Par Matthew Ehret-Kump – Le 3 juin 2016 – Source Global Independent Analytics
La communauté transatlantique fait aujourd’hui face à une décision qui, si elle est erronée, peut condamner l’humanité à une extinction prématurée.
Son choix porte sur deux modèles: 1. Une fuite en avant vers le militarisme et le monétarisme, qui sont devenus les principes directeurs de gouvernement du Système qui domine les économies d’Europe et d’Amérique du Nord. Ou 2. Accepter la main tendue des pays affiliés à l’Alliance russo-sino-indienne, qui a établi un cadre sécuritaire et économique, caractérisé par une coopération où tous les acteurs sont gagnants, organisée autour d’une résurrection de la Route de la Soie, vieille de 2000 ans. Ce nouveau modèle comporte de nombreux volets et agrège des pans entiers des économies concernées, mais est unifié autour du principe conducteur de projets développementaux visionnaires à long-terme, incarné par le projet chinois Une ceinture, Une Route et ses implications mondiales, présenté de plus en plus souvent sous le nom de Pont terrestre mondial reliant chaque continent de la surface du globe.
Le spectre de la guerre hypnotise l’Europe
Le 11 mai, les dirigeants roumains ont été rejoints par leurs collègues de l’OTAN et du gratin militaire américain, pour inaugurer la dernière installation Aegis Ashore, un système de défense balistique qui a été en préparation pendant de nombreuses années et à propos duquel l’état-major russe a clairement indiqué qu’il le considérait comme une menace existentielle à la survie de la Nation russe. Ce système est intégré dans un dispositif plus large d’agression anglo-américaine, dont l’objectif annoncé est de remporter une guerre thermonucléaire d’intensité limitée contre la Russie et son allié chinois.
Au cœur de cette panoplie de programmes militaires, les États-Unis ont non seulement quadruplé leur dispositif militaire en Europe de l’Est, passant de 750 millions à 3,5 milliards de dollars US de budget, mais ont également mis en branle un programme de modernisation de leur arsenal nucléaire évalué à 1 000 milliards de dollars US, qui comporte notamment le stationnement des nouveaux bombardiers nucléaires B61-12, et autres armement nucléaires tactiques en Allemagne. Ce programme inclut également le stationnement en Lituanie de 4 000 soldats en rotation permanente, venant des contingents ukrainiens et lituaniens principalement mais pas uniquement, dans ce que de nombreux analystes appellent une nouvelle Opération Barbarossa. Plus de 100 milliards de dollars US ont déjà été dépensés par les États-Unis dans leur infrastructure militaire encerclant la Russie et la Chine.
Les fonctionnaires de l’OTAN sur place ont été prompts à rejeter les inquiétudes de la Russie au sujet de cette nouvelle menace sur sa capacité de réponse à une offensive nucléaire. Le sous-secrétaire américain de la Défense, Bob Work, a déclaré à ce sujet : «Cette installation, tout comme celle en Pologne, n’a absolument aucune capacité à diminuer la dissuasion nucléaire de la Russie.» Si cette affirmation est peut-être vraie à l’heure actuelle, l’ambassadeur russe auprès de l’OTAN, Alexander Grushko, a rapidement précisé que cette déclaration était trompeuse: «En déployant sur la base Aegis Ashore les lance-missiles universels MK-41, capables de lancer des missiles à moyenne portée, les États-Unis ébranlent violemment le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire 1. Ce système ne doit pas être envisagé comme étant séparé de l’encerclement militaire mondial auquel se livrent les États-Unis à la frontière orientale de la Russie et de celle de son important allié, la Chine, avec l’expansion des systèmes de lanceurs de missiles THAAD en Corée du Sud, ainsi que la course effrénée à l’armement du Japon, des Philippines et de l’Australie, sous le diminutif militaire de Bataille aéro-navale.»
La menace explicite d’un conflit mondial, ainsi que l’invalidation des déclarations de non-agression de Bob Work, sont apparues au grand jour le 1er avril 2016, lors d’une allocution en Lettonie du Commandant suprême des Forces alliées en Europe de l’OTAN, le Général Philip Breedlove [il est américain, il n’a pas le titre de Sir, contrairement à ce que dit la version originale du texte en anglais, NdT], au cours de laquelle il a commenté la présence de 4 000 soldats stationnés de façon permanente en Europe de l’Est :
Nous sommes déterminés à engager le combat si la situation l’impose […] notre action évoluera, de la garantie de protection qui existe à l’heure actuelle à la dissuasion, y compris des mesures qui améliorent considérablement notre état de préparation… À l’Est comme au Nord, nous faisons face à la renaissance d’une Russie agressive, et pendant que nous observions les signes de cette résurgence au cours des deux dernières années, la Russie a continué à chercher les moyens d’étendre son influence à sa périphérie et au-delà.
Le général Breedlove a été récemment rejoint sur ce terrain par l’ancien Commandant en second de l’Otan Sir Richard Sherrif [il n’y a pas de Commandant suprême en second dans l’organigramme de SHAPE, contrairement à ce que dit la version originale du texte en anglais, NdT], qui a aussi révélé le projet d’entrer en guerre contre la Russie, au cours d’une allocution destinée à faire la promotion de son livre 2017: Guerre contre la Russie. Sir Sherrif a déclaré le 18 mai 2016, qu’un conflit nucléaire avec la Russie est probable dans le courant de l’année prochaine.
D’autres analystes russes ont été encore plus directs que l’ambassadeur Grushko, dans leur interprétation des motivations réelles qui se cachent derrière le projet guerrier de l’OTAN. Un de ces analystes est Sergeï Glaziev, conseiller du Président Poutine et co-développeur de l’Union économique eurasiatique 2 qui, dans une entrevue pour le site lenta.ru (reprise en anglais par Russia Insider), a clairement identifié que la guerre de l’information, la guerre économique et l’extension du bouclier nucléaire de l’OTAN sont une conséquence directe de l’éclatement de la bulle spéculative qui menace les États-Unis :
Les acteurs économiques qui contrôlent les États-Unis, au service d’une oligarchie financière, ont déstabilisé le système monétaire et financier américain, qui est en état de faillite technique environ deux fois par an. Les causes de la crise financière de 2008 n’ont pas disparu et la bulle spéculative de la dette américaine, un système pyramidal financier qui vend un agrégat de produits dérivés et de dette souveraine, continue de gonfler […] C’est ce qu’étudient les géopoliticiens américains au ministère des Affaires étrangères américain et à la Maison Blanche, se bornant à observer le monde à travers les prismes déformants de la Guerre froide et des rivalités historiques qu’entretenait la Grande-Bretagne avec la Russie et l’Allemagne au XIXe siècle, préparant ainsi le terrain pour le lancement d’une nouvelle guerre mondiale par les États-Unis.
Glaziev poursuit en réclamant un nouveau schéma de coopération au moyen de projets de développement à grande échelle, tels ceux lancés par la Chine avec son projet de Nouvelles Routes de la Soie 3, ainsi que les projets en développement comme l’Union économique eurasiatique et la Ceinture de Développement Trans-eurasiatique [et non Trans-Eurasian Economic Belt comme le dit la version originale du texte en anglais, NdT].
Les Nouvelles Routes de la Soie, un miracle chinois
Au cours des dernières années, la Chine a fait preuve de talent créatif en développant des initiatives économiques performantes, qui ont non seulement sorti 600 millions de gens de la pauvreté (soit la moitié de sa population), mais ont aussi fait des Nouvelles Routes de la Soie un projet d’envergure mondiale. Ouvert à tous, il se trouve être une alternative économique viable pour tous les pays de l’OTAN coincés entre les deux grands protagonistes nucléaires, et n’envisagent plus leur futur comme faisant partie d’une zone euro en état de décomposition.
La Lettonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et d’autres pays d’Europe orientale sont en négociation avec la Chine pour signer des contrats d’une valeur de plusieurs milliards de dollars portant sur des infrastructures, des hautes technologies et des programmes énergétiques. Ceux-ci sortent les gouvernements de ces États de la gangue dictatoriale que constituent la Troïka européenne (Commission européenne, BCE et FMI), Wall Street et l’OTAN, vers un alignement au sein d’un système de coopération où toutes les parties sont gagnantes. La Chine a déjà construit 18 000 kilomètres de voies ferrées à grande vitesse et a étendu ce programme au Pakistan, à l’Afghanistan, l’Égypte, l’Iran et à d’autres nations du Moyen-Orient, qui ont été identifiées par les idéologues néoconservateurs et néolibéraux occidentaux comme les prochaines cibles pour un changement imminent de régime.
Le programme d’investissement en infrastructures de 46 milliards de dollars mis en place par la Chine, prévoit un objectif de doublement de la capacité énergétique du Pakistan, la construction de nouveaux ports dans l’océan Pacifique et l’océan Indien, ainsi que l’investissement à long terme de plus de mille milliards de dollars US dans les pays se trouvant sur le tracé des Nouvelles Routes de la Soie (touchant ainsi plus de 4,4 milliards d’individus).
Le cas du Canada
Le choix auquel sont confrontées les colonies de l’OTAN en Europe est identique à celui auquel font face les dirigeants du Canada : se joindre au projet des Nouvelles Routes de la Soie, ou être entraîné toujours plus profondément vers les bas-fonds d’une guerre perdue d’avance et de la désintégration économique d’un Empire fondé sur une économie de casino.
Le 16 avril 2016, le ministre de la Défense canadien Harjit Sajjan a annoncé que le programme de bouclier antimissiles du NORAD-OTAN (le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord), rejeté en 2005 par le précédent gouvernement du Parti libéral canadien de Paul Martin, sera réactualisé sous la Directive de politique de Défense de 2017. Une lecture de la version résumée de trente pages du document officiel rendu public, révèle que le gratin de la Défense canadienne continue non seulement d’adhérer à la fable néoconservatrice d’une prétendue «agressivité belliqueuse de la Russie en Ukraine et dans la région Arctique», mais qu’en plus, à la lumière de cette menace, le Canada doit resserrer ses liens avec le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) et rouvrir le dossier de la défense antimissiles dans la région Arctique. Voici les termes employés dans ce document officiel :
Un problème qui n’a pas été pris en considération par le Canada depuis plus d’une décennie est la défense antimissiles. Étant donné le nombre croissant de pays ayant accès à la technologie balistique, et leur potentiel d’atteindre l’Amérique du Nord, il faut s’attendre à ce que cette menace n’aille qu’en s’amplifiant au cours des décennies à venir.
Le document conclut sur cette question : «Selon la décision du gouvernement prise en 2005, le Canada ne participera pas au système américain de défense antimissiles pour la défense de l’Amérique du Nord. À la lumière des nouvelles technologies disponibles et des nouvelles menaces, cette décision ne devrait-elle pas être reconsidérée?»
Le précédent ministre canadien de la Défense, Bill Graham, qui s’est opposé à l’origine au programme de défense antimissiles de Dick Cheney en 2005, a depuis retourné sa veste pour devenir un des quatre experts nommés par l’administration de Justin Trudeau sur les questions de politique de Défense.
La Chine intervient… de nouveau
Confronté à ce choix auto-destructeur, le Canada s’est vu offrir par la Chine la même alternative brillante que les pays européens, à savoir rejoindre les Nouvelles Routes de la Soie.
Le 10 mai, l’ambassadeur de Chine au Canada, Luo Zhaohui, a écrit une lettre d’opinion percutante pour la Fondation Asie-Pacifique, intitulée L’initiative Une Ceinture, Une Route : une feuille de route vers une nouvelle ère de coopération gagnante pour tous. Dans cette lettre, l’ambassadeur Luo appelle directement le Canada à rejoindre cette nouvelle initiative :
L’initiative Une Ceinture, Une Route [de son nom complet La ceinture économique de la Route de la soie et la Route de la Soie maritime du XXIe siècle, NdT] est un mécanisme de coopération d’un genre nouveau. La Chine se conformera aux principes d’ouverture, de coopération, d’harmonie, d’intégration, de bénéfice mutuel et de coopération bénéfique pour tous. Les programmes de développement dans le cadre de cette initiative ne sont pas restreints à quelques États, mais sont au contraire ouverts à tous les États ou entités qui s’y intéressent, que ce soient ceux des régions traversées par les itinéraires des routes commerciales, ou d’autres régions du globe. Certains de mes amis canadiens m’ont confié qu’en tant que voisin de la Chine sur les côtes du Pacifique, le Canada perçoit de nombreuses chances dans sa participation à l’initiative Une Ceinture, Une Route. À la lumière des progrès accomplis dans les relations bilatérales entre le Canada et la Chine ces dernières années, tous domaines confondus, le Canada peut capitaliser sur ses propres avantages comparatifs, dans les domaines des matières premières et de la technologie, pour renforcer sa coopération avec les nations asiatiques dans les domaines du développement des infrastructures, l’investissement industriel, les ressources énergétiques, la finance, les échanges humains et la production de pointe. Dans le même temps, la Chine et le Canada pourraient explorer ensemble de nouvelles opportunités d’étendre les Nouvelles Routes de la Soie à l’Amérique du Nord.
La participation du Canada dans les Nouvelles Routes de la Soie s’articule autour de sa situation stratégique le long de la Route de la Soie maritime dans l’océan Pacifique, la Colombie-Britannique jouant un rôle moteur avec ses projets-phares appelés Stratégie de Tête-de-pont pour les Transports sur le Pacifique, et sur son aspect terrestre vers le Grand Nord, La Nouvelle Route de la Soie en Arctique.
Le Canada joue un rôle essentiel dans cette Route de la Soie arctique, qui comprend l’achèvement d’un programme centenaire d’intégration continentale américano-eurasienne, appelé Le tunnel ferroviaire du Détroit de Béring. Ce programme, qui fut soutenu par l’Institut Schiller au début des années 1980, a été officiellement relancé par la Chine en 2014.
La Chine n’est pas la seule à s’intéresser à ce projet. L’an dernier, l’ambassadeur de Russie au Royaume-Uni, le Docteur Yakovenko, a adressé aux autorités canadiennes et aux autres pays de la région arctique, un message clair appelant à l’abandon de la militarisation de la région, en faveur d’une collaboration basée sur les avantages économiques et la diplomatie.
L’ambassadeur Yokovenko a notamment déclaré :
Certains dirigeants occidentaux ont appelé à une expansion des responsabilités de l’OTAN à la région Arctique, en opposition avec la tendance actuelle qui veut que cette région soit épargnée de toute compétition de type militaire, et ce, malheureusement dans un objectif de propagande russophobe. Nous espérons que les progrès significatifs obtenus par le Conseil de l’Arctique demeureront la base de la coopération mondiale sur le développement de la région Arctique comme zone naturelle exceptionnelle, cherchant de manière pacifique et dépolitisée à faire bénéficier l’ensemble de l’humanité.
Les choix qui s’offrent aux nations de l’espace transatlantique sont clairs : rejoindre la dynamique de recherche de prospérité commune, de développement à long terme, de coopération sans perdants, ou subir les conséquences d’un nouveau fascisme et d’un conflit thermonucléaire, qui laisseront le monde en ruines pour les siècles à venir.
Matthew Ehret-Kump
Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Diane, relu par Diane pour Le Saker Francophone
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- En référence à l’accord russo-américain de 1988 de ne pas produire, tester ou déployer de missiles au sol près des frontières respectives des deux protagonistes. ↩
- L’union économique eurasiatique est composée de la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizstan. L’Ukraine en aurait fait partie, si n’avait pas été lancé le coup d’État nazi connu sous le nom de Maïdan, sponsorisé par George Soros et le ministère des Affaires étrangères américain pour renverser le gouvernement pro-russe de Ianoukovitch en 2014. ↩
- Les Nouvelles Routes de la Soie ont été intégrées dans l’Union économique eurasiatique à partir du 8 mai 2015. Un article de Business Insider, daté du 25 mars 2015, sur la Ceinture de développement trans-eurasiatique, interrogeait le président des Chemins de fer russes Vladimir Yakounine, qui décrivait le projet en ces termes : «Il s’agit d’un projet international et inter-civilisationnel. Il doit être compris comme une alternative au modèle néolibéral en cours actuellement, qui est à la source de la crise systémique que nous connaissons. Ce projet devrait évoluer en zone futuriste pour le monde entier, et se baser sur des technologies de pointe, pas des technologies de rattrapage pour pays en développement.» ↩
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