Des sanctions américaines, des Russes perplexes, des paroles en l’air et l’histoire


2015-09-15_13h17_31-150x112Par le Saker – Le 2 février 2018 – Source The Saker

Le suspense est enfin terminé. En quelque sorte. Le Trésor américain a finalement publié la liste des entités et des individus russes qui pourraient (conditionnel !) être sanctionnés par ce même Trésor en application de la Loi pour contrer les adversaires de l’Amérique par des sanctions – H.R.3364 .  Ces deux brefs extraits du rapport montrent pourquoi je dis « pourraient ».

et

Maintenant traduisons tout cela en langage clair : les États-Unis ont pris une copie de l’annuaire téléphonique du Kremlin, puis une copie de Forbes et ont établi une nouvelle liste combinant les deux. Puis ils ont proclamé que ces entités et ces individus ne sont pas encore soumis à des sanctions mais sont candidats à l’être..

Est-ce que cela a un sens, selon vous ?

Bon, si cela en a, arrêtez de lire et réjouissez-vous de vos talents extraordinaires. Si cela n’en a pas, ne vous sentez pas mauvais car cela n’a aucun sens pour personne en Russie non plus. Comme j’aimerais que les nouvelles technologies me permettent de publier ici tous les articles, interviews, émissions de débat et déclarations publiques récents sortis en Russie ces dernières 24 heures ! Dire que les Russes sont perplexes est vraiment un euphémisme.

Deux choses méritent d’être soulignées : premièrement, cette liste ignore complètement l’une des réalités les plus importantes de la politique russe. Le fait que l’opposition véritablement dangereuse à Poutine n’est pas celle du peuple (qui le soutient quelque part entre 60% et plus de 80%). Elle ne vient pas non plus des médias russes (qui, s’ils souvent souvent critiques, ne représentent pas une réelle menace pour lui) ou même de la Douma (dont les partis d’opposition critiquent le Kremlin, mais sont très prudents lorsqu’il s’agit de critiquer Poutine lui-même, de peur de perdre le soutien du peuple). Depuis des années j’explique que la réelle opposition à Poutine est : a) au sein des élites dirigeantes, y compris l’administration présidentielle et le gouvernement et b) le grand capital : les banques, les oligarques, etc. J’appelle cette opposition (informelle) les intégrationnistes atlantistes, parce que ce que veulent ces mondialistes pro-occidentaux, c’est que l’Empire anglosioniste accepte la Russie comme partenaire égal et que la Russie s’intègre totalement aux structures financières et sécuritaires contrôlées par les États-Unis : l’OMC, l’OTAN, l’UE, le G7/G8, etc. En très gros, on pourrait dire d’eux qu’ils sont « les gens de Medvedev » (mais vous pourriez également dire que les ministres chargés de l’économie russe entrent tous dans cette catégorie, tout comme tous les dirigeants des banques russes). J’appelle le groupe (informel) qui soutient Poutine les souverainistes eurasiatiques. Ce sont des gens qui voient l’avenir de la Russie dans le Sud, l’Est et même le Nord, qui veulent faire sortir la Russie des structures financières et sécuritaires internationales et qui veulent qu’une Russie vraiment souveraine contribue à l’émergence d’un monde véritablement multipolaire en coopération avec des pays comme la Chine ou les autres pays du BRICS. En très gros, on pourrait appeler ces gens les « gens de Poutine » (mais on pourrait aussi dire que des personnages comme Ivanov, Rogozine, Choïgou et quelques autres sont des personnalités clés).

C’est important parce que cette liste de gens (potentiellement sanctionnés) ne fait absolument aucune distinction entre ces deux groupes. Lisez cet article de RT intitulé « Major Russian bank will no longer service defense industry over US sanctions fears » (La plus grande banque russe ne travaillera plus avec l’industrie de la défense par crainte des sanctions américaines). Il cite le PDG d’Alfa Bank, Mikhaïl Fridman, dont la valeur nette est estimée à $16.2 milliards par Forbes, qui a déclaré au magazine que la banque coupait les liens avec l’industrie russe de la défense, ajoutant : « Que pouvons-nous faire ? ». Maintenant, regardez la liste, Appendice II, entrée 23.  Voyez-vous qui est là ? Oups, le même Mikhaïl Fridman !

Permettez-moi d’ajouter ceci : dans le climat politique actuel en Russie, avoir des comptes bancaires en Occident est considéré comme honteux et antipatriotique, et c’est quelque chose que même les souverainistes eurasiatiques les plus malhonnêtes et hypocrites eux-mêmes peuvent difficilement se permettre pour des raisons politiques (cela ne signifie pas que certains n’essaient pas, mais c’est un grand risque politique). En revanche, parmi les intégrationnistes atlantistes, dont le pouvoir et l’influence ne dépendent pas de l’opinion publique, avoir des actifs à l’étranger est beaucoup moins dangereux et, par conséquent, beaucoup plus courant.

Maintenant que le Trésor américain a publié cette « liste d’individus marqués » (et leurs familles, parents ou personnes morales associées) pour une future sanction potentielle et non spécifiée, qui selon vous va le plus flipper, les souverainistes eurasiatiques ou les intégrationnistes atlantistes ? Regardez un peu plus loin et oubliez les États-Unis une seconde : la Russie s’efforce de travailler avec les Européens sur de nombreux projets communs. Quel effet pensez-vous qu’aura une telle liste sur des entreprises communes entre l’UE et les hommes d’affaires russes ? Je prédis deux choses :

  1. Cela fera peser une forte pression sur les entreprises de l’UE pour qu’elles ne fassent pas d’affaires avec les Russes et, par conséquent, cela placera l’UE et les États-Unis sur une trajectoire de collision.
  2. Cela nuira aux intégrationnistes atlantistes là où cela leur fait le plus mal : leurs intérêts financiers.

Franchement, si j’étais payé pour réfléchir longuement et sérieusement à la façon de prendre la décision de politique étrangère la plus stupide et la plus suicidaire pour les États-Unis, je ne pourrais jamais faire mieux que ce que l’administration Trump et le Congrès viennent de faire. C’est, d’ailleurs, quelque chose avec quoi tous les analystes russes sont d’accord. Ce sur quoi ils ne sont pas d’accord, c’est les raisons à ce geste apparemment totalement et définitivement stupide. Voici les différentes écoles de pensée en Russie à ce sujet.

Groupe 1: « Le soufflet au visage de la Russie »

Ils croient que l’unique intention était d’insulter et d’humilier la Russie en déclarant fondamentalement que tous les Russes importants sont des gangsters. Selon eux, Les États-Unis ne peuvent pas faire grand chose d’autre que continuer une petite guerre d’insultes et de harcèlement (comme l’expulsion des diplomates russes et la saisie de bâtiments consulaires russes aux États-Unis).

Groupe 2 : « Tout cela est de la politique intérieure américaine »

Ce groupe déclare que cela n’a rien à voir avec la Russie. Selon eux, l’économie des États-Unis se porte bien sous Trump, les Démocrates n’ont rien à utiliser contre lui donc tout ce qu’ils font est de continuer à marteler la fable de la « menace russe » à laquelle il répond par des actions délibérément inefficaces et totalement symboliques qui le font passer pour anti-russe alors qu’en réalité il sabote tranquillement les tentatives des Démocrates de dégrader sérieusement les relations avec la Russie et il les empêche de jouer la carte de la « menace russe » contre Trump.

Groupe 3 : « Трамп Наш » (Тrump est des nôtres)

Non, personne en Russie ne pense sérieusement que Trump est un agent russe ou est « possédé » d’une manière ou d’une autre par la Russie, mais ils le disent comme une plaisanterie, toujours en riant. Mais ce qu’ils veulent dire est qu’au fond, Trump est un ami de la Russie et qu’il aide effectivement la Russie et Poutine. Comment ? En prenant toutes sortes de mesures qui ne font que nuire aux États-Unis tout en aidant puissamment la Russie (par exemple en obligeant les oligarques russes à rapatrier leurs actifs étrangers en Russie). Certains vont même jusqu’à dire que cette liste est la plus néfaste pour les gens opposés à Poutine et qu’elle lui donne un prétexte pour les renvoyer tous après les élections présidentielles en Russie. Loin de considérer Trump comme un idiot naïf, ce groupe le voit comme un politicien accompli qui crée en fait les circonstances pour nuire vraiment à ses (vrais) ennemis et aider ses (vrais) amis.

Groupe 4 : « Наших бьют ! » (Notre peuple est attaqué !)

C’est le groupe qui ne se soucie pas du tout de savoir pourquoi les États-Unis font ceci ou cela, si maladroits soient-ils. Tout ce dont ils se préoccupent est qu’il s’agit d’une nouvelle attaque contre « notre peuple » (c’est-à-dire des personnes ou des entreprises russes) et que cela signifie que les Russes devraient « faire un cercle de chariots » et venir à la rescousse de ceux qui sont attaqués. Ce groupe exige avec véhémence des mesures de représailles du Kremlin. C’est une minorité bruyante.

Groupe 5 : « Филькина Грамота » (Un document bâclé produit par des idiots qui n’y connaissent rien [traduction très approximative !])

C’est le groupe qui dit fondamentalement que tout cela est beaucoup plus simple et qu’aucune explication complexe n’est nécessaire : l’administration Trump et le Congrès sont composés d’idiots qui n’y comprennent rien, qui n’ont aucune idée de ce qu’ils font et qui aiment prendre des décisions politiques uniquement pour avoir l’air d’être encore importants dans un monde où ils ne le sont vraiment pas. Poutine lui-même semble appartenir à ce dernier groupe puisqu’il a officiellement qualifié ce dernier document étasunien de « stupidité totale ».

Franchement, d’après mon expérience, le processus de décision aux États-Unis n’est presque jamais le résultat des efforts d’un seul acteur. En fait, les décisions politiques américaines sont le « vecteur somme » de l’effet de nombreux vecteurs différents agissant ensemble pour produire un vecteur somme qui paraît parfois absurde mais qui est pourtant le résultat logique de l’effet conjoint de tous les vecteurs qui l’ont déterminé. En d’autres termes, toutes les explications ci-dessus peuvent être justes, quoique à des degrés divers. Cela dit, je penche fortement pour le dernier puisque, comme Poutine, je suis venu à la conclusion que l’Empire est dirigé par des idéologues stupides et ignorants qui vivent dans un monde totalement détaché de la réalité.

Ce qui est absolument certain, c’est que ce dernier geste des États-Unis est, de nouveau, un rêve devenu réalité pour Poutine et ses partisans, en particulier juste avant les élections.

D’abord et avant tout, c’est clairement une attaque contre « notre homme » et même contre « nous tous » ce qui déclenche un réaction très forte de soutien de la part des gens. En plus, cela divise fondamentalement tous les Russes en deux camps : d’une part, les partisans de Poutine et, d’autre part, ceux qui sont si complètement vendus aux États-Unis (comme Xenia Sobchak) qu’ils rendraient même la Crimée uniquement pour être amis avec l’Occident. Le premier groupe doit comprendre, en gros, eh bien disons 95%-98% de la population, le second environ 2%-5%.

Deuxièmement, il est maintenant clair que chaque oligarque russe (avec les membres de sa famille et ses collègues) a une grande cible peinte sur le dos et qu’il devrait maintenant se dépêcher de placer ses biens dans le seul endroit où l’Empire ne peut pas les saisir : à l’intérieur de la Russie.

Troisièmement, beaucoup de ces oligarques et de fonctionnaires qui s’opposaient plus ou moins activement à Poutine et à sa politique ont maintenant besoin de revenir vers lui et, le chapeau à la main et sur un ton humble, doivent faire amende honorable et lui demander pardon et miséricorde. Ils ont parié sur les Anglosionistes et ils ont perdu. Aujourd’hui, il doivent revenir à papa et implorer sa clémence (ils l’obtiendront probablement aussi). Cela juste avant les élections est très utile en effet, même si personne ne doute du résultat de ces élections, pour commencer.

Pour résumer : le dernier geste est une véritable bénédiction pour Poutine et la Russie tant en termes économiques que politiques, et les seuls qui en souffrent vraiment sont les intégrationnistes atlantistes (qui passent par des temps très difficiles de toute façon).

Le paradoxe : les sanctions américaines – une bénédiction déguisée ?

Pensons à ce que les États-Unis ont fait ces dernières années. Officiellement, ils ont essayé d’ « isoler » la Russie. Mais l’isoler de quoi, exactement ? Du Pérou ? Ou peut-être d’échanges culturels avec le Maroc ? À peine. Lorsque les États-Unis disent qu’ils veulent isoler la Russie, cela veut dire la couper des marchés occidentaux (le commerce), du système financier occidental (le crédit) et des élites politiques occidentales (les tribunes). Ces sanctions étaient censées nuire à la Russie précisément parce qu’elle était, au moins en partie, dépendante du commerce avec l’UE, des crédits des institutions financières occidentales et de sa  participation à des événements du type G8 (maintenant G7). Poutine a prédit que cela prendrait deux ans à la Russie pour se relever de ces sanctions (et de la chute concomitante des prix de l’énergie) et il avait raison : la Russie n’a pas seulement créé de nouveaux liens commerciaux mais elle a finalement investi dans son marché intérieur, elle a trouvé des crédits ailleurs (en Chine) et en termes de tribunes, il s’est avéré que le G7 sans la Russie est plus ou moins devenu un Conseil de l’Europe bis ou, d’ailleurs, le Conseil de sécurité de l’ONU : inutile. Au lieu de quoi, les dirigeants mondiaux ont commencé à réserver des vols pour Moscou. Aujourd’hui, les dernières sanctions américaines exercent une énorme pression sur les oligarques russes pour qu’ils rapatrient leur argent chez eux. Cela m’apparaît assurément que les sanctions américaines ont permis à Poutine de faire quelque chose qu’il n’aurait jamais pu faire sans elles : commencer sérieusement à réformer la Russie (qui avait cruellement besoin de telles réformes). Souvenez-vous, les souverainistes eurasiatiques ne sont que cela : des souverainistes ; alors que les intégrationnistes atlantistes ne sont que cela – des intégrationnistes. En « coupant la Russie de l’Occident » – aux intérêts de qui auront-ils nui, les intégrationnistes ou les souverainistes ? Se pourrait-il que Poutine doive son immense popularité, et la Russie son succès, au moins en partie, aux sanctions américaines ?

La théorie de base de la dissuasion soutient que « la dissuasion est dans l’œil du spectateur ». Autrement dit, je ne peux pas supposer que ce qui me dissuaderait vous dissuaderait aussi. Pour vous dissuader j’ai besoin de comprendre quels sont vos buts et vos valeurs. Je soutiens que lorsque les élites étasuniennes ont décidé de sanctionner la Russie (prétendument pour la dissuader de continuer à résister à l’Empire), elles sont parties d’une hypothèse fondamentalement fausse : que la Russie était dirigée par des intégrationnistes atlantistes, qui seraient horrifiés et découragés. Au lieu de quoi, ces sanctions ont fini par être une bénédiction pour les souverainistes eurasiatiques, qui les ont utilisées pour paralyser les intégrationnistes atlantistes, pour promouvoir des réformes indispensables et pour éliminer à la base l’opposition pro-occidentale. À bien des égards, la Russie est toujours un pays en désordre et en difficulté, mais grâce aux sanctions américaines rien de tout cela n’aura d’impact sur les prochaines élections présidentielles en Russie et les intégrationnistes atlantistes sont plus puissants que jamais. Merci, Oncle Shmuel !

Réactions russes possibles

Quelles que soient les raisons de tout ce non-sens, cela va susciter une réaction de la Russie et je pense qu’à en juger par la situation de ces derniers temps, la réaction russe est assez facile à prédire.

Premièrement, il n’y aura pas de grand geste ou de déclaration hyperbolique bruyante du Kremlin. Poutine, en plaisantant, a déploré que son propre nom ne figure pas sur la liste, Peskov a dit que c’était un acte hostile, quelques membres de la Douma russe ont annulé un voyage prévu aux États-Unis et les commentateurs russes ont exprimé consternation et dégoût à divers degrés. Mais dans l’ensemble, c’est très très peu de chose. Comme d’habitude, ce sera totalement mal compris en Occident où la culture est grosso modo : « Si votre ennemi vous frappe au visage, vous devez immédiatement le frapper en retour pour ne pas avoir l’air faible ». Dans la plus grande partie de l’Asie (et au Moyen-Orient, soit dit en passant), la norme est totalement différente : « Si votre ennemi vous frappe au visage, vous reculez et réfléchissez à comment le faire tomber à long terme, parce que ce qui importe n’est pas la posture éphémère, qui peut même être dangereuse et contre-productive, mais jouer sur le long terme et gagner ». On pourrait dire qu’en Occident, l’attention et la planification à long terme se compte en jours ou en semaines, alors qu’en Asie et au Moyen-Orient elle est comptée en années ou en décennies. Donc bien qu’il n’y ait peut-être rien de particulièrement photogénique ou digne de citation venant du Kremlin, quelques Russes ont laissé des indices sur ce que sera la politique russe : « Bonne chance aux Américains qui essaient de faire quelque chose d’important sur la planète sans notre soutien ». Et juste pour que ce soit bien clair pour ceux qui peuvent relier les points, l’ambassadeur russe aux États-Unis, Anatoly Antonov, parlant sur la chaîne de télévision russe Rossiya 1, a déclaré que le directeur du Service russe de renseignements étrangers (SVR), Sergueï Narychkine, s’était récemment rendu aux États-Unis et y avait rencontré quelques personnalités américaines de haut rang (y compris, selon des sources américaines, le directeur de la CIA Mike Pompeo). Comme l’a écrit Newsweek, Narychkine serait « le chef espion russe derrière la campagne de piratage des élections de 2016 » que divers agités du bocal ont même qualifiée d’acte de guerre. Il est tout en haut de cette liste de sanctions, mais il est là, voyageant à l’intérieur des États-Unis et rencontrant des hauts responsables américains. Pourquoi Antonov a-t-il divulgué cela ? Tout simplement pour montrer qu’en dépit des cris d’indignation et des gesticulations hyperboliques américaines, la réalité est que les États-Unis et la Russie travaillent encore beaucoup ensemble parce qu’ils ne peuvent vraiment pas se permettre de ne pas le faire (tandis que j’écris ces mots, j’ai reçu un lien sur un article du WaPo qui dit maintenant qu’Alexandre Bortnikov, le chef du Service fédéral de sécurité (FSB) et même le colonel général Korobov, le chef de la Direction principale du renseignement général (GU GSh), le service militaire de renseignement (ex-GRU) ont aussi participé à ce voyage aux États-Unis).

Donc voici le véritable message russe aux États-Unis : vous avez beaucoup plus besoin de nous que nous avons besoin de vous parce que vous avez besoin de travailler avec nous sinon vous n’obtiendrez rien, nous sommes toujours disposés à travailler avec vous, mais si vous devenez fous, vos intérêts globaux souffriront beaucoup plus que les nôtres ; malgré toutes vos paroles creuses, vous avez travaillé avec nous depuis le début et si vous dépassez les bornes avec vos absurdités, nous commencerons par révéler l’étendue de notre collaboration et si cela ne suffit pas à vous calmer, nous y mettrons fin.

À mon sens, il ne fait aucun doute que pour la plupart des habitants de l’Empire anglosioniste, l’idée que les États-Unis tout-puissants ont plus besoin de la Russie en difficulté (et économiquement faible, en comparaison) que celle-ci a besoin des États-Unis est risible. Ces gens diraient quelque chose comme : « Quelle est la part russe du produit mondial brut, combien la Russie a-t-elle de porte-avions et quel est le poids russe dans les institutions financières internationales ? Et comment va ton rouble imbibé de vodka, mon pote ? ». Les Russes ne répondraient pas grand chose, la plupart se contenteraient de sourire avec mépris et de penser quelque chose du genre : « Quand avez-vous réussi à obtenir quelque chose, espèce d’abrutis pompeux ? ». C’est fondamentalement bien parce que ce message n’est pas destiné aux drones idéologiques mais aux membres du pouvoir aux États-Unis qui connaissent les véritables résultats d’Oncle Sam et comprennent que maintenant, c’est l’Empire et non la Russie, qui est presque totalement paralysé et isolé (oh, ironie !) à tous les niveaux.

1ère conclusion: le principal produit d’exportation de l’Empire, ce sont les paroles creuses

Beaucoup de mes amis et de lecteurs m’envoient divers articles avec toutes sortes de citation de responsables étasuniens et j’ai beaucoup de difficulté à leur expliquer qu’ils devraient cesser d’écouter cet incessant verbiage grandiloquent. Non seulement parce que l’immense majorité des responsables faisant ces déclarations est à la fois stupide et ignorante, mais parce que le principal produit d’exportation de l’Empire anglosioniste aujourd’hui, sont les paroles creuses. Nous l’avons vu récemment avec les grandes déclarations sur le Kurdistan ou, d’ailleurs, les plans A, B, C et D sur la Syrie : tous annoncés avec la même gravité finale. C’est contre-intuitif, je l’admets. Après tout, lorsque le président de la superpuissance nucléaire, un général trois étoiles ou tout autre haut responsable prend la parole pour faire une déclaration officielle, nous avons automatiquement tendance à supposer que ce qu’ils disent est important, en particulier s’ils sont entourés de drapeaux et de nombreux journalistes. Mais en réalité, ça ne l’est pas. En particulier lorsque « l’autre type » (les Russes et les Chinois) appartient à une culture qui réprouve les cabotins aux grandes gueules : « Tu me fais rigoler, abruti » n’est pas une manière (eur)asiatique de proférer des menaces.

Je ne veux pas dire que nous devrions ignorer l’Empire, pas du tout, mais que nous devrions regarder ce que fait effectivement l’Empire et plus ou moins ignorer les commentaires narcissiques qu’il fait en permanence. Lorsque l’Empire promet de faire quelque chose de bien, en général il ment. Lorsqu’il promet de faire quelque chose de mal, ce sont généralement des menaces creuses. Donc à quoi bon accorder autant d’attention à ces promesses ?

2ème conclusion: apprendre l’optimisme et la prudence de l’Histoire

Si nous regardons l’Histoire du monde, nous pouvons voir toujours le même phénomène se produire : quand les choses vont bien, les élites sont unies, mais dès que les choses vont mal, les élites se retournent les unes contre les autres. La raison à cela est assez simple : les élites ne sont jamais aussi unies qu’elles prétendent l’être. En réalité, les empires, et tout grand pays, sont gouvernés par une coalition d’élites qui bénéficient toutes de l’ordre établi. Elles peuvent se haïr, parfois même se tuer entre elles (les SA et les SS, les trotskystes et les staliniens, etc.) mais elles travailleront ensemble exactement comme les familles criminelles du Milieu. Mais lorsqu’une crise profonde et réelle devient évidente, ces élites dirigeantes se retournent généralement les unes contre les autres et lorsque cela se produit, personne n’est vraiment responsable jusqu’à ce que, pour finir, tout le système s’effondre et qu’un nouveau chef principal/groupe émerge. En ce moment, les élites anglosionistes sont engagées dans une lutte gigantesque qui est susceptible de durer dans un avenir prévisible. Nous devons cependant être conscients qu’une telle situation peut aussi être utilisée par une partie auparavant moins visible pour sortir du bois et prendre le pouvoir.

C’est exactement ainsi que Poutine est arrivé au pouvoir, poussé par les services de sécurité russes alors même que Eltsine était encore nominalement chef de l’État. Cela s’applique aussi à l’Ukraine qui est également dirigée par un groupe de gens dont la principale contribution actuelle sur la scène mondiale est de produire du vent. Mais cela pourrait changer très, très vite. C’est pourquoi, tandis que je recommande plus ou moins d’ignorer les paroles en l’air des dirigeants américains (ou ukies), je garderais un œil attentif au niveau juste en dessous, en particulier l’armée américaine (ou ukie). Enfin, nous ne devrions jamais confondre l’incapacité de faire quelque chose avec l’incapacité de faire empirer les choses : la seconde ne découle pas de la première. L’Allemagne nazie a été fondamentalement vaincue à Stalingrad (en février 1943) mais cela ne l’a pas empêchée d’assassiner des millions de gens en plus pendant encore deux ans et demi avant que deux soldats soviétiques ne placent le drapeau soviétique sur le toit du Reichstag. Nous sommes encore loin d’un tel moment « drapeau sur le Reichstag » mais il est certain que nous assistons au « Stalingrad » anglosioniste, qui se déroule sous nos yeux.

The Saker

Cette analyse a été écrite pour Unz Review

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

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