Le 26 mars 2015 – Source Moon of Alabama
Pas plus tard qu’hier, j’ai écrit que les Saoudiens ne prendraient pas le risque d’attaquer le Yémen. Je me suis trompé en écrivant ceci :
Alors que l’armée saoudienne est en train d’expédier ses troupes vers la frontière sud du pays, celle avec le Yémen, ni l’armée saoudienne ni l’armée égyptienne ne voudront combattre et perdre face aux tribus yéménites. Le Pakistan ne veut pas envoyer de troupes. La demande de renfort faite par le président déchu, Hadi, restera donc ignorée. Aucune troupe n’envahira le Yémen et les Houthis resteront la force dominante.
La nuit suivante l’aviation militaire saoudienne attaquait la base militaire de Sanaa, la capitale du Yémen.
Hier, la rébellion menée par les Houthis a viré le président Hadi, soutenu par les Saoudiens et les Américains, et pris le contrôle de presque toutes les villes, y compris Aden, la capitale du sud. Les Houthis sont alliés a l’ancien président Saleh, lui-même un Houthi, renversé il y a deux ans par son vice-président dans un coup d’État soutenu par les États Unis. Mais Saleh et les Houthis ont le soutien d’une grande partie de l’armée. Les Saoudiens avaient prévenu que tout mouvement vers Aden, ou le président Hadi s’était réfugié, aurait des conséquences mais personne n’a pris cet avertissement au sérieux.
Les Saoudiens ont maintenant annoncé, au travers de leur ambassade à Washington (!), qu’une coalition de pays sunnites attaquera le Yémen. Elle devrait inclure, au moins par les noms, l’Égypte, le Maroc, la Jordanie, le Soudan, le Koweït, les Émirats arabea unis, le Qatar et Bahreïn. Les Saoudiens ont annoncé que 100 avions et 150.000 soldats prendraient part à la campagne. Ils ont aussi annoncé un blocus aérien et maritime contre le pays.
Les États-Unis soutiennent, c’est-à-dire dirigent la campagne à travers une cellule de coordination. L’annonce de la Maison Blanche précise :
En réponse à la détérioration de la situation sécuritaire, l’Arabie saoudite, le Conseil de coopération du Golfe et d’autres pays vont lancer une opération militaire pour défendre les frontières de l’Arabie saoudite et protéger le gouvernement légitime du Yémen. Comme annoncé par les membres du Conseil de coopération du Golfe cette nuit, ils entreprennent cette action à la demande du président yéménite Abdo Rabbo Mansour Hadi.
Les États-Unis sont étroitement coordonnés avec l’Arabie saoudite et nos partenaires du Conseil de coopération du Golfe sur les sujets liés à la sécurité et nos intérêts communs. En soutien aux actions du Conseil pour se défendre contre la violence des Houthis, le président Obama a autorisé une aide logistique et de renseignements pour appuyer les opérations militaires du Conseil de coopération du Golfe.
Même s’ils s’en prennent souvent à Obama, les habituels va-t-en-guerre du Congrès ont soutenu cette aide.
Ils semblent espérer que le président Hadi, soutenu par les États-Unis et l’Arabie saoudite, maintenant déchu, puisse être remis en place par la force. Les États-Unis prétendent que Hadi a été élu, mais avec un tel choix de candidats cette élection ne fut qu’une triste farce. Il n’y a aucune chance qu’Hadi puisse être remis en place de force. Les chances qu’a cette guerre d’aboutir sont donc très faibles.
Quelqu’un a averti les Houthis d’une attaque imminente, ils ont donc évacué leurs bureaux avant d’être frappés. Ils ont déclaré que tous les accords entre le Yémen et l’Arabie saoudite, dont le traité sur la frontière de Taif datant de 1934, était nuls et non avenus et que les provinces saoudiennes de Najran, Aseer et Jazan, depuis longtemps réclamées comme faisant historiquement partie du Yémen, seraient ré-annexées.
Les Yéménites sont farouchement indépendants et détestent les arrogants Saoudiens. Les Houthis, spécifiquement, sont en guerre depuis une dizaine d’années. On trouve des tonnes d’armes dans le pays dont $500 millions d’armes américaines perdues après qu’elles ovaient été livrées. Les chances saoudiennes de gagner ce combat contre le Yémen sont très faibles. Pat Lang, un ancien attaché militaire au Yémen a écrit ceci a propos des Houthis :
Extrêmement doués pour le terrain, avec un fort sens de l’humour et foncièrement indépendants entre clans et contre tout gouvernement, quel qu’il soit, ces petits hommes des collines toujours en armes font de bons amis mais de redoutables ennemis.
Gregory Johnson, qui a étudié au Yémen, explique les causes profondes de la campagne houthi contre les divers gouvernements soutenus par les États-Unis. Emad Mosatque en décrit l’arrière plan économique. Il existe deux câbles Wikileaks (1 et 2) à propos du combat des Saoudiens contre les Houthis en 2009. Les Saoudiens ont arrêté la campagne après avoir subi des pertes auxquelles ils ne s’attendaient pas.
Même si les Houthis ont aussi des ennemis à l’intérieur du Yémen et ne pourraient surement pas régner longtemps sans compromis politique intérieur, une attaque par des étrangers ne peut que réunir les forces yéménites, à l’exception peut être d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique.
Voir ce conflit comme une guerre par procuration Sunnites/Chiites entre l’Iran et l’Arabie saoudite est une erreur :
Même si les chefs de guerre dans la guerre civile jouent la carte du sectarisme jusqu’à un certain degré, il y a des raisons de penser que le Yémen n’est pas nécessairement le terrain d’un conflit sectaire régional. Au delà de leurs alliances avec l’étranger, à la fois les Houthis chiites et leurs opposants sunnites sont profondément enracinés dans la terre yéménite et surtout motivés par des problèmes locaux.
Le principal danger maintenant est que les puissances occidentales, l’Arabie saoudite et l’Égypte en fassent trop et cherchent à intervenir, surtout pour contrer l’influence iranienne ou pour empêcher Al-Qaïda de gagner du terrain dans la péninsule Arabe. Une intervention étrangère pourrait bien être la pire des réponses, élargissant au niveau international ce qui n’est encore qu’un conflit régional, augmentant encore la nature sectaire du conflit et risquant de mener le Yémen à l’implosion.
Et Pat Lang conclut :
Les descendants houthis de mes vieilles connaissances ne sont pas des pions de l’Iran. Ils ne font pas courir de dangers aux intérêts occidentaux. Ils sont un danger pour Al-Qaida en péninsule Arabique. Vous comprenez? Salih va revenir.
Vu ainsi, l’aide américaine à la campagne militaire saoudienne est en fait une aide à leurs frères wahhabites d’Al-Qaida, pas une aide à la majorité de la population yéménite. C’est idiot (mais classique) de la part des États Unis de soutenir une telle décision. Ce combat, comme celui des Britanniques contre le Yémen dans les années 1960, décrit par Adam Curtis, n’aboutira à aucune avancée ni aucun succès pour aucun de ses protagonistes.
Les seuls vainqueurs immédiats sont les pays producteurs de pétrole qui sont actuellement gênés par des prix bas. Son prix vient d’augmenter de 6% à la suite de l’annonce des intentions saoudiennes.
Traduit par Wayan, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone