Par Andrew Korybko − Le 24 juillet 2020 − Source oneworld.press
Le chef du Fonds russe d’Investissement Direct (RDIF) a émis un avertissement la semaine dernière : le monde court le risque de se voir encore plus divisé entre les vaccins à venir contre le COVID-19, qu’il est attendu de voir dévoilé par les principales grandes puissances à l’avenir. Cela ferait de la course aux vaccins la prochaine étape de l’ordre mondial du COVID, qui change à toute vitesse la vie telle que chacun la connaît, y compris à l’échelle des relations internationales.
Bienvenue dans la guerre mondiale du Covid
La planète est en plein de ce que l’auteur avait précédemment dénommé World War C (guerre mondiale du COVID), son néologisme pour décrire les processus de changement de paradigmes tous azimuts qui ont été catalysés en résultat de la propagation du COVID-19 et des efforts non-coordonnés de la communauté mondiale pour le contenir. Cela relève de ce qu’il a également dénommé par le passé ordre mondial du COVID, qui fait spécifiquement allusion aux changements de tous les jours apportés par ce développement, mais qui ont également un impact dans la sphère des relations internationales, au fil de la guerre mondiale du Covid.
La course au vaccin
La dernière escalade en date dans cette compétition non conventionnelle entre États s’est produite la semaine dernière lorsque le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis ont accusé des pirates russes d’avoir essayé de voler des informations quant à un vaccin britannique, une accusation rapidement réfutée par Moscou. Le lendemain, le chef du Fonds d’Investissement Direct Russe (RDIF), Kirill Dmitriev, avait émis un avertissement dans le Financal Times, dans le cadre d’une interview exclusive, selon lequel le monde court le risque de se voir encore plus divisé par les vaccins Covid-19 à venir, que l’on s’attend à voir dévoilés par les principales grandes puissances dans un avenir prévisible.
Cela aurait pour effet de faire de la course au vaccin la prochaine phase de l’ordre mondial du Covid, les pays se ruant pour établir des marchés exclusifs pour ce qui est présenté comme leur produit sauveur miracle. Il ne s’agit pas ici de l’opinion personnelle que chacun peut entretenir quant aux vaccins ou quant au taux de mortalité reporté du COVID-19 : il faut reconnaître objectivement que cette situation épidémiologique a d’ores et déjà fait l’objet d’une politisation, et se voit instrumentée à des desseins de grande stratégie.
Décharge de responsabilité obligatoire
Pour être clair et limpide, l’auteur du présent article pense que le COVID-19 est une réalité, qu’il est mortel pour certains membres à risque de la population, et qu’il est signalé comme très contagieux. Il recommande au lecteur de faire preuve de jugement à titre personnel et de décider quelle ligne suivre pour se protéger, lui-même et sa famille, ainsi que chaque membre de la société. Cependant, cela ne signifie pas que les gouvernements n’entretiennent pas de campagne de peur autour du COVID-19 pour étendre leurs pouvoirs, sur les plans domestiques et de relations étrangères : c’est précisément le cas pour ce qui relève des dernières accusations en date contre la Russie.
Ramifications en matière de réputation
En surface, les affirmations sont tout à fait prévisibles, car elles correspondent au récit des médias dominants quant à la soi-disant « menace russe », supposée tapie à chaque coin, et prête à saper l’Occident à chaque tournant. Accuser la Russie d’essayer de voler des informations sur un vaccin a du sens, selon cette perspective, car leurs peuples ont déjà très peur de la mort du fait de cette épidémie, et cela sert donc les intérêts de leur gouvernement de laisser penser que la Russie essaye de saboter leurs tentatives d’inoculation.
Mais il pourrait exister une raison plus sinistre derrière tout ceci que simplement essayer de ruiner la réputation internationale de la Russie, car les rivaux de ce pays jouent sans doute, comme d’habitude, avec quelques coups d’avance. Tout d’abord, ils visent à protéger leurs propres réputations, sur le plan domestique et en matière extérieure, car ils seraient bien embarrassés si le même pays qu’ils pointent du doigt comme « arriéré » et « isolé » se retrouvait à annoncer un vaccin contre le Covid-19 avant eux-mêmes. Accuser la Russie de l’avoir volé leur permet en partie de « sauver la face ».
Pas de vaccin occidental, pas de voyage en occident ?
Deuxièmement, propager ce faux récit pourrait créer la base pour des sanctions pour les pays qui achèteront le vaccin russe une fois qu’il sera disponible, ou le recevront à titre gratuit dans le cadre d’une aide humanitaire. Les États-Unis et leurs alliés peuvent affirmer qu’ils reçoivent un vaccin produit grâce à des secrets volés, et qu’ils pourraient au lieu de cela acheter « le vrai » en s’adressant à eux. Si ces États (acheteurs ou bénéficiaires) ne s’alignent pas, leurs citoyens pourraient se voir interdits de voyager vers le Canada, le Royaume-Uni, et/ou les États-Unis tant que leurs gouvernements n’affirmeront pas que le vaccin russe « ne fonctionne pas » ou « n’est pas fiable ».
Pour le dire différemment, les pays occidentaux peuvent mettre en œuvre une interdiction totale des voyages, sur la base de l’idée qu’ils n’ont pas la certitude que leurs hôtes étrangers sont protégés contre le COVID-19, à moins qu’ils n’aient reçu leur vaccin, ou celui de leurs alliés. Si l’on considère l’étroitesse des liens entre les économies occidentales et celles du reste du monde, par opposition à la Russie, cela pourrait constituer une menace suffisante pour forcer leurs gouvernements à se conformer, sous peine de subir des dégâts économiques inacceptables, des retombées importantes en matière d’échanges commerciaux étant à prévoir.
Défier la Chine
Si l’on anticipe, cette stratégie pourrait être expérimentée contre la Russie pour évaluer sa réussite, avant d’être modifiée pour être utilisée contre la Chine. Mais le défi en sera d’autant plus considérable : de nombreux pays sont désormais connectés bien plus étroitement avec la Chine qu’avec l’Occident, si bien que ce type de tactique de pression pourrait s’assimiler de facto à un ultimatum pour forcer leurs gouvernements à choisir clairement son camp dans la guerre mondiale du Covid. Il n’est pas évident de savoir combien de pays se rallieront à l’Ouest, mais il y a tout de même de bonnes chances pour que certains d’entre eux le fassent.
Même ainsi, la victoire de soft power pourrait s’avérer superficielle, car la Chine ne fera très probablement pas d’ultimatum similaire. La république populaire n’interdira sans doute pas les voyageurs qui n’auront pas reçu un vaccin chinois, si bien que les citoyens de ces pays se sentant sous pression de choisir les vaccins occidentaux pour l’une des raisons susmentionnées pourront continuer de commercer avec la seconde superpuissance mondiale sans aucun problème. Mais si les vaccins occidentaux s’avèrent inefficaces et/ou dangereux, cette politique pourra bien entendu être révisée.
Les rats de laboratoire du « Grand Sud »
Pour en revenir au sujet général de cette analyse, la course au vaccin de l’ordre mondial du Covid, un fait accompli pourrait bien s’instituer, qui serait que les gens du monde entier pourraient se retrouver contraints de se laisser inoculer une sorte de vaccin pour pouvoir voyager, voire pour pouvoir accéder à des services de bases de leur propre pays. Cela pourrait être particulièrement le cas pour les foules désespérées du « Grand Sud », qui pourraient se voir exploitées comme rats de laboratoires par certaines des principales grandes puissances afin de tester la sûreté de ces vaccins en échange d’une aide humanitaire ou d’avantages commerciaux.
Conclusion
Indépendamment de la suite des événements, les foules mondiales devraient s’attendre à une large prolifération de vaccins COVID-19 au cours de l’année à venir. Il ne s’agit plus seulement d’un sujet de santé publique, mais plutôt d’un instrument géopolitique de pouvoir brandi par divers gouvernements les uns contre les autres et contre leurs propres citoyens. L’épidémie est à présent fortement politisée, et l’on ne reviendra pas à la supposition innocente que le monde pourrait travailler main dans la main « pour le bien commun » afin de lutter contre cette maladie. Cela n’a de toutes façons jamais été le cas, et les événements à venir vont le prouver.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone