Par Paul Robinson – Le 14 octobre 2019 − Source Irrussianality
Quelques articles du New York Times m’ont vraiment frappé ce dimanche. Car ils révèlent avec la plus grande clarté la bizarre vision du monde des Américains, en particulier les gens respectables de la gauche démocrate « modérée », du genre de ceux qui lisent le New York Times ou en écrivent les articles.
Tout d’abord, il y a eu cet article en une sur le retrait des États-Unis du nord de la Syrie face à l’invasion turque récemment commencée. Ce retrait a plongé les libéraux bien-pensants dans un état de vertige. Trump retire les troupes américaines d’un pays dans lequel elles n’avaient pas le droit de se trouver ! Comment ose-t-il ?!
Pour exprimer son indignation, le Times a cité une série d’experts qui ont expliqué que la décision du président aurait de graves conséquences pour la crédibilité de l’Amérique (tout en ignorant la possibilité que le fait de se livrer à toute une série de guerres ingagnables puisse être bien pire pour sa réputation). Les promesses répétées des dirigeants américains de réduire la présence de leurs troupes au Moyen-Orient ont eu pour résultat « de déstabiliser des partenaires comme Israël et les monarchies du Golfe Persique qui dépendent de la protection américaine », nous dit le Times. Pourquoi ces pays ne peuvent pas se défendre tous seuls étant donné les énormes sommes d’argent qu’ils dépensent pour leur défense (Israël et l’Arabie saoudite ne sont pas vraiment des nains militaires) ? Ce qu’on nous dit à la place, c’est que :
Des critiques disent que les zigzags de M. Trump dans sa politique moyen-orientale ont enhardi les ennemis de la région, déstabilisé les partenaires américains et invité une variété d'autres acteurs régionaux ou internationaux à chercher à exercer leur influence. ... «C'est le chaos», dit Michael Stephens, un érudit du Moyen Orient au Royal United Services Institute de Londres, «La région est dans le chaos parce que la puissance hégémonique ne semble pas savoir ce qu'elle veut faire, et donc personne d'autre ne le sait».
C’est vraiment un non-sens total. Le chaos en Irak est-il dû au fait que les États-Unis ne savent pas ce qu’ils veulent faire ? Ou s’agit-il d’une conséquence directe du fait que les États-Unis savent trop bien ce qu’ils voulaient faire – envahir l’Irak et renverser Saddam Hussein ? Les États-Unis ne savaient-ils pas ce qu’ils faisaient lorsqu’ils ont soutenu le changement de régime en Libye et en Syrie ? Ne savent-ils pas ce qu’ils font pour soutenir les Saoudiens dans leur guerre ratée au Yémen ? Vraiment ? Le chaos au Moyen-Orient serait dû au manque de détermination et de leadership américains ? Allons, c’est ridicule. Mais cela montre quelque chose sur la façon dont le New York Times et l’establishment américain se perçoit, ainsi que ses aventures militaires – comme étant nécessaires à ce que l’ordre règne dans le monde. Dans cette vision du monde, l’intervention américaine est toujours bénigne ; le retrait américain dans des circonstances autres que la victoire absolue est inévitablement mauvais, non seulement pour l’Amérique mais pour le monde entier.
Cette attitude est si profondément enracinée que face à quelqu’un qui prétend le contraire, ces gens sont tout simplement perplexes. Ils ne comprennent pas comment quelqu’un pourrait contester une vérité si évidente. Ce n’est pas possible que certains puissent croire que le discours dominant est erroné – c’est incompréhensible pour eux. Alors la seule explication est que sûrement quelqu’un quelque part tire les ficelles, probablement une puissance étrangère. Et c’est pourquoi Trump déconcerte complètement l’establishment libéral. Il ne croit pas aux guerres américaines. Il ne voit pas en quoi y mettre fin serait un désastre. Il n’y a donc qu’une seule explication : ce doit être un agent de l’étranger.
Mais pas seulement Trump. Car dans le deuxième article du New York Times, le journal s’attaque au candidat démocrate à la présidence Tulsi Gabbard. Gabbard pense que l’Amérique devrait faire moins de guerres, une position que le Times et une grande partie de la gauche américaine trouvent apparemment plus qu’un peu menaçante. Le sens général de l’article est bien exprimé par le titre : « La gauche se gratte la tête et l’extrême droite a des vapeurs face à la campagne électorale de Gabbard ». La première moitié du titre confirme ce que j’ai dit plus haut – que la gauche dominante trouve toute plate-forme anti-guerre tout à fait déconcertante et la fait se gratter la tête. La deuxième partie du titre montre ensuite comment il prévoit de faire chuter Gabbard – en la dénigrant par association et insinuation.
On nous dit donc que Gabbard a peu de soutien parmi les Démocrates, mais…
Les stars Altright de l'internet, les nationalistes blancs, les activistes libertaires et certains des plus grands partisans de M. Trump font l'éloge de Gabbard. ... Puis il y a 4chan, le site en ligne notoirement toxique, où des trolls de droite et des antisémites flattent Mme Gabbard... En avril, le Daily Stormer, un site Web néo-nazi, s’est félicité de la qualification de Mme Gabbard pour les deux premiers débats primaires démocrates.
Le Times n’apporte pas la moindre preuve que Gabbard soit une « nationaliste blanche », une « antisémite », une « néo-nazie » ou autre chose du genre. De plus, ils ne sont de loin pas les seuls à favoriser le non-interventionnisme. Les sondages d’opinion suggèrent qu’une majorité d’Américains considèrent que leur pays doit mettre fin à ses guerres et ramener ses troupes au pays. Alors pourquoi le journal ne se concentre-t-il pas sur le fait que les opinions de Gabbard correspondent à celles d’un large segment de la population américaine, quelle que soit son allégeance politique ? Pourquoi ne mentionner que l’extrême droite ? La réponse évidente est de noircir son nom par association. Mettez son nom dans le même paragraphe que des mots comme « néo-nazi » et une partie de la boue collera.
Mais ce n’est pas tout. Son programme, nous dit-on, « rappelle à certains Démocrates les arguments des agents russes pendant la campagne présidentielle de 2016 « . En outre,
Les Démocrates sont en état d'alerte quant à l'ingérence étrangère lors des prochaines élections et le DNC [Comité national démocrate] est bien conscient des fréquentes mentions de Gabbard dans les médias d’État russes. Une analyse indépendante des nouveaux médias russes a révélé que RT, l'agence de presse soutenue par le Kremlin, mentionnait fréquemment Mme Gabbard alors qu’elle n’est pas la mieux placée dans les sondages... Les experts en désinformation ont également relevé des cas d'activités suspectes entourant la campagne de Mme Gabbard. ... Laura Rosenberger, ancienne collaboratrice politique de la campagne de Mme Clinton, considère Mme Gabbard comme un vecteur utile des efforts russes pour semer la division au sein du Parti démocrate.
Écartant le fait qu’il ne s’agit que de pure spéculation, le New York Times ne fournit aucune preuve que Gabbard elle-même ait quelque chose à voir avec une prétendue « activité suspecte » ou qu’elle contribue de quelque manière que ce soit à la réalisation des objectifs russes. C’est une diffamation par insinuation. Le Times n’a pas le courage de dire franchement : « Gabbard est une marionnette russe », alors il ne fait que l’insinuer en y ajoutant des affirmations non fondées et totalement sans pertinence. C’est un travail de destruction qui se fait passer pour du journalisme.
L’article cite Jon Stolz, charmain de l’organisation libérale d’anciens combattants VoteVets.org, qui a déclaré que « Tulsi est vraiment en train de diffuser un message anti-guerre ». Mais le message que le Times veut envoyer arrive à la fin. Car l’article se termine par une citation du rabbin Shmuley Boteach, activiste pro-israélien. «Je n’arrive pas à la comprendre», dit-il.
Soyons réalistes, un message anti-guerre n’est pourtant pas compliqué à comprendre. Mais, selon le New York Times, lorsqu’elle est confrontée à un tel message, la « gôche se gratte la tête » et conclut qu’il n’arrive tout simplement pas à « le comprendre ». Si vous voulez savoir ce qui ne va pas dans la pensée de la politique étrangère américaine, vous avez la réponse ici. La guerre s’est tellement normalisée que la paix est devenue impensable, si loin du domaine habituel de l’expérience qu’elle en est devenue incompréhensible. C’est extrêmement triste.
Paul Robinson
Traduit par Wayan, relu par San pour le Saker Francophone