Par Michael Krieger − Le 25 avril 2018 − Source libertyblitzkrieg
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La première partie de cette série se concentrait sur le fait que l’empire américain ne procure plus aucun avantage réel au citoyen américain moyen. Au contraire, le butin des guerres à l’étranger, l’état de surveillance intérieure et une économie globalement corrompue sont systématiquement dirigés vers un groupe de plus en plus petit de personnages généralement peu recommandables. Le public commence à reconnaître cette réalité, et c’est pourquoi nous avons vu émerger d’importants mouvements populistes à la fois sur la droite traditionnelle et sur la gauche du spectre politique en 2016.
Alors que des millions d’Américains émergent de leur long sommeil, une grande partie du monde est consciente de cette réalité depuis longtemps. Ils ne voient pas les États-Unis comme un empire humanitaire magnanime, c’est un conte de fées plus adapté aux livres pour enfants et aux médias. En fait, il semble clair que les milliards d’humains qui vivent dans diverses nations souveraines à travers le monde préféreraient certainement avoir le contrôle de leur propre destin plutôt que devenir de simples États vassaux des États-Unis. Mais ils ne possèdent tout simplement pas une armée ou assez de pouvoir économique pour se lever et tracer leur propre voie. Mais les choses changent.
Le changement géopolitique le plus significatif du XXIe siècle est l’émergence de la Chine, et la réémergence de la Russie, en tant que puissances militaires globalement significatives. C’est le principal moteur de la panique de l’establishment à propos de la Russie. Cela n’a rien à voir avec l’autoritarisme ou les abus des droits de l’homme de Poutine, ce n’est que du marketing destiné à un public jusqu’alors extrêmement crédule.
En réalité, ceux qui sont déterminés à perpétuer un monde unipolaire dirigé par les États-Unis sont consternés et préoccupés par le fait que la Russie a pu s’impliquer en Syrie et empêcher une autre opération de changement de régime. La Russie s’est opposée très publiquement, et avec beaucoup de succès, et a dit « non » aux ambitions impériales américaines en Syrie [et en Ukraine, NdT]. Ce n’est pas seulement historiquement significatif, c’est considéré comme blasphématoire et rebelle par le statu quo américain.
Oublions cela, et revenons sur quelques points que j’ai évoqués pendant le week-end dans mes premières réflexions sur la récente frappe en Syrie :
Les dirigeants russes ne sont pas une bande de fous, et ils ne reculeront pas non plus. Après la nuit dernière, ils savent avec certitude que l’empire américain est déterminé à les castrer globalement, à tout prix, afin d’empêcher l’émergence inévitable d’un monde multipolaire.
Je ne pense pas que la Russie ou l’Iran réagiront avec une attaque du genre « frapper et terroriser » dans un avenir proche, et cette spirale ne sera probablement pas hors de contrôle à court terme. Il est plus probable que nous verrons tout cela au cours des cinq prochaines années.
Je ne pense pas non plus que cela devienne nucléaire, mais je crois que les chances que les États-Unis connaissent un effondrement impérial semblable à celui de l’URSS − ou à celui de tout empire historiquement ingérable et corrompu − sont devenues de plus en plus probables. Mon point de vue à ce stade est que les États-Unis, et leur position de puissance mondiale, seront tellement modifiés dans les années à venir, qu’ils seront presque méconnaissables d’ici 2025, en raison du déclin économique et des grandes erreurs géopolitiques. Cela amènera le public à perdre légitimement foi en tous les dirigeants et institutions.
Plus je réfléchis à ce qui se passe, plus je suis convaincu que les États-Unis essaient d’amener la Russie à réagir à ces provocations. Je pense que les Russes le savent, et c’est précisément pourquoi ils réagissent avec sang-froid à une frappe manifestement illégale et inconstitutionnelle, probablement basée sur un faux récit. En fait, nous n’avons toujours aucune preuve fiable ou solide de ce qui s’est passé. Naturellement, cela n’a pas empêché Donald Trump de bombarder sans consulter le Congrès, et cela n’a pas empêché Theresa May de faire de même sans consulter le Parlement. S’il vous plaît, évoquez encore pour moi nos illustres démocraties occidentales. Je suppose que c’est juste un autre conte de fées pour la consommation publique.
De plus, le manque de réponse militaire de la Russie ne doit pas être perçu comme un signe de faiblesse, mais comme une stratégie intentionnelle et réfléchie. Les Russes semblent penser que les États-Unis (et le Royaume-Uni) agissent comme des fous furieux désespérés et la meilleure chose qu’ils peuvent faire est d’attendre, se défendre et laisser les imbéciles à courte vue derrière l’Empire se ruiner. La manière de voyou, erratique et manifestement louche, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et la France se sont comportés dans ce dernier acte criminel n’a pas été perdue par les populations du monde entier, y compris des parties considérables de la population américaine et britannique qui sont dégoûtées par ce que font ces gouvernements en leur nom. La stratégie de la Russie est de paraître raisonnable sur la scène mondiale par rapport aux États-Unis qui semblent de plus en plus fous et déséquilibrés. Cela semble fonctionner.
Cela dit, la Russie n’est pas capable à elle seule de résister à long terme à l’empire américain. C’est ici que la Chine entre en jeu. Les dirigeants chinois en ont aussi assez mais, comme les Russes, ils sont retenus et agissent comme des adultes raisonnables dans le scénario. Nous avons vu cela assez récemment avec les Chinois tempérant les guerres commerciales. Les experts américains l’ont applaudi comme un signe de faiblesse, mais je pense le contraire. La Chine joue le même jeu que la Russie. Permettre aux dirigeants américains de continuer à ressembler à des tyrans insupportables sur la scène mondiale jusqu’à ce que tout le monde en ait complètement marre de la domination américaine. Un lecteur qui vit en Europe a écrit le commentaire suivant sur mon dernier post, qui semble être une juste représentation de l’opinion publique mondiale en ce moment :
« L’empire soviétique a chuté parce que le coût de la course aux armements a épuisé le reste de la société à tel point qu’un effondrement était inévitable. Je crois que les États-Unis sont dans un état similaire maintenant. Les guerres actuelles sont menées par des technologies à distance, ou par des sbires mandatés, et non par les Américains eux-mêmes sur le terrain. Combien de temps les citoyens peuvent-ils supporter ce fardeau ? Dans le même temps, les États-Unis perdent le soutien moral de leurs alliés, comme je le sais moi-même de première main, car j’appartiens à un pays allié européen. Bien que nos dirigeants politiques nationaux et la presse grand public soutiennent les États-Unis, surtout lorsqu’ils lancent quelques missiles, l’opposition et l’incrédulité sont grandes et augmentent chez les gens normaux. Les États-Unis ont perdu leur position de leader, non seulement parmi les gens de gauche, mais dans tout le spectre. La folie et les mensonges deviennent si évidents qu’il est impossible de le nier. »
Les États-Unis perdent rapidement leur soutien et leur confiance au niveau local, tant chez eux qu’à l’étranger. Nous voyons les mensonges et nous voyons le mépris de la Constitution. Les États-Unis et leurs alliés comme le Royaume-Uni et la France seront de plus en plus considérés comme des États voyous par une grande partie du monde s’ils continuent à agir ainsi. Enfin, pour ceux d’entre vous qui doutent de la Chine dans ce drame mondial, permettez-moi de souligner les extraits suivants d’un éditorial publié récemment dans le Global Times, journal soutenu par l’État :
« Les faits ne peuvent pas être déformés. Cette frappe militaire [en Syrie] n’a pas été autorisée par l’ONU, et les frappes visaient un gouvernement légal d’un État membre de l’ONU. Les États-Unis et leurs alliés européens ont lancé des frappes pour punir le président Bachar al-Assad d’une attaque chimique présumée à Douma le week-end dernier. Cependant, il n’a pas été confirmé si l’attaque d’armes chimiques s’est produite, et si c’est le cas, qui des forces gouvernementales ou des forces de l’opposition l’a lancée. Le gouvernement syrien a maintes fois souligné qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des armes chimiques pour s’emparer de la ville de Douma contrôlée par l’opposition et que l’utilisation d’armes chimiques a servi d’excuse à l’intervention occidentale. De l’argument du gouvernement syrien ou des accusations de Trump contre le ‘mauvais’ régime Assad, lequel est conforme à la logique de base ? La réponse est assez évidente.
Les États-Unis ont un record de provocations belliqueuses pour des motifs trompeurs. Le gouvernement Bush a affirmé que le régime de Saddam détenait des armes chimiques avant que les troupes de la coalition américano-britannique n’envahissent l’Irak en 2003. Cependant, les forces de la coalition n’ont pas trouvé ce qu’elles appellent des armes de destruction massive après le renversement du régime de Saddam. Washington et Londres ont admis plus tard que leurs renseignements était faux.
L’attaque de Washington contre la Syrie où sont stationnées les troupes russes constitue un sérieux mépris pour les capacités militaires et la dignité politique de la Russie. Trump, comme s’il grondait un élève, a appelé Moscou, l’une des principales puissances nucléaires du monde, à abandonner sa ‘voie sombre’. Paradoxalement, Washington semble être devenu accro à la Russie en se moquant de cette manière. La Russie est capable de lancer une attaque de représailles destructrice contre l’Occident. La faible économie de la Russie est minée par les sanctions occidentales et la compression de son espace stratégique. Que l’Occident provoque la Russie d’une telle manière est irresponsable pour la paix mondiale.
La situation est toujours en train de bouillir. L’administration Trump a déclaré qu’elle continuerait les frappes. Mais le temps que durera l’action militaire avant que la Russie ne riposte, comme elle l’a prétendu, reste incertain. Les pays occidentaux continuent d’intimider la Russie, mais n’ont apparemment pas peur de la contre-attaque possible. Leur arrogance engendre des risques et des dangers. »
La Chine et la Russie vont travailler ensemble, souvent dans les coulisses, pour convaincre le reste du monde que les États-Unis sont devenus un État voyou, et utiliseront cet argument pour construire un soutien international pour un monde multipolaire. La seule chose qui pourrait ralentir ce processus est que les États-Unis cessent d’agir comme un État voyou, ce qui semble de plus en plus improbable avec Mike Pompeo comme secrétaire d’État [ministre des Affaires étrangères] et John Bolton comme conseiller national à la sécurité.
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Michael Krieger
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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