La Secte des bureaucrates de l’Union européenne a décidé de punir le peuple grec pour son audace. Après la victoire, le châtiment.
Par Rafael Poch – Le 7 juillet 2015 – Source elcorreo.eu.org
La Grèce ne sort pas de l’euro, elle est renvoyée. Les référendums européens qui étaient jusqu’alors ignorés, sont maintenant punis. L’eurocratie est sur le point de lancer son nouveau plan de stimulation citoyenne.
Le référendum grec est une victoire populaire et un défi pour l’avenir. Dans la tranche d’âge comprise entre 18 et 24 ans, le Non a obtenu 85%. Entre 25 et 34 ans, 72%. Dans les quartiers les plus populaires, il a été écrasant. Cela lance, à tous les peuples du continent, un message de changement en Europe, quelque chose de très déstabilisateur pour la Direction européenne. Ne doutez pas que sa réponse sera implacable.
«L’erreur de Tsipras a été de vouloir changer l’Europe», reconnaît sans rougir le Président de l’Institut Delors de Paris, Yves Bertoncini. L’establishment de Bruxelles «a vu dans le référendum un défi qui complique particulièrement les conversations», remarque ingénument Le Monde dans son éditorial d’hier [06/07/15]. Si jusqu’à présent il s’agissait de forcer un changement exemplaire de gouvernement à Athènes, maintenant il s’agit de punir un peuple. Précisément c’est pourquoi le Grexit, l’expulsion de la Grèce de l’euro a le vent en poupe, même si économiquement ce serait irrationnel et, coûterait à l’Allemagne €90 Mds, comme l’estime Wolfgang Münchau, chroniqueur du Financial Times.
Merkel choisira le chemin du moindre risque pour un pygmée politique. Entre la déstabilisation politique en Allemagne supposant un changement de direction qui contredirait son récit des dernières années, et la sortie de la Grèce de l’euro, elle optera pour le deuxième.
L’ex-secrétaire conciliateur du Parti socialiste qui est à la tête de la République française ne va pas prendre le risque de provoquer une brèche dans le couple franco-allemand, quand bien même le mâle de ce dit couple pratique la violence de genre contre la France. Le gouvernement français est comme les épouses catholiques d’antan : tout sauf le divorce.
Pour ce qui concerne Merkel et Hollande, et pour l’UE en général, il s’agit de faire croire que la Grèce sort de l’euro par son propre choix, alors qu’ils la chassent. «Les déclarations lénifiantes de l’UE, selon lesquelles un dialogue est encore possible avec Tsipras, sont un rideau de fumée», peut on lire dans l’éditorial du Figaro d’aujourd’hui [8/07].
«Merkel ne peut pas assumer la responsabilité historique de la sortie grecque de l’euro», explique une source du gouvernement français. Donc il n y a plus d’autre issue que d’organiser techniquement le narratif de la sortie volontaire de la Grèce. Pour la Banque centrale européenne [évidemment indépendante selon les traités ! Ah non ? NdT], c’est quelque chose de très facile à organiser, explique Patrick Artus, économiste en chef de la banque Natixis.
«Si la BCE coupe l’ELA (la ligne de financement exceptionnel aux banques grecques) nous serons déjà dans un scénario de sortie de l’euro. Les banques ne pourront pas se refinancer en euros à la BCE, ce qui obligera la Banque centrale de la Grèce à refinancer ses banques avec une nouvelle monnaie qu’elle devra créer», explique-t-il. Au cas où le BCE déclinerait cette responsabilité pour la considérer comme politique et passerait la patate chaude à la Commission européenne, celle-ci pourrait accepter de négocier des nouveaux termes reconnus par le FMI (renégociation de la dette et nouveau paquet d’aide), mais c’est peu probable, dit-il. Alors que le scénario «les Grecs partent de leur propre initiative» est le plus probable et sera clos «dans deux ou trois semaines», dit-il. Préparez-vous au cirque médiatique qui s’approche.
Mais qu’ils le fassent comme ils veulent, reste la question de comment tout cela sera vu par les secteurs éveillés de la citoyenneté. D’autant plus que les médias emmêlent les choses, la spirale désintégratrice est en place et évidente.
Avec le référendum grec, cela fait déjà trois ou quatre référendums ignorés par l’UE en dix ans. Que maintenant non seulement elle l’ignore, mais qu’un référendum soit puni, marque clairement un but. L’évidence du mépris de la souveraineté nationale s’installe et franchit un grand pas en avant.
Le rôle de la BCE comme bras économique de l’UE est plus qu’évident dans le corralito [la ruée aux guichets des banques, NdT] spécialement organisé à partir du 28 juin pour faire échouer le référendum grec. Le désamour envers les institutions européennes, ainsi que le rejet de ses normes, grandit. Ceci est particulièrement valable non seulement pour les pays du sud de l’Europe, mais aussi pour les pays de l’Est qui ont déjà souffert de la doctrine Brejnev de la souveraineté limitée entre 1945 et 1989. Le dernier sondage polonais sur l’euro donne un rejet significatif de 70 % de la monnaie unique, quand seulement il y a six mois il y avait un soutien de 60 %…
Mais c’est en France, où les tensions de fond, en augmentation, peuvent s’avérer les plus significatives : le malaise qui progresse devant le spectacle de l’insignifiance de la nation (par la prépondérance de l’Allemagne, par l’humiliant espionnage politique et patronal sans réponse, la négociation opaque du TTIP et tout le reste), s’expriment seulement dans les partis situés aux extrémités politiques, comme le Front national ou le Front de Gauche qui n’ont jamais gouverné. Le Parti socialiste et la droite sont intérieurement très divisés, sinon en voie de décomposition. Une enquête divulguée aujourd’hui montre une mise en cause de l’austérité par 75 % des Français, sympathisants de gauche (82 %) ou de droite (65 %). Seulement 24 % considèrent que l’austérité est l’unique moyen de sortir de la crise.
Le discrédit des médias établis progresse. La sensation que l’information véridique doit être cherchée dans d’autres canaux continue de faire son chemin. En Allemagne le site de critique et de suivi de l’information médiatique locale NachDenkSeiten (NDS), un moyen de communication formidable, a doublé ses lecteurs ces jours derniers, frôlant les 180 000 consultations quotidiennes, presque le double du nombre de souscripteurs du portail français Mediapart (auteur de la majorité des grandes exclusivités de la politique française des dernières années et en même temps très couard sur les sujets de politique internationale). Partout, on assiste à une éclosion des blogs spécialisés ou indépendants, dans lesquels le public cherche des rapports et des points de vue plus véridiques et indépendants, démarqués de la presse corporative.
Après la victoire de Don Quichotte, l’heure du châtiment approche.
Ce qui viendra après le châtiment est à voir, mais il est clair que le plan de stimulation de la rébellion citoyenne, que les politiques maladroits de Bruxelles et de Berlin maintiennent à toute berzingue, continue à marche forcée.
Personne ne veut faire partie d’un club aussi inepte et antidémocratique que celui de cette Europe là, décidée à punir un peuple pour avoir manifesté sa souveraineté.
Rafael Poch-de-Feliu né à Barcelone en 1956 a été vingt ans correspondant de La Vanguardia à Moscou et à Pékin. Il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du Tageszeitung, rédacteur de l’agence allemande de presse DPA à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de La Vanguardia à Paris.