Crise du Golfe : les États-Unis reconnaissent que les piratages russes sont des infos bidon


Par Finian Cunningham – Le 18 juillet 2017 – Source Strategic Culture

Le Conseil de coopération du Golfe

En un brusque virage, les agences de renseignement américaines accusent maintenant les Émirats arabes unis d’avoir piraté l’agence de presse officielle du Qatar et provoqué ainsi la crise entre les alliés arabes de Washington. Ce dernier revirement équivaut à reconnaitre que les États-Unis sont encore coupables d’avoir diffusé de fausses nouvelles accusant la Russie.

Cette semaine, le Washington Post a cité des responsables du renseignement américain dans son édition de lundi : « Les Émirats arabes unis ont orchestré le piratage des sites d’informations et des réseaux sociaux du gouvernement qatari afin de publier des citations incendiaires faussement attribuées à l’émir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad al Thani, fin mai, pour déclencher la dispute entre le Qatar et ses voisins. »

Pourtant, le mois dernier, le 7 juin, le média américain CNN avait un point de vue complètement différent sur la crise du Golfe, quand il accusait la Russie d’essayer de semer la division entre les alliés américains dans le golfe Persique. Cette nouvelle était publiée dans un article « exclusif » avec le titre: « Les États-Unis suspectent des pirates russes d’avoir diffusé des infos bidons pour déclencher la crise du Qatar ».

L’article de CNN prétendait : « Les responsables américains disent que l’objectif de la Russie semble être de provoquer des conflits entre les États-Unis et leurs alliés. Au cours des derniers mois, des activités cybernétiques russes suspectes, dont la diffusion de fausses nouvelles, sont apparues pendant les élections en France, en Allemagne et dans d’autres pays. »

Alors que CNN a laissé entendre que les prétendus pirates russes dans cette affaire du Golfe auraient pu travailler pour des intérêts privés, la publication de son reportage, le mois dernier, a pointé le doigt vers le gouvernement russe comme étant l’instigateur du piratage de l’agence de presse qatari. En utilisant des affirmations, des spéculations et des sources anonymes, la prétendue cyberattaque russe contre le Qatar était liée à la prétendue ingérence du Kremlin dans les élections présidentielles étasuniennes.

« Les renseignements étasuniens sont préoccupés depuis longtemps par la capacité du gouvernement russe à disséminer de fausses nouvelles dans des flux d’informations autrefois crédibles, selon des responsables américains », a annoncé CNN.

Mais il semble que cette semaine les responsables du renseignement américains aient changé d’avis sur ce qu’ils pensent être la cause de la crise du Golfe. Ce n’est plus la Russie, ce sont les Émirats arabes unis (EAU).

 « Les officiels [étasuniens] ont pris conscience la semaine dernière que de nouvelles informations, recueillies et analysées par les services de renseignement américains, ont confirmé que, le 23 mai, les hauts fonctionnaires du gouvernement des EAU ont discuté du plan et de sa mise en œuvre », rapporte le Washington Post cette semaine.

Depuis plus d’un mois, les EAU se sont alignés sur l’Arabie saoudite et Bahreïn pour participer au blocus du Qatar, un autre membre du Conseil de coopération du Golfe (CCG). La crise est devenue bloquée car aucun des deux partis n’est disposé à reculer, à la grande préoccupation stratégique de Washington. Tous ces États monarchiques, riches en énergie, sont des alliés de longue date des États-Unis et, quand ils sont unis, forment l’élément clé du maintien du système mondial basé sur le pétrodollar. Les autres membres du CCG, le Koweït et Oman, ont adopté une position neutre dans la crise diplomatique et agissent en tant que médiateurs pour résoudre le différend. L’Égypte s’est jointe au bloc dirigé par l’Arabie saoudite pour imposer des sanctions contre le Qatar.

La dispute a tourné au drame quelques jours après que le président américain Donald Trump a effectué une visite d’État officielle en Arabie saoudite les 20 et 22 mai. En échange d’un accord commercial record de 110 milliards de dollars d’armements avec les dirigeants saoudiens, il semble clair que Trump a donné le feu vert aux Saoudiens pour lancer le blocus contre le Qatar. Les Saoudiens et leurs alliés accusent publiquement le Qatar de parrainer le terrorisme et, disent-ils, telle est la raison de leur initiative pour isoler l’état gazier voisin. L’absurde hypocrisie de cette accusation cache le véritable motif de cette sordide rivalité entre les monarques du Golfe. En particulier, le fait qu’Al Jazeera, chaine médiatique basée au Qatar, dérange les dirigeants saoudiens et égyptiens en raison de rapports relativement indépendants et critiques sur la répression dans ces pays. Le soutien du Qatar aux Frères musulmans a été également mis en cause par les Saoudiens et les Égyptiens.

Deux jours après que Trump a quitté l’Arabie saoudite, le 22 mai, l’agence de presse officielle qatarie a été frappée par une attaque d’infos bidons. Des informations attribuaient à l’émir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad al Thani, des commentaires dans lequel il aurait dit du bien de l’Iran – l’ennemi chiite des monarchies sunnites soutenues par les États-Unis – et critiqué Trump.

Toute l’histoire est un montage évident. Malgré les communiqués urgents du Qatar annonçant que son agence de presse avait été piratée par des infos bidons, les médias saoudiens, du Bahreïn et des Émirats ont continué à diffuser ces déclarations comme si elles étaient authentiques, avec l’intention évidente de calomnier le Qatar et de provoquer un conflit.

La scène était donc prête pour que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte annoncent, le 5 juin, un embargo commercial, médiatique et logistique contre le Qatar « en raison de son soutien au terrorisme et de ses relations amicales avec l’Iran ».

Le président américain Trump a initialement soutenu le blocus du Qatar, affirmant qu’il représentait une des retombées de son voyage en Arabie saoudite.

«  C’est si bon de voir que la visite en Arabie saoudite et la rencontre avec le roi [saoudien Salman] et 50 autres pays paie déjà », a déclaré Trump sur Twitter. « Ils ont déclaré qu’ils adopteraient une ligne dure contre le financement de l’extrémisme, et toutes les pistes pointaient le Qatar. Peut-être que ce sera le début de la fin de l’horreur terroriste ! ».

Mais depuis que Trump a déclenché la pire crise dans le Golfe entre les alliés américains, son plus haut diplomate, Rex Tillerson, est occupé à essayer de calmer le jeu.

Le Qatar sert de base pour le commandement central américain au Moyen-Orient avec une base aérienne abritant 10 000 soldats. Les avions de guerre américains qui décollent du Qatar sont la principale force de frappe pour les opérations en Irak, en Syrie et au Yémen. Les planificateurs stratégiques à Washington se rendent compte que les États-Unis ne peuvent pas se permettre de s’aliéner le Qatar.

Tillerson a divergé sensiblement du simpliste soutien de Trump en faveur de l’Arabie saoudite et a plutôt cherché à réconcilier le Qatar avec le CCG. Le secrétaire d’État américain a laissé entendre que le blocus saoudien était draconien et irréaliste. Le 23 juin, l’Arabie saoudite et ses partenaires ont exigé que le Qatar ferme le réseau Al Jazeera, et ont envoyé plus d’une douzaine d’autres ultimatums. Le Qatar a refusé.

La semaine dernière, Tillerson a eu une semaine diplomatique frénétique, faisant la navette entre le Qatar et l’Arabie saoudite pour faire en sorte que les deux parties passent des compromis. Le vendredi 14 juillet, l’ancien PDG d’Exxon est revenu aux États-Unis découragé, incapable de sortir de l’impasse.

En revenant aux États-Unis, Tillerson a fait allusion à l’importance stratégique qu’a pour Washington le maintien de l’unité des pays du Golfe. Il a déclaré que c’était « vraiment important pour nous du point de vue de la sécurité nationale. Nous avons besoin de cette partie du monde soit stable, et ce conflit n’y aide évidemment pas ».

Cela expliquerait pourquoi les États-Unis ont maintenant décidé de révéler que le camp dirigé par l’Arabie saoudite était l’instigateur du piratage et de l’insertion d’infos bidons contre l’agence de presse qatarie.

Cette révélation déstabilise la position de l’Arabie saoudite. Cela confirme ce que les Qataris disent depuis le début : qu’ils ont été piégés dans une fausse crise provoquée par leurs rivaux du Golfe, dont l’objectif est de soumettre la souveraineté qatarie à la tutelle saoudienne. L’arrêt de l’« offensante »  chaine d’informations Al Jazeera est l’un des résultats souhaités.

En coupant l’herbe sous le pied des Saoudiens et des Émirats arabes unis de cette façon, les États-Unis font savoir qu’ils peuvent faire pression sur eux pour adoucir leurs demandes envers le Qatar.

Les planificateurs militaires et géopolitiques des États-Unis étaient si impatients de désamorcer la crise prolongée du Golfe – une crise qui menace le système pétrodollar – qu’ils ont été obligés de révéler l’identité réelle des auteurs de la cyberattaque contre le Qatar. Cela signifie accuser les Saoudiens et les Émirats arabes unis comme étant la source du piratage, et abandonner l’affirmation antérieure selon laquelle la Russie en était l’auteur.

CNN est, une fois de plus, surprise en train de diffuser des infos bidons à propos de pirates russes. Au moment de son « exclusivité » du mois dernier accusant la Russie de déstabiliser les alliés américains dans le Golfe, la chaîne d’information a eu au moins la décence de citer le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, sur cette affaire.

Peskov a déclaré, le 7 juin : « C’est encore un mensonge (…) CNN publie sans arrêt des références à des sources anonymes venant d’agences non nommées, etc., etc. Ces informations n’ont aucun rapport avec la réalité. Elles sont très loin de la réalité. Un faux reste un faux. »

Ce que l’ensemble de cet épisode montre n’est pas seulement combien les responsables des services de renseignement américains et les principaux médias sont irresponsables en publiant de fausses déclarations diffamant la Russie. Cela montre aussi qu’ils sont sans scrupules et malhonnêtes.

Simplement parce que la crise persistante du Golfe est en train de menacer les intérêts stratégiques des États-Unis on peut observer un changement soudain pour une version des événements qui reflète plus la réalité. Sans ces préoccupations stratégiques américaines dans le Golfe, les infos bidons accusant les pirates russes continueraient sans doute. Ce qui pose la question suivante : si les piratages russes dans l’affaire du Golfe sont des infos bidons, alors qu’en est-il des mêmes revendications de piratage russe contre les États-Unis ?

Finian Cunningham

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone.

 

 

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