La propagande de guerre continue de tuer


Par Robert Parry – Le 7 décembre 2016 – Source Consortium News

Reste a ta place et ferme ta gueule

Une des principales raisons pour lesquelles les débâcles américaines à l’étranger ont été particulièrement destructrices − surtout pour les pays attaqués, mais aussi pour les États-Unis − est que ces interventions sont toujours accompagnées d’importants investissements en propagande de la part du gouvernement américain. Ainsi, même lorsque les fonctionnaires reconnaissent qu’un jugement erroné a été fait, la machine de propagande continue à tourner à plein et empêche de faire marche arrière pendant qu’il est encore temps.

En fait, Washington est prise au piège par sa propre propagande, ce qui restreint la capacité du gouvernement à prendre une autre direction même lorsque le besoin d’un changement devient évident.

Après tout, une fois qu’un dirigeant étranger est diabolisé, il est difficile pour un officiel étasunien d’expliquer que ce dirigeant pourrait ne pas être si mauvais ou est au moins mieux que l’alternative probable. Ainsi, ce n’est pas seulement que les officiels commencent à croire leur propre propagande, c’est que la propagande vit sa propre vie et continue à entretenir l’échec de la politique.

C’est un peu comme la vieille histoire du poulet qui continue à courir alors que sa tête vient d’être coupée. Dans le cas du gouvernement des États-Unis, le « groupe de réflexion » pro-guerre ou pro-intervention continue à se déchaîner même après que des décideurs plus sages reconnaissent l’impératif de changer de cap.

La raison de ce dilemme est que tant d’argent est dépensé pour payer la propagande et tant de carrières sont attachées à la narrative qu’il est plus facile de laisser des milliers de soldats américains et de citoyens étrangers mourir que d’admettre que la politique a été construite sur des biais, de la propagande et des mensonges. Ce serait mauvais pour certaines carrières.

Aussi, en raison du temps de latence exigé pour la mise en place des contrats et faire couler l’argent dans les officines de propagande, l’alibi public utilisé pour cette politique peut survivre à la conviction que cette politique à un sens.

Un besoin de sceptiques

Idéalement, dans une démocratie saine, les sceptiques, tant au sein du gouvernement que dans les médias, joueraient un rôle clé en signalant les failles et les faiblesses de la logique d’un conflit et seraient récompensés pour aider les dirigeants à abandonner un tel désastre. Cependant, dans l’establishment étasunien actuel, ces autocorrections ne se font pas.

Un exemple actuel de ce phénomène est la promotion de la nouvelle Guerre froide contre la Russie sans aucun débat réfléchi sur les raisons de cette hostilité croissante ou ses conséquences possibles, comme une guerre thermonucléaire potentielle qui pourrait mettre fin à la vie sur la planète.

Au lieu de s’engager dans une discussion approfondie, le gouvernement des États-Unis et les médias traditionnels ont tout simplement noyé le processus d’élaboration de la politique dans la propagande, de manière si grossière qu’elle aurait gêné Joe McCarthy et les anciens de la Guerre froide eux-mêmes.

Tout ce que la Russie fait est montré sous un angle le plus négatif possible, sans espace permettant un examen rationnel des faits et des motivations – sauf pour quelques sites indépendants d’esprit sur Internet.

Pourtant, dans le cadre de l’effort visant à marginaliser la dissidence au sujet de la nouvelle Guerre froide, le gouvernement américain, certaines de ses « organisations non gouvernementales », les grands médias et les grandes entreprises de technologie cherchent actuellement à imposer un projet de censure visant à faire taire les quelques sites Internet qui ont refusé de marcher dans le rang.

Je suppose que si l’on considère les milliers de milliards de dollars que le Complexe militaro-industriel peut soutirer aux contribuables sous prétexte d’une nouvelle Guerre froide, l’investissement en propagande pour obtenir la censure de quelques critiques en vaut la peine.

Aujourd’hui, cette opération de censure extraordinaire se déroule sous la bannière des « fausses nouvelles ». Pourtant, bon nombre de sites ciblés, dont Consortiumnews.com, font partie des sites de journalisme les plus responsables que l’on trouve sur Internet.

Chez Consortiumnews, nos histoires sont bien documentées et bien écrites, mais nous montrons du scepticisme envers la propagande du gouvernement des États-Unis ou de tout autre pays.

Par exemple, Consortiumnews a non seulement contesté les affirmations autour des armes de destruction massive du président George W. Bush concernant l’Irak en 2002-2003, mais nous avons aussi signalé le différend au sein de la communauté de renseignement des États-Unis au sujet des affirmations du président Barack Obama et de ses conseillers sur l’attaque au gaz sarin, en 2013 en Syrie et le tir d’obus [de missile Buk, NdT] sur le vol 17 de Malaysia Airlines, en 2014 en Ukraine.

Dans ces deux derniers cas, Washington a utilisé ces incidents comme des armes de propagande pour justifier une escalade de la tension contre les gouvernements syrien et russe, tout comme les précédentes allégations irakiennes d’armes de destruction massive ont été utilisées pour que le peuple américain soutienne l’invasion de l’Irak.

Alors, si vous mettez en question l’histoire officielle sur la responsabilité de l’attaque au gaz sarin à l’extérieur de Damas le 21 août 2013, après que le président Obama, le secrétaire d’État John Kerry et les médias traditionnels avaient déclaré le gouvernement syrien coupable, vous êtes déclaré coupable de répandre des « fausses nouvelles ».

Les faits ne comptent pas

Le fait que cette version de l’histoire ait été confirmée dans un article du journal The Atlantic ne semble pas pris en considération. Le directeur du renseignement national, James Clapper, a informé le président Obama qu’il n’y avait pas de preuves « en béton » pour montrer que le gouvernement syrien était responsable. Sans considération non plus du fait que le légendaire journaliste d’investigation Seymour Hersh ait signalé que ses sources de renseignement disent que le coupable le plus probable était le Front al-Nusra, alias Al-Qaïda, avec l’aide du renseignement turc.

En vous écartant de la pensée collective dominante qui accuse le président syrien Bachar al-Assad de franchir la « ligne rouge » d’Obama sur les armes chimiques, vous risquez des représailles en tant que colporteur de « fausses nouvelles ».

De même, si vous signalez que l’enquête sur le vol MH-17 a été placée sous le contrôle du service de renseignement ukrainien, le SBU, qui n’a pas seulement été accusé par les enquêteurs des Nations Unies de dissimuler des actes de torture, mais se doit aussi de protéger les secrets du gouvernement ukrainien, vous serez accusés de diffuser des « fausses nouvelles ».

Apparemment, l’un des facteurs qui a fait que Consortiumnews soit nommé sur cette nouvelle « liste noire » longue de quelque 200 sites Web, c’est que j’ai sceptiquement analysé un rapport de l’équipe conjointe d’enquête (JIT), qui était censée être dirigée par les Pays-Bas alors qu’elle l’était en fait par le SBU. J’ai également noté que la conclusion du JIT accusant la Russie était entachée par une lecture sélective des preuves fournies par le SBU et par un récit illogique. Mais les principaux médias des États-Unis ont salué sans scrupule le rapport du JIT, alors avoir souligné ses faiblesses flagrantes nous ont rendus coupables d’avoir publié des « fausses nouvelles » ou d’avoir diffusé de la « propagande russe ».

Le cas des ADM irakiennes

On peut supposer que si l’hystérie au sujet des « fausses nouvelles » avait fait rage en 2002-2003, ceux d’entre nous qui ont exprimé leur scepticisme au sujet de l’Irak cachant des ADM auraient été contraints de porter un marquage spécial les déclarant « apologistes de Saddam ».

À l’époque, les gens « importants » à Washington n’avaient aucun doute au sujet des armes de destruction massive en Irak. Le rédacteur en chef de la page éditoriale du Washington Post, Fred Hiatt, a déclaré à plusieurs reprises que les ADM cachées de l’Irak était une « réalité » et s’est moqué de toute personne qui doutait de cette « pensée collective ».

Pourtant, même après que le gouvernement des États-Unis eut reconnu que les allégations concernant les ADM étaient un mythe – un cas classique, et sanglant, de « fausses nouvelles » – presque personne ayant poussé à ce montage n’a été puni.

Ainsi, l’accusation de propagation de « fausses nouvelles » ne s’est pas appliquée à Hiatt et à d’autres journalistes qui ont publié des fausses nouvelles, même si elles ont entraîné la mort de 4 500 soldats américains et de centaines de milliers d’Irakiens. Jusqu’à ce jour, Hiatt demeure le rédacteur en chef des pages éditoriales du Washington Post, continuant à faire respecter la « sagesse conventionnelle » et à dénigrer ceux qui en dévient.

Un autre exemple douloureux de propagande – plutôt que de faits et de raisonnement – guidant la politique étrangère des États-Unis a été la guerre du Vietnam, qui a coûté la vie à quelque 58 000 soldats américains et des millions de Vietnamiens.

La guerre du Vietnam a duré des années après que le secrétaire à la Défense Robert McNamara et même le président Lyndon Johnson eurent reconnu la nécessité d’y mettre fin. C’est en partie dû à la trahison de Richard Nixon, dans le dos de Johnson, pour saboter les pourparlers de paix en 1968, mais la diffamation contre les dissidents anti-guerre en les traitant de traîtres pro-communistes a obligé de nombreux fonctionnaires à se positionner comme soutien à la guerre bien après que sa futilité fut devenue évidente. La propagande avait développé son propre élan qui a entraîné de nombreuses morts inutiles.

Un marquage spécial

À l’ère de l’Internet, il y aura de nouvelles formes de censure. Votre site Web sera exclu des principaux moteurs de recherche ou estampillé électroniquement avec un avertissement concernant votre manque de fiabilité.

Votre culpabilité sera jugée par un panel de médias traditionnels, dont certains financés en partie par le gouvernement des États-Unis, ou peut-être par un groupe anonyme de prétendus experts.

Avec les dizaines de millions de dollars tourbillonnant autour de Washington pour payer la propagande, beaucoup d’entrepreneurs vont s’aligner pour en toucher leur part. Le Congrès vient d’approuver un autre montant de 160 millions de dollars pour lutter contre la « propagande russe », qui comprendra apparemment des sites d’information américains remettant en cause la nouvelle Guerre froide.

En plus de cet argent, la Chambre des députés a voté par 390-30 pour la Intelligence Authorization Act dont la section 501 permettra de créer un « comité inter-institutions de la branche exécutive pour contrer les mesures actives de la Fédération de Russie cherchant à exercer une influence cachée », une invitation à élargir la chasse aux sorcières macarthyste déjà en cours pour intimider les sites d’information indépendants sur Internet et les Étasuniens qui s’interrogent sur la dernière série de propagande du gouvernement américain.

Même si un président Trump décide que ces tensions avec la Russie sont absurdes et que les deux pays peuvent travailler ensemble dans la lutte contre le terrorisme et les autres préoccupations internationales, le financement de la propagande de la Nouvelle Guerre Froide et la pression pour se conformer à la pensée collective va continuer.

Les tambours de guerre bien financés de la propagande anti-russe chercheront à limiter les prises de décision du gouvernement Trump. Après tout, cette vache à lait qu’est la Nouvelle Guerre froide peut rapporter gros pendant des années et rien – pas même la survie de l’espèce humaine – n’est plus important que cela.

Robert Parry

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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