement d’être biaisée d’un côté ou de l’autre, la Chine n’a pas un tel passif et est généralement considérée par les deux pays et leurs citoyens comme étant complètement neutre dans le conflit du Haut-Karabagh. Grande puissance en forte ascension avec la capacité impressionnante d’exercer une influence dans beaucoup de domaines et dans le monde entier, la Chine est particulièrement qualifiée pour jouer un rôle diplomatique de premier plan en offrant son pragmatisme si stéréotypé pour faire avancer une solution gagnant-gagnant pour tout le monde. Le seul intérêt de la Chine est que la stabilité soit préservée, afin que sa nouvelle Route de la Soie réussisse à couvrir le monde entier et intégrer autant de coins que possible. Pékin est bien conscient que le conflit du Haut-Karabagh pourrait perturber sa vision du Caucase et évoluer en une désastreuse conflagration qui déstabiliserait bien plus que ses belligérants initiaux.
À toutes fins utiles, la Chine est beaucoup mieux configurée pour négocier entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan que les États-Unis ou la France, deux des trois co-présidents actuels du Groupe de Minsk de l’OSCE ayant échoué, et dans l’intérêt de la solidarité eurasienne et des avantages d’une Route de la Soie multipolaire, il serait préférable que la Chine remplace ses homologues occidentaux dans le processus de négociation et complète le rôle positif de la Russie grâce à la dynamique, qui s’est déjà montrée efficace, du partenariat stratégique russo-chinois.
Pensées finales
L’épidémie de violence dans le Haut-Karabagh a pris de nombreux observateurs internationaux par surprise, mais s’ils avaient été pleinement conscients du rôle des États-Unis et de leur ruse Reverse Brzezinski pour déstabiliser la Russie à tout prix, alors les derniers événements n’auraient pas été trop inattendus pour eux. Ils se produisent à un moment géopolitique significatif, alors que la Russie a gonflé ses muscles en défiant la vision unipolaire des États-Unis pour l’hégémonie mondiale, en participant avec succès à l’opération anti-terroriste en Syrie, et il est raisonnable de se demander si les États-Unis n’ont pas provoqué les affrontements dans le Haut-Karabagh comme une forme de punition asymétrique pour ce développement historique.
Bien qu’il existe de nombreuses théories tourbillonnant autour de qui est à blâmer pour tout cela et quels sont leurs objectifs ultimes, l’explication conventionnelle voulant que l’Azerbaïdjan se comporte comme une marionnette complètement contrôlée par l’Occident n’a pas encore été prouvée dans ce cas et est largement exposée comme étant une réaction stéréotypée superficielle, lorsque les trajectoires géopolitiques récentes d’Erevan et Bakou sont prises en compte. Il ne s’agit pas d’ignorer que l’Azerbaïdjan entretient des relations très étroites avec les fauteurs de troubles éprouvés tels que les États-Unis, la Turquie et Israël, mais il est prématuré de sauter à la conclusion qu’ils avaient demandé à leur partenaire de le faire, lorsque toutes les preuves existantes jusqu’à ce point révèlent que Bakou se rapproche nettement de Moscou. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il ne peut être complètement écarté que l’Azerbaïdjan ait fait cela pour le compte de ses partenaires occidentaux, ou bien que l’Arménie soit coupable de tout, mais que la situation est infiniment plus compliquée que les récits des médias en vigueur et que cette situation est probablement attribuable aux États-Unis qui exploitent le brouillard dangereux de la guerre et plusieurs décennies de tensions installées le long de la ligne de contact.
En outre, la position de la Russie est aussi beaucoup plus complexe que de simplement fournir une assistance à l’Arménie, dans le cadre de l’OTSC, puisque, comme cela a été mentionné précédemment, cette garantie de défense mutuelle ne couvre pas les zones arméniennes peuplées du Haut-Karabagh. Moscou maintient toujours formellement que ce territoire fait légalement partie intégrante de l’Azerbaïdjan, mais il faut comprendre que telle est sa position pour l’instant, position qui pourrait théoriquement changer en fonction des circonstances, comme ce fut le cas pour l’intégrité territoriale de la Géorgie et de l’Ukraine en 2008 et 2014. Cela étant considéré, la Russie ne veut pas voir l’Arménie et l’Azerbaïdjan entrer en guerre l’un contre l’autre, même si elle protégerait incontestablement son allié de l’OTSC au cas où il serait attaqué sur son propre terrain, c’est-à-dire dans ses frontières internationalement reconnues, mais pas dans la région du Haut-Karabagh. Le problème qu’une guerre arméno-azérie provoquerait pour la Russie est immense, et cela mettrait certainement Moscou dans un dilemme géostratégique dans lequel elle serait forcée par des circonstances indépendantes de sa volonté, de faire face à une décision où l’on perd à tous les coups, sur l’opportunité ou non de soutenir les forces arméniennes dans le Haut-Karabagh.
Bien qu’il n’existe pas encore de proposition de paix qui satisfasse à la fois les Arméniens et les Azéris, il est incontestable que le Groupe de Minsk a clairement échoué dans son objectif d’atténuer les tensions entre les deux parties et de résoudre leur différend. Cela signifie qu’une alternative nouvelle et audacieuse doit être entreprise afin de donner un nouvel élan au processus, et la possibilité la plus probable pour que cela se produise, est que les partenaires au dialogue de l’OSC demandent la médiation de la Chine. On ne mesure pas encore l’efficacité d’une telle méthode, mais vu que le modèle actuel a lamentablement échoué à atteindre ses objectifs premiers, il n’y a rien à perdre en retirant les États-Unis et la France du processus de résolution du conflit et en les remplaçant par une participation multipolaire et pragmatique de la Chine dans l’espoir de tirer parti du partenariat stratégique russo-chinois et de prévenir un autre effet dramatique de la méthode Reverse Brzezinski.
Andrew Korybko.
Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone.
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