Par Don Quijones, Spain & Mexico – Le 31 Mai 2015 – Source: WOLF STREET
Comme Matt Taibbi l’a dit une fois, Goldman Sachs, la banque d’investissement la plus puissante du monde, est comme «un grand vampire des abysses enroulé autour du visage de l’Humanité, aspirant sans relâche notre sang, c’est à dire tout ce qui sent l’argent». Mais de la façon dont les choses se déroulent en Espagne, le céphalopode redouté est peut être sur le point de perdre l’une de ses tentacules.
Dans le sillage des élections locales et régionales de la semaine dernière, qui a laissé un grand nombre de conseils régionaux et locaux en Espagne sans gouvernement majoritaire, les deux spectres de l’instabilité politique et de l’incertitude économique ont attisé le chaud-froid de la peur parmi les investisseurs nationaux et internationaux. Comme un contact d’une agence de chasseurs de têtes basée à Barcelone me l’a dit, «les choses se sont brutalement arrêtées : plus d’appels téléphoniques, plus de mails. Tout le monde attend».
Le plus préoccupant est la perspective désolante que les deux plus grandes villes d’Espagne, Madrid et Barcelone, tombent sous le contrôle direct de maires de gauche en étroite collaboration avec le parti Podemos violemment anti-austérité.
Un rassemblement douillet
La semaine dernière, des représentants des banques nationales et internationales, du capital risque et de sociétés de Private Equity, ainsi que des entreprises de droit corporatif et commercial, basées à Londres et Madrid, se sont réunies dans l’hôtel de luxe 5 étoiles de Madrid, le Villamagna Hotel, pour sonder le paysage post-électoral et discuter des perspectives d’avenir de l’Espagne en tant que destination pour les investissements internationaux. Invités à l’événement, il y avait aussi les dirigeants de BNP Paribas, Deutsche Bank, JLL, BBVA, Bain Capital et CVC Capital Partners.
Selon El Confidencial, le consensus général était que la plupart des contre-réformes radicales proposées par les candidats affiliés à Podemos se révéleront presque impossible à mettre en œuvre. Compte tenu de son «administration centrale solide, qui honore fidèlement les conditions fixées par les institutions européennes… et ses responsables politiques (non, sérieusement)», l’Espagne devrait continuer à attirer les investissements internationaux. En d’autres termes, la partie peut continuer!
Il y avait une mise en garde, cependant. Certaines des opérations les plus controversées entreprises par le conseil exécutif du PP [Parti de droite au pouvoir, NdT] de Madrid au plus haut de la crise financière du pays ne sont plus tenables. Elles comprennent la vente, à l’été 2013, des projets de logements sociaux à Goldman Sachs et Blackstone, la plus grande firme de Private Equity dans le monde et maintenant le plus grand propriétaire privé d’Amérique. Le premier, en partenariat avec le fond d’investissement espagnol Azora, a déboursé un petit €201 millions pour 3 000 unités de logements sociaux tandis que le second, avec le fonds espagnol Magic Real Estate, a acquis 1 860 appartements publics pour le maigre prix de €128,5 millions.
La mère de tous les cadeaux royaux
Comme je l’ai signalé lors du deuxième tour de la prise de contrôle de l’Espagne par le secteur financier mondial, l’affaire était la mère de tous les cadeaux royaux, un vol concocté entre Madrid et certaines des plus grandes banques du monde, les hedge funds et les sociétés de Private Equity – comme d’habitude, derrière des portes closes, sous le couvert de l’obscurité et avec zéro consultation publique :
Lorsque le gouvernement Rajoy a élaboré des plans pour une bad bank espagnole, l'Institute of International Finance (IIF), l'un des plus grands groupes de lobbying du secteur financier mondial, a dépêché Josef Ackerman, alors président de la Deutsche Bank, et Charles Dallara, le directeur général de l'IIF, pour prêter un coup de main pour quelques-uns des éléments les plus délicates. Un des résultats de ladite collaboration est que le conseil municipal de Madrid a décidé de vendre des lots de logements sociaux [à Goldman Sachs et Blackstone] à un prix beaucoup plus bas que ce qu'il leur en a coûte à l'origine, tout cela au nom de la réduction de son exposition à la dette. Comme la plate-forme des victimes hypothécaires (PAH) l'a dit à El Diario, «le prix moyen auquel ils vendent les appartements est de 67 000 euros, le tout pour un total de 201 millions d'euros – alors que leur construction initiale a coûté 300 millions d'euros...» Selon le député socialiste Antonio Fernández Gordillo, une fois que les obligations des fonds d'investissement auront fait leur temps, à peu près deux ans et demi, les entreprises pourront se décharger de chaque propriété pour un maximum de 187 000 € le lot... Quoi qu'il arrive, la banque et ses illustres clients peuvent s'attendre à un retour sur leur investissement initial de 67 000 euros par appartement – en particulier étant donné que contrairement aux résidents espagnols, les investisseurs étrangers comme Goldman Sachs et Blackstone ne payent aucun impôt sur les sociétés d'après leurs déclarations.
La grande pression
Il n’a pas fallu longtemps pour que les nouveaux seigneurs des taudis de Madrid commencent à pressurer leurs locataires jusqu’au dernier sou.
«Blackstone a commencé à changer les termes des contrats locatifs et ils ont déjà procédé à des expulsions», se plaint Santi Mas de Xaxas Faus, un porte-parole basé à Barcelone pour la Plate-forme des victimes de prêts hypothécaires. Quant à Goldman Sachs, en quelques mois, ils ont commencé à mettre en vente, à des prix exorbitants, certains de ces appartements nouvellement acquis – en dépit du fait qu’ils avaient encore des locataires à l’intérieur !
«Ils savent que, à un certain point, les loyers protégés expireront, et quand cela arrivera, ils vont jeter les locataires dehors», dit Juan Carlos Monedero, un ancien membre du comité exécutif de Podemos, dans une interview avec Bloomberg. «Ils vont enrichir des gens qui ont déjà plus d’argent qu’ils ne savent quoi en faire, et en retour, ils vont forcer les gens à vivre dans la rue.»
Peut-être pas pour longtemps, cependant. Si l’ancien juge Manuela Carmona devient maire de Madrid – comme cela semble de plus en plus probable [effectif depuis le 24 mai 2015, NdT] – les jours de Goldman Sachs et de Blackstone comme seigneurs des taudis espagnols pourraient bien être comptés. L’une des principales promesses électorales de Carmona est de mettre fin immédiatement à la vente de logements sociaux ainsi que de procéder à une vérification approfondie de toutes les ventes passées de logements sociaux aux bien nommés fonds vautours – une vaste catégorie que l’on suppose applicable à Goldman Sachs et Blackstone.
Sur cette proposition, ainsi que pour son engagement à mettre un terme aux saisies à Madrid, Carmona a le soutien massif de la population de Madrid – pas surprenant étant donné que l’Espagne est l’endroit du soi-disant monde civilisé qui a les lois de forclusion les plus criminellement injustes [lire : Dans son désespoir, le gouvernement espagnol criminalise la solidarité entre les citoyens]. Pour Goldman Sachs et Blackstone, perdre quelques centaines de millions d’euros sur son business immobilier espagnol est peu susceptible de créer une brèche dans leurs empires respectifs de propriété mondiale. Et si elles sont finalement dépossédées de leurs investissements à Madrid, on suppose qu’elles seront généreusement récompensées par les contribuables espagnols.
Cependant, c’est sur le plan symbolique que l’intervention de Carmona serait vraiment importante. À tout le moins, elle enverrait le signal rare à Goldman Sachs, Blackstone et leurs semblables qu’ils ne peuvent pas avoir absolument tout ce qu’ils désirent – en tout cas pas tout le temps! Pour les gens de Madrid, ce sera un rappel que leurs voix peuvent réellement compter pour quelque chose – au moins au niveau local! Quant à Goldman Sachs, une institution qui a profité de la crise pour transformer habilement l’Europe habilement transformé l’Europe, en profitant de la crise, en son propre fief financier, perdre ses opérations à Madrid sera comme perdre un petit tentacule – douloureux, mais loin d’être fatal, et qui sera bientôt remplacé par un nouveau qui pousse déjà.
Par Don Quijones, Raging Bull-Shit
Après les élections en Espagne, la panique et la peur commencent à prendre racine dans les lieux sacrés de gouvernement et du pouvoir des entreprises. Lire: Ça devient moche en Espagne