Angela Merkel – L’impératrice nue


Les crises politiques en Ukraine et en Grèce mettent en évidence la paralysie et le manque d’un leadership fort à Berlin.


Alexander Mercouris

Alexander Mercouris

Par Alexandre Mercouris – Le 7 juillet 2015 – Source Russia Insider

Ce n’est pas un hasard si, à l’intersection des deux grandes crises qui affectent l’Europe – l’Ukraine et la Grèce – se trouve une seule et même personne : la chancelière allemande Angela Merkel.

 

Un dirigeant qui a peur de diriger

À Russia Insider nous avons souvent dit à quel point – contrairement à son image – Angela Merkel est un leader faible et indécis, incapable de gérer une crise, dont la conduite se caractérise mieux comme une dérive.

Si l’Europe est aujourd’hui confrontée à des crises en Ukraine et en Grèce, c’est en raison de la faiblesse du leadership et de l’indécision de Merkel.

Les deux crises auraient pu être évitées et Merkel, en tant que leader le plus puissant d’Europe, aurait dû être la personne pour le faire. Ce qu’elle n’a pas fait est un témoignage de son manque de sens politique.

Il est maintenant reconnu que Mme Merkel a mal géré les négociations pour l’accord d’association de l’Ukraine, en sous-estimant gravement la réaction russe.

Il est en effet remarquable que même la proximité la plus élémentaire avec l’histoire et la politique de l’Ukraine – sans parler de sa position géographique – auraient dû rappeler la sensibilité naturelle de la Russie à la question.

La réponse de Mme Merkel n’a pas été de réajuster ses vues lorsque la gravité des préoccupations russes est devenue claire. Au lieu de cela, elle a cherché à forcer l’accord d’association sur l’Ukraine en soutenant un coup d’État anticonstitutionnel contre le gouvernement démocratiquement élu de l’Ukraine.

Ce faisant, Merkel semble avoir été inconsciente de l’effet qu’un tel coup d’État aurait sur l’opinion à la fois de l’Ukraine et de la Russie. Pas plus qu’elle ne semble avoir réalisé quel effet cela pourrait avoir sur la relation cruciale entre l’Allemagne, l’UE et la Russie.

Elle semble plutôt avoir été beaucoup plus intéressée à s’attirer les bonnes grâces des États-Unis et de la faction atlantiste farouchement russophobe dans l’establishment politique et médiatique allemand.

Une fois que la réaction en Ukraine et en Russie était devenue évidente, l’intérêt national de l’Allemagne et de la paix de l’Europe exigeait que Merkel fasse tous ses efforts pour parvenir à une issue pacifique de la crise.

Cela aurait nécessité une approche qui prenne en compte les préoccupations de la Russie et de la population de l’est de l’Ukraine.

Au lieu de cela, Merkel a baladé les Russes sur le chemin de négociations infructueuses au cours du printemps et de l’été 2014 ; ensuite elle a accusé les Russes lorsque ses protégés ukrainiens sont revenus en arrière sur tout ce qui avait été convenu et ont lancé une offensive avortée en été ; ensuite elle a imposé des sanctions à la Russie, même si, comme elle le sait sans doute, le problème réside dans l’intransigeance de ses alliés ukrainiens.

Depuis lors, le même schéma a continué : encore des négociations en janvier et février, à Moscou et à Minsk ; plusieurs accords avec les Russes, que Merkel a de nouveau été réticente à imposer aux Ukrainiens ; encore des conflits ; avec Mme Merkel blâmant à nouveau les Russes pour les actions de ses alliés ukrainiens qui sont dans une large mesure de sa faute.

Jusqu’à un certain point, Merkel se rend clairement compte que le projet ukrainien a horriblement mal tourné. Un initié à la Chancellerie allemande a révélé off-the-record [en aparté, NdT] que l’inquiétude sur le conflit ukrainien empêche Merkel de dormir.

Il est devenu complètement évident, maintenant, que Merkel ne peut tout simplement pas se résoudre à rompre avec les États-Unis au sujet de cette politique dangereuse – qui a échoué et met en danger la paix en Europe et les relations entre l’Allemagne et la Russie – parce qu’elle refuse toujours de faire face à la tempête politique qui résulterait, en Allemagne, de cette distanciation avec la politique des États-Unis.

Tout cela garantit l’échec final.

La même faiblesse et la même indécision sont apparues évidentes dans la gestion par Merkel de la crise grecque.

En 2010, lorsque la première crise grecque a explosé, c’était le rôle de Merkel d’expliquer clairement que la zone euro est une union monétaire, pas une union de transfert, et que l’Allemagne et la zone euro ne sont pas des garants de la dette de la Grèce.

La Grèce aurait alors dû se débrouiller elle-même avec ses créanciers. La forte probabilité est que la restructuration aurait été décidée, permettant à la Grèce de réduire sa dette à un niveau soutenable.

Sinon, l’alternative aurait été un défaut, ce qui aurait eu le même résultat.

Dans les deux cas, il n’y avait aucune raison pour que la Grèce ne puisse pas continuer à utiliser l’euro.

Cela n’a pas été la voie choisie par Merkel. Il semble qu’elle ait été paniquée par le scénario des dominos affirmant que si la Grèce faisait défaut, d’autres États d’Europe du Sud suivraient, provoquant une crise dans le système bancaire allemand et français qui avaient prêté de l’argent à ces pays.

Un leader fort aurait accepté ce risque.

Les banques sont des institutions commerciales qui prêtent de l’argent à leurs propres risques. Si elles échouent parce qu’elles prêtent à mauvais escient alors c’est leur responsabilité. Si elles s’effondrent sous le poids de leurs créances douteuses, alors c’est le moment pour les gouvernements d’intervenir pour assurer que le système bancaire continue à travailler.

Une crise bancaire en Allemagne aurait toutefois provoqué une récession, mettant à mal le mantra de la solidité économique sur lequel la popularité de Merkel est assise. Elle aurait pu se trouver dans la même position que Gordon Brown en Grande-Bretagne, accablée par les décisions qu’elle aurait été obligée de prendre pour remettre le système bancaire en route. Il est mieux donc de préserver les banques en transférant tout le blâme sur les malheureux Grecs .

Le résultat est que Mme Merkel conduit l’Allemagne et les autres États de la zone euro vers une succession de plans de sauvetage, la Grèce d’abord, puis les autres états du sud de l’UE, ce qui signifie effectivement que, de facto, l’Allemagne se trouve maintenant garante de la totalité de la dette souveraine de la zone euro.

Il est à peine besoin de préciser que cette position est potentiellement catastrophique pour l’Allemagne – et pour l’Union européenne.

Cependant, il y a pire.

Afin de convaincre un public allemand sceptique de consentir à des renflouements, Merkel a été contrainte d’imposer des politiques d’austérité sur les États d’Europe du Sud, ce qui a paralysé leurs économies et celui de toute la zone euro.

La conséquence, en Grèce en particulier, est que le pays se trouve embarqué avec un niveau d’endettement insoutenable et avec des politiques économiques qui le condamnent à la récession perpétuelle.

Sans surprise, ce mélange de politiques bizarre – qui a dérouté tous les économistes de renom de l’extrême-gauche à la droite dure – a prouvé en Grèce qu’il était politiquement intenable, poussant le système politique de ce pays à l’effondrement, ce qui a porté l’extrême-gauche Syriza au pouvoir.

La réaction de Mme Merkel a cependant été sans nuance.

Merkel aurait pu écouter les conseils du FMI disant que le niveau de la dette de la Grèce est insoutenable et qu’une diminution substantielle de celle-ci est nécessaire. Cela aurait gardé la Grèce dans l’euro, mais aurait provoqué une tempête en Allemagne.

Alternativement, Merkel aurait pu adopter la politique de son ministre des Finances Wolfgang Schäuble et pousser la Grèce à quitter la zone euro d’une façon ordonnée. La Grèce aurait alors repris le paiement de sa dette et rejoint la zone euro lorsque sa reprise économique serait revenue.

Cette politique aurait cependant été impopulaire auprès des Etats-Unis – qui veulent que la Grèce reste dans la zone euro pour des raisons géopolitiques [l’Otan, NdT] – et avec les autres dirigeants de la zone euro, qui sont préoccupés par le précédent que cela pourrait créer.

Merkel comme c’était prévisible n’a adopté ni l’un, ni l’autre.

Au lieu de cela elle a insisté pour que la Grèce continue la même politique d’austérité et le paiement de la dette qui a été un échec durant les cinq années où elle a été imposée.

Lorsque le gouvernement Syriza a résisté, Merkel a eu recours à la même tactique qu’elle a utilisée contre la Russie – abuser des institutions de l’UE pour imposer des sanctions afin de parvenir à un changement de régime. Dans le cas de la Russie, cela a été fait par le Conseil européen, qui a imposé des sanctions sectorielles probablement illégales sur la Russie. Dans le cas de la Grèce, cette basse besogne a été déléguée à la BCE [bien sûr indépendante selon le dogme ! NdT] – probablement illégalement, là encore – pour couper les liquidités au système bancaire grec.

Le résultat est que l’Ukraine, qui en 2013 était en paix, est maintenant en guerre [et en faillite, NdT], et que la Grèce pour sa part, qui avant 2010 était une démocratie européenne stable, est maintenant sur le point d’un effondrement total et semble se trouver de plus en plus dans une situation pré-révolutionnaire.

Cette paralysie désastreuse de la politique commence maintenant à être remarquée et commentée.

En Grande-Bretagne, Iain Martin écrit, dans le Daily Telegraph :

«… du comportement inefficace de la surestimée chancelière allemande, Angela Merkel, adulée par les diplomates et la communauté de la politique étrangère, bien qu’elle n’ait jamais été en mesure de nommer une seule grande réalisation ou acte convaincant de leadership dans sa carrière autre que le coup de poignard dans le dos de son mentor Helmut Kohl».

Pour Russia Today, Bryan MacDonald écrit :

«Le seul souci de la fille du prédicateur pendant les années de la crise a été de prier pour que ni l’UE ni l’euro ne soient brisés sous son règne.
Merkel n’est pas une idéologue pro-Bruxelles. En fait, elle est une femme politique de consensus qui suit les sondages d’opinion, en prenant rarement des positions fortes.
Les sondages disent que le sauvetage de la Grèce n’est pas une option populaire auprès de ses électeurs. Donc Angela Merkel est opposée à l’envoi d’une bouée de sauvetage pour Athènes.
Si le tabloïd Bild avait soudainement changé de tactique en soutenant l’idée d’un allégement de la dette grecque, Merkel aurait très probablement fait immédiatement machine arrière.»

Mais le plus cinglant de tous a été le magazine allemand Der Spiegel.

Dans un long article au titre inquiétant, L’héritage d’Angela : Comment Merkel a échoué en Grèce et en Europe, il cingle Merkel comme quelqu’un qui

“«… savoure sa réputation en tant que reine de l’Europe. Mais elle n’a pas su utiliser son pouvoir, autorisant au contraire la dégénérescence des situations difficiles en catastrophes fatales.
Son incapacité à prendre des positions impopulaires a gravement  exacerbé la crise grecque».

Der Spiegel qualifie l’approche politique de Merkel de «dilatoire, dissimulée et floue», son style de «leadership vacillant» et sa politique grecque ainsi :

«… elle n’a pas eu le courage d’affronter les conséquences. Et il y avait des solutions de rechange. Elle aurait pu offrir à la Grèce un chemin sûr et soutenu hors de la zone euro. Telle est la ligne de conduite que le ministre des Finances Wolfgang Schäuble a soutenue en interne pendant des années.
Elle pouvait également offrir à la Grèce une décote de sa dette. Si elle l’avait fait au bon moment, elle aurait au moins pu empêcher la radicalisation de la politique grecque.

Aucune de ces options n’était exempte de risque.

Il fallait du courage et de l’argent, et n’importe quelle décision aurait été prétexte pour l’attaquer. Et cela, elle n’en voulait pas».

Les compétences exceptionnelles de Mme Merkel en tant que politicienne ne font aucun doute. Personne ne peut rester chancelier d’Allemagne pendant toute une décennie sans avoir de telles compétences. Dans les bons moments, que l’Allemagne a vécus jusqu’ici sous sa gouverne, son style de leadership a été politiquement efficace.

Les crises en Grèce et en Ukraine – que Merkel, plus que quiconque, avait le pouvoir de prévenir et dont l’issue lui est à charge – montrent toutefois que les temps deviennent plus difficiles.

Les temps difficiles exigent des véritables qualités de leadership – et du courage –, et il devient douloureusement évident que Merkel ne les a pas. Comme le dit Der Spiegel:

«Le succès pour Merkel c’est quand personne ne la montre du doigt»

et

«Même si elle aime le pouvoir, quand les choses se gâtent, elle ne sait pas quoi en faire.»

Que Merkel reste au pouvoir ne fait aucun doute. Alors que la situation se détériore – et qu’elle continuera – son poste sera de plus en plus contesté jusqu’à ce qu’il devienne finalement intenable.

Quant à son héritage, dont – contrairement à ce que Der Spiegel a dit – Merkel se soucie très certainement, elle ressemble de plus en Allemagne à Brejnev, le leader dont la complaisance et la faiblesse ont métamorphosé les bons moments en catastrophes.

Alexandre Mercouris

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF