Par Nicolas Bonnal – Le 23 janvier 2017 – Source sputniknews
Nous sommes en 1920. Le sociologue Thorstein Veblen rédige dans une revue de sociologie un compte-rendu assez aigre du livre spécieux de JM Keynes sur les Conséquences de la paix à Versailles, ce compte-rendu peut être consulté ici.
Publié en 1919 sur les brisées d’un démentiel traité, le livre est un succès, et il est pro-allemand et anti-français ; il est même antisémite selon notre maître Murray Rothbard 1. Mais il est à la mode, comme Keynes dont les théories sur le déficit budgétaire auront ruiné l’Occident en ce début de siècle. Keynes est aussi celui qui nous a fait le coup de l’or comme relique barbare… Il serait aujourd’hui partisan de l’abolition du cash.
Le génial texte de Thorstein Veblen découvert par Preparata explique dès 1920 donc la Deuxième Guerre mondiale. Il fallait, explique Veblen, « rétablir un régime réactionnaire en Allemagne et l’établir en rempart contre le bolchévisme ».
Allemagne nazie contre Russie soviétique ? Guido Giacomo Preparata a donné la réponse : on l’a voulu. On, c’est l’établissement anglo-américain qui se permet de concevoir et de placer ses ennemis à dessein. L’Allemagne fut donc préservée à dessein en 1918-1919 pour attaquer le jour venu la Russie. Les élites basculent avant Brzezinski dans le fascisme géostratégique. Pour Preparata l’hostilité germano-russe est la pierre d’angle de l’édifice anglo-saxon pour dominer le monde. On comprend Merkel.
Veblen en 1920 est pro-bolchévique (Preparata non, il pense que le bolchévisme est aussi un animal domestiqué !). Il écrit que l’on préserve une Allemagne impériale et militaire sous un vernis parlementaire, et que ce noble barbarisme a un but : la destruction de l’URSS. Preparata, lui, va plus loin et décrit dans Conjuring Hitler (qui attend son traducteur) la conspiration — certes compliquée et risquée ! — pour établir le communisme en Russie puis le militarisme en Allemagne. Le 4 février 1933 Hitler réunit son état-major et parle de la future agression. La suite s’appelle Barbarossa et fera quarante millions de morts. L’anglophilie des nazis ne se démentira pas. On se déclare la guerre, mais on ne la fait pas (Quigley).
Je cite des extraits de Veblen (merci à Hervé pour sa traduction) :
« Cette tâche difficile, mais impérative, de supprimer le bolchevisme, à laquelle se trouvait dès le début confronté ce Conclave, ne participe pas à l’analyse de M. Keynes sur les conséquences à attendre du traité. Pourtant, il est assez évident maintenant que les exigences de la campagne de ce Conclave contre le bolchevisme russe ont façonné l’élaboration du Traité jusqu’ici au-delà de toute autre considération. »
Veblen évoque une guerre clandestine contre la Russie (les sanctions…) et il explique pourquoi la Russie fait peur aux oligarques et aux négociateurs occidentaux :
« Il faut remarquer, donc, que le bolchevisme est une menace pour la propriété. Dans le même temps, l’ordre économique et politique actuel repose sur cette propriété. La politique impérialiste des grandes puissances, y compris de l’Amérique, considère également le maintien et l’extension de cette propriété comme le but principal et permanent de tout leur trafic politique ».
Et on est prêt à ne plus respecter le libéralisme pour la sauver cette propriété. En termes plus modernes cela s’appellera le fascisme. C’est ce fascisme que l’on impose aujourd’hui aux Européens pour garantir les droits des possédants, des banquiers et des plus grosses entreprises transnationales. Mais le peuple aura encore son mot à dire ici ou là.
La peur du bolchévisme russe explique tout selon Veblen :
« Le bolchevisme est une menace pour la nue-propriété ; et à la lumière des événements en Russie soviétique, il est devenu évident, point par point, que seule la suppression définitive du bolchevisme et de toutes ses œuvres, à tout prix, pourrait rendre le monde sûr pour cette démocratie des droits de la propriété sur laquelle sont établis les ordres politiques et civils existants. Il est donc devenu le premier souci de tous les gardiens de l’ordre existant d’éradiquer le bolchevisme à tout prix, sans égard pour le droit international. »
Éradiquer le bolchévisme ! Éradiquer la Russie ! Mais comment ? En utilisant l’Allemagne, comme aujourd’hui d’ailleurs (Merkel semble orpheline : déclarera-t-elle seule la guerre à Trump et à la Russie, sans oublier la Chine ?). L’Allemagne vaincue doit être préservée pour constituer ce rempart contre la Russie.
Il faut donc être doux et indulgent avec cette Allemagne :
« Une indulgence notable, équivalant une sorte de négligence collusoire, a caractérisé jusqu’ici les rapports des puissances avec l’Allemagne. »
Veblen ne croit pas au bluff des réparations – que l’Allemagne ne paiera d’ailleurs jamais. Et Preparata rappelle que l’Allemagne sera refinancée et rééquipée par le plan du banquier Dawes en 1923. Veblen souligne le but et la patience aussi de notre élite anglo-saxonne :
« Comme il aurait semblé tout à fait probable auparavant, les stipulations touchant l’indemnité allemande se sont révélées provisoires et provisoires seulement – si elles ne se sont pas plutôt caractérisées comme un bluff diplomatique, destiné à gagner du temps, à détourner l’attention durant cette période de réhabilitation nécessaire et exigeant une certaine patience pour rétablir un régime réactionnaire en Allemagne et l’ériger en un rempart contre le bolchevisme. »
Il faut donc garder le militarisme prussien, la botte allemande, l’empire knouto-germanique dont a parlé un demi-siècle plus tôt le grand penseur et anarchiste russe Bakounine :
« … l’Allemagne ne doit pas être paralysée au point de laisser l’establishment impérial affaibli matériellement dans sa campagne contre le bolchevisme à l’étranger ou le radicalisme à la maison.
Par conséquent, il ne saurait être permis de détourner une partie de ces revenus gratuits des propriétaires allemands pour secourir ceux qui ont souffert de la guerre que ces propriétaires avaient déplacée dans les pays Alliés. »
On épargnera les responsables de la Guerre et on châtie les victimes ; comme dans la crise bancaire de 2008 finalement.
Veblen observe froidement :
« … les hommes d’État des puissances victorieuses ont pris le parti des propriétaires allemands coupables de cette guerre contre leur population… Les dispositions conservatrices que le traité prévoit pour indemniser les victimes de guerre n’ont été appliquées jusqu’à présent qu’avec une indulgence judicieusement gérée, marquée par un biais partisan indubitable en faveur du statu quo ante de l’Allemagne impériale. »
Sans inquiéter personne, Hitler sera condamné à neuf mois de prison pour tentative de coup d’État, toujours en 1923 quand les USA de Dawes et de ce bon Coolidge financent et rééquipent leur obéissante colonie. Et le vieil Hindenburg sera élu président de cette triste république de Weimar en 1925.
La suite on la connait, mais on aimerait bien ne pas la répéter.
Nicolas Bonnal
Bibliographie
Jacques Bainville — La paix de Versailles (sur Uqac.ca)
John Maynard Keynes — Les conséquences économiques de la paix (1919)- sur Uqac.ca
Guido Giacomo Preparata — Conjuring Hitler — How Britain and America made the Third Reich (Pluto Press)
Murray Rothbard — Keynes, the Man (Mises.org)
Thorstein Veblen — Review of John Maynard Keynes, The economic consequences of the Peace, Political Science Quarterly, 35, pp. 465-472
- Rothbard cite le texte de Keynes sur le représentant français Klotz qui demandait des comptes aux Allemands qui avaient dévasté notre France pendant quatre ans. Il en dit long sur ce qui va se passer vingt ans plus tard en Europe. On le cite en anglais pour le plaisir : « He leant forward and with a gesture of his hands indicated to everyone the image of a hideous Jew clutching a money bag. His eyes flashed and the words came out with a contempt so violent that he seemed almost to be spitting at him. The anti-Semitism, not far below the surface in such an assemblage as that one, was up in the heart of everyone (p.34). » ↩
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