Par Andrew Korybko − Le 27 juillet 2021 − Source Oriental Review
La Pologne subit désormais une attaque de guerre hybride intense de la part des États-Unis et de l’Allemagne, après que son projet de construction d’un gazoduc balte a été reporté par leur allié danois. Le Washington Post use de son influence en publiant un éditorial accablant, implorant les décideurs étasuniens de contrer les projets polonais qui visent à reprendre le contrôle d’un réseau télévisé, appartenant aux États-Unis, qui s’oppose au gouvernement polonais. Il est également désormais officiel que les États-Unis et l’Allemagne ont conclu un accord avec la Russie au sujet de Nord Stream II.
La situation géostratégique de la Pologne bascule du mauvais vers le pire, après qu’elle a subi une attaque de guerre hybride intensifiée de la part des États-Unis et de l’Allemagne à la fin du mois de juillet. J’ai déjà mentionné les raisons qui font que sa position est de plus en plus faible dans un article récent, qui évoque huit éléments déjà publiés par moi-même à ce sujet. Tous convergent vers l’aveuglement de la Pologne face à la réalité régionale qui connaît un changement rapide, les États-Unis et la Russie étant activement en train de négocier ce que l’on peut appeler un « pacte de non-agression« , qui promet d’être conclu aux dépens des intérêts nationaux polonais, tels que la Pologne les voit. L’Allemagne contribue à ce processus, et espère en tirer parti pour soumettre la Pologne à l’hégémonie continentale à laquelle elle aspire. Les trois grandes puissances sont également opposées à l’« Initiative des Trois Mers« , menée par Varsovie, alors que l’administration Trump la soutenait avec enthousiasme pour son rôle d’équilibrage dans les affaires européennes, mais que l’administration Biden considère désormais comme un obstacle à ses propres visées.
Dernier événement en date, le projet de construction d’un gazoduc en mer Baltique, espéré par la Pologne, vient d’être reporté par l’allié danois des États-Unis et de l’Allemagne. Ce retard a un impact important sur la politique polonaise de sécurisation des flux énergétiques, et va donc la contraindre à dépendre d’approvisionnements russes, moins chers mais « politiquement sensibles » (du point de vue des dirigeants polonais). Juste avant cet événement, l’influent Washington Post avait publié un éditorial accablant, implorant les décideurs étasuniens à contrer les plans polonais de reprendre le contrôle d’un réseau télévisé anti-gouvernemental détenu par les États-Unis, qui a récemment trempé dans des désordres de type Révolution de Couleur au sein du pays. L’éditorial se termine par ce mauvais augure : « Les États-Unis doivent user de toute leur influence pour s’assurer que des journaux d’informations télévisuelles indépendantes survivent dans le pays. » Enfin, la nouvelle est désormais officielle : les États-Unis et l’Allemagne ont conclu un accord avec la Russie au sujet de Nord Stream II, que la Pologne considère comme contraire à ses intérêts nationaux.
Les connaisseurs avisés de l’histoire peuvent comparer à raison cet événement avec la tristement célèbre « Trahison occidentale » du siècle passé, même si les conséquences n’en sont pas, pour l’instant, aussi géopolitiquement dramatiques qu’à l’époque. Néanmoins, la Pologne subit un risque évident de perdre sa souveraineté durement gagnée si la révolution de couleur étasuno-allemande fonctionne, que le pays redevient un vassal de Berlin, et que le gouvernement se voit contraint par les circonstances à s’engager de nouveau auprès de la Russie, mais en tant que partenaire junior, et non sur le pied d’égalité qu’elle mérite. Aucune nouvelle partition de la Pologne ne serait nécessaire, ce pays était désormais presque redevenu un État « pur ethniquement », exception faite de la masse de migrants ukrainiens entrés dans le pays au cours des dernières années ; toutes les influences étrangères dans le pays (étasuniennes, allemandes et russes) pourraient être gérées par la Civic Platform de Donald Tusk si celle-ci reprend le pouvoir. La Pologne s’était habituée à être le sujet de l’environnement géopolitique régional durant l’ère Trump ; voici qu’elle redevient un objet pour cet environnement sous Biden.
La tragédie est que tous ces événements auraient pu être évités, et paraissaient évidents depuis le début de l’année 2021. Dès l’instant où les forces libéro-globalistes de Biden ont pris le pouvoir à la Maison-Blanche, le gouvernement conservateur-nationaliste de la Pologne aurait dû comprendre que la guerre hybride allemande fomentée contre lui allait s’intensifier du fait des visions idéologiques partagées entre Washington et Berlin, contraires à celles de Varsovie. Le parti au pouvoir, « Droit & Justice » aurait également dû immédiatement entamer des discussions secrètes avec la Russie en apprenant en début d’année par les médias que Biden projetait de rencontrer Poutine. La Pologne et la Russie auraient pu commencer à négocier leur propre « pacte de non-agression » avec le Bélarus et l’Ukraine afin d’améliorer leurs positions stratégiques dans la négociation face aux États-Unis, ce qui aurait également pu éviter à la Pologne de se retrouver contrainte à répondre à tout ce que les États-Unis, la Russie et l’Allemagne ont fini par négocier derrière son dos, comme cela est désormais acté.
Il n’est pas encore trop tard pour la Pologne de s’engager en cette voie, même si sa position de négociation a fortement diminué, à présent que le gazoduc de la Baltique se retrouve retardé par l’allié danois des États-Unis et de l’Allemagne (sans doute dans le cadre du « pacte de non-agression » étasuno-russe). La Russie n’est par ailleurs pas sans parfaitement être au fait du statut de plus en plus désespéré de la Pologne au sens stratégique, si bien que le Kremlin pourrait demander des concessions plus importantes au sujet de la vision de la « sphère d’influence » du pays tête de pont de l’Europe centrale vis-à-vis de leurs frontières partagées avec le Bélarus et l’Ukraine. Il en aurait été tout autre si des négociations polono-russes s’étaient ouvertes il y a quelques mois, par exemple. Une manière possible d’améliorer son poids à cet égard serait pour la Pologne de se rapprocher de la Chine afin d’établir un équilibrage face aux États-Unis, exactement comme l’Ukraine voisine vient de le faire. La Pologne pourrait ainsi viser à se transformer en pont économique d’importance entre l’Est et l’Ouest, puis faire usage de ce rôle géo-économique pour appâter la Russie et la pousser à lui accorder un rôle plus « équilibré ».
Quoi qu’il finisse par décider, le parti Droit & Justice doit trouver une manière de soulager la pression conjointe étasuno-allemande, puis recentrer ses efforts pour éluder leurs tentatives de neutraliser la souveraineté de la Pologne. À l’image de son camarade membre de l’OTAN, la Turquie, qui s’est tournée vers l’Est avec pragmatisme après avoir subi des pressions sans précédent depuis l’Occident il y a quelques années, et avoir failli subir un changement de régime à l’époque. La Pologne risque de connaître la même chose, sous peine de courir le risque de tout perdre. Il s’agit d’une position qui pourrait s’avérer très délicate à comprendre pour Droit & Justice pour des raisons « politiquement correctes », mais son parrain étasunien vient de lui planter un couteau dans le dos, et de solder la Pologne à l’Allemagne. La fin est sans doute proche, sauf si la Pologne engage un pivot vers l’Est de manière urgente, et se tourne vers la Russie et la Chine afin de préserver sa souveraineté et de renforcer ses capacités de « Sécurité Démocratique » fin de repousser l’offensive hybride conjointe étasuno-allemande. Si Droit & Justice n’y parvient pas, la Pologne sera contrainte de se soumettre à l’hégémonie allemande, dont elle ne ressortira jamais.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone