Relations économiques alternatives et mort de l’argent


Katasonov

Par Valentin Katasonov – Le 2 octobre 2017 – Source katehon

Les banques centrales des principaux pays occidentaux inondent l’économie mondiale avec de l’argent. Cela se voit surtout dans le fait qu’après la crise financière de 2007-2009, la Réserve fédérale américaine, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne (BCE) et d’autres banques centrales ont commencé à adopter des politiques appelées assouplissement quantitatif (QE). Elles ont commencé à acheter des titres de créance – y compris beaucoup de mauvaise qualité – en injectant des centaines de milliards de dollars, d’euros, de livres sterling et d’autres devises sur les marchés.

Les banques centrales ont adopté simultanément une politique de réduction continue des taux d’intérêt sur les transactions actives et passives. En conséquence, les taux d’intérêt sur les dépôts auprès des banques centrales de Suède, du Danemark, de la Suisse, du Japon et de la Banque centrale européenne ont plongé en taux négatif. L’argent est devenu non seulement abondant, mais presque gratuit.

Le paradoxe est que cette expansion monétaire, orchestrée par les principales banques centrales de l’Ouest n’a pas conduit à l’expansion de l’économie réelle, mais a plutôt commencé à entraîner celle-ci vers le bas. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, une part croissante de ce qui est généré par les planches à billets se dirige vers les marchés financiers pour servir la spéculation, car le secteur de l’économie réelle ne peut pas offrir des bénéfices aussi rapides et impressionnants. Deuxièmement, l’argent produit par la planche a billets ressemble de moins en moins à de la monnaie traditionnelle. La monnaie ne peut plus servir à mesurer la valeur des biens et des services. Le prix du pétrole est un exemple notable de cette réalité. Le fait est que les prix du pétrole sont maintenant mesurés avec un outil que nous appelons l’argent, uniquement par habitude. C’est en fait un outil de spéculation, de manipulation et de redistribution de la richesse en faveur des détenteurs de capitaux – ceux qui contrôlent les planches à billets. On peut dire avec certitude que nous assistons à la mort de l’argent.

Les producteurs du secteur réel de l’économie sont rendus douloureusement conscients de tout cela. Les entreprises impliquées dans la fabrication, l’agriculture, la construction et les transports sont incapables de réaliser des investissements et de conclure des contrats à long terme, ou de s’engager dans des travaux prometteurs de recherche et de développement. Ils ne peuvent même pas s’engager dans un commerce normal. Le fonds de roulement est insuffisant – tout l’argent est absorbé par les jeux financiers des spéculateurs – et même lorsqu’il est disponible, il comporte désormais des risques associés aux fortes fluctuations des taux de change, à la dépréciation inflationniste et aux hausses et baisses des prix des produits de base. Les producteurs modernes sont dans la même position que nos ancêtres il y a des milliers d’années, alors qu’aucun moyen d’échange universel n’existait.

Naturellement, les fournisseurs de produits de base tentent de s’adapter à cette ère de la mort de l’argent – concevoir de nouvelles relations économiques. Ces nouvelles relations s’appellent indifféremment : alternatives, non traditionnelles, hors espèces, swaps, échanges…

Des formes alternatives de relations économiques peuvent exister à plusieurs niveaux :

– Local : commerce dans une seule ville, région ou communauté.

– National : commerce dans un seul pays.

– International : échanges entre acteurs appartenant à différentes juridictions nationales.

Le développement de relations économiques alternatives fait l’objet d’une résistance très active de la part des propriétaires de l’argent. Ce n’est pas une surprise, étant donné que toutes les relations économiques alternatives compromettent le monopole détenu par les banques centrales sur la monnaie émise et le monopole détenu par les banques privées lors de l’émission de monnaie scripturaire à partir des comptes de dépôt. Sous différents prétextes, les banques centrales et les gouvernements de divers pays mènent une bataille féroce contre ce genre de créativité de la part des agents économiques. Par ailleurs, cela explique le fait que beaucoup de ces relations économiques alternatives peuvent être trouvées dans l’économie de l’ombre.

L’ensemble des relations économiques alternatives peut être divisé en trois groupes principaux :

1. Transactions impliquant seulement le simple échange de produits et sans l’utilisation d’argent sous quelque forme que ce soit. Le troc est l’exemple classique d’une telle transaction. En plus des formes classiques de troc, le négoce multiproduits gagne en popularité – un accord dans lequel des dizaines, des centaines ou des milliers d’agents économiques peuvent jouer un rôle.

2. Transactions payées en partie par l’échange de produits. Ceux-ci sont conçus pour minimiser l’utilisation de l’argent officiel. En règle générale, une large catégorie de transactions internationales – accords de compensation – inclut une certaine utilisation de la monnaie. Les accords de compensation impliquent un paiement monétaire pour des biens ou des services échangés entre deux pays, mais l’objectif principal est d’essayer d’équilibrer la valeur de ces échanges. Les mécanismes utilisés pour effectuer les transactions peuvent être très variés. Par exemple, les revenus d’exportation encaissés par les fournisseurs du pays A peuvent être stockés dans leurs comptes bancaires, puis dépensés pour importer des marchandises du pays B. Dans cet exemple, il serait possible de contourner l’utilisation de devises fortes − le dollar américain, l’euro ou la livre sterling − en évaluant la transaction avec les devises des pays impliqués dans l’accord de compensation

Même si l’accord de compensation ne comporte pas d’engagement tel que le versement des revenus d’exportation dans un compte bancaire pour payer les importations, le principe de compensation reste important pour les pays concernés, car cela leur permet de contrôler l’équilibre des comptes commerciaux extérieurs et la balance des paiements, ce qui est important pour maintenir la stabilité du taux de change de la monnaie nationale.

Certaines des formes les plus largement reconnues de commerce extérieur sont : la compensation sur une base commerciale ; les achats au comptoir ; la compensation fondée sur des accords de coopération industrielle ; le rachat de produits usés ; les transactions impliquant des matières premières fournies par le client, etc. La forme la plus complexe est la compensation fondée sur des accords de coopération industrielle. En réalité, ce n’est pas seulement un échange de produits, mais un accord pour échanger des investissements pour un produit. En règle générale, ce type d’accord nécessite un prêteur qui fournit le capital de l’investissement.

Divers mécanismes pour gérer les arrangements de compensation devraient également être notés ici, permettant de prendre en compte les créances et passifs financiers mutuels de chaque partie dans une relation économique. Habituellement, une banque sert de centre de compensation. Dans un arrangement de compensation, le solde des créances par rapport aux passifs est enregistré périodiquement. Le solde peut être réglé (remboursé) dans une devise prédéterminée (la devise de compensation). Il est possible d’étendre le financement à un participant, si cette entité se trouve dans le rouge. Un solde négatif peut également être remboursé en fournissant des biens. La destruction délibérée des accords de compensation de devises a commencé dans les années 1970, car ceux-ci réduisaient la demande pour les produits financiers de la Réserve fédérale américaine. Aujourd’hui, nous constatons une fois de plus un intérêt croissant pour les accords de compensation de devises, comme une alternative à la dictature du dollar de Washington.

3. Opérations de troc, basées sur des formes alternatives de monnaie. Une façon de survivre dans le monde moderne, où le dollar américain est imposé par la force à tous les acteurs des relations économiques, réside dans la création de formes alternatives de monnaie qui pourraient véritablement remplir leurs fonctions économiques (principalement comme mesure de valeur et moyen d’échange). Dans divers pays du monde, une importante quantités de monnaies locales sont utilisées dans les villes et les régions. Bien sûr, cette monnaie locale ne remplace pas entièrement l’argent officiel, mais dans certains cas, le besoin d’argent officiel de la population locale peut être réduit de moitié ou même plus. Cette monnaie locale, que ce soit sous la forme d’une monnaie papier ou d’un enregistrement dans un ordinateur, encourage l’échange de produits manufacturés fabriqués dans une zone circonscrite. Le troc se distingue particulièrement dans la grande variété des types d’argent alternatif. De nombreux experts reconnaissent que, compte tenu de l’instabilité mondiale croissante, le sujet des approches alternatives (non traditionnelles) des échanges et des règlements devient de plus en plus pertinent.

Valentin Katasonov

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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