Par Marcin Mamon – Le 18 mars 2015 – Source The Intercept
Le centre de recrutement pour les volontaires de la guerre sainte de Dmytro Korchinsky est situé dans le sous-sol d’un immeuble du centre de Kiev, rue Chapaev, qui était à l’origine une salle de billard. Tout le monde peut s’enrôler et l’endroit n’a rien de secret, on trouve son adresse et son numéro de téléphone sur internet.
Étalées sur les billards, les fausses Kalachnikovs que les recrues utilisent pour tirer sur des cibles accrochées au mur. Derrière le bar, les étagères supportent non pas des bouteilles d’alcool mais des cocktails Molotov, restes des violentes manifestations qui ont renversé le gouvernement l’année précédente. Ils pourront encore servir pour la prochaine étape du soulèvement ukrainien.
En plus d’être un centre de recrutement, l’ancien club de billard sert aussi de siège pour l’organisation politique de Korchinsky, nommée Bratstvo, ce qui veut dire fraternité en français. Je rencontre Korchinsky dans une salle latérale, meublée elle aussi d’une grande table de billard, d’un canapé en cuir usé, de fauteuils et d’un piano. Posées sur le piano, les partitions d’une marche funèbre de Chopin et les paroles de l’hymne national allemand, dont le premier vers, Deutschland, Deutschland über alles, nous renvoie à l’époque nazie.[Wikipédia : Ce chant a été choisi comme hymne national en 1922, par la République de Weimar et non par les nazis arrivés au pouvoir en 1933, Rectification du Saker Fr]. C’est peut être un choix malheureux pour un personnage politique souvent décrit comme extrémiste, ultranationaliste et fasciste.
Korchinsky ne se prétend pas modéré, mais il n’apprécie pas ces épithètes utilisées contre ses milices.
«Nous ne sommes pas nazis, me dit-il, nous sommes des patriotes et des nationalistes.»
Korchinsky est à la limite de la caricature de l’Ukrainien nationaliste haïssant les Russes. Ses cheveux argentés contrastent avec sa moustache noire et fournie, aux pointes tournées vers le bas à la manière cosaque. Le bataillon de Sainte Marie, l’œuvre de Korchinsky, est l’un des nombreux groupes privés combattant aux côtés de l’armée régulière ukrainienne contre les séparatistes d’Ukraine orientale soutenus par la Russie. Il fait partie de ces groupes combattant les séparatistes ayant l’originalité d’être motivés par une idéologie qui mélange le messianisme chrétien et le djihad musulman.
Cette valeur religieuse n’est pas totalement surprenante, Korchinsky et ses hommes sont de pieux chrétiens orthodoxes. C’est dans les années 1990 que Korchinsky a appris les avantages de mélanger religion et politique, alors qu’il se battait dans le Caucase au côté des musulmans qui menaient une guerre d’indépendance contre la Russie.
Korchinsky souligne avec approbation le cas du Liban. La-bas, le Hezbollah participe au gouvernement en tant que parti politique, avec son aile militaire indépendante de l’État (et donc considérée par l’Europe et les États-Unis comme une organisation terroriste). Korchinsky pense que cette sorte de double structure serait bénéfique à l’Ukraine. Il se voit comme le chef d’une communauté révolutionnaire informelle pouvant s’atteler à des tâches de haute valeur, se trouvant au delà de la capacité de contrôle officiel de l’État.
«Nous devons créer quelque chose qui ressemble à un mouvement taliban chrétien» |
Cela pour la théorie. En pratique, Korchinsky veut faire de la guerre en Ukraine orientale une guerre religieuse. Selon lui, il faut tirer avantage de la situation: de nombreuses personnes en Ukraine ne sont pas satisfaites du nouveau gouvernement, ses institutions faillies et sa corruption endémique. La solution ne repose, selon lui, que dans la création d’une élite nationale composée de gens déterminés à s’engager dans une sorte de jihad ukrainien contre les Russes. |
«Nous devons créer quelque chose qui ressemble à un mouvement taliban chrétien dit-il. L’État ukrainien n’a aucune chance dans une guerre contre la Russie, mais des talibans chrétiens peuvent eux réussir, comme les talibans ont réussi à repousser les Américains hors d’Afghanistan»
Pour Korchinsky et le bataillon Sainte Marie, le grand Satan c’est la Russie.
Korchinsky est né pour combattre la Russie.
Il est le descendant d’une famille noble polonaise qui, à la fin du XVIIIe siècle, a combattu lors du soulèvement de Kosciuszko, qui fut une tentative ratée de libérer la Pologne de l’empire Russe. Les Polonais ont perdu et la famille Korchinsky a déménagé vers ce qui s’appelait le Kresy, ou frontières, qui est l’actuelle Ukraine. En tant qu’Ukrainien, Korchinsky continue la guerre familiale contre l’Empire russe.
Au début des années 1990, il a été l’un des fondateurs et dirigeants d’une organisation de la droite nationaliste connue sous le nom, assez surprenant, d’Assemblée nationale ukrainienne – Auto-défense du peuple ukrainien. Quand une révolte a éclaté, fin 2013, contre le président ukrainien corrompu, Korchinsky a immédiatement rejoint la bataille, qui se déroulait sur la place principale de Kiev, le Maïdan.
Le 1er décembre 2013, Korchinsky menait sa nouvelle unité paramilitaire, les cent Jésus-Christ, à l’assaut des bâtiments présidentiels. Il a été pris en photo sur un bulldozer alors que les manifestants essayaient de briser les rangs de la police dans la rue Bankovskaya.
Tout le monde ne soutient pas Korchinsky et ses combattants. Des politiciens de l’opposition, dont Vitali Klitscko, qui est le maire de Kiev, ont essayé de l’arrêter au milieu de la mêlée, les détracteurs de Korchinsky criant qu’il essayait de pousser a la violence. À un moment, la rumeur circulait qu’il était un agent russe essayant de créer le prétexte à des représailles policières. La réponse de Korchinsky est : «En Ukraine vous pouvez lancer quatre accusations contre un personnage public plus ou moins connu: qu’il est un agent de Moscou, qu’il est homosexuel, juif, ou qu’il a volé de l’argent.»
En mars 2014, la Russie a annexé la Crimée et Korchinsky, fatigué de voir ce qu’il appelle la passivité du gouvernement de Kiev, a formé un bataillon de combattants venant des cent-Jésus Christ. Le nouveau bataillon devant défendre Marioupol, la ville de Marie, il a été baptisé bataillon Sainte Marie en l’honneur de la ville.
Le jour où j’ai rencontré Korchinsky à son QG de Kiev, les recrues étaient assises sur de hauts tabourets de bar, remplissant leurs papiers et rassemblant les documents nécessaires pour s’inscrire au ministère des Affaires intérieures. (Légalement, les bataillons privés de volontaires sont sous le contrôle du ministère, même s’ils sont opérationnellement indépendants.) Les membres du parti Bratstvo inscrivent les recrues, les aident à remplir leurs formalités et les expédient vers la base à Marioupol, une ville du sud-est de l’Ukraine. La-bas, ils suivent tout au plus quelques semaines d’entrainement militaire.
Les volontaires présents dans la salle de billard ont hâte de rejoindre les combats et certains sont déjà avec leurs sac à dos, vêtus d’uniformes militaire faits maison. Ils sont là pour remplir les listes d’enrôlement pour le bataillon.
Les recrues sont jeunes, la plupart ont entre 18 et 25 ans. Seuls quelques-uns ont servi dans l’armée régulière. Beaucoup n’ont jamais tenu un fusil. Quelques-uns n’ont pas les documents médicaux nécessaires pour un engagement officiel dans un bataillon, mais ce n’est pas un problème car la femme de Korchinsky est membre du parlement ukrainien et aussi responsable des soins médicaux dans le secteur de guerre « M », la région de Marioupol.
Un fois inscrites, les recrues sont envoyées à plus de 1500 km de Kiev, à la garnison du bataillon à Marioupol, sur les côtes de la mer d’Azov. Le bataillon est installé dans un alignement d’immeubles et de hangars datant de l’ère soviétique. Au dessus de la base flotte un drapeau représentant une image du Christ. Dans la salle principale, utilisée autrefois par un club de voile local, les volontaires du bataillon ont crée une chapelle. Sur les murs sont accrochées les croix et les icônes, la plus importante étant celle représentant la Vierge Marie, peinte par la femme d’un volontaire tombé au champ d’honneur. Les frères, c’est comme ça qu’ils s’appellent entre eux, récitent le Notre-Père, même pendant les briefings militaires. Pendant la prière, le commandant rejoint les rangs pour signifier que personne ne se tient entre eux et Dieu.
Des copies du catéchisme de la Fraternité, qui sert de guide idéologique et religieux pour le bataillon, traînent partout dans la base, dans les bureaux, dans les dortoirs et à la cantine. Le plus frappant reste sa couverture. Elle représente une jeune femme en uniforme militaire, le visage couvert tel un combattant jihadiste. Dans une main elle tient une Kalachnikov tandis que l’autre main pointe vers le ciel, l’index tendu, un geste courant chez les combattants islamiques.
Elle est assise sous le blason de la Fraternité, que l’on retrouve épinglé sur les uniformes des combattants du bataillon. L’emblème représente une antique croix orthodoxe, symbole de Jésus. En dessous est inscrite cette phrase latine : In hoc signo vinces, ce qui veut dire: Par ce signe vous vaincrez
Tout comme les extrémistes islamiques choisissent sélectivement des passages du Coran qui soutiennent la violence, le catéchisme du bataillon Sainte Marie commence avec des mots de Jésus tirés de l’Évangile selon saint Matthieu : «Ne pensez pas que je sois sur terre pour répandre la paix, je ne viens pas pour la paix mais pour l’épée.» Le catéchisme ajoute alors sa propre interprétation : «La chrétienté doit être vue comme une épée et pas comme un oreiller.»
De la même manière que le djihadiste met l’accent sur les honneurs du martyre et de la vie dans l’au-delà, le catéchisme explique que seuls ceux qui suivent la voie décrite par la Fraternité recevront la plus grande récompense au paradis : «La fin du monde sera joyeuse, la destruction du système solaire sera une grande fête, le retour de Jésus sur terre sera inattendu et le terrible Jugement dernier deviendra une joie. Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, Amen»
Korchinsky a convaincu ses combattants que leur mission représentait plus qu’une simple défense de l’Ukraine, ils sont engagés dans un conflit de civilisation contre les forces du Mal. L’iconographie du bataillon partage même des images associées à l’État islamique. Sur la porte de l’une des chambres des membres du bataillon est accrochée une photo d’un combattant portant une casquette avec le dessin du symbole national ukrainien, le trizub (le trident). Dans une main il tient la tête d’un homme dont un drapeau russe sort de la bouche. Le texte inscrit sur le poster dit, en ukrainien : «Ne regrette rien» (C’est un blogueur anonyme qui écrit sur Facebook sous le pseudonyme de Bulba Bulba qui l’a crée, ai-je appris plus tard.) «C’est juste pour rigoler», m’a dit un combattant aux yeux bleus qui portait une Balaklava et un fusil.
Un prêtre, le père Volodymir, satisfait aux besoins spirituels du bataillon. Grand, mince et calme, il n’a pas plus de 30 ans. Il vient de Marioupol et a réussi à convaincre quelques-uns de ses paroissiens de rejoindre le bataillon. Avant, il était moine dans une église orthodoxe russe, mais quand la guerre a éclaté, il a rejoint l’église orthodoxe ukrainienne. Il ne pouvait pas faire autrement, dit-il.
Quand les combats ont commencé, il a vu des partisans séparatistes de la République de Donetsk se moquer de jeunes filles, le jour de la fête nationale ukrainienne, simplement parce qu’elles portaient les broderies traditionnelles ukrainiennes. Une fois, dit-il, les séparatistes ont brutalement puni une femme qui portait ces broderies. Ils ont enfoncé des clous dans ses pieds et l’ont forcée à marcher. C’était diabolique, me dit-il, et c’est pourquoi il lui est maintenant nécessaire de combattre. Le père Volodymir évoque les mots de saint Paul, qui dit : «Si tu fais le Mal, aie peur, car il ne porte pas l’épée pour rien, il est le ministre de Dieu, un vengeur qui exécute les sanctions divines contre ceux qui font le mal.»
De nos jours, l’épée devient la Kalachnikov, l’arme de choix pour les vengeurs du bataillon Sainte Marie.
Les talibans chrétiens d’Ukraine ne combattent pas pour un paradis sur terre mais pour Marioupol, un des endroits peut être les moins bénis sur terre. Marioupol est une ville pauvre, tout en gris, dont le paysage est dominé par des appartements en béton de l’ère soviétique et de petites maisons vétustes. A quelques mètres de la plage, les détritus industriels et les plastiques ramenés par les courants s’étalent en large vagues. Les habitants de Marioupol les ramassent pour faire chauffer leur four à bois.
Pourtant, ce port d’un demi-million d’habitants est une pièce maîtresse dans la guerre d’Ukraine orientale et l’on s’attend à ce qu’elle soit la cible de la prochaine grande offensive russe. Les habitants de Marioupol souffrent de la malchance de vivre dans un endroit stratégique.
Je suis arrivé à la base du bataillon Sainte Marie en février, alors que celui-ci venait de perdre une série de combattants dans ses rangs. Le premier homme à mourir s’appelait l’Allemand. Il a été tué le 10 février quand les Ukrainiens ont attaqué les positions séparatistes près de Marioupol, dans l’espoir de délivrer les troupes ukrainiennes qui avaient été encerclées prés de Debaltsevo. L’Allemand menait l’assaut du bataillon sur Pavlopol, un point clé pour la défense, dans la banlieue de Marioupol. L’Allemand a été tué, les balles ont percé son gilet de protection et il est mort avant même que les infirmiers puissent l’atteindre.
Le vrai nom de l’Allemand était Kiril Geinc. L’origine de son surnom est simple. Il descendait d’une famille d’origine allemande vivant en Russie. Il était de nationalité russe et n’avait pas de passeport ukrainien, mais combattait du côté ukrainien par conviction personnelle. Il a été enterré avec tous les honneurs à Kiev.
Les membres du bataillon utilisent tous des surnoms. Le chef d’équipe se fait appeler Partisan. Son adjoint Syndicat. Puis il y a Professeur, Virus, Psych, Alligator, Pasteur, Cheval, Soleil et ainsi de suite. Partisan m’a expliqué que les surnoms étaient juste un moyen pratique pour communiquer. Mais il existe une autre raison : le bataillon comprend des volontaires venant de régions occupées par les séparatistes et ils préfèrent ne pas divulguer leurs noms par peur de représailles contre leurs familles.
Quelques jours après la mort de l’Allemand, Calme et Amen sont morts aussi dans un accident de voiture. Le jour de son décès, Calme avait tout juste 22 ans. Il arrivait de Transcarpathie, en Ukraine occidentale, et venait de rejoindre le bataillon, mais il était un étudiant doué et avait vite appris à bien tirer.
Amen participait au bataillon depuis le début de l’automne 2014. Il avait passé l’hiver au front, revenant rarement à la base. Il en était le combattant le plus expérimenté et avait participé à de nombreuses attaques au delà des lignes ennemies. «Il a survécu à tant de bombardements et de batailles contre l’ennemi ,pour mourir dans un accident de voiture, me raconte Syndicat. Le destin est capricieux.»
La troisième victime de l’accident de voiture ne faisait pas partie du bataillon, mais ce fut quand même une perte pour la cause. Leonid Suchocki était un légendaire conducteur de tank de l’armée ukrainienne. Les séparatistes le craignaient comme la peste et son vieux tank soviétique, un T 64 de 1967, était surnommé la Mort noire.
L’équipement militaire du bataillon vient presque exclusivement de rebuts de l’époque soviétique. Les combattants utilisent un blindé BRDM-2, une pièce de musée, et quelques camions militaires Oural hors d’âge. Le blindage du BRDM est faible, les volontaires l’ont donc renforcé d’une cage métallique, espérant augmenter ses capacités de protection contre l’ennemi.
La fierté du bataillon est un nouveau pick-up Toyota Toundra peint en couleur de camouflage. La plupart des autres bataillons de volontaires ne peuvent que rêver d’un tel véhicule. Mais Syndicat préférerait une voiture tournant au diesel car la Toundra consomme trop d’essence, qui est toujours rationnée.
Le bataillon a établi des postes de contrôle le long de la route vers Novoazovsk, un port stratégique situé prés de la frontière avec la Russie. Si les forces pro-russes prenaient le port et la ville, cela serait une étape de plus pour ouvrir un chemin entre la Crimée et la Russie.
Le poste de contrôle principal, à environ 20 km de la base, est entouré sur deux côtés de blocs en béton. Il est construit avec n’importe quels matériaux pouvant servir à fortifier, lui donnant l’allure d’une scène tirée du film Mad Max. Ce poste de contrôle est le dernier avant la ligne de front avec les séparatistes.
A l’intérieur, le poste de contrôle est en désordre. Il est rempli de couvertures de terrain, de boîtes de munitions et de boîtes et pots de nourriture, essentiellement des choucroutes, des pommes de terre et du pain. Des icônes religieuses et des dessins d’enfants décorent les murs. Les combattants s’y tiennent rarement. Ils se trouvent plus souvent au poste de contrôle, qu’il pleuve ou qu’il neige, portant des balaklavas avec des rosaires blancs épinglés sur leurs uniformes. Ils contrôlent les voitures qui passent et les rares autocars qui voyagent entre les lignes de front. Conduire dans cette région n’est pas sûr. Le 13 janvier, sur la route de Marioupol à Donetsk, des obus tirés par les séparatistes ont touché un autocar transportant des civils. Douze personnes ont été tuées.
Le poste de contrôle de Sainte Marie essuie souvent des tirs. Les soldats russes et les rebelles de la république de Donetsk sont à environ 5 kilomètres, dans les villages et la forêt. Quand les tirs commencent, les combattants de Sainte Marie se retranchent dans leur bunker, construit avec des conteneurs de métal enterrés, lambrissés de planche de bois à l’intérieur. L’extérieur est couvert de blocs de béton et camouflé avec de la terre.
Partisan, le chef du bataillon, est extrêmement frustré. Cela fait maintenant neuf mois qu’il combat. Il a combattu à Donetsk et Llovaisk, là où, en août dernier, l’armée ukrainienne a subi une cuisante défaite. Plusieurs centaines de soldats, coupés de tout approvisionnement en armes, munitions et nourriture, se sont rendus aux Russes. «Plusieurs fois, nous avons accepté un arrêt des hostilités mais nous étions les seuls à le respecter, dit il. Et si nous ne leur tirons pas dessus, eux nous tirent dessus sans que nous puissions répliquer»
Au nord-est se trouvent les séparatistes. Au sud-ouest c’est encore l’Ukraine, mais les habitants vivant dans les petits villages sur la route de Marioupol sont très pro-russes. Donc les combattants sont en réalité encerclés de tous côtés et s’attendent à une attaque venant de n’importe quelle direction. A Marioupol même, les habitants parlent russe, pas ukrainien, et beaucoup soutiennent les séparatistes, préférant vivre en Russie où, au moins, l’État paie les salaires et les retraites.
Si les combats débutent à Marioupol, il est prévu que de nombreux habitants de la ville sortiront les armes cachées chez eux et tireront sur les Ukrainiens défendant la ville. C’est une situation apparemment pourrie et donc les combattants de Sainte Marie se reposent sur la religion pour les guider.
«Tout pour nous repose sur la foi en Jésus Christ», me dit Partisan. Nous pensons que seule une communauté religieuse peut gagner dans le monde d’aujourd’hui, dans notre société toutes les valeurs disparaissent et seule la foi survit. La guerre rend cela évident. Il n’y a pas de place pour les athées là où les obus pleuvent.»
Malgré tout ce discours religieux, Korchinsky est avant tout un pragmatique. Ses alliances sont toujours plus pratiques qu’idéologiques. Dans les années 1990, il combattait dans le Caucase par haine contre la Russie, pas par amour de la cause musulmane. «Nous comprenons que si nous ne voulons pas d’une ligne de front en Crimée, nous devons ouvrir une ligne de front dans le Caucase, me dit-il. C’est pourquoi nous devons aider la résistance dans le Caucase.»
Il a gardé des contacts avec des combattants tchétchènes et des musulmans du Caucase, maintenant en Ukraine.
«Je ne veux pas diviser les gens en fonction de leurs religions, dit-il. Car celui à qui nous nous confrontons est un ennemi bien pire, la Fédération de Russie. Il faut frapper la Russie avec nos alliés.»
J’ai demandé à Korchinsky comment un homme comme lui, qui conteste l’ordre politique en Ukraine, fait avec sa femme qui est un membre du parlement. Il m’a répondu que sa femme comprenait que les problèmes cruciaux du pays ne pouvaient pas être résolus par le parlement. La chose la plus importante est de continuer la révolution, mais il est utile d’avoir des amis dans le gouvernement. «Cela aide quelquefois pour certaines choses, comme faire sortir quelqu’un de prison ou demander aux autorités de nous fournir d’autres armes», m’a-t-il expliqué.
Même son discours religieux est d’ordre pratique. Korchinsky préférerait parler de croisés et de croisades, mais cela demanderait de longues explications. Alors il préfère utiliser les termes taliban, Hezbollah et al-Qaida, car il veut utiliser un langage compris par le monde entier.
Je lui ai demandé ce qui différenciait son organisation de celles des djihadistes islamiques. Les islamistes radicaux d’Afghanistan et du Proche-Orient sont, selon Korchinsky, intéressés par la destruction de l’ordre mondial. Ce n’est pas le cas du bataillon Sainte Marie.
«Nous aimons vraiment la civilisation, m’explique-t-il. Nous voulons l’eau chaude dans les bains et un système d’épuration fonctionnel, tout en étant aussi capables de nous battre pour nos idéaux.»
Korchinsky veut déplacer les combats sur le territoire russe et, dit-il, ses gens ont déjà commencé à créer des structures souterraines la bas. Comme pour l’État islamique, un jour ses frères recevront l’ordre de commencer le travail.
«Nous combattrons jusqu’à ce que Moscou brûle», me dit-il
Ce reportage est écrit à partir du film documentaire réalisé par la WDR allemande Die Story
Marcin Mamon
Traduit par wayan, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone.