L’enlèvement comme instrument du génie impérial ?


Par The Saker − Le 6 septembre 2019 − Source thesaker.is via Unz Review

2015-09-15_13h17_31-150x112Il n’y a rien de nouveau à ce que les empires prennent des otages et les utilisent pour faire pression sur les groupes rebelles qui ne doivent pas oublier «qui est le chef». L’arrestation récente en Italie d’Alexander Korshunov, directeur du développement des affaires de la société russe United Engine Corporation (UEC), n’est en réalité pas nouvelle et n’est que le dernier d’une longue série d’enlèvements.

Et, comme je l’ai déjà mentionné en 2017, ce type de banditisme n’est pas un signe de force, mais bien un signe de faiblesse. Rappelez-vous les mots immortels de Michael Ledeen sur le fait que « Tous les dix ans environ, les États-Unis doivent choisir un petit pays misérable et le jeter contre le mur, histoire de montrer au monde qu’ils sont sérieux » ? Eh bien, on pourrait dire que ce dernier enlèvement est révélateur du même état d’esprit et du même objectif, mais à une échelle beaucoup plus petite et individuelle. Enfin, cela ne concerne pas que la Russie, nous connaissons tous l’enlèvement du directeur financier de Huawei, Meng Wanzhou, par les autorités canadiennes.

À propos, vous pourriez vous demander : comment puis-je parler d’enlèvement alors qu’en réalité, il s’agissait d’arrestations légales, effectuées par les autorités légitimes des pays dans lesquels elles ont eu lieu ? La réponse est simple ! Comme je l’ai mentionné la semaine dernière, les mots comptent et parler d’une «arrestation» dans cette affaire suggère à tort que :

  1. un crime a été commis, alors qu’en réalité, il n’y a aucune preuve de cela, d’où le discours sur le «complot» en vue de faire quelque chose d’illégal
  2. que ce crime a fait l’objet d’une enquête et que les autorités ont réuni suffisamment de preuves pour justifier une arrestation
  3. que l’accusé bénéficie d’un procès équitable.

Rien de tout cela ne s’applique aux cas de Viktor Bout, Konstantin Iaroshenko, Marina Butina ou, dans ce cas, de Meng Wanzhou ou Wang Weijing. La vérité est que ces soi-disant « arrestations » sont de simples enlèvements, l’objectif est de prendre des otages dans le but :

  1. d’essayer de forcer la Russie – et la Chine – à se plier aux exigences américaines
  2. d’essayer de « se venger » de la Russie – et de la Chine – après une défaite humiliante du gouvernement américain – c’est aussi la véritable raison de la saisie sauvage d’immeubles diplomatiques russes aux États-Unis.

Ce n’est pas sans rappeler ce que la Gestapo et les SS aimaient faire pendant la Seconde Guerre mondiale, et leur enlèvement d’otages a également été appelé « arrestation » par la machine de propagande de l’époque. A propos, les bolcheviks l’ont également fait pendant la guerre civile, mais à une échelle beaucoup plus grande. En réalité, tant dans le cas des autorités nazies que dans celui des États-Unis impériaux, dès qu’une personne est arrêtée, elle est soumise à l’isolement cellulaire et à d’autres formes de torture psychologique – Manning ou Assange ça vous parle ?! – afin de les casser ou au moins de montrer à la Russie et à la Chine que les États-Unis, en tant que World Hegemon, ont la possibilité de saisir n’importe qui dans le monde, que ce soit par une équipe spécialisée d’enlèvements de la CIA ou par le biais des autorités de police coloniales locales.

Les politiciens américains adorent «envoyer des messages» et cette métaphore est utilisée quotidiennement par les autorités américaines dans toutes sortes de circonstances. Ici, le message est simple : nous pouvons faire tout ce que nous voulons, et vous ne pouvez pas l’empêcher !

Mais cette dernière affirmation est-elle réellement vraie ?

Eh bien, pour répondre à cette question, nous devons examiner les options de base disponibles pour la Russie – cela vaut également pour la Chine, mais je voudrais ici me concentrer sur la partie russe de la question. Je suppose que la liste des options de base est assez simple :

  • Utiliser les voies diplomatiques officielles et confidentielles pour protester et demander une libération
  • Protester publiquement et dénoncer ces enlèvements comme étant complètement illégaux – et immoraux pour commencer !
  • Engager des représailles par des moyens légaux – sanctions, annulation d’accords, etc.
  • Engager des représailles par des moyens extra-légaux, des contre-enlèvements semblables à ce que la Chine aurait décidé de faire dans le cas de Michael Kovrig et Michael Spavor.

Franchement, dans le cas des États-Unis, les options 1 et 2 sont inutiles : les dirigeants anglosionistes ont depuis longtemps renoncé à tout espoir de ne pas être haïs et méprisés par 99% de l’humanité et ils ont depuis longtemps abandonné toute prétention de légalité et de moralité irréprochable : ils se foutent complètement de ce que pensent les autres. Leur principale préoccupation est de dissimuler leur immense faiblesse, mais ils échouent, encore et encore. Vraiment, quand les prétendus «empires» ne peuvent même pas venir à bout d’un pays extrêmement affaibli comme le Venezuela, ils ne peuvent rien faire pour renforcer leur crédibilité. En réalité, cette agression n’est rien de plus que la preuve d’une faiblesse ahurissante de l’Empire.

Mais cette faiblesse ne signifie nullement que la Russie et la Chine ont de bonnes options. Malheureusement, elles n’en ont pas.

La Russie peut s’engager dans différents types de sanctions, allant du simple harcèlement bureaucratique d’ambassades américaines, de diplomates, d’hommes d’affaires, etc. à des représailles économiques et politiques. Mais ne nous y trompons pas, il y a très peu de choses que la Russie puisse faire pour blesser sérieusement les États-Unis avec de telles représailles. Beaucoup préconiseraient des enlèvements en représailles, mais cela pose un double problème au Kremlin :

  • Une fois qu’un pays s’est engagé sur la voie de la force brute illégale, il n’y a pas de retour en arrière possible. Les exemples des États-Unis, d’Israël ou d’ailleurs de l’Ukraine montrent qu’une fois que la violence primitive fera partie de votre arsenal politique, vous resterez toujours un voyou et tout le monde le verra – que tout le monde ait le courage de le déclarer ouvertement est un problème totalement différent.
  • La réalité est que les doubles et triples standards sont depuis longtemps devenus la caractéristique essentielle de tous les systèmes idéologiques occidentaux, de la papauté au capitalisme moderne, [en passant par le soviétisme, NdT]. Le Kremlin comprend parfaitement que, dans l’empire anglosioniste, «certains sont plus égaux que d’autres» et que ce qui est «autorisé» à l’Hegemon est formellement interdit à tout le monde. Ainsi, si la Russie réagit de la sorte, il y aura une explosion de protestations hystériques non seulement de la part des gouvernements occidentaux et de leurs médias sionistes, mais également des chroniqueurs de la 5ème colonne de la presse «libérale» russe.

Et oui, contrairement aux États-Unis, la Russie a des médias dynamiques, diversifiés et pluralistes et chaque fois que Poutine donne son accord pour une conférence de presse – en particulier une discussion de plusieurs heures – il sait que des questions difficiles et désagréables lui seront posées. Mais comme, contrairement à la plupart des dirigeants occidentaux, il peut leur répondre intelligemment, il ne les craint pas. Quant à Dmitry Peskov et Maria Zakharova, ils ont tout entendu ces dernières années, y compris les «questions» – en réalité les accusations – les plus ridiculement biaisées, mal informées et carrément stupides de l’ensemble de la presse prostituée occidentale en Russie.

Donc, oui, la Russie pourrait, en théorie, exercer des représailles en arrêtant des citoyens américains en Russie – ou en organisant des provocations du type guerre froide, ou en les enlevant à l’étranger, la Russie dispose de forces spéciales formées à ce type d’opération. Mais il est peu probable que cela produise des résultats significatifs et créerait un cauchemar de relations publiques pour le Kremlin.

La vérité est que, dans la plupart des cas, nous arrivons toujours à la dichotomie fondamentale : d’un côté, nous avons un État voyou qui est devenu dingue avec un orgueil impérial, une arrogance et une ignorance grossière – avec l’exemple des États-Unis et d’Israël –  tandis que de l’autre nous avons des états qui tentent de maintenir un ordre international civilisé – Russie, Chine, Iran, etc. Il s’agit par nécessité logique d’une lutte biaisée, dans laquelle les voyous auront presque toujours l’avantage.

Aparté

Je veux aborder ici une erreur logique que j'entends régulièrement en Occident : lorsqu'un système politique s'avère plus fort ou plus capable de survivre qu'un autre, cela prouve, soi-disant, que l'État le plus fort est aussi en quelque sorte «supérieur». C'est l'argument utilisé par ceux qui prétendent que l'Union soviétique a «perdu la guerre froide» et que «le capitalisme s'est révélé beaucoup plus durable / efficace que le communisme». C'est complètement insensé pour au moins deux raisons : premièrement, l'URSS n'a pas «perdu» la guerre froide - le PCUS et la Nomenklatura gouvernementale soviétique ont décidé de briser l'URSS, contre la volonté du peuple !

Et, deuxièmement, le fait est que l'Union soviétique gaspillait ses richesses sur toute la planète, tandis que les États-Unis pillaient aveuglément la terre entière. Comment pouvons-nous comparer les deux ? Enfin, permettez-moi cette métaphore pour expliquer ce que je veux dire : si nous enfermions un être humain et une hyène dans une petite cage vide pour voir qui survivra, nous pouvons être assez assurés que cette hyène tuera immédiatement et très efficacement l'être humain et le mangera. Cette «victoire» prouve-t-elle en quelque sorte la «supériorité» de la hyène ? Bien sûr que non ! D'une part, le capitalisme implique une croissance infinie dans un environnement fini, ce qui est exactement ce que fait une tumeur maligne pour se développer et qui est évidemment non durable.

Alors allons-nous comparer un système politique - le communisme - qui ne repose pas sur la croissance et qui est donc durable, distribuant ses richesses sur toute la planète, avec un système international aux mains de "bandits de grand chemin", expression reprise de Paul Craig Roberts lui-même, qui a récemment déclaré sans ambiguïté que «le capitalisme américain est basé sur le pillage». Oui, le système soviétique était fondamentalement pourri, profondément dysfonctionnel et inefficace, seuls les imbéciles ou les ignorants le nieraient ! Mais il n’a nullement été «vaincu» par l’Occident, pas plus que le capitalisme est «meilleur» ou «supérieur» - quelle que soit le sens que vous donnez à ce mot - au communisme. Voir  si vous êtes intéressé.

Pour toutes ces raisons, la Russie – ou la Chine – ne peut vraiment rien faire à propos de cette situation, à part la publication d’un avertissement officiel aux Russes, affirmant que s’ils se rendent à l’étranger, ils doivent savoir que « les agences de renseignement américaines poursuivent leur chasse aux Russes dans le monde ». Ils ont également rendu publique la liste des pays ayant des traités d’extradition avec les États-Unis : Australie, Autriche, Albanie, Antigua-et-Barbuda, Argentine, Bahamas, Barbade, Belize, Belgique, Bulgarie, Bolivie, Brésil, Royaume-Uni, Hongrie, Canada, Colombie., Congo, Costa Rica, Cuba, République dominicaine, Danemark, République dominicaine, Égypte, Dominique, Grèce, Guyana, Haïti, Guatemala, Allemagne, Honduras, Grèce, Israël, Inde, Jordanie, Iraq, Irlande, Islande, Italie, Kenya, Lettonie, Lesotho, Libéria, Lituanie, Venezuela, Zambie, Zimbabwe , Liechtenstein, Luxembourg, Malawi, Malaisie, Malte, Maurice, Îles Marshall, Mexique, Micronésie, Monaco, Myanmar, Nauru, Nigéria, Pays-Bas, Nicaragua, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pakistan, Palaos, Panama, Papouasie Nouvelle-Guinée, Paraguay, Pérou , Pologne, Portugal, Roumanie, El Salvador, Saint-Marin, Swaziland, Îles Seychelles, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Sainte-Lucie, Singapour, Slovaquie, Slovénie, Îles Salomon, Suriname, Sierra Leone, Thaïlande, Tanzanie, Tonga, Trinité-et-Tobago, Tuvalu, Turquie, Uruguay, Philippines, Finlande, France, République tchèque, Chili, Suisse, Suède, Sri Lanka, Équateur, Estonie, Afrique du Sud, Corée du Sud, Jamaïque et Japon.

Le ministère des Affaires étrangères a conclu par cet avertissement : « Tous les citoyens russes qui planifient leur voyage à l’étranger doivent peser soigneusement tous les risques, en particulier s’il y a lieu de supposer l’existence de poursuites à leur encontre de la part des services de répression américains ».

Réfléchir un peu à l’adage caveat emptor avant d’acheter son billet d’avion, non ?!

Conclusion : la situation s’aggravera avant de s’améliorer

Premièrement, nous devons toujours nous rappeler que les enlèvements ne sont que la manifestation la plus récente d’un schéma général de brutalité de la part des États-Unis. L’attitude est omniprésente et les citoyens américains ne sont pas à l’abri de ce climat de banditisme. Un autre bon exemple est le pot-de-vin scandaleux, de plusieurs millions de dollars, offert aux capitaines de navires iraniens pour qu’ils transportent leurs cargaisons jusqu’à un endroit où les États-Unis pourront littéralement les pirater. Notez la récente confession étonnante de Pompeo lui-même : « La CIA a menti, triché, volé…Cela vous rappelle la gloire de l’expérience américaine » 

Non ? pas à vous ?

Alors voici qui vous rafraîchira la mémoire :

Cela peut presque être réécrit et complété comme ceci : Nous mentons, nous trichons, nous volons, nous kidnappons, nous corrompons, nous extorquons, nous piratons, puis nous menaçons, puis nous disons à tous à quel point nous sommes exceptionnellement moralement supérieurs.

Pourtant, une certaine limite a été franchie. C’est comme si leur propre croyance en leur supériorité morale s’était inversée à un point tel que leur supériorité morale est si grande, et tellement assurée, que toutes les petites agressions leur sont permises. Cela ne changera pas de sitôt et même le voyageur le plus innocent doit en être conscient. C’est pourquoi les Chinois se demandent ouvertement si envoyer des étudiants chinois aux États-Unis est une si bonne idée, après tout.

Donc, la première chose que nous devons accepter est que ce schéma de banditisme ne s’arrêtera pas, s’il doit changer ce sera en pire.

Deuxièmement, nous devons également comprendre qu’il n’y  a pas de bonne option pour les Russes et les Chinois. En fait, c’est normal : les acteurs civilisés se retrouvent souvent «désarmés», pour ainsi dire, face à des voyous, des sociopathes et des criminels. Au fil du temps, toutefois, la violence est toujours vouée à l’échec parce qu’elle est inévitablement liée à une illusion d’impunité. S’agissant des États civilisés, il est vrai qu’ils sont fondamentalement désavantagés face à des voyous non civilisés, mais ils finiront par l’emporter avec le temps, ne serait-ce que parce que tout le monde finit toujours par en avoir marre et juge les voyous répugnants. Enfin, si la violence peut sembler attrayante pour les personnes aux tendances sociopathiques, la plupart des êtres humains ont besoin d’un idéal plus élevé que la simple consommation effrénée pour les inspirer. Le communisme avait – et je dirais, a toujours – cette capacité. Le capitalisme ne l’a pas.

Dans un avenir prévisible, nous ne pouvons cependant espérer mieux. Grâce aux efforts incessants d’Obama et de Trump, l’Empire s’effondre encore plus rapidement qu’il ne le ferait normalement et nous pouvons nous attendre à ce que la série actuelle de défaites humiliantes pour les États-Unis – et, bien sûr, pour Israël, qui a ses propres plaies humiliantes à lécher ! – continuera et que les États-Unis – et, bien sûr, Israël ! – devront trouver de plus en plus de petites cibles, qu’il s’agisse de ressortissants russes kidnappés ou de bâtiments vides en Syrie, pour détruire et se sentir puissants à nouveau.

Ce sera révoltant, dégoûtant et tout simplement totalement stupide.

Mais il n’y a rien que la Russie – ou la Chine – puisse faire pour l’empêcher, du moins dans un avenir proche.

The Saker

Traduit par jj, relu par Camille pour le Saker Francophone

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