Trump, les États-Unis et l’Europe (2/2)


Il faut que tout change pour que rien ne change. Tancrède dans Le Guépard, film de Visconti


Par Werner Rügemeier – Le 25 janvier 2017 – Source attac-koeln

La chancelière allemande a expliqué à propos de l’entrée en fonction de Trump : « Nous, Européens tenons notre destin entre nos mains. » Cette affirmation populiste de la figure politique la plus importante du capitalisme transatlantique en Europe se révèle contraire aux faits. En outre, des investisseurs, des agences, des militaires et des services de renseignement dont les siège sont aux États-Unis agissent aussi de manière assez indépendante de « leurs » gouvernements. Les lunettes roses d’Obama et de Clinton ont faussé cette vision dans l’Union européenne, en particulier en Allemagne.

Qui sont les nouveaux investisseurs américains dans l’UE ?

Une question, pour commencer : comment la crise financière a-t-elle été traitée en Allemagne et dans l’UE ? « La crise financière vient des États-Unis », a déclaré l’ancien ministre des Finances allemand Peer Steinbrück (SPD). Mais le gouvernement s’est vu dans l’incapacité d’y faire face lui-même et il est allé chercher de l’aide aux États-Unis.

Le gouvernement fédéral a chargé le cabinet d’affaires américain Freshfields de préparer les projets des deux lois de sauvetage des banques. La Chancellerie et le ministère des Finances sont allés chercher d’autres conseils en matière de crise financière auprès des principaux contributeurs à la crise financière comme Goldman Sachs, Barclays et Deutsche Bank. 1

Le gouvernement fédéral a engagé Goldman Sachs, Morgan Stanley, KPMG, Freshfields, White & Case, Mayer Brown et Rothschild comme conseillers de l’autorité de sauvetage des banques Soffin [un programme du gouvernement allemand dont le but est de restaurer la confiance dans les marchés financiers, NdT]. 2

La troïka, composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, a chargé le plus grand organisateur du capital au monde et conseiller du gouvernement américain, Blackrock – je reviendrai sur lui en détail – d’analyser les risques pour le sauvetage des banques en Irlande, en Grèce et à Chypre 3.

Cette soumission complice des responsables de l’UE s’est aussi manifesté lorsque José Barroso, président de la Commission européenne pendant de longues années, est devenu, à la fin de son mandat en 2016, conseiller aux Affaires européennes à Wall Street, chez Goldman Sachs : ne grandit ensemble que ce qui est depuis longtemps ensemble. 4

Après la crise financière, de violentes critiques ont d’abord été émises dans l’UE contre les coresponsables, les trois agences de notation américaines qui dominent le marché, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. La commissaire européenne Viviane Reding, par exemple, a demandé « la destruction des agences de notation américaines ». Il fallait enfin fonder une agence de notation européenne. La décision du Parlement européen du 9 juin 2011 a cependant été un enterrement de première classe. Premièrement : contre la demande de la gauche, la nouvelle agence de notation ne devait pas être publique, mais privée, comme les agences américaines. Deuxièmement : la Commission européenne a été mandatée pour réaliser une « étude de faisabilité ». Troisièmement : la proposition a disparu. Les conditions de crédit des États-membres de l’UE dépendent toujours des évaluations de Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. Le gouvernement fédéral et la Commission européenne n’insistent pas, dans ce domaine non plus, sur la souveraineté européenne, et un gouvernement Trump ne renoncera pas à ce joli instrument de domination.

Et pour finir : comment se comportent les nouveaux acteurs financiers américains dans l’UE ? Et comment se comporte l’UE à leur égard ?

Tandis que l’attention politique et médiatique se porte sur les banques et leurs directions depuis la crise financière, de nouveaux organisateurs du capital sont devenus beaucoup plus puissants, avec cette crise, et après. Ce ne sont pas des banques et ils ne sont donc pas non plus soumis aux régulations bancaires. Ils restent encore largement inconnus du public en général, bien qu’ils soient devenus entretemps plus puissants que les banques traditionnelles. Ces nouveaux magnats de la finance piétinent depuis plus d’une décennie, également sous la présidence de Barack Obama, dans d’autres pays du monde entier à la manière de Trump, et dérogent aux lois et aux règles avec insolence, et souvent sans entrave dans l’UE aussi.

Commençons par l’étage supérieur de ces nouvelles puissances financières. Ce sont les organisateurs du grand capital comme Blackrock, Vanguard, State Street, Fidelity, Capital Group & Co. Après la crise financière, ils ont accru leur rôle en tant qu’importants actionnaires des grandes sociétés cotées en Bourse aux États-Unis et dans l’UE. Aux États-Unis, il a été envisagé en 2011 de réguler Blackrock & Co. Son lobby a cependant évincé celui du gouvernement Obama. La Commission européenne s’est ralliée sans discussion à la décision américaine. 5.

Blackrock & Co sont devenus entretemps des actionnaires déterminants dans tous les groupes du DAX [indice de la bourse allemande, NdT] ; mais ils sont également dans toutes les grandes banques et grandes entreprises des deux côtés de l’Atlantique. Ils incitent aux fusions dans les banques et les compagnies aériennes, ainsi que dans le secteur de la chimie, comme aujourd’hui Bayer et Monsanto. Ils restreignent la concurrence, montent les prix, extorquent la substance industrielle, utilisent les paradis fiscaux systémiques, déciment les bassins d’emplois et font pression sur les salaires. En plus de leurs activités en Bourse, il opèrent en « black pools » dans le domaine croissant des affaires financières non régulées et anonymes – paris financiers, octroi de crédits et vente de titres. Les autorités de surveillance financière comme la Bafin en Allemagne et l’ESM dans l’UE sont contournées. 6 Merkel et Juncker se taisent.

Passons aux étages inférieurs de ces investisseurs impatients. De la même manière, mais dans des volumes plus restreints, ce qu’on appelle des Private Equity-Fonds [des fonds d’investissements privés, NdT] comme Blackstone, Carlyle et KKR achètent des entreprises moyennes rentables, non cotées en Bourse. Ces investisseurs font peser sur les entreprises achetées les remboursements de crédits pour leur achat [LBO, NdT], détruisent des emplois, délocalisent des secteurs d’exploitation à l’étranger et les ferment. Au début, cela a brièvement provoqué de vives critiques. La critique fut rapidement renvoyée à l’ancien ministre du Travail Müntefering (SPD) – qui avait popularisé en 2004 l’expression de « sauterelles » – associée à des reproches d’antisémitisme. Ces dernières années, rien qu’en Allemagne, 5 900 moyennes entreprises ont été tranquillement et sans bruit victimes du « scénario de la prise de butin », comme l’appelle maintenant le Handelsblatt 7

En 2016, la Commission européenne a décidé que le groupe Apple devait restituer à l’Union européenne 13 milliards d’euros d’impôts sur les bénéfices, qu’elle avait dissimulés en utilisant le paradis fiscal de Dublin. Le gouvernement irlandais a cependant porté plainte, parce que la décision met son modèle économique en question. Il avait pourtant été instauré à l’aide de l’UE. 8 L’UE encourage et couvre elle-même l’évasion fiscale internationale.

L’UE ne pratique donc ici qu’une politique populiste symbolique. Elle n’agit que contre Apple. Et pas contre l’autorité fiscale luxembourgeoise complice et le groupe d’audit américain Price Waterhouse Coopers, qui, de 2002 à 2010, ont ensemble abaissé les impôts en dessous de 1% de 343 multinationales, parmi lesquelles, outre Apple, on trouve Amazon, Pepsi et Heinz, et qui ont explosé en 2015. Le nom de ce scandale était « LuxLeaks » et il n’en a rapidement plus été un. En revanche, la justice luxembourgeoise a condamné les deux lanceurs d’alerte qui avaient révélé les actes criminels. 9. En outre, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, longtemps chef du gouvernement luxembourgeois, était responsable du développement de son pays comme paradis fiscal. À propos : dans son interview à Bild, Trump fait l’éloge de Juncker qu’il qualifie de « monsieur agréable ». Avec Merkel, l’UE ne devrait rien changer à cette pratique, et cela devrait aussi plaire à Trump, adepte d’une fiscalité la plus basse possible pour les entreprises.

D’ailleurs : quelle est la position des grands groupes de l’UE à l’égard de Trump ? Dans le monde de la finance transatlantique, il n’y a de toute façon pas l’excitation régnant sur la scène médiatique et politique. Avant l’élection déjà, les grands groupes transatlantiques de l’UE n’avaient aucune réserve à l’égard d’un nouveau président américain Trump. Bayer, BASF, Deutsche Bank, Fresenius, la grande entreprise chimique française Sanofi, l’Union de banques suisses et le groupe d’armement britannique BAE ont fait des dons à la campagne électorale américaine, comme avant, tant pour le Républicain Trump que pour la Démocrate Hillary Clinton, mais cette fois ils ont davantage financé Trump. Par ailleurs, dans toutes les entreprises mentionnées, les nouveaux magnats de la finance comme Blackrock & Co sont actionnaires. Les grands groupes européens et les banques profitent du bas niveau d’imposition, des faibles normes de protection du travail, des subventions publiques élevées et des grandes possibilités d’évasion fiscale aux États-Unis. Ici non plus, il n’y a pas à attendre de grande résistance à Trump, au contraire.

Venons-en à l’influence de la nouvelle économie sur internet. Au cours des dernières décennies, une douzaine de grandes sociétés américaines ont pris la direction de l’économie internet dans le monde entier. À la pointe des plateformes numériques, on trouve Apple, Google/Alphabet, Microsoft, Facebook et Amazon. Elles gèrent et contrôlent les nœuds centraux de l’internet et pénètrent toujours plus de champs économiques. Elles espionnent les données privées de leurs utilisateurs et les exploitent sans contrôle. Elles collaborent aussi avec les services de renseignement américains.

La Commission européenne essaie en permanence – mais là aussi seulement dans des cas particuliers – de limiter la puissance du géant américain sur le marché. Depuis 2010, la Commission a engagé trois procédures anti-trust contre Google parce que le groupe abuse de sa position, qui atteint 90%, sur le marché des moteurs de recherche. Il n’y a pas de résultat en vue. 10 La Commission a infligé en 2009 une amende de 1.06 milliards d’euros au fabricant de puces Intel pour des infractions au droit des cartels entre 2001 et 2007 ; la procédure d’appel est toujours pendante devant la Cour européenne.

Depuis 2015, Google renforce son influence également sur les médias traditionnels en Europe. En 2016, son « fonds d’innovation » a versé 24 millions à 124 organes de presse dans l’UE. Par sa sélection – en Allemagne par exemple Spiegel online, Berliner Morgenpost, Deutsche Welle et taz – Google montre que le groupe n’est pas simplement, comme le prétend aussi Facebook, un fournisseur de contenus neutre mais qu’il appartient au courant occidental dominant des bellicistes contre la Russie et la Chine. 11

De même, les nouvelles entreprises de l’économie du partage basées sur internet, Uber, Airbnb, Parship et Flixbus sont pour la plupart entre les mains d’investisseurs américains. Elles violent souvent les régulations en vigueur en Europe. La Commission européenne et les gouvernements des États-membres de l’UE observent l’agitation avec un regard complice. Sporadiquement quelques chauffeurs de taxi opposent un peu de résistance dans les grandes villes européennes ; les municipalités de Barcelone ou de Berlin tentent de limiter l’utilisation abusive des logements par Airbnb. 12 Là où il n’y a pas de résistance efficace, Uber & Co continuent, tout simplement.

Connus, en fait, mais négligés, en quelque sorte : les consultants américains en tant que co-régents. Eux aussi agissent indépendamment du président des États-Unis. Les consultants américains venus des États-Unis ont renforcé leurs activités dans l’UE depuis la crise financière. C’est illustré par l’exemple de l’Allemagne. Comme nous l’avons déjà dit, le cabinet juridique Freshfields a été appelé par le ministre des Finances Steinbrück pour élaborer le projet des deux lois sur le sauvetage des banques. Il conseille les gouvernements fédéraux depuis 2002 déjà et jusqu’à aujourd’hui, par exemple pour le plus grand projet de partenariat public-privé, Toll Collect (le péage pour les poids lourds sur les autoroutes). Lorsque la relation étroite de Steinbrück avec Freshfields a été découverte – le cabinet juridique lui payait des honoraires pour les contrats – Steinbrück a engagé la société d’audit Ernst & Young pour faire attester par une autre société de conseil américaine son comportement irréprochable.

Freshfields conseille traditionnellement des entreprises et des banques. Freshfields a aussi conseillé des banques pour des produits financiers douteux, par exemple les magasins Cum-Ex, où une double propriété économique simultanée est simulée. Cela a servi à un double remboursement d’impôts frauduleux. 13 Le cabinet avait déjà couvert à la fin des années 1990 des pratiques semblables d’opérations transfrontalières de crédit-bail (vente frauduleuse d’infrastructures publiques de villes européennes à des banques américaines – à Cologne, toutes les canalisations, les salles d’exposition et les trams). 14

Des organisations de la société civile font aussi appel à Freshfields quand les choses se corsent et que des scandales susceptibles de leur causer des dommages doivent être maîtrisés, par exemple pour l’Allgemeinen Deutschen Automobilclub ADAC et la Fédération allemande de football DFB. Ernst & Young inspecte l’Union sportive olympique allemande dans le but de la réformer, à la demande du ministère de l’Intérieur, afin qu’elle obtienne plus de médailles olympiques 15.

McKinsey et Accenture ont un mandat de longue durée pour remodeler l’Agence fédérale pour l’emploi et les bureaux de placement dans un sens favorable aux entreprises. 16 McKinsey a conseillé la ministre du Travail von der Leyen au sujet du manque de personnel qualifié. McKinsey conseille l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (BAMF), pour savoir comment faire sortir d’Allemagne encore plus de réfugiés et plus vite.

Tandis que le ministre de la Défense socialiste (du SPD) Rudolf Scharping a moins laissé conseiller l’armée allemande par le consultant imitateur des américains Roland Berger, la ministre de la Défense von der Leyen a préféré l’original. Elle a pris en 2014 la directrice de McKinsey Katrin Studer comme secrétaire d’État au ministère, et en même temps le partenaire junior de McKinsey Gundbert Scherf comme conseiller pour les achats d’armement nationaux et internationaux. Scherf a pu retourner deux ans plus tard sans transition chez McKinsey – la société de conseil l’a élevé avec joie au rang de partenaire, donc de copropriétaire, en tant qu’initié en matière d’armement le plus haut placé d’Allemagne. 17

La singulière position d’initiés de ces corégents ne devient claire que lorsqu’on y intègre aussi – comme nous l’avons dit pour Freshfields – leur activité simultanée de conseil pour l’économie privée. Les agences de notation, les conseillers aux entreprises, les cabinets d’affaires, les auditeurs comptables passent au crible et structurent aussi les banques et les entreprises importantes. Les Quatre Grandes américaines – Price Waterhouse Coopers, KPMG, Ernst & Young, Deloitte – se sont réparties les activités de vérification des comptes et de certification des quelque 30 grandes entreprises du DAX et assument en plus la double fonction de conseiller fiscal, c’est-à-dire d’intermédiaires pour les produits des paradis fiscaux les plus avantageux pour échapper aux impôts, à la responsabilité et à la publicité. En matière de droit du travail, les grands groupes en Allemagne se font également de plus en plus représenter par les succursales allemandes des cabinets d’affaires américains comme Squire Patton Boggs, DLA Piper, Littler et Hogan Lovells. 18 Tous ces consultants sont naturellement aussi tenus par les dispositions du Patriot Act américain et de la lutte contre le terrorisme international.

À sa manière prudente, la Cour fédérale des comptes a sonné l’alarme : l’activité de conseil permanente et interinstitutionnelle de McKinsey & Co, qui en plus exclut la concurrence, augmente le « risque de commandement étranger » et conduit à la perte de la « compétence conceptuelle » de l’État 19. L’État et le gouvernement sont dépossédés de leur pouvoir. Le gouvernement fédéral accueille par le silence cette constatation fondée. Il en va de même à Bruxelles.

Qui sont les partenaires européens que Trump souhaite ?

Avec son slogan « America first », le président Trump ne reviendra pas sur la domination des États-Unis sur l’Union européenne. Au contraire. Il n’a jamais critiqué jusqu’à présent les progrès des nouveaux investisseurs américains trépignants et non régulés. Certains, comme Uber, créent en effet déjà quelques emplois aux États-Unis, même mauvais. Peut-être pourrait-il affaiblir la composante militaire – mais pour cela il devrait s’imposer contre sa propre armée et ses propres services de renseignement. Il ne poursuit pas les négociations qui ont eu lieu jusqu’ici sur l’accord de libre échange TTIP. Les résistances hésitantes de la Commission européenne dans les négociations étaient déjà trop fortes pour les États-Unis. 20 Lorsque nous considérons le comportement des investisseurs américains et de leurs conseillers en Allemagne et dans l’UE, on pourrait toutefois le supposer : ils n’ont presque plus besoin du TTIP. Ils savent : avec l’UE, avec Merkel, Gabriel, Schäuble, Juncker & Co, nous pouvons de toute façon faire ce que nous voulons. Si les contradictions se durcissent dans l’UE, cela sera encore plus facile. Mais l’appétit d’une part et la soumission d’autre part n’ont bien sûr pas de limites.

Passons au partenaire le plus souhaité par Trump en Europe : la Grande-Bretagne. Trump se félicite du Brexit et veut l’utiliser. Il veut ranimer la puissante alliance entre Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Cette alliance des années 1980 a chamboulé le capitalisme transatlantique dans un sens néolibéral et favorisé la pénétration du capital américain dans l’UE, et notamment aussi en Grande-Bretagne. Les élites britanniques veulent elles aussi utiliser le Brexit pour approfondir la relation spéciale avec les États-Unis, politiquement, militairement et économiquement. L’UE non démocratique est encore trop démocratique pour les élites britanniques. Le gouvernement britannique veut, comme Trump, réduire fortement la fiscalité des entreprises et assurer en même temps encore plus de subventions étatiques aux grandes entreprises.

Le gouvernement britannique veut se libérer des règles sur l’immigration de l’UE et réguler plus strictement le prélèvement de main d’œuvre étrangère utilisable. Les directives de toute façon laxistes de l’UE régissant le temps de travail et de repos, les vacances annuelles, le congé maternité, la protection du travail intérimaire et l’égalité des salaires sont depuis longtemps une épine dans le pied des entreprises britanniques. 21 Cela correspond d’ailleurs à la pratique du ministre du Travail pressenti par Trump, qui tire aussi ses bénéfices dans sa chaîne de restauration rapide en payant des salaires extrêmement bas.

La cheffe du gouvernement britannique a réaffirmé et concrétisé le Brexit le 17 janvier 2017. La Grande-Bretagne doit renforcer son rôle mondial, sortir de l’UE, mais conserver de bons accès au marché continental, nouvellement négociés. Avec les États-Unis et avec l’UE, de nouveaux accords de libre échange séparés doivent être conclus. On peut déjà voir maintenant ce que cela signifie dans la réalité : sans attendre les négociations sur le Brexit, les nouveaux acteurs financiers créent de nouveaux faits. Blackrock, Großakun actionnaire important à la fois de la Bourse de Francfort et de Londres, travaille depuis une année à la fusion des deux Bourses, et le siège légal doit être à Londres 22. Les deux plus grands groupes du tabac, le britannique BAT et l’américain Reynolds, réalisent maintenant leur méga-fusion. Ici aussi Blackrock & Co s’en mêlent en tant qu’actionnaires.

La cheffe du gouvernement britannique a cependant aussi annoncé que le service de renseignement du Royaume-Uni doit aider plus fortement qu’auparavant à « sauver des vies humaines dans l’UE ». On sait que le service de renseignement britannique est au moins aussi étroitement lié aux services secrets américains que ne l’est le BND allemand. Pour May, être membre de l’OTAN va de soi. Sortir de l’UE oui, mais pas de l’OTAN. La cheffe du gouvernement britannique a souligné que les troupes britanniques continuent à marcher contre la Russie en Pologne et en Estonie. La Grande-Bretagne doit utiliser davantage qu’auparavant son statut de membre du Conseil de sécurité de l’ONU et développer une politique de sécurité commune avec l’UE. D’ailleurs la plupart des médias en Allemagne n’ont pas rapporté ces parties du discours, de même que les bavards du gouvernement allemand ne l’ont pas commenté.

Venons-en au deuxième important partenaire souhaité par Trump en Europe : l’Allemagne. Merkel a été le premier chef de gouvernement à avoir l’audace de poser des conditions de coopération à un président étasunien élu. Il ne s’agissait cependant que de programmes nébuleux comme les droits de l’individu. Elle n’a pas parlé des aspects solides, c’est-à-dire les services secrets, l’OTAN, les droits de l’homme universels, les droits du travail, la protection du climat et des investissements. On peut supposer qu’elle s’oriente, comme d’habitude, d’après l’opinion du journal de caniveau populiste Bild. Quelques jours avant son entrée en fonction, Bild a fait de la lèche avec une interview sur deux pages avec de belles photos du président des États-Unis. L’éditeur de Bild, Kai Diekmann, a décrit Trump comme « d’une honnêteté dérangeante » et a souligné sa déclaration : « J’aime l’Allemagne. » 23

Dans son interview, Trump a déclaré que « pour l’Allemagne, l’UE est un moyen pour ses propres fins » et que la chancelière fédérale est une « dirigeante formidable », sauf que sa politique des réfugiés est catastrophique. Mais c’est secondaire. L’UE pourrait se désintégrer, dit Trump. Mais l’Allemagne doit rester l’allié le plus important. Pour cela, Madame Merkel n’a pas grand chose à faire. Cela marche aussi sans elle. Car l’Allemagne accueille la plupart des bases militaires américaines et la plupart des investisseurs américains, et la plupart des consultants américains. Mme Merkel doit seulement rester là et répéter constamment dans son haut-parleur aux ânes et ânesses électoraux les fondamentaux populistes : « Nous Européens avons notre destin en main » et « En Allemagne, nous allons tous bien. »

Le code de plus en plus utilisé par les élites européennes, la « défense de l’Europe », signifie : la ministre allemande de la Défense von der Leyen et la responsable européennes aux Affaires étrangères Mogherini veulent déjà surcompenser en Europe toutes les lacunes militaire que laisseront peut-être les États-Unis. Avec le prétendu retrait d’Europe des États-Unis, le prétexte est trouvé pour justifier à nouveau de vieilles envies. Les marchés, les matières premières, les voies de transport doivent de nouveau être contrôlés, voire conquis militairement à l’échelle mondiale contre les concurrents – avant tout la Chine et la Russie –, avec ou sans les États-Unis. Mais le gouvernement allemand parle aussi peu de la sortie de l’OTAN que le gouvernement britannique.

Comment parviendrons-nous à une Europe démocratique, sociale et sûre ?

Lorsque Trump déclare que d’autres pays comme la Chine ont « volé » des emplois américains, que « nos classes moyennes » ont été appauvries et que « la richesse a disparu de notre pays », il nie d’une manière primaire et populiste la plus grande accumulation de richesse et de pouvoir à laquelle son milieu prend part et qui n’a jamais existé dans aucun pays.

« Jamais, dans l’Union européenne, autant de gens ne peuvent pas vivre de leur travail », admet par exemple publiquement l’ancien Premier ministre français Manuel Valls. 24 Dans la communauté transatlantique des pays de l’OTAN, dans le pays prétendument le plus riche, les États-Unis, tout comme dans l’Union européenne, les revenus de la majorité diminuent, et l’insécurité de la vie croit pour eux de l’enfance à la vieillesse. Les entrepreneurs et leurs auxiliaires extorquent systématiquement des millions d’heures supplémentaires aux travailleurs. La peur règne dans les entreprises, la liberté d’opinion est réprimée. À côté de la pauvreté, la richesse éhontée. Les chômeurs sont méprisés et meurent précocement. Si en plus le budget militaire augmente, et si l’infrastructure publique ne doit plus être gérée que par le privé, parce qu’en Allemagne et dans l’UE le frein à l’endettement est serré, la majorité des êtres humains sera écrasée sous de nouvelles charges.

L’approbation [par les populations] des tristes partis de gouvernement est en chute libre. La démocratie occidentale est pervertie en vitrine de la richesse impitoyablement égoïste. Des dirigeants chrétiens comme Merkel et Juncker sont aussi violemment impitoyables que les socialistes au pouvoir en France et en Allemagne.

Pour maintenir cette maison des pauvres qu’est l’UE à l’aide du nationalisme européen, Merkel est en compétition populiste avec ceux qui sont étiquetés comme tels. À l’exemple de Trump, Merkel veut subitement aujourd’hui faire plus de « politique pour les personnes aux revenus faibles et moyens ». Elle veut plus s’adresser aux gens « qui se voient comme les perdants de la modernisation ». 25 Mais exactement comme Trump et Valls, Merkel dissimule, avec son populisme médiatique effréné, les auteurs et les pratiques qui ont créé ceux qu’on appelle de manière vague les « perdants de la mondialisation ». Dans la bouche de Merkel, « mondialisation » est un cliché mitonné dans les cuisines de Wall Street qui ne vise qu’à obscurcir la situation.

Avec Merkel, Gabriel, Juncker & Co, il est impossible de défendre une Europe démocratique, sociale, sûre et pacifique. Il y en a d’autres, et nous aussi avons beaucoup à faire. Nous devons nous référer à l’intégralité des droits de l’homme, dont les droits sociaux et du travail font aussi partie. La refondation démocratique et sociale de l’Europe est nécessaire. Cela comprend une architecture de la sécurité européenne, qui inclut la Russie.

Obama le belliciste sortant, vite, avant l’entrée en fonction de Trump, a mis en scène les plus grands transports de troupes, de munitions et de manœuvres militaires contre la Russie depuis des décennies. Les gouvernements droitiers et populistes extrêmes, comme la Pologne, sont les alliés les plus proches pour cela. Ce n’est certainement pas une alternative à la stratégie encore peu claire de Trump. Par conséquent, après Obama et avec Trump : la dissolution de l’alliance d’agression transatlantique qu’est l’OTAN est plus urgente que jamais.

Werner Rügemeier

Traduit par Diane, vérifié par jj, relu par Catherine pour le Saker francophone

Première partie

Liens

  1. Relations des banques d’affaires et d’investissement avec le gouvernement fédéral, Réponse du gouvernement à la petite question du groupe parlementaire Die Linke, 17/12332, 14.2.2013
  2. Comment PWC et KPMG se relancent la balle, Wirtschaftswoche 11.6.2009
  3. Heike Buchter : Blackrock. Eine heimliche Weltmacht greift nach unserem Geld. Frankfurt/Main 21015, S. 72 ff.
  4. José Manuel Barroso appointed non-executive chairman of Goldman Sachs International and Advisor to Goldman Sachs, www.goldmansachs.com/media-relations, London July 8, 2016
  5. Buchter, S. 25 ff.
  6. Werner Rügemer: Blackrock-Kapitalismus, Blätter für deutsche und internationale Politik 10/2016, S. 75ff.
  7. Lukratives Beuteschema, Handelsblatt 23.11.2016
  8. Irland klagt gegen Apple-Steuernachzahlung, Süddeutsche Zeitung 2.9.2016
  9. Tageblatt (Luxemburg) 29.6.2016
  10. Google rebuts Antitrust Claims in Europe, New York Times 3.11.2016
  11. www.netzpolitik.org 17.11.2016
  12. Die Uberisierung des Abendlandes, Freitag 24.11.2016
  13. Freshfields beriet die britische Bank Barclays bei den Cum-Ex-Geschäften, Die Welt 23.6.2016
  14. Werner Rügemer : Cross Border Leasing. Die heimliche Globalisierung der Städte, Münster 2002, S. 61ff.
  15. Unternehmensberater stellen DOSB schlechtes Zeugnis aus, Zeit online 14.11.2016
  16. Werner Rügemer / Elmar Wigand: Die Fertigmacher. Köln 2015, S. 159
  17. Von der Leyens Rüstungsbeauftragter geht zurück zu McKinsey, Spiegel online 13.9.2016
  18. Werner Rügemer / Elmar Wigand: Die Fertigmacher. Köln 2015, S. 84 ainsi que divers rapports sur www.arbeitsunrecht.de
  19. Rechnungshof kritisiert Regierung für teure Beraterverträge, Spiegel online 9.11.2016
  20. Cf. la déclaration commune des deux négociateurs Cecilia Malmström et Michael Froman du 17.1.2017, dans laquelle les nombreuses questions sans réponses sont énumérées.
  21. Ben Kentish : Brexit: 10 ways the EU protects British Workers‘ rights, Independent 17.1.2017
  22. Werbung für die Börsenhochzeit, Handelsblatt 17.1.2017
  23. Was an ihm deutsch ist? BILD Deutschland 16.1.2017
  24. Alarmruf an Europa, Süddeutsche Zeitung 18.11.2016 ; Handelsblatt 18.11.2016
  25. Merkel tritt wieder an, Süddeutsche Zeitung 20.11.2016
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