«Il se passe quelque chose»
… et c’est pire que ce que vous pensez !

Note du Saker Francophone 

Nous faisons écho à l'article paru le 19 juin 2016 sur dedefensa.org sous le titre Orlando et la connexion Trump-Flynn en traduisant l'article de Justin Raimond qui se trouve à la base des commentaires de dedefensa.org, minutieux et pertinents, comme à l'accoutumée.

Nous vous engageons également à consulter le rapport évoqué par Raimondo dont nous avions fait état le 10 août 2015, voilà bientôt un an, déjà.

Trump a raison au sujet des événements d’Orlando, mais pas comme vous l’imaginez


Raimondo

Par Justin Raimondo – Le 17 juin, 2016 – Source antiwar

Je me suis demandé pourquoi diable les commentateurs d’extrême-droite sur Fox News insistent pour répéter le même mantra maintes et maintes fois : installé au milieu des débats républicains, je n’en croyais pas mes yeux d’entendre chaque candidat dénoncer l’administration Obama pour avoir refusé de dire les mots sacrés : terrorisme islamique radical. De quoi parlent ces gens me suis-je dit ? Ils sont obsédés!

En bref, je l’ai ignoré comme un cliché – plat réchauffé de Fox News – jusqu’au lendemain, quand, à la suite du massacre d’Orlando, Donald Trump a déclaré ce qui suit sur Fox : «Quelque chose se passe. Il [Obama] ne comprend pas, ou il comprend mieux que personne. C’est l’un ou l’autre. » Réitérant ce propos plus tard dans la même émission, il affirmait que «le président n’est pas solide, pas intelligent – ou alors il a autre chose en tête».

La gratin de Washington est passé en mode turbo. Lindsey Graham [sénateur républicain] a piqué une crise, et d’autres législateurs républicains ont commencé à prendre leurs distance avec le candidat présumé du GOP [Parti républicain]. Le Washington Post a publié un article sous le titre : Donald Trump suggère que le président Obama est derrière la fusillade d’Orlando. Se rendant compte que ce niveau de partialité était un peu trop effronté, les éditeurs ont changé le titre une heure plus tard : Donald Trump semble faire un lien entre le président Obama et la fusillade d’Orlando. Ce n’est pas beaucoup mieux, mais encore une fois, nous parlons d’un journal qui dispose d’une équipe d’une trentaine de journalistes décidés à déverser des tombereaux de boue sur Trump.

Dans tous les cas, Trump a répondu comme il le fait habituellement : en doublant la mise. Et il l’a fait, comme il le fait habituellement, sur Twitter, écrivant ce qui suit :

«Les médias sont tombés à bras raccourcis sur Donald Trump pour critiquer les insinuations concernant Obama, mais il a raison.»

Le tweet inclut un lien vers cette histoire qui est apparue sur Breitbart News : le compte-rendu d’un rapport de 2012 du renseignement US de la Defense Intelligence Agency (DIA) prédisant la montée de État islamique en Syrie – et montrant comment la politique américaine l’a délibérément ignoré et même secouru. Obtenu par l’ONG Judicial Watch, grâce au Freedom of Information Act, le document dit qu’il est très probable que nous verrons la création d’un «État islamique par son union avec d’autres organisations terroristes en Irak et en Syrie». Et ce ne sera pas seulement un effort venant de la base, mais le résultat d’un plan coordonné de façon centralisée : cela se produira parce que «les pays occidentaux, les États du Golfe et la Turquie soutiennent ces efforts» par «les forces d’opposition» syriennes alors engagées dans une campagne visant à «contrôler les zones orientales (Hasaka et der Zor) adjacentes aux provinces irakiennes occidentales (Mossoul et Anbar)».

C’est très précisément ce qui est arrivé et, comme nous le voyons, l’armée irakienne est maintenant sur le terrain – avec le soutien américain – essayant de reprendre Mossoul et Anbar [à État islamique], avec un succès limité. Pourtant, ce n’est pas comme si nous ne savions pas ce qui se préparait et n’avions pas eu de responsabilité dans la création du problème pour la résolution duquel nous sommes en train de dépenser des milliards de dollars et même des vies américaines. Les choses tournent exactement comme le rapport de la DIA l’avait prévu en poursuivant :

«Il y a la possibilité d’établir une Principauté salafiste, officielle ou non, dans l’est de la Syrie (Hasaka et Der Zor), c’est exactement ce que veulent les pouvoirs qui soutiennent l’opposition [à Assad], afin d’isoler le régime syrien, qui est considéré comme la profondeur stratégique de l’expansion chiite (l’Irak et l’Iran).»

Et qui, exactement, sont ces pouvoirs de soutien ? L’auteur anonyme du rapport vise «l’Ouest, les pays du Golfe, et la Turquie». Aux dernières nouvelles, les États-Unis font partie de l’Ouest, bien que, vue la façon dont les choses avancent, cela pourrait ne plus être vrai avant longtemps. Et bien sûr, les États-Unis ont eu une politique de soutien à l‘«opposition islamiste syrienne modérée» qui a pris ouvertement fin avec les défections massives de l’armée syrienne, soi-disant libre, qui s’est rendue à des mouvements djihadistes comme al-Nusra et EI.

Il y avait une scission au sein de l’administration au sujet de cette politique, où la secrétaire d’État Hillary Clinton, puis le directeur de la CIA David Petraeus, plaidaient pour un effort à grande échelle afin de renverser l’homme fort assiégé, le baassiste Bachar al-Assad, par une aide massive à une opposition aux contours vaguement définis. Petraeus a même ouvertement plaidé pour armer al-Nusra – la filiale syrienne d’al-Qaïda – et il y avait des indications, avant le départ d’Hillary de Foggy Bottom [siège du Département d’État à Washington], qu’un corridor d’armes avait été ouvert entre les djihadistes libyens que nous avions aidés à renverser Kadhafi et leurs frères syriens.

Obama était réticent à s’impliquer davantage, mais Hillary et Petraeus étaient pleins d’entrain, de même que les interventionnistes humanitaires habituels dans l’administration et les médias, qui accusaient le président d’inaction pendant que Assad perpétrait son génocide. En réalité, les djihadistes coupaient les têtes et semaient tout autant la dévastation que l’armée syrienne, mais ces faits ne se trouvaient que rarement dans les récits des médias.

Dans tous les cas, la scission de l’administration a finalement cessé lorsque le Président a annoncé qu’il allait intervenir en Syrie par des frappes aériennes. Cela a provoqué une énorme réaction dans tous les États-Unis, avec des banderoles au Congrès et des manifestations rapides et furieuses à venir. De toute évidence, les Américains ne voulaient pas d’une autre guerre au Moyen-Orient, et, un par un, les membres du Congrès qui avaient prévu de voter l’engagement dans la guerre ont commencé à reculer. Le Président a fait marche arrière – heureusement, à mon avis 1. Hillary, qui avait déjà quitté l’administration, a reçu sa réprimande finale. Pourtant, les graines plantées par sa politique en Syrie vont bientôt germer en fleurs du mal.

La guerre était évitée, au moins pour le moment – mais la prédiction de cet agent anonyme de la DIA s’est réalisée lorsque des milliers de rebelles, équipés et formés par les US, ont rejoint ISIS avec les armes et autres friandises gracieusement fournies par les contribuables américains. Leur chef a déclaré le Califat et a étendu ses activités en Afrique du Nord, en Europe – et aux États-Unis.

L’action à longue portée d’État islamique a été ressentie aux États-Unis à deux reprises au cours des derniers mois : d’abord à San Bernardino, et maintenant à Orlando. Les deux terroristes s’étaient rendus en Arabie saoudite, apparemment à des fins religieuses, où ils pourraient avoir reçu une formation – et des instructions.

Lorsque Omar Mateen a ouvert le feu dans cette discothèque à Orlando, tuant une cinquantaine de personnes et en blessant près de cent, le monstre que nous avons créé est revenu nous hanter. Peu importe qu’il n’y ait peut-être pas de lien direct avec EI : inspiré par eux, il a effectué sa mission macabre en jurant allégeance à Abu Bakr al-Baghdadi, le Calife d’État islamique.

Le Washington Post, dans sa mission de démystification de toute parole qui sort de la bouche de Trump, a publié un article par Glenn Kessler, minimisant le document de la DIA, affirmant que ce n’était vraiment rien d’important et que nous devrions tous simplement circuler parce qu’il n’y a là rien à voir. Il a cité tous les initiés habituels de Washington pour sauvegarder sa thèse, mais il a fait une omission flagrante : le général Michael Flynn, qui dirigeait la DIA lorsque le document a été produit et qui a été viré par les interventionnistes de l’administration. Voici ce que Flynn a déclaré à Al-Jazeera dans une longue interview :

Al-Jazeera : – Vous dites en gros, vous étiez encore au gouvernement à ce moment-là, que vous connaissiez l’existence de ces groupes, vous aviez vu cette analyse, et vous argumentiez contre, mais qui ne vous a pas écouté ?

Flynn: – Je pense que c’est l’administration.

– Donc, l’administration a fermé les yeux sur votre analyse ?

– Je ne sais pas si elle a fermé les yeux, je pense que ce fut une décision. Je pense que ce fut une décision délibérée.

– Une décision volontaire pour soutenir une insurrection qui regroupait des salafistes, al-Qaïda et les Frères musulmans ?

– Ce fut une décision délibérée de faire ce qu’ils ont fait.

Bien sûr, Glenn Kessler et le Washington Post ne veulent pas en parler, les républicains au Congrès non plus, qui ont soutenu l’aide aux rebelles syriens et voulaient leur donner beaucoup plus que ce qu’ils ont obtenu. Ils sont tous complices de cette politique monstrueuse – et ils portent tous la responsabilité morale de ses conséquences meurtrières.

À propos : le genéral Flynn, est un conseiller officiel de Trump, et il est souvent mentionné comme un choix possible pour la vice-présidence.

L’idée que nous pourrions utiliser des islamistes pour lutter contre les djihadistes a toujours été folle, et malgré tout c’est pour cette politique étrangère que l’Establishment et les faucons du Congrès – des deux partis – ont fait pression. Le virage sunnite, pris par l’administration Bush, soutenu – et financé – par les Saoudiens, les Turcs et les pays du Golfe, et intensifié par l’administration Obama, a renforcé le pouvoir de nos pires ennemis et mis en danger le peuple américain. Et voici l’ironie ultime : tout cela a été fait au nom de la lutte contre le terrorisme, il a été fait au nom de ce qui donne un nouveau sens à la notion de blowback. Cela donne un nouveau sens au concept de blowback [retour de flamme] dans le jargon de la CIA, pour une action – souvent secrète – qui a pour conséquence involontaire de nous péter à la figure.

Cela a certainement pété à la figure de tous ces fêtards d’Orlando – sous une grêle de balles.

Que Trump suscite cette réaction est loin d’être étonnant, car la vérité vient souvent à nous de manière inattendue. Trump est peut être un véhicule imparfait – ce qui est certainement un euphémisme – mais il a tout à fait raison dans ce cas : cette administration – et ce président – soit «ne comprend rien, ou comprend mieux que personne. C’est l’un ou l’autre».

Les médias et les Tout-sauf-Trump se sont précipités sur cette déclaration et l’ont traduite dans le vieux tropisme Obama-est-en-secret-un-musulman, mais ce n’est pas ce qu’il disait. Il parlait de l’histoire, en grande partie inconnue, de notre intervention en Syrie, où Hillary Clinton était la meilleure amie et bienfaitrice des djihadistes. C’est elle qui a mené la charge pour libérer la Syrie, pour armer les coupeurs de têtes modérés et transformer ce pays en épave, comme elle l’avait fait pour la Libye déchirée par la guerre. Obama, ainsi que les médias, le savent. Mais leurs lèvres sont scellées.

Heureusement, pas les miennes.

Nous avons donc finalement débloqué le Grand Mystère : pourquoi, oh oui pourquoi, cette administration et la campagne Clinton sont-elles si réticentes à prononcer les mots «terrorisme islamique radical» ? Est-ce à cause du politiquement correct et par crainte d’incitation à l’islamophobie ? Il ne faut pas les flatter : ils sont bien au-dessus de ces scrupules, quand cela sert leurs fins. Mais, cette fois-ci, ce n’est pas le cas.

Ce qu’ils craignent, c’est de s’aliéner leurs alliés au Moyen-Orient – et pas seulement les djihadistes qu’ils ont financés et secourus dans un effort pour renverser Assad, mais surtout les Saoudiens, les Turcs et les cheikhs du Golfe qui sont tous autour de la table de jeu et misent sur tout ce qui en vaut la peine. Et bien sûr il y a la Fondation Clinton, qui a reçu des millions de dons de la famille royale saoudienne et de ses satellites.

L’objectif de la politique américaine dans la région est d’empêcher les Iraniens et leurs alliés chiites, dont Assad, d’étendre leur influence dans le sillage de la faillite de la guerre en Irak. Cette guerre a installé un régime chiite à Bagdad, et dans le but de protéger notre allié tant vanté, Israël – qui veut le changement de régime en Syrie – nous soutenons et nous avons soutenu les radicaux sunnites, précisément ces «terroristes islamiques radicaux» dont le nom ne franchira jamais les lèvres de Hillary Clinton.

Nous avons dénoncé tout cela sur ce site depuis des années : j’ai écrit à ce sujet en profondeur. Et maintenant, le candidat républicain pour la présidence en parle. Que toutes ces mains blanchisseuses bien intentionnées là-bas [sur Tweeter] qui pensent que je suis allé trop loin dans ma couverture de Trump, contemplent ce fait étonnant pendant un certain temps – et ensuite reviennent vers moi pour en parler.

Justin Raimondo

Traduit et édité par jj pour le Saker Francophone

  1. Note du Saker Fr : Justin Raimondo oublie un peu vite la flotte de navires russes et chinois qui s’était interposée, en Méditerranée, entre l’armada US et les côtes syriennes, se trouvant ainsi directement menacée par une attaque sur la Syrie, avec les réponses éventuellement appropriées, qui ont pu amener le commandement US à réfléchir à deux fois. Les prétendues manifestations populaires, rarement spontanées dans ce pays, sont arrivées à point nommé pour sauver la face, Dieu merci !
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