Trump construira-t-il une Route de la soie Américaine ?


Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 24 janvier 2017 – Source CounterPunch

L’hystérie règne à l’aube de l’ère Trump, avec le président représenté à travers tout le spectre idéologique, comme un Mao américain ou même un Hitler américain.

Éloignons-nous de ce “carnage américain des médias” pour examiner quelques faits concernant le G2 non officiel : les relations sino-américaines.

On peut prétendre que Pékin a déjà réussi un coup de billard à trois bandes, prévenant la possibilité d’une guerre commerciale initiée par les États-Unis.

Cela a commencé avec la fameuse visite de Jack Ma à la Trump Tower, où il a développé son idée d’aider les petites entreprises américaines à vendre leurs produits en Chine et en Asie via son réseau Alibaba, créant ainsi au moins “un million d’emplois” aux États-Unis, selon lui.

Puis est venu le coup de maître du président Xi Jinping à Davos, où il s’est positionné comme Ronald Xi Reagan, vendant la mondialisation inclusive aux vaillants piliers du turbo-capitalisme international.

Finalement Jack Ma, toujours à Davos, a élaboré une formulation claire, de cause à effet, entre la mondialisation et la détresse économique des États-Unis.

Ma a dit : “Au cours des trente dernières années, des entreprises comme IBM, Cisco et Microsoft ont fait des tonnes d’argent.” Le problème est de savoir comment les États-Unis ont dépensé cette  richesse : “Au cours des trente dernières années, l’Amérique a mené treize guerres, pour un coût de $14 200 milliards.” Et si les États-Unis “avaient consacré une partie de cet argent à la construction de leurs infrastructures, en aidant les cols blancs et les cols bleus ? Vous êtes censé dépenser de l’argent pour votre propre peuple. Ce ne sont pas les autres pays qui volent les emplois américains. C’est votre stratégie, vous n’avez pas distribué l’argent de façon appropriée.”

Entre-temps, quelque chose de tout à fait extraordinaire s’est produit lors de l’Asian Financial Forum à Hong Kong, un jour avant le discours de Xi à Davos. Le président de China Investment Corporation (CIC), Ding Xuedong, se référant au plan tellement vanté de Trump d’investir $1 000 milliards, a déclaré que cela créerait de fabuleuses opportunités d’investissement pour la Chine et son fonds souverain de $800 milliards.

Selon Ding, Washington aura besoin d’un financement stupéfiant de $8 000 milliards pour ses infrastructures spectaculaires. Le gouvernement fédéral et les investisseurs privés américains n’y suffiront pas : « Ils doivent compter sur des investisseurs étrangers. » Et CIC est prêt pour cela – en se concentrant déjà sur les « investissements alternatifs aux États-Unis ».

En supposant que l’administration Trump fasse bon accueille au CIC, et c’est un grand si, ce sera un lent démarrage. Actuellement le gouvernement américain est endetté de seulement $80 milliards d’investissements étrangers du CIC. Une polémique massive de sécurité nationale et antitrust sera inévitable. Et pourtant, en cas de succès, ce projet pourrait être gagnant-gagnant pour une Route de la soie américaine.

C’est le moment de peaufiner votre chaîne d’approvisionnement

Voyons maintenant les options. Pendant la campagne, Trump avait accusé la Chine de manipuler sa monnaie et sa promesse de taxer à 45 % les importations chinoises est, en théorie, toujours sur la table.

Peter Navarro – auteur de Death by China et de Crouching Tiger : Ce que le militarisme chinois signifie pour le monde – dirigera le nouveau Conseil national du commerce à la Maison Blanche, en se concentrant sur “les subventions injustes de la Chine”.

Dans le même temps, de nombreux rapports comme celui-ci se concentrent sur les scénarios de guerre commerciale américano-chinoise. Et ils n’ont pas l’air d’être bons, pour aider l’Amérique à retrouver sa grandeur.

Pour commencer, Beijing ne manipule pas le yuan. Au contraire, la Banque populaire de Chine veut un taux de change stable, se traduisant en un commerce stable.

En cas de rupture majeure, Pékin ne serait pas enclin à se débarrasser massivement de ses obligations du Trésor américain ; ce ne serait pas exactement un gagnant-gagnant pour les réserves chinoises.

Les États-Unis ont beaucoup plus d’investissements étrangers directs en Chine que l’inverse, et il est donc facile de voir qui serait perdant à la fin. Dans le même temps, les entreprises chinoises pourraient profiter de plus d’allègements fiscaux et investir dans l’amélioration de leurs lignes de production. Autre option : la rupture, l’épargne énorme de la Chine finançant la prochaine étape de l’investissement industriel – d’autant plus que sept millions de diplômés universitaires arrivent sur le marché chaque année. Ça, c’est un gagnant-gagnant.

Toute analyse de la guerre commerciale mène aux mêmes résultats : consommation déprimée des États-Unis, moindre croissance économique et plus de chômage – en particulier dans la Rust Belt,  la zone qui loge le tas de déplorables de Hillary.

Ensuite, il y a le film d’horreur pour les grandes sociétés américaines telles que Apple, dont la restauration des chaînes d’approvisionnement, exceptionnellement complexes, prendrait des années. Boeing, quant à lui, compte sur la vente de jets en Chine, pour assurer 150 000 emplois américains et envisage déjà une nouvelle usine chinoise d’assemblage.

L’administration Trump va ce débarrasser de la branche commerciale du Pivot vers l’Asie de l’administration Obama, le TPP [c’est fait, NdT]. Personne en Asie ne verse vraiment des larmes. En même temps, personne ne sait si l’équipe Trump pourrait être intéressée, plus tard, à discuter d’une zone de libre-échange dans la région Asie-Pacifique.

Ce qui est absolument certain, c’est qu’en l’absence d’une guerre commerciale, la nouvelle stratégie commerciale des États-Unis sera parfaite pour Beijing, car la Chine va accélérer l’expansion de son projet de Nouvelle route de la soie – One Belt, One Road – en particulier à travers le continent sud-est asiatique, ainsi que les lignes ferroviaires à grande vitesse reliant la province du Yunnan à Singapour via le Laos, la Thaïlande et la Malaisie.

À Davos, Jin Liqun, président de l‘Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), dirigée par les Chinois, a même ouvert la porte, en plaisantant à demi, à une participation des États-Unis. Ainsi tous les mises sont sur la table : imaginez le Mao américain rejoignant la Banque AIIB, pour participer à l’action en Eurasie tout en acceptant l’investissement du fonds CIC pour construire la Route de la soie américaine. Cela serait-il considéré comme un « fait alternatif » ?

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.

Article Original paru dans Asia Times

Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone.

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