Préambule de Nicolas Bonnal Présentation de la théorie de Veblen Le texte génial de Thorstein Veblen qu’on va lire explique, dès 1920, les raisons de la Deuxième Guerre mondiale et la cruelle et folle guerre germano-russe. Il fallait, explique Veblen, « rétablir un régime réactionnaire en Allemagne et l’établir en rempart contre le bolchévisme ». Depuis toujours, je m’étais demandé comment on avait pu avoir au même moment deux monstres comme Hitler et Staline face à face. Guido Giacomo Preparata a donné la réponse : « on » l’a voulu. On, c’est l’establishment anglo-américain, tout-puissant depuis la fin du dix-neuvième siècle, et qui contrôle le monde. Il se permet de concevoir et de placer ses ennemis à dessein. L’Allemagne fut donc préservée à dessein en 1918-1919 (constatation de Jacques Bainville ou de Gustave le Bon aussi en France) non pas pour écraser la France mais pour attaquer l’indésirable bolchévisme. Les élites basculent déjà dans le fascisme géostratégique : tout salaud est bon à prendre pour liquider le communisme ! 1 Veblen en 1920 est pro-bolchévique (Guido Giacomo Preparata non, qui pense que le bolchevisme est un animal domestique du monde anglo-saxon). Il écrit que l’on préserve une impériale et militaire Allemagne sous un vernis parlementaire (la pitoyable République de Weimar qui punira Hitler de neuf mois de prison pour tentative de coup d’État tout de même), et que cette barbarie a un but : la destruction de l’URSS. Preparata lui va plus loin et décrit dans Conjuring Hitler (qui attend son traducteur) la conspiration pour établir le communisme en Russie puis le militarisme en Allemagne. Le 4 février 1933, Hitler réunit son état-major et parle de la future agression. La suite s’appelle Barbarossa et fera quarante millions de morts. Le fol empire anglo-américain, qui vire aujourd’hui à la démence sénile, s’en prend aujourd’hui à la Chine et à la Russie, et à leur Sainte alliance. Mais que ne fera-t-on pas pour garantir l'emprise de l’empire anglo-saxon sur l’île-monde !
Par Thorstein Veblen – Source PSQ (accés payant) Critique de John Maynard Keynes et de son livre Les conséquences économiques de la paix paru dans Political Science Quarterly volume 35, pp. 467-472.
Septembre 1920 – Cela fait maintenant quelque chose comme un an que ce livre a été écrit. Une grande partie de son argumentaire était de nature prévisionniste mais il a été en grande partie dépassé par la précipitation des événements de ces derniers mois. Par conséquent, on pourrait presque lire les arguments de l’auteur [Keynes] comme une présentation factuelle. Il s’agit plutôt d’une présentation des potentialités diplomatiques du Traité et de la Ligue, comme on l’a vu auparavant, et des conséquences supplémentaires que l’on peut attendre dans le cadre d’une gestion étatique de la situation sous les pouvoirs conférés par le Traité et par le Pacte de la Société des Nations.
C’est un argumentaire tout à fait sobre et admirablement candide et facile, par un homme familier de l’usage diplomatique et formé aux détails de la grande politique financière. De plus, le grand engouement et la sérieuse considération qui a été donnée à ce volume reflètent son mérite très substantiel. En même temps, les mêmes faits montrent combien son point de vue et sa ligne d’argumentation s’inscrivent fidèlement dans l’attitude dominante des hommes réfléchis autour de ces questions. C’est l’attitude des hommes habitués à prendre des documents politiques à leur valeur nominale.
En écrivant à peu près à la date de sa formulation et avant que ce travail n’ait devancé les faits, M. Keynes considère que le traité est une formulation définitive des termes de la paix, un dispositif qui conclut plutôt qu’un point de départ stratégique pour de nouvelles négociations et la poursuite d’une entreprise belliqueuse – et ceci malgré le fait que M. Keynes soit en contact permanent et intime avec la Conférence de la Paix lors de toutes ces négociations détournées par lesquelles les hommes d’État des grandes puissances, vétérans de la politique, en sont arrivés à négocier cette affaire en l’état.
Ces négociations étaient tout à fait secrètes, bien sûr, comme devraient l’être les négociations entre des hommes d’État vétérans de la politique. Mais, malgré leur secret sournois, l’humeur et les desseins de ce conclave caché de trafiquants politiques étaient déjà évidents pour les étrangers il y a un an, et il est d’autant plus surprenant qu’un observateur aussi astucieux et si avantageusement placé que M. Keynes ait été amené à leur accorder un degré de bonne foi ou à attribuer un certain degré de finalité aux instruments diplomatiques issus de leur négociation.
Le Traité a été conçu, en substance, pour rétablir le statu quo ante, en vue notamment de préserver les jalousies internationales. Au lieu d’avoir apporté un règlement pour une paix mondiale, le traité (avec la Ligue) s’est déjà annoncé comme un écran de verbiage diplomatique derrière lequel les hommes d’État vétérans des grandes puissances poursuivent leur recherche de la chicane politique et leurs visées impérialistes. Tout cela est patent maintenant, et on n’a besoin d’aucun degré particulier de courage pour l’admettre. Il est à peine exagéré de dire que tout cela aurait dû être suffisamment évident pour M. Keynes il y a un an. Mais en ne prenant pas note de cet état patent de l’affaire, M. Keynes ne reflète que l’attitude banale des citoyens réfléchis. Sa discussion est donc un commentaire fidèle et exceptionnellement intelligent sur la langue du Traité, plutôt que sur les conséquences qui en ont été conçues ou les usages auxquels il se prête. Il serait peut-être exagéré de dire que M. Keynes a réussi à éviter les principaux faits de l’affaire, mais une déclaration tout aussi affirmée du contraire serait plus éloignée de la vérité.
Les événements de ces derniers mois montrent que la disposition centrale, et la plus contraignante, du traité (et de la Ligue) est une clause non enregistrée par laquelle les gouvernements des grandes puissances se sont réunis autour de la disparition de la Russie soviétique – on devrait en trouver un exemplaire parmi les archives secrètes de la Ligue ou des grandes puissances.
En dehors de ce pacte non reconnu, il semble qu’il n’y ait rien dans le traité qui ait un caractère de stabilité ou de force contraignante. Bien sûr, ce pacte pour la réduction de la Russie soviétique n’a pas été écrit dans le texte du traité, on peut plutôt dire qu’il a été le parchemin sur lequel le texte a été écrit. L’ aveu formel d’un tel pacte, pour une continuation d’opérations quasiment guerrières, ne coïnciderait pas avec les usages de la diplomatie secrète, et il fallait aussi compter sur l’aspect excessif qui pourrait irriter les populations sous-jacentes des grandes puissances, incapables de voir l’urgence de la situation dans la même perspective que les hommes d’État vétérans de la politique.
Cette tâche difficile, mais impérative, de supprimer le bolchevisme, à laquelle se trouvait dès le début confronté ce conclave, ne participe pas à l’analyse de M. Keynes sur les conséquences à attendre du traité de ce dernier. Pourtant, il est assez évident maintenant que les exigences, par ce conclave, d’une campagne contre le bolchevisme russe ont façonné l’élaboration du Traité jusqu’ici au delà de toute autre considération.
Il semble que ce soit là le seul intérêt que les hommes d’État vétérans des grandes puissances ont en commun. Sur tout le reste, ils semblent être absorbés par des jalousies et des cruautés, tout à fait dans l’esprit de ce statu quo impérialiste qui est sorti de la Grande Guerre et des promesses de s’y tenir à l’avenir, jusqu’à la fin de la Russie soviétique ou jusqu’à ce que les puissances réunies dans cette guerre clandestine contre la Russie atteignent le point de rupture. Dans la nature des choses, c’est une guerre qui ne fait pas de quartiers, mais c’est aussi, en même temps, une entreprise qui ne peut être avouée.
Il est inutile de dénoncer cette campagne urgente des gouvernements des grandes puissances contre la Russie soviétique ou de dire quoi que ce soit en l’approuvant. Mais il est nécessaire de prendre acte de son urgence et de la nature de celle-ci, ainsi que du fait que ce facteur majeur dans la mise en œuvre pratique de la Paix a apparemment échappé à l’attention de l’analyse la plus compétente de la Paix et de ses conséquences, qui ont encore été négligées. Elles ont été négligées, peut-être, parce qu’il s’agit d’une question courue d’avance évidemment. Pourtant, cet oubli est malheureux.
Entre autres choses, cela a conduit M. Keynes à une caractérisation maladroite du Président [américain, Wilson] et de sa part dans les négociations. Il y a beaucoup de choses désagréables à dire sur M. Keynes au sujet des nombreuses concessions et de la défaite complète, par laquelle le Président et ses buts avoués se trouvèrent mêlés aux cours des négociations avec les hommes d’État vétérans de la politique du Grand Pouvoir. L’appréciation nécessaire de la gravité de cette question anti-bolcheviste et de sa force omniprésente et primordiale dans les délibérations du conclave aurait dû épargner à M. Keynes ces expressions de courtoisie retenue qui gâchent son jugement sur le Président et sur son travail en tant que pacificateur.
Les mérites intrinsèques de la querelle entre les bolcheviques et les hommes d’État, vétérans de la politique, ne sont pas matière à des prises de position cavalières et ne nécessitent pas d’être prises ici en considération. Mais les difficultés du travail du Président en tant que pacificateur ne doivent pas être appréciées sans tenir compte de la nature de la question qui se pose à lui.
Ainsi, sans préjuger, il semble nécessaire de rappeler les faits principaux de l’affaire, car il s’y est trouvé confronté lors des négociations du conclave. Il faut remarquer, donc, que le bolchevisme est une menace pour la nue-propriété [l’actionnariat]. Dans le même temps, l’ordre économique et politique actuel repose sur cette nue-propriété. La politique impérialiste des grandes puissances, y compris de l’Amérique, considère également le maintien et l’extension de la nue-propriété comme le but principal et permanent de tout leur trafic politique.
La nue-propriété est donc le fondement de la loi et de l’ordre, selon ce schéma de l’ordre qui a été transmis du passé dans toutes les nations civilisées et à la perpétuation de laquelle ces hommes d’État, vétérans de la politique, se sont engagés par leur disposition naturelle et aussi par les fonctions de leur charge. Cela s’applique autant à l’ordre économique qu’à l’ordre politique, dans toutes ces nations civilisées, où la sécurité des droits de propriété est devenue pratiquement la seule préoccupation des autorités constituées.
Les quatorze points ont été établis sans la juste appréciation de cette place primordiale que la nue-propriété en vient à occuper dans les pays civilisés modernes et sans l’appréciation nécessaire de l’équilibre intrinsèquement précaire dans lequel cette institution primordiale de l’humanité civilisée a été placée par la croissance de l’industrie et l’éducation. La manifestation bolchevique n’avait pas encore montré la menace, au moment où les quatorze points ont été établis.
Les quatorze points ont été conçus dans l’esprit humain du libéralisme du milieu de la période victorienne [1850–1870 connue comme l’âge d’or de l’Empire britannique, NdT], sans la prise de conscience convenable du fait que la démocratie a, dans l’intervalle, dépassé le schéma de cette mi-période victorienne de liberté personnelle et qu’elle est devenue une démocratie des droits de propriété.
Ce n’est qu’après le bouleversement bolchevique et la montée de la Russie soviétique que ce nouvel aspect des choses devint évident pour les hommes formés à la bonne vieille façon de penser sur les questions de politique. Mais à la date de la Conférence de la Paix, la Russie soviétique était devenue le fait le plus grand et le plus déroutant à l’horizon politique et économique. Par conséquent, dès que l’on a pris en considération les détails, il est devenu évident, point par point, que les exigences de nue-propriété coïncidaient avec les exigences de l’ordre existant et que ces exigences primordiales de nue-propriété étaient en même temps incompatibles avec les principes humains du libéralisme au milieu de la période victorienne.
Par conséquent, à regret et à contrecœur, mais impérativement, la sauvegarde de l’ordre existant est devenu la feuille de route de ces sages et habiles hommes politiques pour sauver la nue-propriété et ils ont laissé tomber les quatorze points. Le bolchevisme est une menace pour la nue-propriété et à la lumière des événements en Russie soviétique, il est devenu évident, point par point, que seule la suppression définitive du bolchevisme et de toutes ses œuvres, à tout prix, pourrait rendre le monde sûr pour cette démocratie des droits de la propriété sur laquelle les ordres politiques et civils sont fondés. Il est donc devenu le premier souci de tous les gardiens de l’ordre existant d’éradiquer le bolchevisme à tout prix, sans égard pour le droit international.
Si on a cette inclination, on peut reprocher aux prémisses de cet argumentaire d’être dépassé et réactionnaire et on pourrait dénoncer la faute du Président pour avoir été trop directement guidé par des considérations de cette nature. Mais le Président s’est engagé à préserver l’ordre actuel de l’impérialisme commercial, par conviction et par devoir.
Sa défaite apparente face à cette situation imprévue n’était donc pas une défaite, mais plutôt un réalignement stratégique conçu pour embrasser ce qui était indispensable, à un coût quelconque pour son propre prestige – la principale considération étant la défaite du bolchevisme à n’importe quel prix – de sorte qu’une vision bien pensée de la part du Président dans les délibérations du conclave aurait du lui accorder une perspicacité, un courage, une facilité et une ténacité à atteindre son but plutôt que cette pusillanimité, cette indécision et cette incompétence qui lui sont attribuées dans l’examen trop superficiel de l’affaire par M. Keynes.
De même, sa négligence du besoin primordial de rendre le monde sûr pour la démocratie des propriétaires a conduit M. Keynes à adopter une vision indûment pessimiste des dispositions relatives à l’indemnité allemande. Une indulgence notable, équivalant une sorte de négligence collusoire, a caractérisé jusqu’ici les rapports des puissances avec l’Allemagne.
Comme il aurait semblé tout à fait probable auparavant, les dispositions touchant l’indemnité allemande se sont révélées provisoires et provisoires seulement – si elles ne se sont pas plutôt caractérisées comme un bluff diplomatique, destiné à gagner du temps, à détourner l’attention durant cette période de réhabilitation nécessaire et exigeant une certaine patience pour rétablir un régime réactionnaire en Allemagne et l’ériger en un rempart contre le bolchevisme.
Ces dispositions ont déjà subi des modifications substantielles sur tous les points qui ont fait l’objet d’un rapport de force jusqu’à présent, et il n’y a pas d’indication présente et aucune raison actuelle de croire que l’une de ces modifications sera à la hauteur d’une manière radicale. C’est apparemment dans la nature de cette base de négociation et ce sera le lot de celles à venir pour un ajustement supplémentaire indéfini lorsque les circonstances le dicteront.
Et les expédients de cette affaire semblent porter sur deux considérations principales : a) la défaite du bolchevisme, en Russie et ailleurs ; b) la permanence sécurisée de la nue-propriété en Allemagne. Il s’ensuit que l’Allemagne ne doit pas être paralysée au point de laisser l’establishment impérial affaibli matériellement dans sa campagne contre le bolchevisme à l’étranger ou le radicalisme à la maison.
D’où il résulte aussi qu’aucune indemnité ne doit être effectivement demandée à l’Allemagne, qui réduirait sérieusement le revenu « gratuit » des classes possédantes et privilégiées, qui seules peuvent être dignes de confiance pour sauvegarder les intérêts démocratiques de la nue-propriété. Le fardeau que l’indemnité peut imposer ne doit donc pas dépasser un montant qui pourrait faire tomber par surprise le pouvoir dans les mains de la classe ouvrière non propriétaire, qui doit être gardée bien en main.
Comme l’exigent ces considérations de sécurité pour l’ordre établi, on observera que les dispositions du traité évitent judicieusement toute mesure qui impliquerait la confiscation d’actifs allemands, industriels ou autres. En effet, si ces dispositions n’avaient pas été établies avec un œil attentif pour sécuriser la nue-propriété, il n’y aurait pas eu de difficulté sérieuse à ponctionner une indemnité de dommages de guerre adéquate sur la richesse de l’Allemagne sans gêner matériellement l’industrie du pays et sans difficultés pour d’autres que les propriétaires.
Il n’y a pas de raison, autre que la raison de la nue-propriété, pour laquelle les traités n’auraient pas prévu une répudiation complète de la dette de guerre allemande, impériale, étatique et municipale, en vue de détourner une grande partie du revenu allemand au bénéfice de ceux qui ont souffert de l’agression allemande.
Ainsi aucune autre raison n’empêchait non plus la confiscation complète de la richesse allemande, dans la mesure où cette richesse était couverte par des titres et était donc détenue par des nus-propriétaires, et il n’a pas été question de la culpabilité de ces nus-propriétaires dans cette guerre.
Mais une telle mesure subvertirait l’ordre de la société, qui est un ordre de nus-propriétaires en ce qui concerne les hommes d’État vétérans de la politique et les intérêts dont ils sont les gardiens. Par conséquent, il ne saurait être permis de détourner une partie de ces revenus gratuits des nus-propriétaires allemands pour secourir ceux qui ont souffert de la guerre que ces nus-propriétaires avaient menée dans les pays Alliés.
En effet, dans leurs efforts pour sauvegarder l’ordre politique et économique existant – pour rendre le monde sûr pour une démocratie d’investisseurs – les hommes d’État des puissances victorieuses ont pris le parti des nus-propriétaires allemands coupables de cette guerre contre leur population soumise.
Tout cela, bien sûr, est assez régulier et irréprochable. Cela ne dérange pas non plus le cours de l’exposé de M. Keynes sur les conséquences économiques. Même les dispositions conservatrices que le traité prévoit pour indemniser les victimes de guerre n’ont été appliquées jusqu’à présent qu’avec une indulgence judicieusement gérée, marquée par un biais partisan indubitable en faveur du statu quo ante de l’Allemagne impériale. C’est également le cas pour les dispositions touchant au désarmement et à l’abandon des industries et de l’organisation du complexe militaro-industriel qui ont été administrées dans un esprit bien conçu d’opéra-bouffe. En effet, les mesures prises jusqu’ici dans l’exécution des termes provisoires du Traité de paix ont un air de conte de fée quand on regarde les appréhensions de M. Keynes sur ce plan.
Thorstein Veblen
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Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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