Et si la Nouvelle Route de la Soie apportait la richesse au monde ? [1/3]


Dans cette partie de La Nouvelle Route de la Soie, nous examinons le projet chinois de reconstruction de la Route de la Soie, qui joindrait à nouveau l’Europe à l’Asie.


Par Robert Berke – Le 21 mai 2015 – Source : Oilprice.com

On l’avait découverte dans le Livre des Merveilles de Marco Polo… Depuis, la Route de la Soie fait partie de ces mythes qui accompagnent l’Histoire du monde. Aujourd’hui, les anciennes cités de Samarcande, Bakou, Tachkent et Boukhara enflamment à nouveau l’imagination.

La Chine vient de lancer le projet de développement et de construction le plus ambitieux, le plus fou jamais entrepris : la Nouvelle Route de la Soie. Ce projet vise rien moins qu’une révolution radicale de l’économie mondiale. Il est d’ailleurs ressenti comme une déclaration de guerre dans la lutte pour la domination de l’Eurasie.

Tout part de cette vision de recréer la Route de la Soie, comme un corridor économique et commercial moderne, qui irait de Shanghai à Berlin. La Route traversera la Chine, la Mongolie, la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne, s’étendant sur environ 13 000 kilomètres, créant ainsi une zone économique qui couvrira le tiers de la circonférence de la Terre.

Il est prévu de tracer des voies ferrées à grande vitesse, des routes et des autoroutes, un réseau électrique et un réseau de fibre optique. On financera le développement des villes et des ports situés le long de la Route.

La Route maritime de la Soie, quant à elle, sera le pendant indispensable de ce projet sur mer. Tout aussi ambitieux que le volet terrestre [on l’appelle aussi la Ceinture, NdT], reliera la Chine au golfe Persique et à la Méditerranée via l’océan Indien.

Une fois terminée, tout comme l’ancienne Route, cette voie reliera entre eux trois continents : l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Tous ces projets d’infrastructure vont créer la plus grande zone économique mondiale, avec une population de 4,4 milliards d’habitants et une production annuelle de $21 000 Mds.

Le financement, une arme politique 

C’est M. Xi Jinping, le Président chinois, qui a annoncé lui-même cette idée de Nouvelle Route de la Soie en 2013. L’année suivante, M. Xi a lancé officiellement  la Banque internationale des infrastructures de l’Asie (AIIB), y apportant les premiers fonds : $47 Mds.

La Chine a invité la communauté internationale à jouer un rôle important comme actionnaire de cette banque et partenaire du projet. On attend des fonds privés et des investissements de groupes publics, des fonds internationaux, y compris ceux de la Banque mondiale.

Quelque 58 pays se sont déjà engagés à rejoindre la banque, et notamment presque tous les pays européens, en plus des pays directement traversés par la Route. Il y a 12 membres de l’Otan parmi les États fondateurs (Grande-Bretagne, France, Pays-Bas, Allemagne, Italie, Luxembourg, Danemark, Islande, Espagne, Portugal, Pologne et Norvège), et également trois alliés importants des États-Unis sur la façade du Pacifique (Australie, Corée du Sud et Nouvelle-Zélande).

Après les tentatives infructueuses de Washington pour empêcher ses alliés de se joindre à cette banque, les Américains ont changé leur fusil d’épaule, et disent maintenant qu’ils soutiennent le projet – un mensonge qui ne trompe personne ; leur opposition n’était pas un secret. Le Wall Street Journal écrit en novembre 2014 que «les États-Unis ont jeté tout leur poids dans la balance pour contrer ce projet chinois de banque de développement… notamment lors des conférences du G7».

Alastair Crooke, du Huffington Post, écrit à ce sujet : «Pour toutes sortes de raisons, les États clés du Moyen-Orient (Iran, Turquie, Egypte et Pakistan) se sont tournés vers l’Est. On ne saisit pas toute l’importance, en Occident, de la Ceinture et de la Route ouvertes par la Chine (et par la Russie, entièrement intégrée au projet). Les États de la région voient que la Chine est un partenaire très sérieux qui crée des infrastructures considérables de l’Asie vers l’Europe. Ils voient aussi que tout le monde investit dans la Banque de développement des infrastructures de l’Asie (AIIB) – à la grande inquiétude de l’Amérique. Ces États veulent monter dans le train.»

Soutenant cet effort, la Chine prévoit d’injecter au moins $62 Mds dans trois banques engagées dans le projet : la Banque chinoise de développement (CDB) va recevoir $32 Mds, la Banque chinoise pour l’import-export (EXIM), $30 Mds, et le gouvernement chinois injectera aussi des fonds dans la Banque chinoise de développement agricole (ADBC).

Les États-Unis, partenaire improbable de la Route de la Soie

Les États-Unis vont-ils se joindre au projet ? Si le nouveau Partenariat trans-Pacifique (qui clairement laisse de côté la Russie et la Chine, deux acteurs majeurs de la région) est un début de réponse, la participation américaine semble incertaine, et son opposition évidente.

Mais, rationnellement, Washington ne peut sacrifier son propre leadership dans la région au profit de la Chine. Un projet aussi vaste et complexe que la Route de la Soie aura besoin de la technologie américaine, de l’expérience et des ressources américaines pour minimiser les risques, lever les réticences des autres alliés de l’Amérique, comme le Japon, tout en maintenant l’influence de Washington sur la région. La Route de la Soie pourrait favoriser les objectifs américains, et l’appui américain pourrait en améliorer les résultats.

Un éditorial du Wall Street Journal reprend l’idée que les accords commerciaux proposés par Washington à Pékin et la Route de la Soie sont complémentaires. Le but de ces accords est d’écrire noir sur blanc les règles pour le commerce international, tandis que le but des Chinois est de développer les infrastructures, elles-mêmes nécessaires pour développer le commerce.

Le projet initial 

Un coup d’œil au projet initial, toujours en développement, montre comment les Chinois s’organisent.

Le premier effort de développement se fera au Pakistan, où les Chinois travaillent depuis des années, créant et finançant un port stratégique en eaux profondes à Gwadar, sur la mer d’Arabie, qui sera géré par la Chine en tant que locataire à long terme.

Gwadar deviendra la tête de pont du pipeline de gaz naturel Iran–Pakistan, depuis si longtemps dans les cartons, et qui sera finalement étendu à la Chine, la section iranienne étant déjà construite et la section Chine-Pakistan déjà largement financée et construite par la Chine.

Il est prévu que le pipeline traverse le pays, longeant l’autoroute du Karakoram vers le Tibet, et franchissant la frontière chinoise dans la province du Xinjiang. L’autoroute sera aussi élargie et modernisée, une voie ferrée la reliera à Gwadar.

Au départ, ce plan devait étendre le pipeline à l’Inde, et le Qatar aurait rejoint l’Iran comme fournisseur de gaz naturel, créant ainsi ce que certains voyaient comme un pipeline de la paix entre l’Inde et le Pakistan, mais l’Inde s’est rétractée, suite aux pressions des États-Unis et aux inquiétudes venant du fait qu’elle serait approvisionnée par son principal adversaire, le Pakistan.

Les blocages viennent de l’Inde

Ce n’est pas une surprise, l’Inde, un allié de Washington, a contrecarré l’initiative chinoise en mettant en avant son propre projet, annonçant à son tour un accord pour construire un port en Iran, sur le débouché de la mer d’Arabie, à seulement quelques centaines de kilomètres de Gwadar.

Bien que ce pourrait être une alternative au port de Gwadar sponsorisé par la Chine, les États-Unis ont demandé à l’Inde de ne rien faire tant que l’accord nucléaire actuellement négocié entre l’Iran et les Occidentaux n’aboutit pas.

Ces projets, tant indiens que chinois, passent ouvertement outre les sanctions internationales contre l’Iran, et ces deux pays ne s’en soucient guère. La Chine pourrait même être doublement accusée d’aller contre les sanctions, au vu des contrats pharaoniques qu’elle ne cesse de signer avec la Russie.

Les milieux d’affaires du monde entier vont certainement suivre, pour ne pas risquer de perdre leur place dans cette nouvelle ruée vers l’or en Asie, alors que le monde est toujours en proie à la récession. New Delhi n’a pas hésité à dire cette vérité crue : les compagnies américaines sont en train de négocier des contrats avec l’Iran. Avec, sur leurs talons, les Allemands qui sont attendus à Téhéran, eux-mêmes coiffés au poteau par les Français, qui ont une longueur d’avance.

Alors, qu’en est-il des sanctions? Les sanctions ne peuvent fonctionner que dans un monde uni derrière elles. Si une bonne partie du monde choisit de les ignorer, on ne peut pas les imposer.

Pour conclure 

La Chine et une grande partie du monde s’apprêtent à lancer le projet de développement économique le plus gigantesque de toute l’Histoire; un projet qui pourrait changer complètement l’économie mondiale.

Cela prendra des décennies, et des centaines de milliards de dollars seront dépensés, voire des milliers de milliards. Tout ce que cela signifie pour l’économie et le commerce mondiaux reste inimaginable. Essayez d’imaginer que les plus grands fonds spéculatifs du monde, comme Goldman Sachs et Blackstone, se précipitent pour commercialiser un nouveau fonds d’investissements internationaux pour les infrastructures, fonds disposant de plusieurs milliards de dollars?

Bien sûr, un projet aussi énorme et complexe comporte certainement des failles, et il devra faire face à des tentatives de sabotage de la part des Occidentaux. Le Grand jeu continue. Notez ces propos de Barack Obama, qui sait que le temps lui est compté. «Si nous n’écrivons pas les règles, c’est la Chine qui le fera pour toute la région», a-t-il rappelé aux membres du Partenariat Trans-Pacifique.

Dans un monde où la croissance est atone, avec une Europe engluée dans les suites de la récession générale, avec une Chine qui voit sa croissance ralentir, où pourrions-nous trouver un projet avec de telles perspectives?

On peut parier que les grandes compagnies minières comme Vale [brésilienne, NdT], qui n’ont pas vu leur chiffre d’affaires tomber aussi bas depuis treize ans, sont en train de calculer les quantités d’acier nécessaires à cette ligne à grande vitesse longue de 13 000 kilomètres. Si ce projet aboutit, ce sera très certainement un Eldorado pour tout le secteur minier, pour celui des infrastructures et de la construction, secteurs aujourd’hui en plein marasme.

Imaginez combien d’emplois pourraient être créés par des projets de construction qui s’étendraient sur des décennies et sur d’immenses régions du monde. Dans pratiquement tous les secteurs d’activité, il y aura des opportunités incroyables pour un redémarrage du commerce.

L’ancienne Route de la Soie a augmenté le commerce dans l’ensemble du monde connu, mais c’était bien plus qu’une route commerciale. Par elle, transitaient la connaissance, l’apprentissage, la découverte, les idées.

Au-delà des richesses matérielles – les soieries, les épices, les pierres précieuses – on peut penser que la chose la plus importante que Marco Polo a rapportée de Chine est une carte nautique du monde, carte qui sera à la base de l’une des plus fameuses cartes publiées plus tard en Europe, une de celles qui ont provoqué les grandes découvertes. Christophe Colomb s’est guidé avec cette carte et on sait qu’il avait emporté le livre de Marco Polo, longuement annoté, lors de sa première expédition sur la route des Indes.

Pour le monde dans son ensemble, les décisions concernant la Route sont tout simplement essentielles. Cet énorme projet peut impulser une Renaissance pour le commerce, l’industrie, la recherche, la pensée et la culture, comme l’avait fait l’ancienne Route de la Soie. Mais il est clair  aujourd’hui que les conflits géopolitiques réveillés par ce projet peuvent mener à une nouvelle guerre froide entre l’Est et l’Ouest pour la domination de l’Eurasie.

L’avenir est loin d’être écrit.

Robert Berke est un analyste financier spécialisé dans le secteur de l’énergie. Il a notamment conseillé l’État d’Alaska.

Traduit par Ludovic, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

À suivreEt si la Nouvelle Route de la Soie apportait la paix à toute l’Eurasie? [2/3]

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