2019 pourrait être une très mauvaise année pour l’Ukraine


Lorsque la Russie cessera d’utiliser l’Ukraine comme pays de transit pour les exportations d’énergie, un grand trou s’ouvrira dans l’économie ukrainienne que l’UE et les États-Unis ne sont pas prêts à combler


Par Nikolas K. Gvosdev – Le 3 octobre 2017 – Source Russia Insider

Pendant plusieurs années, la Russie a mis en garde – de façon constante et claire – disant qu’elle a l’intention d’arrêter d’utiliser l’Ukraine comme pays de transit pour envoyer son énergie aux marchés occidentaux. Si cela se produit, un trou majeur s’ouvrira dans l’économie ukrainienne que l’Europe et les États-Unis ne semblent pas être prêts à combler.

De façon constante, je suis étonné des analyses qui produisent des pages de rapports sur la façon de réorienter la géopolitique de l’Ukraine vers l’Ouest et d’intégrer l’Ukraine dans l’architecture de sécurité du monde euro-atlantique, tout en supposant que les relations économiques de l’Ukraine avec la Russie continueront en l’état. Dans les années 1990, ce n’était pas une hypothèse déraisonnable, parce que la Russie n’avait d’autre choix que de s’appuyer sur les réseaux existants de l’infrastructure de l’ère soviétique et n’avait aucun moyen de construire des alternatives.

Ainsi, l’équilibre de la sécurité économique, qui a émergé après la chute de l’URSS – où la Russie devait soutenir l’Ukraine (notamment avec des prix inférieurs aux prix du marché) afin de garantir que cette dernière pourrait revendre le surplus à des prix beaucoup plus élevés aux clients européens payants – avait un sens.

Cela ne pouvait pas durer, et nous avons vu comment la Russie et les États baltes, pour leurs propres intérêts de sécurité, ont proposé de modifier cette état de fait implicite : les États baltes ont commencé à rechercher d’autres sources d’approvisionnement et à prendre des mesures de court terme très pénibles, des étapes pour réformer leurs économies loin de l’addiction à la drogue de l’énergie et des matières premières russes à faible coût. La Russie, pour sa part, après qu’il est devenu clair que la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie entreraient à la fois dans l’OTAN et dans l’UE, a réagi en développant une nouvelle infrastructure d’exportation au Nord à partir de la région de Saint-Pétersbourg, ce qui lui a permis d’arrêter sa dépendance à l’égard de l’accès à la Baltique.

Le Premier ministre ukrainien Ioulia Timochenko, l’héroïne de la Révolution orange, et le Président Viktor Ianoukovitch, le méchant des révolutions orange et de Maidan, ont réalisé le péril pour l’Ukraine et tous deux ont tenté de négocier des accords à long terme avec Moscou qui inciteraient la Russie à continuer à utiliser l’Ukraine comme pays de transit et rendrait moins chère, pour la Russie, la construction de nouvelles lignes de contournement au nord et au sud de l’Ukraine. Ianoukovitch a proposé un bail à long terme pour la flotte russe de la mer Noire en Crimée pour adoucir l’accord (et faire dérailler les efforts pour déplacer la flotte vers Novorossiisk, plus au sud sur la mer Noire, dans le Kouban).

Après la révolution de Maidan, cependant, la Russie a de nouveau commencé à accélérer ses projets pour mettre fin au transit ukrainien. Malgré les sanctions occidentales, les efforts de réglementation de l’Union européenne et une courte prise de bec avec la Turquie après qu’un avion de combat russe a été abattu sur la frontière turco-syrienne à la fin de 2015, ces efforts n’ont pas cessé. La Russie a régulièrement annoncé qu’elle envisageait de déplacer ses routes d’exportation d’ici 2019.

Ostensiblement, ce n’est pas un problème pour l’Ukraine, qui a démontré de manière spectaculaire sa capacité à acheter du gaz, du pétrole et du charbon provenant de sources non russes, le gaz étant expédié par des partenaires européens de l’Ouest et une cargaison de charbon venant des États-Unis. Mais ces solutions de rechange sont plus coûteuses pour une économie en difficulté – et le véritable choc viendra lorsque les revenus du transit russe cesseront. La société énergétique de l’État ukrainien disposera d’un réseau de pipelines, de dépôts de stockage et de stations de pompage qui devra trouver de nouveaux clients.

Peut-être quelque énergie du Caucase pourrait être envoyée via la route Odessa–Brody de la mer Caspienne vers l’Europe, mais cela ne produira pas suffisamment de revenus de remplacement. L’Ukraine pourrait augmenter sa propre production d’énergie domestique, mais les entreprises étrangères ne voudront investir qu’après un règlement de paix durable à l’est et la solution de la question de la Crimée.

En plus de cela, le gouvernement ukrainien ne peut pas répéter certaines des magouilles de la dernière décennie en imposant toutes sortes de conditions déraisonnables aux entreprises énergétiques étrangères – parmi celles-ci, la vente de grandes quantités d’énergie à bas prix pour les intérêts domestiques. Il existe également le risque qu’une fois que la Russie cesse d’utiliser l’Ukraine comme pays de transit, le conflit en cours puisse se développer. Il est remarquable de constater que le séparatisme ukrainien de l’Est ne soit pas apparu dans les régions du pays où les gazoducs fonctionnent, mais cela pourrait-il changer après 2019 ?

La réponse du commissaire européen chargé de l’énergie, Maros Sefcovic, est d’essayer de continuer à obliger la Russie à utiliser l’Ukraine comme pays de transit. Mais cette stratégie semble condamnée à l’échec.

La Turquie n’a plus aucune incitation à travailler pour l’UE, après la récente visite du président Vladimir Poutine à Ankara, le président Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé que l’achèvement rapide du pipeline Turkish Stream est une priorité, à la fois pour garantir la capacité de son pays à recevoir l’énergie russe, sans transiter par l’Ukraine, et à utiliser la Turquie comme pays de transit de remplacement pour que l’énergie russe atteigne les marchés du sud et d’Europe centrale.

Peu importe son aversion personnelle pour Poutine ou sa méfiance envers les motivations du Kremlin, la chancelière allemande Angela Merkel s’engage également à protéger la sécurité énergétique de l’Allemagne et ses investissements dans les projets énergétiques russes, en observant que le doublement du pipeline Nord Stream continuait comme prévu.

Bien que les nouvelles sanctions adoptées par le Congrès américain contiennent des dispositions qui ont une incidence sur la capacité des banques occidentales à financer ces nouveaux pipelines, les entreprises européennes peuvent s’inspirer du conglomérat énergétique français Total qui, après des sanctions initiales de l’UE imposées à la Russie au sujet de l’Ukraine, a choisi de ne pas se retirer de son profitable projet de gaz à Yamal, dans l’Arctique russe, mais s’est plutôt tourné vers des sources chinoises de financement.

Comme une alternative future aux plans de contournement de l’Ukraine, Gazprom réfléchit également à une augmentation de ses ventes à l’Azerbaïdjan – qui fournirait d’une manière indirecte, une porte dérobée pour atteindre l’Europe, parce que le gaz russe vendu à l’Azerbaïdjan pourrait permettre à ce pays d’augmenter les livraisons en Europe par la voie trans-anatolienne.

Dans un autre registre, la nécessité pour cette voie d’opérer à pleine capacité présentera un choix géopolitique désagréable pour les États-Unis – ne pas utiliser le gaz russe augmente la probabilité que l’Azerbaïdjan ouvre un accès à l’Iran, en offrant à Téhéran de nouveaux marchés et un accès impossible à bloquer vers les marchés européens. Faute de quoi les États-Unis devraient être prêts à s’engager dans un Grand jeu avec la Chine pour savoir si le gaz du Turkménistan continuera de circuler vers l’est vers Pékin ou sera redirigé vers l’ouest.

Tout cela suggère qu’un « détendez-vous, ne vous inquiétez pas » de la part des analystes occidentaux, qui affirment que les plans de la Russie peuvent être bloqués, ne sont pas justifiés.

Nous avons un échéancier clair : 2019, lorsque les nouveaux pipelines devraient être terminés et que le contrat actuel de transport du gaz russe par l’Ukraine expirera. Il est maintenant temps d’examiner les politiques nécessaires pour sécuriser et promouvoir les intérêts occidentaux, et ne pas supposer que la Russie continuera de régler la note.

Nikolas K. Gvosdev

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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