Par Moon of Alabama – Le 21 octobre 2017
Dans une campagne de publicité de 2008, l’armée de l’air américaine s’est déclarée « Above all » 1. Le slogan et le symbole de la campagne étaient les mêmes que ceux de la campagne allemande « Deutschland Über Alles» 2 de 1933. Cela annonçait ce qui allait arriver.
Jeudi, Masha Gessen a regardé le point-presse du secrétaire général de la Maison Blanche, le général John Kelly, et est arrivée à cette conclusion :
« Le point-presse a permis de se rendre compte ce de ce à quoi ressemblerait un coup d’État militaire dans ce pays, car c’est dans la logique d’un tel coup d’État que Kelly a avancé ses quatre arguments.1. Ceux qui critiquent le président ne savent pas de quoi ils parlent parce qu’ils n’ont pas servi dans l’armée. (…)2. Le président a fait ce qu’il fallait faire parce qu’il a fait exactement ce que son général lui a dit de faire. (…)3. La relation entre le président et la veuve d’un soldat ne regarde personne, sauf eux-mêmes. (…)4. Les citoyens sont classés en fonction de leur chance de mourir pour leur pays. (…)
Gessen retarde. Le coup d’État s’est produit il y a des mois. Une junte militaire contrôle étroitement la politique de la Maison Blanche. Elle tente maintenant d’étendre son pouvoir.
Depuis le début, Trump est le candidat de l’armée. Les deux autres centres du triangle du pouvoir, le monde des affaires et le gouvernement exécutif (CIA), soutenaient Clinton. Le candidat du Pentagone a vaincu la candidate de la CIA. (Comme dans le combat de ces derniers mois à Raqqa – avec le même résultat).
Le 20 janvier, le premier jour de la présidence du candidat « Tout sauf Hillary », j’ai lancé cet avertissement :
« L’armée exigera d’être récompensée en ayant plus de représentants que les trois généraux actuels dans le cabinet de Trump.
Avec l’aide des médias, les généraux de la Maison-Blanche ont défait leur adversaire civil. En août, Trump a abandonné son pilote idéologique. Steve Bannon a quitté le navire. L’ennemi militaire de Bannon, le conseiller à la sécurité nationale, le général McMaster, a gagné ». J’ai écrit :
« Une junte militaire dirige maintenant les États-Unis. »
et plus tard j’ai expliqué :
« Le succès de Trump en tant que candidat ‘Tout sauf Hillary’ était basé sur une insurrection anti-establishment. Les représentants de cette insurrection, Flynn, Bannon et les électeurs MAGA (Make America Great Again), l’ont pilotée à travers les premiers mois de son mandat. Une intense campagne médiatique a été lancée pour les contrer et les militaires ont pris le contrôle de la Maison Blanche. Les insurgés anti-establishment ont été remerciés. Trump n’est plus désormais que la figure publique d’une stratocratie – une junte militaire qui respecte formellement le droit.
Les militaires ont pris le plein contrôle du fonctionnement et des décisions et de la Maison Blanche :
Tout ce qui a de l’importance passe maintenant par la junte … Pour contrôler Trump, la Junte filtre son information et élimine toute opinion un tant soit peu différente … Les membres de la junte dictent leurs décisions à Trump en lui proposant un minimum d’alternatives. Celle qui leur paraît préférable lui est présentée comme la seule possible. « Il n’y a pas d’alternative » vont-ils répéter à Trump encore et encore.
Maintenant qu’elle a pris le pouvoir central, la Junte commence à appliquer son idéologie et à interdire toute critique. »
Le jeudi 19, Kelly a critiqué la parlementaire Frederica Wilson du sud de la Floride pour avoir écouté (elle était avec la veuve à ce moment-là) un échange téléphonique que Trump a eu avec l’épouse d’un soldat tué au combat :
Kelly a ensuite poursuivi sa critique de Wilson, en disant qu’à l’inauguration du Miramar, le bâtiment du FBI, en 2015, elle avait insisté dans son discours sur le fait qu’elle « avait trouvé l’argent » pour le bâtiment.
La vidéo du discours de l’élue démocrate de la Chambre des représentants (lien ci-dessus) prouve que les allégations de Kelly sont fausses. Mais on n’a plus le droit de le dire. La junte, par définition, ne ment pas. Quand le lendemain les journalistes ont interrogé la secrétaire du service de presse de la Maison Blanche sur l’attaque injustifiable de Kelly, elle a répondu :
Mme SANDERS : « Si vous voulez vous attaquer au général Kelly, c’est votre problème. Mais je pense que… que… si vous voulez vous lancer dans un débat avec un général de marine quatre étoiles, je pense que c’est quelque chose de tout à fait inapproprié. »
Il est désormais « tout à fait inapproprié » de même poser une question à la Junte qui gouverne l’Empire.
La vie des soldats américains, et en particulier des commandants, est dorée. Ils sont dorlotés et bien protégés. De nombreux emplois civils paient moins et sont plus dangereux. On construit un mythe autour de l’armée américaine à coup des centaines de millions de dollars investis dans les relations publiques et le marketing. L’armée américaine ne gagne pas de guerre, mais ses soldats sont décrits comme de meilleures personnes que le reste de la population. Les soldats eux-mêmes finissent par le croire. À la fin de son point-presse, le général Kelly a dénigré tous ceux qui ne sont jamais allés à l’armée ou pris une cuite :
Avant de quitter les lieux, Kelly a dit aux Américains qui n’ont pas servi dans l’armée qu’il avait pitié d’eux. « Nous ne méprisons pas ceux d’entre vous qui n’ont pas servi », a-t-il dit. « En fait, d’une certaine manière, nous sommes un peu désolés pour vous parce que vous n’avez jamais ressenti la merveilleuse joie qu’on ressent dans son cœur quand on fait ce que font les hommes et les femmes qui servent dans l’armée – pour la simple et unique raison qu’ils aiment leur pays. »
« Nous ne vous méprisons pas. Nous vous considérons comme de pitoyables créatures inférieures. » Quel foutu connard !
Si les soldats sont à l’armée « pour la simple et unique raison qu’ils aiment leur pays », pourquoi veulent-ils à être payés ? Pourquoi demande-t-on au public de financer 200 terrains de golf pour l’armée ? Parce que les soldats « aiment leur pays » ? Seuls environ 10 000 sur les quelques 2 000 000 de soldats américains iront jamais sur une vraie ligne de front.
Et imaginez la « merveilleuse joie » que Kelly a dû ressentir « dans son cœur » lorsqu’il commandait le camp de torture illégal de Guantánamo Bay :
« Kelly traitait avec brutalité la population de détenus, non inculpés ni reconnus coupables de crimes, sur la détention desquels il avait un contrôle total. Sa réponse à la grève de la faim pacifique des détenus en 2013 a été le gavage punitif, l’isolement et les balles en caoutchouc. En outre, il a saboté les efforts de l’administration Obama pour transférer ou rapatrier des détenus, sapant constamment la volonté de son commandant en chef. »
L’ancien capitaine de l’armée américaine maintenant directeur de la CIA, Mike Pompeo, a fait ses études à l’académie militaire des États-Unis à West Point. Il fait partie du cercle de la Junte, aux premières loges pour contrôler la compétition. Pompeo veut aussi ressentir cette « merveilleuse joie ». Vendredi, il a promis que la CIA deviendrait une « agence beaucoup plus féroce ». Au lieu de se contenter de faire subir le supplice de l’eau aux « terroristes » et de bombarder avec des drones les familles de couleur, la CIA plus féroce de Pompeo violera les enfants des « terroristes » et rasera à la bombe des villages entiers. Pompeo a dit cela lors d’une rencontre de la Junte avec les fauteurs de guerre néo-conservateurs.
Le 19 octobre, Mattis, le secrétaire général de la Défense a été interrogé au Congrès sur le récent incident au Niger au cours duquel plusieurs soldats américains ont été tués. Mattis a instauré (vidéo 17h29) un nouveau critère plutôt curieux pour le déploiement des troupes américaines :
« Chaque fois que nous engageons des troupes quelque part, nous nous posons une simple et unique question que voilà : la présence de nos troupes à cet endroit va-t-elle améliorer suffisamment le bien-être du peuple américain ? Cela vaut-il la peine de risquer la vie de nos soldats ? »
Dans son point-presse du 20 octobre, le général Kelly a également tenté d’expliquer pourquoi les soldats américains se trouvaient au Niger :
« Alors pourquoi étaient-ils là ? Ils travaillent là-bas avec des partenaires locaux − partout en Afrique, dans ce cas, le Niger – ils travaillent avec des partenaires, ils leur apprennent à devenir de meilleurs soldats ; ils leur apprennent à respecter les droits humains (…) »
L’armée américaine est-elle vraiment qualifiée pour apprendre à quiconque à respecter les droits humains? A-t-il appris cela en perpétrant des atrocités de masse dans à peu près toutes ses campagnes?
L’un des soldats tués au Niger alors qu’il « enseignait le respect les droits humains » était « un spécialiste en chimie, biologie, radiologie et nucléaire » de 39 ans, avec « plus d’une douzaine de récompenses et de décorations » à son actif.
L’armée américaine a envoyé un spécialiste des Armes de destruction massive de haut niveau sur une « patrouille de routine » au Niger pour apprendre aux soldats locaux « à respecter les droits humains », ce qui sans nul doute va « améliorer suffisamment le bien-être du peuple américain » ?
Quelqu’un va-t-il vraiment acheter ce bobard ?
Mais qui oserait poser la moindre question de plus à ce sujet ? C’est « tout à fait inapproprié » de douter de ce que dit l’armée. Bientôt cela sera carrément « verboten ». Soyez en sûrs, toute question sera qualifiée de « fake news » causée par une tortueuse influence étrangère. Celui qui osera poser des questions sera exclu des médias.
L’armée est maintenant vraiment « Above All ». Ce slogan de l’armée de l’air était un remake de la campagne de 1933 « Über Alles » de l’Allemagne. Espérons que la ressemblance historique s’arrêtera là !
Traduction : Dominique Muselet
Notes
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