Par Valentin Katasonov – Le 6 mars 2015 – Source strategic-culture
L’examen par la Banque des règlements internationaux intitulé Global Liquidity: indicateurs sélectionnés complète et précise l’image de la dette globale présentée dans le rapport Dette et désendettement (pas beaucoup) publié par le cabinet de conseil McKinsey. Les conclusions des deux documents concordent: la dette mondiale croît et, selon de nombreux paramètres, la situation de la dette mondiale d’aujourd’hui est comparable à celle qui régnait à la veille de la crise financière de 2007-2009, ou même pire. Cela signifie que la deuxième vague de la crise financière pourrait frapper l’économie mondiale à tout moment.
Les auteurs de l’analyse de la BRI ont concentré leur attention sur la partie des dettes générées par les transactions transfrontalières des banques dans l’octroi de crédits et de prêts. Les opérations de crédit interbancaires sont restées hors de la portée de l’examen en raison de leur spécificité et de leur grande complexité comptable. Les auteurs du rapport font référence à des crédits bancaires et à des prêts octroyés à des non-résidents comme transactions offshore. Selon la BRI, le montant total des crédits et des prêts consentis par les banques américaines à tous les types d’organisations non bancaires à l’automne 2014 atteignait près de $50 trillions (le 1er octobre 2014 environ 49 trillions). En outre, les résidents américains ont représenté près de $40 trillions et les non-résidents (crédits et prêts offshore) environ $9 trillions. Le montant total des crédits et des prêts consentis par les banques dans la zone euro est estimé à $35 trillions, avec des crédits et des prêts offshore représentant près de $2 trillions. Enfin, le montant total des crédits et des prêts accordés par les banques du Japon a été estimé à $18 trillions, avec une proportion relativement insignifiante de crédits et de prêts offshore. Le volume des crédits et des prêts consentis par les banques chinoises est également impressionnant, puisqu’il s’est monté à plus de $16 trillions, tandis que la proportion des transactions offshore était négligeable.
Le 1er octobre 2014, le montant total des crédits et des prêts émis par les banques aux États-Unis, en zone euro et au Japon à des organismes non bancaires était de $102 trillions, tandis que les crédits et les prêts offshore ont représenté un peu plus de $11 trillions de dollars. Il s’avère que la part du lion des crédits offshore et les prêts consentis par les banques dans les pays des milliardaires dorés [golden billion] revient aux banques américaines. Ce n’est pas surprenant. Après tout, depuis le début de cette décennie, les pays de l’UE ont vécu une crise de la dette, et la plupart des ressources des banques européennes ont été consacrées à résoudre les problèmes que cela entraîne. Le Japon poursuit traditionnellement une politique de crédit nationaliste, où le gouvernement n’encourage pas les activités de prêt de ses banques à l’offshore au lieu de diriger leurs ressources vers le développement économique national.
Regardons de plus près les activités offshore des banques américaines en ce qui concerne les crédits et les prêts. Le 1er octobre 2014, les crédits et les prêts des banques américaines à des organisations non bancaires dans d’autres pays se sont élevés à $9.2 trillions. Incidemment, c’est 50% de plus qu’à la veille de la crise financière de 2007-2009. La croissance du volume des crédits et des prêts transfrontaliers consentis par les banques américaines sur un an (2013-2014) est assez impressionnant: près de $2 trillions en termes absolus, et 26% en termes relatifs.
Crédits et prêts consentis par les banques américaines à des organisations non bancaires hors des Etats-Unis ( trillions [milliers de milliards de dollars])
Total |
Crédits |
Prêts |
|||
Total |
Organisme |
Organisme |
|||
01/10/13 |
7.3 |
4.4 |
2.9 |
2.2 |
0.7 |
01/10/14 |
9.2 |
4.9 |
4.3 |
2.4 |
1.9 |
% augmentation |
1.9 |
0.5 |
1.4 |
0.2 |
1.2 |
Le volume des prêts bancaires a augmenté dans une plus grande proportion par rapport aux crédits, et c’est compréhensible. Les opérations de placement (et l’achat d’obligations de sociétés est classé comme un investissement), compte tenu du fait que les autorités réglementaires n’ont pas autant de contrôle sur elles, assurent une meilleure rentabilité que les transactions de crédit. La plus grande part de la croissance s’explique par des prêts à des organisations financières étrangères non bancaires, à savoir les fonds d’investissement, les compagnies d’assurance, les fonds de pension, etc.
Les taux de croissance élevé des transactions à offshore effectuées par les banques américaines ne sont pas surprenants non plus. Au plus fort de la crise financière, des programmes dits d’assouplissement quantitatif (QE) ont commencé à être mis en œuvre aux États-Unis, ce qui a augmenté considérablement la quantité de dollars émis par la Réserve fédérale américaine. Le troisième programme QE a été lancé en septembre 2012, et prévoyait l’achat par la Réserve fédérale de $45 milliards de titres du Trésor et de $40 milliards de titres adossés à des créances immobilières. À la fin du mois d’octobre 2014, la Réserve fédérale a annoncé que les objectifs du programme QE avaient été atteints (il y avait une amélioration notable de la situation économique de l’Amérique) et que l’imprimerie allait réduire sa production. Alors que les actifs de la Réserve fédérale atteignaient $0,9 trillions la veille de la crise mondiale (2007), vers octobre 2014, ils avaient déjà atteint $4,5 trillions. Autrement dit, ils avaient été multipliés par cinq. Ces émissions d’actifs par les banques fédérales de réserve ont créé les conditions d’une augmentation de la masse monétaire par les banques commerciales américaines qui sont membres de la Réserve fédérale (plusieurs milliers de banques). Comme mentionné précédemment, selon la BRI, le montant total des crédits et des prêts consentis par les banques américaines a atteint $50 trillions à l’automne 2014 (à l’exclusion des opérations sur le marché interbancaire, c’est-à-dire sans crédits et prêts à d’autres banques). Près d’un cinquième de ces crédits et de ces prêts ont été attribués hors des Etats-Unis.
Crédits et prêts l’étranger représentent une activité très rentable pour les banques américaines, puisque les taux d’intérêt sur les transactions transfrontalières sont nettement plus élevés que les taux des transactions sur le marché intérieur américain. Le taux de base de la Réserve fédéral a été maintenu entre 0% et 0,25% des dernières années. Pour comparer, les entreprises et les organisations russes ont pris des crédits et des prêts auprès des banques américaines à des taux bas (entre guillemets) de 5% à 7%. Ces taux n’étaient bas que par comparaison avec les taux usuraires des banques commerciales russes, qui n’ont pas accès à l’argent bon marché à l’étranger. Mais par rapport aux taux d’intérêt nominaux sur le marché américain, les affaires des banques américaines en Russie étaient extrêmement lucratives.
Dans l’ensemble, il y avait une tendance au cours des programmes du QE de transférer des capitaux des États-Unis vers d’autres pays à travers le monde, y compris ceux de la périphérie de l’économie mondiale, où la pénurie de capitaux était palpable et les marges de profit plus élevées. L’année dernière, cependant, quand il est apparu que le troisième programme QE était progressivement supprimé, on a pu observer que les flux de capitaux faisaient demi-tour. En particulier, une sortie nette de capitaux a été enregistrée dans tous les pays des BRICS qui, en quelques années, avaient réussi à devenir accros à l’argent bon marché des États-Unis. Selon la Banque de Russie, la fuite des capitaux de Russie s’est élevée à $151,5 milliards (une fuite de capitaux aussi importante a été beaucoup aidée par les sanctions économiques de l’Occident, le jeu des agences de notation concernant la rétrogradation de la Russie, etc. ). Tous les acteurs des marchés financiers s’attendent à une hausse des taux d’intérêts de la Réserve fédérale et du taux de rendement sur les titres de la dette, principalement les obligations du Trésor américain. La Réserve fédérale n’a toujours pas augmenté son taux de base (0,25%), mais prévoit de le faire au début de l’été. Les acteurs du marché se préparent à cet événement, mais il est lourd de conséquences graves. C’est aussi la conclusion à laquelle arrivent les auteurs de l’analyse de la BRI.
Tout d’abord, le taux de change du dollar américain par rapport à d’autres devises a augmenté. Les entreprises non américaines et les organisations qui ont accumulé d’importants prêts et des crédits en dollars connaîtront (et connaissent déjà) des difficultés à assurer le service de leur dette et à rembourser leurs obligations libellées dans la monnaie des États-Unis.
Deuxièmement, de nombreux prêts et crédits en dollars ont un taux d’intérêt variable. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que la charge des emprunteurs pour assurer le service de ces dettes devienne plus lourde.
Troisièmement, les fuites de capitaux vers les États-Unis vont augmenter, ce qui conduira à la détérioration de la situation économique dans les pays de la périphérie du capitalisme mondial, à un nouvel affaiblissement des taux de change des monnaies nationales de ces pays, et à d’autres complications dans le service et le remboursement des énormes dettes en dollars.
Les pays des BRICS sont parmi ceux qui peuvent souffrir de la suppression progressive du programme QE. Un des plus grands détenteurs de la dette en crédits et en prêts accordés par les banques en dollars américains est la Chine ($ 1,1 trillions selon la BRI). D’autres pays des BRICS sont sérieusement accablés par ces dettes. Le Brésil, par exemple, doit 300 milliards de dollars aux banques des États-Unis.
Le coup ne sera toutefois pas ressenti seulement par les pays à la périphérie du capitalisme mondial, mais aussi par les pays d’Europe. L’assouplissement quantitatif annoncé par la Banque centrale européenne coïncide avec la fin du programme QE aux États-Unis. Cela entraînera une baisse rapide de l’euro par rapport au dollar américain et augmentera les fuites de capitaux. Le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE pourrait conduire à une nouvelle escalade de la crise de la dette européenne. D’une manière générale, il est difficile de penser à un plus mauvais moment pour lancer le QE de la BCE, alors que certains pensent que cela n’a pas été fait dans l’intérêt de l’Europe, mais dans celui des États-Unis.
En même temps, il faut prendre un autre facteur en considération. L’élimination progressive des programme d’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale et de l’appréciation de la monnaie pourraient interrompre la tendance assez instable à la reprise du secteur réel de l’économie américaine. Même maintenant, la hausse du taux de change du dollar sape les positions déjà faibles des exportateurs américains. L’ancien chef de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, note que l’économie américaine réelle se remet beaucoup plus lentement que le marché financier. Il y a un déséquilibre du développement qui pourrait se traduire par l’apparition d’une énorme bulle financière, que les banques et autres fonds américains, ainsi que des investisseurs à travers le monde, se chargeraient de gonfler. Actuellement, tout cela rappelle beaucoup la situation à la veille de la crise financière mondiale de 2007-2009.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone