Par Moon of Alabama − Le 30 septembre 2019
Ian Cobain a déjà écrit la longue histoire de l’implication britannique dans la torture. Il enquête maintenant sur l’implication britannique dans la manipulation des médias. Voici une de ses importantes trouvailles :
Un cadre supérieur de Twitter, le responsable de la rédaction pour le Moyen-Orient, est également officier à temps partiel dans l'unité de guerre psychologique de l'armée britannique, a révélé Middle East Eye. Gordon MacMillan, qui a rejoint le bureau britannique de l'entreprise de médias sociaux il y a six ans, a également servi pendant plusieurs années au sein de la 77e brigade, une unité créée en 2015 afin de développer des moyens "non létaux" de faire la guerre. La 77e brigade utilise des plateformes de médias sociaux telles que Twitter, Instagram et Facebook, ainsi que des podcasts, des analyses de données et des études d'audience pour mener ce que le général Nick Carter, chef de l'armée britannique, qualifie de "guerre de l'information".
La 77e Brigade est une ferme à trolls :
Ils l'appellent la 77e brigade. Ce sont les troupes qui mènent les guerres de l'information britanniques ... D'un bureau à l'autre, j'ai trouvé diverses sections de la brigade occupées au travail. L'une des salles était axée sur l’étude du public : sa composition, sa démographie et les habitudes des personnes qu'ils veulent atteindre. Une autre était plus centrée sur l’analytique, se concentrant sur la création d'une "prise de conscience des attitudes et des sentiments" à partir d'un vaste ensemble de données recueillies sur les médias sociaux. Une autre était remplie d'agents produisant du contenu vidéo et audio. Ailleurs, des équipes de spécialistes du renseignement analysaient de près la façon dont les messages étaient reçus et discutaient des moyens de les rendre plus percutants.
La 77e Brigade a pour mission de produire de la propagande discrète en appui des opérations (militaires) britanniques :
Que savons-nous de la 77e Brigade ? Permettez-moi de citer une réponse écrite du ministère de la défense au Parlement, publiée en mars 2015. La Brigade existe "pour fournir un appui, en collaboration avec d'autres organismes gouvernementaux, aux efforts visant à établir la stabilité à l'étranger et à élargir la diplomatie de défense et l'engagement à l'étranger". C'est une mission bien plus politique que militaire. La réponse au Parlement poursuit en disant que la Brigade "dirige les méthodes d'influence spéciale, notamment en fournissant des informations sur les activités, l'engagement des principaux dirigeants, la sécurité des opérations et l'engagement des médias". Notez l'expression "méthodes d'influence spéciales", tout droit sortie de 1984, l'ouvrage d'Orwell. Et remarquez la référence à "l'engagement des médias". Depuis quand l'armée britannique a-t-elle un rôle légitime à jouer pour essayer d'influencer les médias ?
Un aspect vraiment intéressant, et dangereux, de la 77e Brigade est son caractère mixte, militaro-civil :
Nous arrivons ici à un aspect vraiment insidieux de la 77e Brigade. Elle dispose d'un effectif d'environ 440 personnes dévouées, selon cette réponse au Parlement. Selon la nouvelle doctrine organisationnelle de l'Armée de terre, les unités combinent à la fois des soldats à plein temps et des réservistes territoriaux. La 77e brigade recrute ses réservistes parmi les journalistes et les professionnels britanniques de la publicité et des relations publiques. Il ne s'agit pas seulement de spécialistes de l'informatique et des technologies de l'information, mais aussi de professionnels des médias. Il en résulte que les frontières nécessaires entre les médias militaires et civils ont été compromises. Cela représente une menace potentielle pour les normes démocratiques.
Le fait qu’un cadre de Twitter ayant une responsabilité éditoriale travaille également pour une unité de propagande militaire britannique montre clairement que les médias sociaux « occidentaux » ne sont pas aussi neutres ou libres que ce que les pouvoirs le prétendent.
Le cadre de Twitter, Gordon MacMillan, est maintenant capitaine de réserve de l’armée britannique et travaille parfois dans son unité de propagande. Le 20 septembre, Twitter a supprimé un grand nombre de comptes, y compris dans le domaine de responsabilité de MacMillan. Combien d’entre eux ont été désignés par l’État britannique ?
En décembre 2018, nous avions parlé d’une autre organisation de manipulation des médias gérée par le gouvernement britannique, Integrity Initiative :
Cette organisation, financée par le gouvernement britannique, est chargée de diffuser de la propagande anti-russe pour influencer le public, les militaires et les gouvernements d'un certain nombre de pays. Ce qui suit est une analyse contextuelle du troisième lot de documents internes de cette organisation, qui ont été divulgués par un anonyme, hier. Christopher Nigel Donnelly (CND) est le co-directeur de l'Institute for Statecraft et le fondateur de sa filiale, Integrity Initiative. Cette dernière prétend "Défendre la démocratie contre la désinformation". Elle le fait en diffusant de la désinformation sur l'influence présumée de la Russie par le biais de groupes de journalistes dans toute l'Europe et aux États-Unis. Institute for Statecraft et Integrity Initiative prétendent toutes deux être des organisations non gouvernementales indépendantes. Mais elles sont financées par le gouvernement britannique, l'OTAN et d'autres donateurs étatiques. Parmi les documents fuités des serveurs de l'Institut par une personne anonyme, nous trouvons plusieurs documents sur Donnelly ainsi que des notes de service rédigées par lui. Ils montrent un esprit russophobe et un manque de pensée stratégique réaliste.
Le codirecteur de Donnelly à l’Institute for Statecraft est Daniel Lafayeed. Parmi les documents publiés par le compte-rendu anonyme se trouvent ses notes d’allocution lors de réunions en Israël en juin 2018. Ils mentionnent la 77e brigade :
Une grande partie de notre travail visant à améliorer l'efficacité de nos forces armées pour toutes les formes de guerre moderne est, bien sûr, très sensible, car nous l'envoyons aux plus hauts niveaux du ministère de la Défense et des forces armées. Ce que nous cherchons à faire, c'est d'aider les Forces canadiennes à devenir plus compétentes pour mener une guerre moderne avec toutes sortes d'armes, et ce, dans le cadre du budget que l'État prévoit. A cette fin, nous avons soutenu la création d'unités spéciales de réserve de l'armée de terre (par exemple la 77 Bde et SGMI - Specialist Group Military Intelligence - avec lesquelles nous entretenons désormais une relation étroite et informelle. En tant que réservistes dotés d'un statut spécial, ces personnes sont des experts civils de très haut niveau dans un domaine pertinent, comme des gestionnaires de fonds de pensions, des banquiers de haut niveau, des chefs de sociétés, etc. C'est-à-dire des gens que l'armée ne pourrait jamais se permettre d'embaucher, mais qui donnent de leur temps et de leur expertise en tant que patriotes. Avec ces collègues, nous organisons des séminaires et préparons des études pour aider les forces armées à trouver de nouvelles façons de combattre dans la guerre moderne. Ces documents décrivent notre compréhension de ces guerres modernes, comment nous devons nous y préparer et comment les Russes vont la combattre, au-delà des étapes de la guerre de l'information pour en faire une guerre classique. J'inclus également un document de réflexion sur une autre façon de structurer nos Marines pour une guerre moderne à faible coût. Cela pourrait particulièrement vous intéresser.
Integrity Initiate et Institute for Statecraft ont pris de fortes positions anti-Corbyn. Certains tweets de MacMillon sont aussi fortement dirigés contre Corbyn.
Il ne faut pas considérer la 77 brigade comme une voie à sens unique dans laquelle l’État transmet des messages que des civils contribuent à diffuser. Lorsque les gérants de fonds de pensions, les haut responsables de banque, les responsables de sociétés de relations publiques sont invités à participer à ses opérations, ils auront aussi tout intérêt à faire passer leurs propres messages pour tenter de vaincre leurs propres ennemis. L’exécutif de Twitter, en tant que membre de la brigade de propagande, l’utilisera également pour diffuser les messages et les souhaits de son entreprise.
Il s’agit d’un mariage des pouvoirs entre grandes entreprises et gouvernement pour manipuler l’opinion publique. C’est dangereux.
Addendum :
Kit Klarenberg vient de publier ses articles sur le sujet : « Notre homme infiltré : Un cadre supérieur de Twitter exposé en tant que guerrier de l’information de l’armée britannique. »
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone